L’adoption, paradigme de la filiation

DOI : 10.35562/canalpsy.997

p. 9-12

Texte

La naissance du sujet n’a rien de naturel comme nous le montrent abondamment les autres cultures et l’histoire : la filiation est une affaire de parole et non de biologie. D’une certaine manière, nous sommes tous des enfants adoptés, et devenir parents passe par l’adoption, y compris des enfants de sa chair. On pourrait croire que, d’habitude, une mère qui a porté son enfant n’aurait pas à l’adopter à sa naissance, or il n’en est rien puisqu’après la naissance d’un enfant, il y a le choix de le déclarer à la mairie ou de le rendre adoptable par un autre en s’engageant dans la procédure légale d’abandon. C’est notre culture occidentale teintée de scientisme qui accentue la réduction de la filiation sur le biologique en nous faisant oublier qu’il n’est qu’un substratum. L’adoption, au sens légal du terme1, et même si elle est à situer socialement dans l’ensemble des différentes modalités de filiation, constitue donc une sorte de paradigme du lien généalogique. Parce qu’elle se joue sur un fond de dissociation des logiques de la filiation habituellement masquées par la coïncidence de la biologie et de la filiation, elle nous éclaire en effet sur les enjeux subjectifs, institutionnels et éthiques de toute filiation. Parce qu’elle est complètement séparée de la reproduction biologique, elle montre que notre origine n’est pas le coït ou la génétique, mais la parole entre-dite à un double niveau de rencontre :

  • la rencontre d’un homme et d’une femme qui chacun cause le désir de l’autre (et leur rapport dissymétrique au phallus), avec ce qui échappe de ce désir et qui ouvre sur la question de l’engendrement,
  • la rencontre avec un enfant qui permet la reconnaissance mutuelle mais non symétrique, reconnaissance qui passe par la nomination et l’inscription de l’enfant dans une lignée (filiation) et dans son groupe d’appartenance (affiliation) avant de passer par les médiations imaginaires que sont par exemple la ressemblance physique ou la réattribution d’un prénom d’une génération à l’autre. La filiation en effet, suppose d’être nommée, c’est-à-dire assignée à une place dans la génération au-delà des images. Le fils est lié « généalogiquement inconsciemment à l’homme d’une femme qui l’a instauré père à partir de son nom » écrit très justement Philippe Julien dans Le Manteau de Noé (Seuil, 1991).

Ce qui se passe habituellement pour un homme devenant père est assez proche du trajet que doivent accomplir les parents adoptants : parce qu’en ce cas, il n’y a pas de lien imaginaire naturel entre un acte procréateur et l’arrivée d’un enfant, ils ne peuvent le reconnaître comme le leur et se lier à lui que par le truchement d’une procédure extérieure qui les institue comme parents de cet enfant-là en symbolisant le sens de leur acte. C’est là la différence avec « l’adoption » des enfants de sa chair où le droit n’a en général qu’à entériner un état de fait : il faut en plus de la volonté exprimée des parents, un accord du tiers social sous forme d’un acte juridique d’adoption :

« L’adoption est, en effet la seule filiation fondée sur la volonté, la seule filiation artificielle qui ne trouve son existence que dans le droit. C’est pourquoi on dit qu’elle est constitutive (et non déclarative) d’état. C’est pourquoi la volonté nécessaire est insuffisante à créer le lien ; il faut un jugement. L’adoption n’est pas un contrat mais résulte d’une décision de justice pour en apprécier la légalité et l’opportunité » écrit C. Labrusse-Riou (Esprit, n° 12, p.103).

La filiation repose sur l’alliance traduisant le désir dans la rencontre de la différence des sexes, non sur la manière concrète dont les humains s’y prennent pour procréer. Le désir d’enfant pour l’un et pour l’autre parent met en jeu leur rapport en tant que non sexuel mais rapport sexué tout de même. Au-delà de la sexualité féconde ou non, c’est la valeur symbolique de leur relation dont il s’agit, ce qui s’échange entre eux et qui est mis à l’épreuve soit par la stérilité (physique) de l’un ou de l’autre, soit par l’infécondité de ce couple-ci (ensemble ils ne peuvent pas avoir d’enfant mais chacun pourrait en avoir avec un autre partenaire), soit par le choix d’adopter un enfant en plus des siens, trois aspects très différents à prendre en compte dans l’accompagnement psychologique des parents adoptants.

L’adoption d’un enfant qu’il soit de sa chair ou non, passe donc par le déploiement de la parole dans deux registres :

  • Le registre intersubjectif de la parole adressée liant les parents à un enfant et faisant promesse de vie : « tu es mon fils, ma fille ; vas ». Cette ligature généalogique tisse entre eux des fils autant juridiques (droits et des devoirs) qu’affectifs (amour, haine, etc.).
  • Le registre institutionnel de la parole circulant dans le groupe social et qui construit juridiquement et culturellement les catégories signifiantes de la filiation : mère/père/fils/fille, mais aussi homme/femme. Cela veut dire que la procréation, quelles que soient ses modalités, met en jeu des limites, des processus de différenciation qui n’ont rien de naturel mais qui relèvent de construction culturelle, c’est-à-dire langagières, donc toujours fragiles, comme en témoignent les avancées et les reculs éventuels du droit et des procédures administratives.

L’adoption illustre bien comment aucune société ne laisse à la libre disposition de ses membres la filiation et les catégories généalogiques, non seulement pour des raisons d’ordre public, moral ou éthique (éviter le trafic d’enfants et interdire l’eugénisme) mais aussi pour maintenir la raison et permettre à chaque enfant de construire sa personnalité sur des bases stables et vraies. On a vu par exemple dans le passé, les ravages produits par l’adoption clandestine qui a été progressivement interdite. L’ensemble social a une responsabilité envers les enfants, celle de tenir compte de leur dépendance symbolique autant que matérielle en leur fournissant, quand ils n’en ont pas, des tutélaires qui incarnent pour eux le lien de parole, un des problèmes contemporains étant de régler le conflit de plus en plus prégnant entre ce droit de l’enfant d’avoir des parents et celui des parents d’avoir un enfant, avec le risque qu’il ne soit qu’un objet de complétude narcissique ou un enjeu généalogique dans une famille ; grave question pour notre temps : est-ce que le manque d’enfants est un symptôme médical qu’il faut soigner par le recours aux procréations médicalement assistées ? Est-ce une souffrance sociale, une exclusion que l’État aurait le devoir de résoudre en donnant des enfants à l’adoption. De nombreux spécialistes mettent en garde contre cette dérive de l’adoption et des AMP (assistance médicale à la procréation) vers un « droit à l’enfant », quel que soit l’âge des parents, leur sexe, leur situation matrimoniale, que M. M. Chatel définit ainsi :

« C’est un appel à un accrochage minimal à ce qu’on croit être une filiation symbolique ; face au risque de se voir pur objet d’une malédiction d’époque, soumis à une fatalité de déchet sans recours, on revendique le maillon minimal de la parenté ; à chacun son enfant, quel que soit son sexe, hors sexe. Dans cette logique, il n’y a plus ni homme ni femme, les femmes ne sont plus objet de désir, et les hommes ne cherchent plus à les conquérir selon les règles de l’échange. Car le lien de génération est compromis » (1999, p.159).

Mais tant que le droit de l’enfant à avoir des parents2 prime sur celui des parents de revendiquer d’avoir un enfant, l’adoption s’organise sur le principe du don et non sur celui de la transaction ou du contrat comme c’était le cas du temps des adoptions clandestines ou quand la loi n’interdisait pas à une femme qui accouchait « sous x » de choisir elle-même les parents adoptifs de son enfant, comme cela se pratique encore selon le droit coutumier de certaines cultures (exemple de la Polynésie).

Que l’enfant soit issu d’une fécondation in vitro ou vienne par adoption, dans les deux cas, il représente ce qui est en jeu de leur désir à travers la sexualité et il s’agit alors de faire entrer dans une famille un enfant qui n’est pas issu directement des relations sexuelles d’un couple mais de leurs relations symboliques. Si l’AMP risque d’accréditer le fantasme parthénogénétique de fabriquer un humain en dehors de tout rapport d’altérité, l’adoption évite ce fantasme pour un autre : l’enfant issu des relations sexuelles d’un autre couple (celui des géniteurs) ne pourrait jamais totalement devenir l’enfant d’un autre couple (celui des parents adoptifs). Or adopter un enfant, c’est devenir ses vrais parents tout autant que « les autres » sinon, c’est qu’on ne l’a pas vraiment adopté. Une petite histoire que j’ai développée dans mon article du Journal des psychologues (1993) illustrera mon propos : je reçois un jour en consultation un garçon de cinq ans pour des problèmes d’agressivité envers ses parents et de violences sur ses camarades de classe. Je m’enquiers du début de ces troubles et les parents me répondent que « c’est depuis qu’on lui a dit la vérité sur son adoption ». Il est manifestement très en colère depuis cette révélation. Étonné que la vérité produise un tel effet, je leur demande s’ils se souviennent de ce qu’ils lui ont dit et dans quelles circonstances. C’est en rentrant d’une consultation avec le psychologue de la DASS qui leur avait dit « il faut lui dire la vérité », du moins c’est ainsi qu’ils l’avaient compris, qu’ils lui ont dit « on n’est pas tes vrais parents ». Ils lui avaient donc menti, puisque, l’ayant adopté, ils étaient maintenant ses parents. C’était lui dire implicitement qu’il n’était pas leur « vrai fils ». La vérité relève d’une énonciation désirante qui se fait au jour le jour, et non d’un contenu qui se dirait une fois pour toutes. Ils n’étaient pas prêts à parler à leur fils comme ils pourront le faire plus tard ayant été accompagnés psychologiquement, mais ils ont dit aussi à leur insu leur part de vérité : à ce moment-là, ils ne l’avaient pas encore vraiment adopté malgré le jugement légal d’adoption qui les avait institués comme parents de cet enfant. D’ailleurs, des collègues ne les connaissant pas, ont cru pendant longtemps en voyant la mère en salle d’attente qu’il s’agissait de la nourrice…

Si nous sommes tous des enfants adoptés puisque reconnus comme « fils de » par ceux qui se sont déclarés devant le tiers social « nos parents », nous pouvons soutenir, à l’instar de Michel Soulé, qu’il n’y a pas de problèmes spécifiques dus à l’adoption (les enfants adoptés ne présentent pas plus de problèmes psychopathologiques que les autres). C’est une filiation identique dans ses effets à n’importe quelle autre et nous devons nous garder d’attribuer systématiquement les difficultés d’un enfant au fait qu’il ait été adopté. En même temps il peut y avoir des difficultés récurrentes dues soit à l’histoire des parents et à ce que l’adoption fait résonner en eux (par exemple répétition d’une adoption ou d’un abandon dans l’histoire familiale), soit du côté de l’enfant, à ce qui s’est passé avant qu’il arrive chez eux (difficultés autour de sa naissance, répétitions des abandons et des placements, etc.).

 

 

Le vécu et les effets de l’abandon sont modulés par la manière dont les parents l’accueillent et sont eux-mêmes accompagnés en cas de difficultés. Ainsi la répétition d’une situation abandonnique de rejet est toujours une question muette et insistante qui porte plus sur les raisons de l’abandon que sur l’identité de ceux qui ont abandonné l’enfant. L’enfant imagine à ce sujet ce qu’il veut ou ce qu’il peut et souvent les parents adoptifs aussi, et ce qu’ils en disent à leur enfant n’est pas sans importance : quand ils se situent dans la pure projection, par exemple dans une position de rivalité jalouse envers la mère de naissance, ils n’en parlent qu’en négatif ou n’en parlent jamais, essayant parfois d’effacer de la mémoire de l’enfant tout ce qui s’est passé avant au lieu d’autoriser leur enfant à garder en lui la trace des premiers liens symboliques structurant, sous la forme de la connaissance de son prénom d’avant, des éléments connus de son histoire, du respect des sensibilités culturelles précocement ancrées en lui (sensibilité à certaines musiques, à certaines odeurs, à certains goûts, bien repérables par exemple chez les enfants issus de l’adoption internationale). Et parfois l’enfant reprend à son compte ce désir d’effacer les signifiants qui l’ont constitué (en oubliant sa langue, en essayant de ressembler physiquement à ses parents), comme si cette annulation allait faciliter son adoption. Pourquoi beaucoup de mères adoptives ne peuvent parler tranquillement de l’existence de la « mère de naissance » qui, d’une certaine manière leur a donné l’enfant en permettant son adoption ? Parce qu’elles sont prises dans le fantasme de l’abandon inversé : elles qui étaient à l’abandon d’enfant pour cause de stérilité ou d’infécondité, pourraient être à nouveau abandonnées par l’enfant au profit de la mère de naissance. Car il y a une différence fondamentale que les parents adoptifs n’acceptent pas toujours de faire, entre la procédure légale d’abandon qui équivaut à un don de la mère de naissance (quelles que soient les raisons par ailleurs) qui remet l’enfant à la société, et l’abandon illégal d’un bébé dans une poubelle ou sous le porche d’une église. La réforme récente (loi du 22 janvier 2002) de l’accouchement sous x va dans ce sens puisqu’elle incite la mère à laisser des informations et des paroles qui seront accessibles à l’enfant le moment venu. C’est pourquoi je ne parle jamais en termes de mère « biologique » car une femme qui a porté un bébé et accouché n’est jamais que biologique. Il suffit d’avoir accompagné des femmes ayant accouché sous x pour s’en convaincre.

La filiation comporte une exigence de vérité, non d’exactitude, dans le cas de l’adoption comme dans n’importe quelle autre histoire de famille. Mais plutôt que de revendiquer un « droit de l’enfant à connaître ses origines », il vaut mieux se demander ce que cache et révèle tout à la fois chez un enfant la recherche forcenée de ses parents de naissance. Dans mon expérience clinique, je n’ai jamais assisté à une telle recherche dès lors que les parents disaient tout ce qu’ils savaient et autorisaient leur enfant à se poser des questions et à faire des recherches quand ils ne pouvaient pas lui répondre. Ainsi des parents ont recontacté l’institution où l’enfant avait été placé avant son adoption, l’ont visité avec lui. D’autres ont même pu rencontrer des membres du personnel qui y travaillaient à l’époque. Dans le cadre de l’adoption internationale, certains ont des contacts avec des membres de la famille d’origine ou des substituts parentaux qui ont compté dans la vie de l’enfant. Tout cela aide l’enfant comme sujet à assumer son histoire en première personne au lieu de rester coincé dans le fantasme du rebut ou du déchet, prétexte inconscient à ne pas vivre la vie qui a été donnée malgré tout.

Quand les enfants vont bien et que les parents les ont vraiment adoptés, ce qui peut prendre du temps et ne va pas sans difficultés, ils ne cherchent pas ailleurs. Ce sont plus les résurgences de conflits psychiques internes mal liquidés, tant du côté des parents que du côté de l’enfant qui poussent celui-ci à chercher une autre filiation qui serait enfin « vraie » : filiation biologique, religieuse, politique, idéologique ou scientifique où le sujet ne serait pas à nouveau abandonné mais choisi définitivement. La recherche des géniteurs est beaucoup plus fréquente et plus douloureuse chez les enfants sans parents (les « pupilles de l’État ») qui n’ont pas été adoptés et n’ont pas d’autre filiation que celle de l’État. Ce n’est donc pas l’ignorance des parents qui fait problème surtout s’ils parlent de cette ignorance, mais la rétention d’informations sur l’histoire d’avant qui ne peut dès lors se symboliser (la « préhistoire » est toujours abordée par les enfants sous la forme d’un intérêt pour les dinosaures ou les extra-terrestres). Le secret fonctionne alors comme un mensonge.

Par contre, je ne vois pas pourquoi les parents auraient à tout dire de leur intimité en jeu dans cette affaire sous prétexte qu’ils ont eu recours à l’adoption ; adopté ou non, l’enfant reste confronté à l’énigme du désir de ses parents qu’il incarne, et cela lui échappe à jamais. L’origine est toujours voilée et trouve sa médiation dans l’alliance désirante des parents. Elle n’est pas la vérité des commencements qui n’est qu’une lecture partielle de l’histoire. Les fantasmes originaires mettent en scène notre naissance de sujet dont l’origine reste à jamais une énigme. Le sujet ne puise pas sa source dans le fantasme de sa naissance : « je suis né méchant, donc ma mère m’a abandonné » (parole d’un enfant adopté) est à entendre comme la manière dont le sujet a reçu la vie et l’a repris ou non à son compte. Un enfant teste toujours ses parents, particulièrement à l’adolescence qui est le temps des remaniements identificatoires, d’interrogation des modèles et des références, et de mise à l’épreuve du lien. À travers ses émois et ses fantasmes de scène primitive se pose à lui comme aux autres la question de l’origine qui est celle de tout humain. La version imaginaire de cette question est celle, pointée par Freud, du « roman familial » (l’enfant s’imagine adopté, séparé de ses vrais parents, en général idéalisés et asexués) qui prend d’autres formes pour les enfants adoptés. La plus fréquente consiste à imaginer que sa mère de naissance a été une pauvre jeune fille pure et pauvre, abandonnée par le géniteur, mais qui a été la meilleure des mères en le donnant à d’autres ou encore de refuser de croire à l’adoption. Il est impossible de parler des « enfants adoptés » comme d’une entité homogène. Il y a toutes sortes de cas de figure, comme pour les parents adoptifs qui ont chacun leur histoire avec ses joies et ses peines. Alors pourquoi maintient-on le qualificatif « d’adoptés » pour évoquer ces enfants qui l’ont été, comme si ça définissait leur identité, ou « d’adoptifs » pour désigner les parents comme s’ils ne l’étaient pas entièrement ? Si l’adoption relève d’une parole performative, d’une certaine manière elle fait disparaître la référence même à l’adoption dans le langage de tous les jours. Les parents sont les parents et les enfants sont les enfants, point.

L’adoption est un thème presque vieux comme le monde. On en trouve des traces aussi bien dans les récits bibliques qu’au cinéma et dans la littérature. Pour ne prendre qu’un exemple, voyez comment Marcel Pagnol dans Fanny, a mis magnifiquement en scène sur quoi se fonde l’adoption d’un enfant, à travers d’une part la tirade (acte I, scène VI) entre la fille (Fanny) enceinte d’un homme (Marius) qui l’a quittée sans donner de nouvelles, sa mère (Honorine) et sa tante (Claudine) qui voudraient faire croire au prétendant (Panisse) que cet enfant est physiquement de lui, d’autre part le dialogue de vérité entre la fille-mère (Fanny) et l’homme (Panisse) qui va reconnaître cet enfant comme le sien en toute connaissance de cause (acte II, scène VI), et enfin, l’abord de la question du père (acte III, scène X).

Cette modalité particulière qu’est l’adoption nous montre finalement une chose : la différence entre donner la vie et la transmettre, c’est-à-dire transmettre ce qui permet de vivre en humain. Elle nous montre aussi que le fils (fille) dans la génération naît de l’alliance entre un homme et une femme, d’une histoire relationnelle avec toutes ses dimensions, pulsionnelles, sentimentales, spirituelles, que l’enfant naît de la rencontre désirante de ses parents entre eux et avec lui, au-delà des modalités particulières du mode de procréation. La plus grave erreur serait de laisser s’installer dans notre culture la confusion entre l’exactitude biologique et la vérité symbolique, que ce soit pour déterminer qui est le père (cf. l’affaire « Montand-Drossard ») ou qui est le fils ou qui est la mère. Ce serait faire croire aux enfants et aux parents que seuls les géniteurs ou les donneurs de gamètes sont les « seuls parents » ou les « seuls vrais ». Et si les parents ne sont pas vrais, cela entraîne logiquement que leur enfant est un « faux fils ». Le cas particulier de l’adoption légale nous rappelle que la filiation est une affaire de vérité, que son opération relève de constructions langagières socio-juridiques, que les vrais parents sont ceux de la parole.

Bibliographie

Centre international de l’Enfance et UNICEF, 1993, L’adoption des enfants étrangers, Actes du Colloque de Paris.

Chatel M. M., 1999, Malaise dans la procréation, Paris, A. Michel.

Collectif, 1988, « Abandon et adoption. Liens du sang, liens d’amour », Autrement, n° 96.

Collectif, 1996, « Malaise dans la filiation », Esprit, n° 12.

Durif-Varembont J.-P., 1993, « Reconnaître un enfant… », Journal des psychologues, n° 113, p.41-44.

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Soulé M., Launay C. et al., 1975, L’adoption. Données médicales, psychologiques et sociales, Paris, ESF.

Théry I., 1996, « différence des sexes et différences des générations. L’institution familiale en déshérence » Esprit, n° 12.

Notes

1 Rappelons qu’il existe en France deux modes d’adoption : l’adoption plénière, la plus utilisée dans notre pays, réservée aux enfants de moins de quinze ans. Elle entraîne une rupture totale de l’enfant sur le plan légal avec sa famille d’origine. L’enfant acquiert alors une nouvelle filiation, avec les mêmes droits et devoirs que s’il était né de sa famille adoptive. Elle constitue une filiation substitutive et demeure irrévocable. L’adoption simple, qui maintient les liens de l’adopté avec sa famille d’origine. Elle ne peut se faire que par consentement de l’adopté s’il a plus de quinze ans ou celui de ses parents de naissance s’il est mineur ou celui du conseil de famille s’il est pupille de l’État. L’enfant porte alors les deux noms, le sien et celui de ses parents adoptifs. Elle constitue une filiation addictive.

2 C’est pourquoi toute personne souhaitant adopter en France un ou plusieurs enfants, doit posséder un agrément d’adoption délivré par le service d’Aide sociale à l’enfance du département, en vue non d’une sélection des candidats mais de la vérification d’absence de contre-indication au projet d’adoption, en fonction d’un certain nombre de critères (âge, santé, situation personnelle, financière et judiciaire, garanties éducatives) définis par la loi et évalués à la suite d’entretiens sociaux et psychologiques.

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Citer cet article

Référence papier

Jean-Pierre Durif-Varembont, « L’adoption, paradigme de la filiation », Canal Psy, 56 | 2002, 9-12.

Référence électronique

Jean-Pierre Durif-Varembont, « L’adoption, paradigme de la filiation », Canal Psy [En ligne], 56 | 2002, mis en ligne le 23 juin 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=997

Auteur

Jean-Pierre Durif-Varembont

Maître de conférences, Université Lumière Lyon 2

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