Introduction
Certains chercheurs considèrent le discours publicitaire comme le « discours persuasif par excellence » [Sonesson 2013 : 7-8], tant ce dernier est omniprésent dans nos vies contemporaines. C’est précisément sur ce type de discours, et plus particulièrement sur le discours publicitaire des produits cosmétiques destinés aux femmes et aux hommes, que nous souhaitons nous pencher, dans une perspective contrastive anglais-français. Le but de cet article est de mettre au jour les stratégies argumentatives de persuasion linguistiques et non linguistiques – dans une optique multimodale – utilisées dans le domaine de la beauté et de l’hygiène corporelle, afin de voir si ces dernières se fondent ou non sur des stéréotypes (en les renforçant, le cas échéant) selon le genre du public visé. Nous entendons par stratégies argumentatives de persuasion les stratégies dont l’effet vise à convaincre les consommateurs et consommatrices d’acquérir un produit ou service donné.1
Les questions principales auxquelles cet article se propose de répondre sont les suivantes : quelles sont les ressources et stratégies linguistiques convoquées par les publicitaires pour vendre des cosmétiques ? Sont-elles différentes en anglais et en français ? Varient-elles selon le public visé (femmes et hommes) ? Nous verrons que la réponse aux deux dernières questions est négative, et tenterons d’expliquer pourquoi. Après avoir présenté le corpus et la méthodologie qui a présidé à sa constitution, puis être revenus sur les résultats d’une étude précédente [Bordet & Jamet 2020], nous aborderons quatre étapes principales qui structureront cette étude : la première étape consistera à analyser la fréquence lexicale via les outils de la linguistique de corpus outillée. La deuxième étape recourra à l’utilisation de la fonctionnalité de « semantic tagging » (étiquetage sémantique) présente dans WMatrix, qui permet d’effectuer un étiquetage des termes en fonction de leur champ sémantique / conceptuel. La troisième étape adoptera une perspective résolument multimodale (voir Forceville [1996, 2013], Kress & van Leeuwen [2006], Machin [2007, 2013]) et poursuivra l’étude en se focalisant sur les thématiques récurrentes non plus au niveau linguistique, mais au niveau non linguistique, plus particulièrement au niveau visuel, en étudiant la représentation symbolique véhiculée par les publicités. Finalement, la quatrième étape se focalisera sur le choix des couleurs effectué par les publicitaires, afin de voir si ces dernières renforcent les stéréotypes existants au niveau du genre du public visé, comme le laisse entendre Ringrow [2016 : 19] lorsqu’elle écrit que « in advertising discourse the type of femininity portrayed is often seen as normative and desirable »2.
1. Le discours publicitaire des cosmétiques comme discours argumentatif persuasif
1.1. Présentation du domaine d’étude et du corpus
Le terme « cosmétiques » renvoie à une vaste gamme de divers produits, et représente un secteur d’activité en pleine croissance, comme le souligne le site www.regionsjob.com :
Ces produits se répartissent en sept grands domaines de fabrication : la beauté et le soin, qui représente 26 % des ventes, la parfumerie (21 % des ventes) à égalité avec l’hygiène (21 %), la coiffure (14 %), le maquillage (9 %), l’hygiène dentaire (7 %) et l’hygiène bébé (3 %). Selon l’INSEE, la part du budget consacrée aux soins et biens personnels (coiffure, rasoirs, parfums et produits de beauté…) n’a cessé d’augmenter depuis 1960. Les dépenses en cosmétique représentent désormais 32 % du budget des Français contre 9 % en 1960, soit 965 euros en moyenne3.
Ce secteur représente « 110 milliards d’euros de ventes de produits cosmétiques dans le monde » (source L’Oréal) et s’établit à 33 % en Europe, 21,5 % en Asie, 12,5 % au Japon et 33 % pour le reste du monde. Le taux de croissance reste l’un des plus importants, comme le confirme la figure 1.
Figure 1. Taux de croissance du marché mondial des produits cosmétiques entre 2005 et 20184
Il est intéressant de noter que même en plein pic de la crise économique mondiale en 2009, le taux de croissance du secteur demeurait positif (1 %), ce qui montre l’attractivité du secteur, et donc la concurrence qui en découle5. Ceci explique les stratégies de persuasion (ou de manipulation) que les publicitaires doivent mettre en œuvre pour vendre leurs produits (voir Adam & Bonhomme [1997], Andrei [2007], Bonhomme [2013], Cook [2001], Cornic [1968], Flergin [2014], Jhally [1995], Packard [1957] pour les stratégies de persuasion du discours publicitaire en général, et Kaur, Yunus & Arumugam [2013], Ringrow [2016] pour les stratégies de persuasion du discours publicitaire des cosmétiques).
C’est ainsi que nous avons décidé de constituer notre corpus autour de certains produits phares, à savoir ceux qui ont trait à la beauté et au soin, l’hygiène, la coiffure et le maquillage. Comme indiqué dans Bordet & Jamet [2020 : 211-212] :
Nous avons volontairement écarté l’hygiène dentaire qui n’est pas spécifique à un genre, ainsi que l’hygiène bébé qui ne rentre pas dans le cadre de notre étude portant sur des publicités pour hommes et pour femmes adultes. Même si notre corpus comporte quelques exemples de publicités pour parfums, nous n’avons pas privilégié la parfumerie en ce que les publicités de cette dernière catégorie n’ont que très rarement recours au linguistique, et que l’achat d’un parfum ne dépend pas tant d’une publicité « verbale » que d’une odeur, une marque, ou du nom même du parfum. En ce sens, l’achat d’un parfum semble n’être le résultat d’un réseau de stratégies de persuasion construites que dans une moindre mesure, contrairement aux autres types de produits cosmétiques6.
Le corpus est ainsi constitué de 342 publicités contemporaines (essentiellement depuis les années 2000) pour cosmétiques pour femmes et pour hommes en français et en anglais, sélectionnées dans des magazines et sur internet. Ces dernières ont ainsi été classées en 4 grandes catégories, avec des subdivisions selon le sexe et les types de produits7 :
- Publicités cosmétiques – Femme – anglais (= 118 publicités)
Fonds de teint ; Gammes ; Maquillages ; Rouges à lèvres ; Soins capillaires ; Soins du corps ; Soins des yeux ; Soins du visage ; - Publicités cosmétiques – Femme – français (= 76 publicités)
Fonds de teint ; Gammes ; Maquillages ; Rouges à lèvres ; Soins capillaires ; Soins du corps ; Soins des mains ; Soins des yeux ; Soins du visage ; - Publicités cosmétiques – Homme – anglais (= 66 publicités)
Gammes ; Parfums ; Soins capillaires ; Soins du corps ; Soins des mains ; Soins du visage ; - Publicités cosmétiques – Homme – français (= 82 publicités)
Gammes ; Parfums ; Soins capillaires ; Soins du corps ; Soins des mains ; Soins du visage.
L’intégralité des textes accompagnant les visuels des publicités a été recopiée dans un fichier, et transformée en texte brut (format .txt) afin de pouvoir être téléchargée sur AntConc (pour les textes en français) et sur WMatrix (pour les textes en anglais), logiciels qui nous ont permis d’effectuer des analyses statistiques en recourant aux outils de la linguistique de corpus outillée.
1.2. Résultats de l’étude précédente [Bordet & Jamet 2020]
Le but de l’étude précédemment menée lors d’une journée d’étude « Stratégies et techniques rhétoriques dans les discours spécialisés » qui a eu lieu en mai 2019 au Centre de linguistique en Sorbonne de l’université Paris IV, et qui a été publiée dans Bordet & Jamet [2020], était de dégager les stratégies linguistiques d’argumentation dans le discours des cosmétiques, et voir si elles différaient selon le genre du public visé (femmes vs hommes) et selon la langue (français vs anglais). Nos intuitions premières, à la lecture des publicités récoltées, nous conduisaient à supputer que les stratégies de persuasion mises en œuvre par les publicitaires différaient selon le genre du public. Les conclusions de cette étude ont mis en avant que, linguistiquement, il n’existait pas de réelles différences aussi bien au niveau du genre du public visé qu’au niveau de la langue utilisée. Revenons rapidement sur la méthodologie adoptée, ainsi que sur quelques résultats de cette étude.
Les publicités ont tout d’abord été analysées selon 4 grands axes, déclinés eux-mêmes en sous-axes, à savoir :
- Données factuelles du produit (logos) ;
- Prix ; Disponibilité ; Origine / Composition
- Présentation du produit (logos, ethos) ;
- Présentation linguistique
Présence d’un slogan ; Recours à langue étrangère, - Caution sociale
Présence d’une célébrité ; Écologie / Bio / Bien-être, - Caution scientifique
Statistiques, pourcentages, données chiffrées ; Certifications, labels, logos ; Jargon scientifique,
- Présentation linguistique
- Adresse à l’acheteur/euse (ethos, pathos) ;
- Pronoms ; Questions rhétoriques ; Impératifs,
- Procédés d’intensification (pathos, logos) ;
- Typographiques
Gras ; Italiques ; Majuscules ; Tailles et couleurs de polices, - Phonologiques : parallélismes prosodiques (allitérations et assonances),
- Lexicaux
Répétitions par quasi-synonymes, du même champ lexical, accumulations ; Intensifieurs ; Lexèmes à sémantisme intensif, - Morpho-syntaxiques
Répétitions de structures ; Superlatifs et comparatifs ; Modification de l’ordre canonique ; Exclamations, - Stylistiques
Métaphores ; Hyperboles ; Comparaisons.
- Typographiques
Les différentes stratégies présentes dans chacune des publicités du corpus ont ensuite été répertoriées dans un fichier Excel, en utilisant un codage 1 (présence) et 0 (absence), ce qui a ensuite permis de réaliser des analyses quantitatives sur chacune des quatre grandes catégories de publicités (cosmétiques pour femmes en français ; cosmétiques pour hommes en français, cosmétiques pour femmes en anglais ; cosmétiques pour hommes en anglais). Il convient de noter que ce codage ne tient pas compte de la présence d’occurrences multiples d’une seule et même stratégie. Ainsi, une publicité donnée peut contenir plusieurs métaphores ou peut avoir recours plusieurs fois aux caractères gras, le codage employé sera toujours de 1. Nous sommes conscients qu’une étude quantitative ultérieure plus poussée pourrait être menée afin d’affiner les premiers résultats obtenus lors de cette analyse initiale.
Figure 2. Comparaisons des procédés Femmes FR et Hommes FR
La figure 2 indique que la répartition des quatre grandes catégories de procédés de persuasion que nous avons définis plus haut est identique pour les hommes et les femmes en ce qui concerne les publicités françaises. Ainsi, le genre du public visé (femmes vs hommes) ne semble pas être un critère significatif lors du choix des stratégies publicitaires à déployer pour persuader le futur ou la future client/e.
Figure 3. Comparaisons des procédés Femmes EN et Hommes EN
La figure 3 reprend le même type de données mais pour les publicités en anglais, et nous a conduit à émettre des conclusions similaires à celles obtenues pour les publicités en français, à savoir que le genre ne semble pas – ou très peu – influer sur le choix des stratégies de persuasion employées.
Figure 4. Comparaisons des procédés Femmes EN et Femmes FR
Figure 5. Comparaisons des procédés Hommes EN et Hommes FR
Les figures 4 et 5 présentent les résultats d’une comparaison interlangue, d’une part, pour les femmes en français et en anglais, et d’autre part, pour les hommes dans les deux langues. Nous avons remarqué que les deux grandes catégories qui exhibent une différence notable entre les femmes et les hommes, que ce soit en anglais ou en français, relèvent des émotions (« Présentation du produit » et « Procédés d’intensification »). La répartition quantitative dans les deux langues est identique en ce qui concerne le recours aux émotions dans un but persuasif, mais l’anglais semble avoir davantage recours aux procédés linguistiques d’intensification que le français, et ceci indépendamment du genre du public visé. En ce qui concerne la présentation linguistique du produit, la tendance inverse avec une prédominance de ce procédé en français a été remarquée.
Les conclusions de Bordet & Jamet [2020] indiquent qu’il n’existe donc pas de réelles différences genrées (à l’exception de celles qui relèvent des émotions : « Présentation du produit » et « Procédés d’intensification ») et que si les différences interlangues sont certes plus significatives, elles demeurent somme toute peu notables. Bordet & Jamet [2020] ont également montré qu’en procédant à des analyses plus fines des sous-catégories des quatre grandes stratégies persuasives, quelques différences émergent, mais restent peu significatives.
2. Le rôle argumentatif des thématiques linguistiques et non linguistiques
2.1. Les thématiques linguistiques au niveau lexical et au niveau sémantique / conceptuel
Les résultats de l’analyse quantitative [Bordet & Jamet 2020] ont ainsi indiqué que les différences interlangues et genrées ne sont pas réellement significatives et que les procédés argumentatifs de persuasion ne varient guère d’une langue à l’autre et d’un public cible à l’autre ; cependant, lors de la collecte et du dépouillement du corpus, nous avions l’impression que les publicitaires n’avaient pas recours aux mêmes stratégies pour vendre un produit identique à des consommateurs et des consommatrices, et qu’il existait bien, comme l’indique Sunderland [2004] « a discourse of gender differences »8. C’est ainsi que les publicitaires ne recourent pas tant à des stratégies argumentatives différentes qu’à des thématiques qui varient selon le genre, ceci étant valable dans les deux langues.
La première étape dans la poursuite de cette étude a consisté à analyser la fréquence lexicale via la linguistique de corpus outillée. La figure 6 montre, à titre d’illustration, les résultats obtenus quant à la fréquence des termes dans les publicités pour femmes en anglais :
Figure 6. Fréquence publicités pour femmes EN via AntConc
Les figures 7 à 10 représentent sous forme de graphiques les fréquences des termes essentiellement lexicaux9, même si certains termes grammaticaux, comme les prépositions, ont été conservés, car leur saillance était significative, tout d’abord pour le corpus de publicités pour femmes en anglais (figure 7), pour femmes en français (figure 8), pour hommes en anglais (figure 9) et finalement pour hommes en français (figure 10).
Figure 7. Fréquence lexicale publicités pour Femmes EN via AntConc
Figure 8. Fréquence lexicale publicités pour Femmes FR via AntConc
Figure 9. Fréquence lexicale publicités pour Hommes EN via AntConc
Figure 10. Fréquence lexicale publicités pour Hommes FR via AntConc
De cette analyse quantitative fréquentielle ressortent plusieurs remarques : le premier lexème en termes de fréquence est différent pour les hommes (homme ou man) et pour les femmes (peau ou skin) ; la cible visée est clairement indiquée pour les hommes, ces termes ayant une saillance thématique importante, alors que pour les femmes, c’est la partie du corps où le produit doit être appliqué et avoir un effet qui apparaît linguistiquement10. Ainsi, les termes homme ou man sont-ils distinctifs, les hommes représentant de nouveaux consommateurs de cosmétiques. La majorité des produits étant implicitement dédiés aux femmes, les produits qui sont destinés spécifiquement aux hommes doivent être indiqués comme tels et contenir la mention explicite homme ou man. Parmi les autres termes saillants en termes de fréquence, on remarque de nouvelles différences entre les produits pour hommes et les produits pour femmes, ces derniers mettant en avant la notion d’âge (généralement précédée de anti), et l’opposition jeunesse / vieillesse (age / ageing, wrinkles, âge, rides), ce qui n’est nullement le cas pour les produits pour hommes ; comme le note Nelson [2012 : 143] les femmes sont vues comme ayant besoin de « youthinising », alors que ce n’est pas le cas pour les hommes, comme l’écrit Ringrow [2016 : 33] : « Typically, male-targeted advertisements have traditionally focused less on anti-ageing and more on aspects such as “refreshing skin” and “avoiding shine” ».
La deuxième étape a consisté à recourir à la fonctionnalité de « semantic tagging » (étiquetage sémantique) présente dans WMatrix (fondée elle-même sur USAS = UCREL Semantic Analysis System) qui effectue un étiquetage des termes en fonction de leur champ sémantique, en classant ces derniers dans 21 grands domaines sémantiques, et 232 sous-catégories. Cette étude n’a malheureusement pu être effectuée que sur le corpus en anglais, comme aucun outil d’étiquetage sémantique n’existe pour le moment pour le français. Le but de cette analyse quantitative était de répondre à la question suivante : une analyse de la fréquence thématique en termes de domaines sémantiques / conceptuels corrobore-t-elle les premiers résultats de l’analyse fréquentielle lexicale ? Les figures 11 et 12 présentent les résultats de l’étiquetage sémantique pour le corpus de publicités de cosmétiques pour les femmes en anglais (figure 11) et pour les hommes en anglais (figure 12).
Figure 11. Étiquetage sémantique Femmes EN via WMatrix
Figure 12. Étiquetage sémantique Hommes EN via WMatrix
Afin de ne se concentrer que sur le sémantisme même, nous avons décidé de retirer les catégories Z5 (« grammatical bin »), Z99 (« unmatched »), Z8 (« pronouns »), etc. qui ne représentent pas des thématiques en tant que telles, comme l’illustrent la figure 13 (étiquetage sémantique du corpus de publicités cosmétiques pour les femmes en anglais, classé par ordre croissant de fréquence) et la figure 14 (étiquetage sémantique du corpus de publicités cosmétiques pour les hommes en anglais, classé par ordre croissant de fréquence).
Figure 13. Étiquetage sémantique Femmes EN via WMatrix (fréquence)
Étiquetage sémantique Femmes EN | Fréquence relative | Nombre occ. | |
B1 | Anatomy and physiology | 4,83 | 216 |
N1 | Numbers | 2,15 | 96 |
Z3 | Other proper names (product, company, etc.) | 2,08 | 93 |
B4 | Cleaning and personal care | 2,03 | 91 |
T3- | Times: Old, new and young: age | 2,01 | 90 |
Z1 | Personal names (individuals) | 1,94 | 87 |
O4.3 | Color and color patterns | 1,56 | 70 |
A3+ | Being | 1,5 | 67 |
O4.2+ | Judgment of appearance | 1,41 | 63 |
A5.1+ | Evaluation: Good | 1,16 | 52 |
S8+ | Helping | 1,16 | 52 |
A1.1.1 | General actions, making | 1,07 | 48 |
F1 | Food | 1,05 | 47 |
O4.4 | Shape | 1,01 | 45 |
O1.2 | Substances and materials generally: Liquid | 0,94 | 42 |
O4.5 | texture | 0,92 | 41 |
A9+ | Getting and giving; possession | 0,92 | 41 |
O2 | Objects generally | 0,89 | 40 |
T1.3 | Time: Period | 0,87 | 39 |
A2.2 | Affect: cause/connected | 0,87 | 39 |
M6 | Location and direction | 0,85 | 38 |
Figure 14. Étiquetage sémantique Hommes EN via WMatrix (fréquence)
Étiquetage sémantique Hommes EN | Fréquence relative | Nombre occ. | |
S2.2 | People: Male | 5,31 | 84 |
B1 | Anatomy and physiology | 5,12 | 81 |
B4 | Cleaning and personal care | 5,12 | 81 |
Z3 | Other proper names (product, company, etc.) | 2,84 | 45 |
N1 | Numbers | 2,65 | 42 |
T3- | Times: Old, new and young: age | 2,4 | 38 |
Z1 | Personal names (individuals) | 2,02 | 32 |
G2.2+ | General ethics | 1,9 | 30 |
O1.2 | Substances and materials generally: Liquid | 1,71 | 27 |
O4.3 | Color and color patterns | 1,64 | 26 |
S8+ | Helping | 1,39 | 22 |
O4.2+ | Judgment of appearance | 1,26 | 20 |
S7.1+ | Power, organizing | 1,14 | 18 |
T1.1.2 | Time: General: Present; simultaneous | 1,01 | 16 |
A1.1.1 | General actions, making | 0,95 | 15 |
A9+ | Getting and giving; possession | 0,82 | 13 |
A3+ | Being | 0,82 | 13 |
Z2 | Geographical names | 0,82 | 13 |
S8- | Hindering | 0,82 | 13 |
B2- | Health and disease | 0,82 | 13 |
Z6 | Negative | 0,76 | 12 |
N5.1+ | Entirety; maximum | 0,76 | 12 |
Les figures 15 et 16, présentées sous forme de graphiques, permettent de visualiser les champs sémantiques particulièrement saillants dans chacun des deux corpus.
Figure 15. Étiquetage sémantique Femmes EN via WMatrix (fréquence)
Figure 16. Étiquetage sémantique Hommes EN via WMatrix (fréquence)
Que pouvons-nous conclure de l’étiquetage sémantique ? Les analyses au niveau sémantique / conceptuel sont-elles cohérentes avec celles au niveau purement lexical ? La réponse est clairement affirmative, car les lexèmes les plus fréquents au niveau linguistique correspondent aux domaines sémantiques les plus fréquents au niveau conceptuel. Ainsi, pour les femmes, on retrouve les domaines sémantiques ANATOMY & PHYSIOLOGY (skin / peau), CLEANING & PERSONAL CARE (hair, look, shampoo / formule, crème, huile, actif) et TIME: OLD, NEW & YOUNG: AGE (new, age & ageing, wrinkles / nouveau & nouvelle, âge, rides) ; pour les hommes, ce sont les domaines sémantiques PEOPLE: MALE (man & men / homme), ANATOMY & PHYSIOLOGY (skin, face, pimples, look / peau, visage) et CLEANING & PERSONAL CARE (cleanse & cleansing, wash, care / soin, hydrater, rasage, parfum, gel, produit) qui sont les plus représentés.
2.2. Les thématiques non linguistiques au niveau visuel
Pour terminer cette étude sur les thématiques, la troisième étape a consisté à se focaliser sur les thématiques récurrentes non plus au niveau linguistique, mais au niveau non linguistique, plus particulièrement au niveau visuel, afin d’étudier la représentation symbolique véhiculée par la publicité (voir les travaux précurseurs de Barthes [1964], Durand [1970], entre autres). Ainsi, chaque publicité a-t-elle été analysée en fonction de la thématique visuelle qui se dégageait ; il importe de noter que pour certaines publicités, aucune thématique particulière ne semblait ressortir. Les thématiques majoritairement présentes dans le corpus de publicités pour hommes en anglais et en français sont les suivantes : SPORT ; HOMME GUERRIER / COMBAT ; EXPLOSION D’EAU ; ANIMALITÉ ; AVENTURE, etc. Celles majoritairement présentes dans le corpus de publicités pour femmes en anglais et en français sont les suivantes : BRILLANCE / LUMIÈRE, PURETÉ, NATURE, ÂGE / TEMPS QUI PASSE, FRAÎCHEUR / FLEURS, SIMPLICITÉ, etc. Les figures 17 et 18 représentent graphiquement les thématiques visuelles en termes de fréquence, respectivement pour les hommes en anglais (figure 17) et en français (figure 18).
Figure 17. Thématiques Hommes EN (fréquence)
Figure 18. Thématiques Hommes FR (fréquence)
Les quatre thématiques majoritaires dans les publicités à destination des hommes sont clairement des thématiques associées de façon stéréotypée à ce genre, à savoir SPORT, SÉDUCTION / NUDITÉ / SEXE, EXPLOSION D’EAU (dont on ne peut douter des connotations sexuelles…) et HOMME GUERRIER / COMBAT. Visuellement, les stéréotypes sont bien présents et semblent contribuer à persuader le consommateur masculin d’acheter un produit cosmétique. Les exemples de publicités de la figure 19 illustrent ces thématiques masculines, ou supposément masculines11.
Figure 19. Exemples de publicités Hommes EN et FR
Les figures 20 et 21 représentent graphiquement les thématiques visuelles en termes de fréquence, respectivement pour les femmes en anglais (figure 20) et en français (figure 21).
Figure 20. Thématiques Femmes EN (fréquence)
Figure 21. Thématiques Femmes FR (fréquence)
On peut dégager six thématiques majoritaires dans les publicités à destination des femmes, thématiques également associées de façon clichée à ce genre : BRILLANCE / LUMIÈRE, PURETÉ, NATURE, ÂGE / TEMPS QUI PASSE, FRAÎCHEUR / FLEURS, SIMPLICITÉ. Là aussi, le stéréotype de ce qui est supposément féminin est utilisé comme ressort persuasif au niveau visuel. Les exemples de publicités de la figure 22 illustrent ces thématiques féminines, ou supposément féminines, selon lesquelles « the female appearance can be improved with the aid of products: one has the opportunity to look younger, slimmer, prettier, and so on » [Ringrow 2016 : 2] :
Figure 22. Exemples de publicités Femmes EN et FR
Comme l’avait indiqué Ringrow [2016 : 1], « […] a certain kind of femininity is constructed through the language of cosmetics advertising », et nous pourrions ajouter qu’il en est de même pour l’image de la masculinité. Plus que « construite », cette image est renforcée, car elle est fondée sur des stéréotypes existants, sur ce qu’elle nomme « stereotypical “feminine” and “masculine” identities » [Ringrow 2016 : 3]12. Le recours à ces stéréotypes participe du processus de persuasion en ce qu’il permet aux consommateurs et aux consommatrices de reconnaître ces représentations stéréotypées ancrées dans l’inconscient collectif, et parfois de se reconnaître. Il est en ce sens source d’adhésion au message véhiculé dans les publicités.
3. Le rôle argumentatif des couleurs
3.1. Méthodologie d’analyse
Dans le cadre de l’étude multimodale que nous souhaitons mener, nous avons étudié plus précisément l’utilisation qui est faite des couleurs dans les 342 publicités qui constituent notre corpus. La quatrième étape a pour objectif de répondre à l’interrogation suivante : les thématiques qui accentuent les stéréotypes sont-elles à leur tour renforcées par les couleurs auxquelles ont recours les publicitaires ? Nous avions en effet l’intuition que les couleurs étaient utilisées de manières différentes selon les publics visés, ce qu’a finalement confirmé notre étude. Quelles sont alors ces différences et en quoi le choix des couleurs relève-t-il d’une stratégie différente selon le type de public ?
Nous avons souhaité savoir quelles étaient les couleurs dominantes dans ces publicités et si les couleurs qui nous semblaient ressortir étaient bien les mêmes que celles présentes en termes d’importance quantitative. Pour ce faire, nous avons eu recours au logiciel Image Color Extract disponible au téléchargement sur Coolphptools.com. Ce logiciel permet de mesurer le pourcentage de chaque couleur pour une image donnée. Selon le degré de finesse d’analyse souhaité, l’utilisateur a la possibilité de sélectionner le nombre de couleurs à rechercher. Après de premiers essais où nous avions sélectionné 5 couleurs, puis 7, nous nous sommes aperçus que les tests étaient peu concluants car le logiciel détecte différents tons d’une même couleur (différents tons de marron ou de beige pour la peau par exemple) laissant alors de côté d’autres couleurs qui nous avaient pourtant semblées saillantes dans les publicités de notre corpus. Pour la majorité des cas, d’autres essais ont permis de montrer qu’il fallait fixer à 10 le nombre de couleurs recherchées pour voir apparaître dans les résultats l’ensemble des couleurs présentes dans les publicités. Cependant, pour un petit nombre de publicités, nous avons dû augmenter le nombre de couleurs à 14 ou 15 afin de pouvoir obtenir un résultat chiffré pour la couleur recherchée. Nous verrons plus loin dans l’analyse quel est l’effet produit et quelles raisons nous pouvons avancer quant à la fréquence d’emploi des couleurs. Soulignons cependant que saillance n’équivaut pas à prédominance, au contraire, comme on pourra le voir. En effet, une touche de rouge peut par exemple être saillante et ressortir visuellement au milieu de nuances de beige qui domineraient une image donnée.
3.2. Valeur symbolique des couleurs
Mais avant de nous pencher sur l’utilisation des couleurs dans notre corpus, posons dans un premier temps quelques bases théoriques quant au recours aux couleurs dans le domaine du marketing. Il est d’abord intéressant de noter, comme le soulignent Boulocher-Passet & Ruaud [2016 : 11-12], que :
La couleur est illusion, travestissement. Comme l’affirme d’ailleurs l’étymologie du terme couleur, du latin color, à rattacher au groupe de celare : « cacher », « tenir secret », « céler », selon l’idée que la couleur recouvre et cache la surface des choses, qu’elle farde et dissimule la réalité, la travestit. […] Sensation, illusion, la couleur n’existe que parce qu’elle est vue, perçue. […] À la perception de la couleur, de ses tonalités et nuances, à sa valeur descriptive, s’ajoutent des codes, souvent symboliques, dont les utilisations sociales, les usages des différentes couleurs témoignent. La couleur classe, catégorise. C’est un marqueur identitaire.
Dans le domaine de la publicité, les couleurs permettent de véhiculer un message souvent caché, en vertu de la symbolique qui y est attachée, et ce message s’adresse à un public cible particulier selon la couleur utilisée. En effet, le recours à certaines couleurs permet ce que les publicitaires nomment la « segmentation » du marché, qui peut se faire selon divers critères. C’est à la segmentation genrée que nous nous intéresserons dans le cadre de cette étude. En ce sens, on s’attendra à ce que les couleurs utilisées varient selon que le public visé est masculin ou féminin. Ainsi, dans l’inconscient collectif, certaines couleurs sont davantage associées à un genre plutôt qu’à un autre, et les publicitaires contribuent à renforcer cette association souvent clichée : on pense notamment au bleu pour les garçons, et au rose pour les filles. Boulocher-Passet & Ruaud [2016 : 221] soulèvent un paradoxe dans l’utilisation qui est faite des couleurs dans le domaine du marketing :
Alors que la construction sociale des différences sexuelles entre hommes et femmes est remise en question dans la société, le champ économique accentue cette distinction en proposant toujours plus de produits différenciés selon l’identité sexuelle du groupe de consommateurs ciblé (Jonveaux, 2015). Si vous avez acheté un pyjama bleu à votre petit garçon et une gigoteuse rose pour votre petite fille, vous avez, tel Monsieur Jourdain et sa prose, fait du « gender marketing » sans le savoir.
Quelles sont alors les couleurs traditionnellement associées aux hommes et celles associées aux femmes et d’où provient cette association ? Selon Boulocher-Passet & Ruaud [2016], le bleu est associé à ce qui nous entoure : l’air et l’eau. Les deux auteurs rappellent cependant que du temps de la Rome antique, le bleu était une couleur redoutée, car il s’agissait de la couleur utilisée par les barbares nordiques pour se peindre le corps avant un combat et ainsi effrayer l’ennemi. On perçoit alors une première association de la couleur bleue à la masculinité et, supposément, à la virilité. Plus tard au Moyen Âge le bleu devient la couleur de la divinité. Selon Pastoureau [2014], à cette époque, les familles se réjouissaient de la naissance d’un garçon, considérée comme un cadeau des dieux, contrairement à celle d’une fille considérée pénalisante car elle n’aurait pas la même force physique et coûterait plus cher en raison de la dot qu’il fallait mettre de côté en vue de son futur mariage. C’est alors naturellement que les garçons se sont vu attribuer la couleur bleu, associée aux divinités. Le rose serait une version atténuée du rouge, couleur connotée plus négativement (pouvoir, guerre, désir) et aurait alors été associé aux filles. Plus tard encore, selon Pastoureau [2014], au xvie siècle, les protestants imposèrent aux hommes de porter des couleurs sobres, et le bleu foncé leur fut attribué. Le bleu pâle a ainsi été associé aux jeunes garçons qui ne sont pas encore des hommes, tout comme le rose pâle qui a été associé aux jeunes filles. Pastoureau [2014] indique que cette distinction genrée se renforce dans les années 1950 alors que l’on commence à considérer que les nouveau-nés sont des individus sexués. Il semblerait alors que l’association d’une couleur à un genre ne soit pas un fait récent, même si, au fil du temps, elle a connu diverses motivations13.
Selon Boulocher-Passet & Ruaud [2016], le vert, qui renvoie traditionnellement à la nature, serait également une couleur masculine. C’est en examinant l’étymologie du terme que l’on voit émerger la motivation. En effet, « vert » provient du latin viridis et partage donc une racine commune avec vir, l’homme, et vis, la force. Selon Heller [2009], il s’agirait également de la couleur du dieu Osiris, nommé le « dieu vert ».
Boulocher-Passet & Ruaud [2016] définissent également diverses significations pour le noir qui est associé aux hommes mais véhicule également une notion de luxe comme on le verra dans les publicités qui composent notre corpus. Boulocher-Passet & Ruaud [2016] distinguent alors plusieurs effets possibles dans l’utilisation du noir : le noir élitiste (il s’agissait d’une couleur coûteuse réservée à l’élite au xvie siècle), le noir chic (lancé par Chanel dans les années 1920), le noir intellectuel (symbole d’élégance et de sobriété pour les hommes pendant l’entre-deux-guerres), le noir sensuel (lié au cinéma), le noir bad boy, le noir minimaliste et le noir sophistiqué.
Boulocher-Passet & Ruaud [2016 : 224] indiquent également qu’outre le bleu, le vert et le noir, le gris et le rouge sont « des couleurs qui font mâle » :
De nos jours, un homme, ça passe l’aspirateur, ça se parfume, ça soigne ses sous-vêtements mais ça reste un homme, un vrai ! Certes, le mâle moderne n’hésite plus à acheter des produits autrefois ciblés féminins, à condition qu’ils soient adaptés à sa psychologie. La recette est simple : ajouter une pincée de force, d’énergie et d’innovation technologique. La puissance restant une valeur virile, il faut « doper » les produits pour plaire au sexe fort ! Aussi, pour mieux toucher la gente [sic] masculine, les marques ont tout intérêt à miser sur des couleurs maximâles. Le bleu est résolument vestimentaire. Le rouge a longtemps été associé au tempérament guerrier masculin et exprime la puissance. Le gris/métal donne une image de sérieux (c’est la couleur de la matière grise, de l’intelligence) et le métal évoque la qualité, la technologie, le côté technique. […] Le mat est aussi une teinte « testostéronée » qui cache deux notions : le côté superviril, très frime […] et le côté sportif.
Il s’agira de déterminer si les publicités de notre corpus suivent le schéma décrit par Boulocher-Passet & Ruaud [2016]. On notera également que les deux auteurs soulignent l’importance d’utiliser des couleurs masculines pour les hommes afin de provoquer l’achat du produit, mais elles n’insistent guère sur l’importance d’avoir recours à des couleurs féminines pour vendre un produit aux femmes. Serait-ce à dire que les femmes sont déjà acquises à la cause des cosmétiques et que les couleurs féminines auront une importance moindre dans les publicités ? C’est ce que notre étude de corpus se propose d’étudier.
Le graphique ci-dessous indique des notions qui sont fréquemment associées aux couleurs.
Figure 23. Symbolique des couleurs en marketing14
Le tableau suivant, plus spécifique au domaine du marketing, récapitule les contextes dans lesquels les couleurs sont fréquemment utilisées. Par exemple, le bleu sera souvent utilisé pour inspirer la confiance, le calme et la sécurité, ce qui explique qu’on le retrouve souvent associé aux banques ou aux produits pharmaceutiques, tandis que le noir sera associé au luxe et que le rouge, utilisé pour créer un sentiment d’empressement, sera associé aux promotions et aux soldes.
Figure 24. Couleurs et influences dans le processus d’achat15
Notons par ailleurs que « les couleurs évoquent les sentiments et réveillent les émotions »16. En ce sens, les publicitaires font donc appel à la part émotive, irrationnelle du consommateur en ayant recours aux couleurs pour vendre un produit. Il conviendra alors de vérifier si ces notions sont réellement associées aux couleurs des publicités de notre corpus.
3.3. Utilisation argumentative dans les publicités du corpus
3.3.1. Publicités pour femmes en anglais
Si l’on récapitule le nombre de publicités par produits, nous recensons 8 publicités pour le fond de teint, 8 pour la gamme complète, 4 pour le maquillage, 2 pour le mascara, 7 pour le rouge à lèvres, 22 pour les soins capillaires, 2 pour les soins du corps, 4 pour les soins des yeux et 46 pour les soins du visage. Parmi les 8 publicités pour le fond de teint, 7 placent les nuances de beige dans les deux couleurs les plus fréquentes. Le beige n’est présent qu’en quatrième position pour effectuer un contraste dans un cas seulement. La publicité ci-dessous pour L’Oréal ainsi que l’analyse colorimétrique confirment la prédominance du beige.
Figure 25. Fond_De_Teint_07_L’Oréal
Figure 26. Analyse colorimétrique Fond_De_Teint_07_L’Oréal
On explique assez facilement que le beige se retrouve ici en tête des résultats fréquentiels puisqu’il s’agit de la couleur chair, et qu’il est ici question de fond de teint. Que des visages soient représentés sur les publicités ou que le produit apparaisse seul, il semble logique que le beige apparaisse ici en tête17. Rappelons également que le terme « skin » figurait parmi les mots les plus représentés dans le corpus. Il semblerait alors que les couleurs, au même titre que les thématiques, viennent en renfort du texte.
En ce qui concerne les gammes de produits, différents tons de marron ou de beige se positionnent dans les 7 premières couleurs dans 6 publicités sur 8. De nouveau, cela peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit de produits pour la peau.
Parmi les 4 publicités pour du maquillage, 3 ont de nouveau le beige comme couleur dominante contre 1 seulement pour laquelle on retrouve le rose, puisqu’il s’agit de vendre du fard à paupières.
Dans les deux publicités pour du mascara, la couleur principalement utilisée est le noir, ce qui se justifie par la couleur du produit qui est généralement noire, bien que d’autres teintes existent.
Le corpus compte 7 publicités pour du rouge à lèvres. Alors que nous nous attendions à voir apparaître diverses teintes de rouge ou de rose dans les couleurs les plus fréquentes, le beige apparaît également en tête dans les 7 publicités. Le rouge n’est présent que dans 2 publicités sur 7, mais arrive en fin de liste, ce qui signifie qu’il s’agit d’une couleur peu représentée. Pourtant, en observant ces 2 publicités, le rouge paraît relativement saillant. Il nous semble alors que la stratégie utilisée consiste à jouer sur les contrastes. Le beige (lié à la couleur du visage) sert alors de fond pour faire ressortir davantage le rouge présent en plus petite quantité.
Parmi les 33 publicités pour des produits capillaires, le marron et le beige apparaissent comme les deux couleurs les plus fréquentes dans 31 cas, le marron étant pris comme la couleur prototypique de la chevelure féminine.
Figure 27. Soins_Capillaires_23_Wow
Figure 28. Analyse colorimétrique Soins_Capillaires_23_Wow
Figure 29. Soins_Capillaires_22_Wow
Figure 30. Analyse colorimétrique Soins_Capillaires_22_Wow
9 produits parmi les 33 se veulent naturels, bio, ou du moins vantent les bienfaits d’ingrédients naturels. Les résultats montrent que tous les produits sans exception comptent la couleur verte parmi les 7 premières couleurs, le vert étant, dans ces cas, le symbole de la nature.
Le beige arrive de nouveau en tant que couleur dominante dans les deux publicités pour les soins du corps, mais aussi dans les 4 publicités pour les soins des yeux et cela s’explique de nouveau par la couleur de la peau.
Le même phénomène se retrouve dans 36 des 46 publicités pour des soins du visage. On notera que 7 publicités correspondent à des marques qui se veulent naturelles et toutes les 7 contiennent du vert.
Autre phénomène que nous n’avions pas observé jusque-là : l’ensemble des 18 publicités pour des marques de luxe se compose essentiellement de camaïeux de gris et de beige. Nous émettons l’hypothèse qu’il s’agit de couleurs qui, d’une part, sont actuellement en vogue, et qu’elles véhiculent, d’autre part, une image sobre mais sophistiquée qui semble correspondre à l’image que veulent renvoyer les marques dites de luxe.
Nous avons étudié l’utilisation des couleurs dans les publicités pour femmes en anglais. Qu’en est-il des publicités pour femmes en français ? Les mêmes couleurs sont-elles utilisées selon le type de cosmétique ?
3.3.2. Publicités pour femmes en français
Le corpus comprend 7 publicités pour du fond de teint, 3 pour des gammes complètes, 2 pour du mascara, 2 pour du parfum, 6 pour du rouge à lèvres, 4 pour des soins capillaires, 8 pour des soins du corps et 44 pour des soins du visage. D’une manière générale, nous obtenons les mêmes résultats pour les mêmes types de produits. En effet, les 7 publicités pour du fond de teint ont toutes le beige comme couleur dominante. Le noir domine dans une publicité sur 2 pour le mascara, l’autre étant une marque de luxe, c’est un dégradé de gris et de beige qui arrive en tête des résultats. Il en va de même pour les deux publicités pour des parfums de luxe pour lesquelles le noir et le beige ressortent majoritairement.
Une légère différence se trouve dans les publicités pour rouges à lèvres. Bien que le beige soit présent dans les 6 publicités, il ne s’agit pas de la couleur la plus fréquente. C’est soit le rouge, soit le rose qui est davantage représenté, et cela s’explique aisément car c’est tout simplement la couleur du produit qui est mise en avant, et aucun visage n’apparaît dans la publicité pour « illustrer » le produit.
En ce qui concerne les produits capillaires, tout comme dans les publicités en anglais, le marron, qui représente la couleur de la chevelure apparaît en tête dans 4 cas sur 4. Une publicité correspondant à une marque vantant les ingrédients naturels de ses produits a logiquement recours au vert qui apparaît parmi les couleurs principales.
Les 8 publicités pour les soins du corps comportent toutes du beige en majorité, et deux marques dites « naturelles » comptent également le vert parmi les couleurs fréquemment représentées.
Pour conclure, dans l’intégralité des 44 publicités pour les soins du visage, c’est de nouveau le beige qui est majoritaire. On note que les 6 marques dites « naturelles » font également toutes utilisation du vert, 2 publicités sont en lien avec l’eau (la mer) et ont recours au bleu qui fait écho à la couleur de l’eau, et les 15 marques de luxe ont toutes le gris et le beige comme couleurs principales.
Il semble donc possible de conclure, qu’en français comme en anglais pour les femmes, le beige domine pour renvoyer à la peau, le marron pour la chevelure, le bleu pour l’eau, le vert pour la nature. Enfin, la combinaison du gris et du beige, outre le renvoi à la peau, semble être associée au luxe. D’autres couleurs, comme le rose, le rouge, le violet apparaissent dans les publicités, et bien que ces couleurs soient traditionnellement associées à la féminité, elles ne sont finalement que peu représentées en termes de fréquence d’utilisation, contrairement à l’intuition que nous avions initialement eue.
Qu’en est-il dans les publicités pour hommes ? Si un recours à différentes stratégies fondées sur le genre a pu être dégagé au niveau des thématiques abordées, les couleurs utilisées diffèrent-elles également ?
3.3.3. Publicités pour hommes en anglais
Le corpus se constitue de 5 publicités pour du parfum, 2 pour des soins capillaires, 12 pour des soins du corps et 45 pour des soins du visage. Cette étude menée sur la partie masculine du corpus révèle d’emblée des différences dans le choix des couleurs. Alors que le beige était omniprésent dans les publicités pour femmes, il l’est comparativement bien moins dans les publicités pour hommes. Il n’en est pas absent pour autant, mais il ne se classe pas nécessairement parmi les couleurs majoritaires.
Dans les publicités pour parfums, le bleu décliné en divers tons est la couleur la plus fréquente dans 4 cas sur 5. On retrouve cette même couleur dans les deux publicités pour les soins capillaires, mais également dans 6 des 12 publicités pour des soins du corps.
Figure 31. Soins_capillaires_02_H&S
Figure 32. Analyse colorimétrique Soins_capillaires_02_H&S
Les autres couleurs majoritairement représentées sont le vert (3 sur 12) et le noir couplé au jaune (3 sur 12). Notons que le bleu, le vert et le jaune sont toujours associés à du noir, du beige et/ou du gris.
Figure 33. Soins_visage_17_HimalayaMen
Figure 34. Analyse colorimétrique Soins_visage_17_HimalayaMen
Parmi les 45 soins du visage, le bleu arrive de nouveau en tête dans 23 cas sur 45, le vert dans 10 cas, l’orange dans 5 cas, le gris dans 5 cas et le beige dans 2 cas.
Si l’on compare ces résultats obtenus à ceux des publicités pour femmes, il apparaît que les couleurs dominantes ne sont résolument pas les mêmes. Rappelons que selon Boulocher-Passet & Ruaud [2016] le bleu est traditionnellement une couleur associée au genre masculin, tout comme le vert, le jaune et le noir. On note également que lorsque le vert est utilisé dans les publicités pour hommes, ce n’est pas tant pour souligner le caractère naturel du produit que pour son association traditionnelle aux hommes, car il n’est pas question de produits portant le label « bio ». Le même phénomène est-il alors observable dans les publicités pour hommes en français ?
3.3.4. Publicités pour hommes en français
Le corpus se compose de 5 publicités pour la gamme complète, 15 pour du parfum, 11 pour des soins capillaires, 18 pour des soins du corps et 45 pour des soins du visage. Les couleurs les plus fréquentes dans les publicités pour les gammes complètes sont le vert (3 sur 5), le bleu (2 sur 5) et le gris (1 sur 5). Ces mêmes couleurs sont relevées dans les publicités pour du parfum : le bleu (6 sur 15), le vert (4 sur 15), le gris (2 sur 15) et le rouge (1 sur 15).
Les produits capillaires n’y font pas exception puisque l’on relève le vert dans 4 publicités sur 11, le bleu (4 sur 11), le noir associé au jaune (2 sur 11) et le rouge (1 sur 11).
Figure 35. Soins_capillaires_07_LOréal
Figure 36. Analyse colorimétrique Soins_capillaires_07_LOréal
Les mêmes remarques peuvent être formulées pour les publicités de soins du corps où le bleu apparaît en tête de classement dans 5 cas sur 18, le vert dans 4 cas sur 18 et le gris dans 11 cas sur 18. L’orange apparaît en couleur secondaire dans 2 publicités, et ceci est en général lié à une couleur définie par la marque (L’Oréal Men Expert qui associe systématiquement le noir à l’orange par exemple).
Enfin, les publicités pour les soins du visage suivent un schéma identique aux publicités précédentes, puisque le bleu est recensé comme couleur dominante dans 26 cas sur 45, le vert dans 10 sur 45, le gris dans 3 cas sur 45, l’orange dans 3 cas sur 45, tout comme le beige / taupe.
Ces quelques résultats nous permettent ainsi de conclure que les couleurs sélectionnées pour les publicités pour hommes et pour femmes sont bel et bien différentes, tout comme nous l’avons montré pour les thématiques abordées selon le public cible.
Remarques conclusives
Comme cette étude l’a montré, les thématiques convoquées par les publicitaires sont différentes selon le genre du public visé, et c’est là que la persuasion va jouer un rôle, plus que par les techniques de persuasion en tant que telles. On retrouve ainsi des différences au niveau du lexique, ainsi qu’au niveau des champs sémantiques / conceptuels convoqués selon le genre visé, mais non selon la langue du public cible ; c’est la raison pour laquelle il serait intéressant d’ouvrir cette étude vers d’autres langues et de s’assurer que les thématiques convoquées restent les mêmes, ou varient, selon la langue-culture étudiée. Ainsi, les images dans les publicités pour femmes renforcent généralement la thématique, alors que dans les publicités pour hommes, elles jouent plus un rôle argumentatif en renforçant la virilité pour persuader les hommes d’acheter des cosmétiques, sans pour autant perdre leur masculinité !
Cette étude a également montré que les couleurs utilisées pour les hommes sont clairement stéréotypées et jouent sur les émotions (pathos), alors qu’elles le sont nettement moins, voire quasiment pas, pour les femmes, comme si les hommes devaient être confortés dans leur achat d’un produit cosmétique. Notons cependant que les publicitaires s’adonnent volontiers à l’association clichée de couleurs à un genre (bleu pour les hommes, entre autres) et contribuent à la propagation de ces clichés, au maintien d’une image stéréotypée, non seulement de la femme [Ringrow 2016], mais aussi de l’homme, latente dans l’inconscient collectif. Le choix des couleurs tout autant que les thématiques mises en avant contribuent ainsi à entretenir et véhiculer ces représentations stéréotypées. S’il y a utilisation des stéréotypes, il y a également création d’une homogénéisation de chacun des deux groupes, comme le note Ringrow [2016 : 20] : « “Men” and “women” are thus identified as homogenous groups for the purposes of advertising » ; voir comment cette homogénéisation est réalisée linguistiquement parlant pourrait être une nouvelle piste de recherche fructueuse.