Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées

Paris, Imago, 2017, 300 p.

p. 130-132

Référence(s) :

Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées, Paris, Imago, 2017, 300 p.

Texte

Ce titre de Perrault — qui pourrait n’être fonctionnellement qu’un simple embrayeur vers le régime de la fiction dans le conte merveilleux, en contes dit de fées : avec incipit « Il était une fois au pays de Nulle Part au temps où les poules avaient des dents… » et clôture-retour du conteur sur terre… sans la moitié d’une poire du festin de fin nuptiale — sera, pour un auteur aussi familier des contrées de l’imaginaire que Philippe Walter, le défi de nous offrir un voyage autour de notre planète, dont la dernière station, conclusion, sera la 63e case du jeu de l’oie. Pour P. Walter se réclamant des maîtres de l’imaginaire pour qui la fiction peut conduire au réel de l’irréel, les « contes de bonnes femmes » ne sont pas moins académiquement recevables que les religions reçues pour l’historien. L’éminent homériste Ezio Pellizer ne nous rappela-t-il pas (dans un colloque du Monde alpin et rhodanien, no 2-4, 1998, au Musée dauphinois, sur les croquemitaines) que paramytheomai, consoler de paroles empathiques les enfants inconsolables, était l’art des nourrices ? Et c’est pour nous aussi ce que saint Jean rapporte quand les Juifs sont venus consoler Marthe et Marie sœurs de Lazare. Lisons ce que nous dit encore, dans la seconde édition (2005) de l’Encyclopædia of Religion, Carol Christ évoquant, comme on le sait par ailleurs, Aphrodite sur son oie, Artémis nourrissant cygne ou grue, ou Maîtresse des animaux (Potnia Theron) brandissant par le cou ces proies (entre autres gibiers), très tôt à Sumer siégeant en majesté, pieds palmés posés sur deux singes… : « She lingers, too, in such folk images as Mother Goose, the Easter bunny, and the stork who brings babies. » Mais surtout pas un imaginaire « dégradé », « retombé en enfance », pour P. Walter. C’est ce qu’il a encore plus décisivement rappelé dans Iris no 37, 2016 (p. 223-224), ou en revisitant la question « Du chamanisme arthurien » (dans Eroi dell’estasi, 2017, p. 122 et 135-138), en tirant le plus grand parti de l’entreprise lancée au sein du CRI depuis plus de cinq ans (Imaginaires du cerveau, EME, 2014 et sa suite « Deux » dans Iris no 36, 2015 ; efforts salués par Jean-Jacques Wunenburger, notamment à l’occasion des 50 ans du CRI au Brésil en 2015, et de la 12e édition des SAI en 2016) pour fonder dans l’expérience corticale les deux composantes principales du cerveau imaginant : le vol onirique aptère de Bachelard (extatique OBE) et l’Ombre de Jung (AP3S : Alien Présent par Sensation d’un Suiveur du Self). En quoi ce modèle BRAINCUBUS est-il l’occasion de dépasser chez les plus séparateurs de ses héritiers le divorce entre le Bachelard de La formation de l’esprit scientifique, contre-intuitif, et l’intuitif de La Psychanalyse du feu ? Y compris l’intestabilité expérimentale de cette psychanalyse selon les héritiers freudiens, irréconciliables avec Jung ? Réponse : on a découvert la présence de deux « Neptunes » qui expliquent les mouvements des corps dits « astraux » … Ce sont les cartes neurales des corps-fantômes en OBE et AP3S qui ont été confirmées ou révélées par stimulation corticale depuis le début de ce siècle, comme auparavant chez l’amputé celles des membres dits « fantômes ». Certes le cas d’une écolière qui, s’ennuyant à la sieste obligatoire, a découvert qu’elle pouvait exécuter un Vol à Volonté en OBE (étudié en IRMf par Smith & Messier en 2014), lui donnant accès dans sa propre expérience à une « physique sur-intuitive », n’est pas dans le numineux d’une extase en croyance. Dans son enquête publiée au tournant de ce siècle, After Atheism. Religion and Ethnicity in Russia and Central Asia, David Lewis consacre un chapitre au paganisme sibérien dans l’Ob des Mansis (P. Walter cite p. 210 et suiv. leurs chants si intéressants sur la grèbe, ou la grue, et l’ours). Lewis interroge encore un dernier dépositaire de leurs traditions, Korstin. Rappelons que Pierre le Grand dans son entreprise ethnomuséographique exigea par oukaze qu’on lui rapporte, de chez ces sujets passablement agités contre ses missionnaires, une oie de bronze avec les chamanes qui dans leurs séances savaient la faire répondre à leurs questions (traduction C. Stépanoff, Découvertes-Gallimard, 2011). Korstin tient que l’homme a cinq âmes, la femme quatre, et pourvu qu’il en reste une, il aura le pouvoir de les ramener à la vie. Quelle est sa propre expérience du monde des esprits ? En réponse Korstin lui avoue combien il est incapable d’expliquer ses rêves où il est une oie, où il vole… Lui aussi a une expérience indéniable de son corps-fantôme : il a simplement perdu le cadre herméneutique traditionnel (de sa zoomorphose notamment), par ailleurs tout à fait neurocompatible avec le phénomène réel partagé par jusqu’à 40 % des humains qui sont tombés au moins une fois dans leur vie en paralysie du sommeil, sinon en plus grave narcolepsie. Question pieds d’oie (reines Pédauque, P. Walter, chap. vi), c’est seulement en ce siècle que des prix Nobel ont récompensé les découvertes sur les mécanismes d’une mort programmée des cellules, en 2002 pour l’apoptose (en 2016 pour l’autophagie). Les membranes interdigitales sont détruites avant la naissance par apoptose chez plusieurs animaux, dont l’humain. L’étiologie des êtres qui les conservent en fait des êtres réputés « fées », n’ayant pas coupé leur lien avec l’Autre Monde, réservoir d’âmes prénatales, des épouses mélusiniennes sky/star maidens, rapprochées des oiseaux migrateurs palmés attendus des chamanes dans l’aire eurasiatique (depuis la dernière glaciation, selon Y. Berezkin, Iris no 31, 2010). Les doigts coupés de la Sedna inuit (par son père contre une mésalliance avec un oiseau fulmar, comme le rappelle P. Walter, p. 213), qui en ont fait la Maîtresse de la ressource principale de chasse niqsaq, en mammifères marins, ours compris, sont selon nous aussi à ranger dans l’étiologie de l’apoptose. Voilà quelques-unes des grandes questions fondamentales qui se tiennent derrière le fil narratif de ce texte. Et nous devons remercier l’auteur de les avoir tout au long gardées présentes, même si elles devaient paraître dans cette collection, sous une forme apportant sûrement le plus de plaisir « mythopoïétique » au lecteur. Naturellement sans une mise à plat trop « voyante » de l’état des questions en voie ou en attente de résolution sur l’« imaginaïf » (sans plus de réductionnisme que la psychologie dite « naïve », de l’enfant à l’adulte) pour les « œuvriers » des Arts, de la Parole au Soin, par les contre-intuitions de la Science.

In cauda : cette petite cerise-surprise de devinette ethnopoétique, venue des veillées du retour du jour en vue du sommet de l’Amérique du Nord (recueillie en Ten’a, traduite et expliquée par le R. P. Jetté, Anthropos, 1913), dont la question contient le référent même de P. Walter « The stars are rotting on my sides? » (Les étoiles pourrissent sur mes flancs ? Denali le Grand Être Humain).

Citer cet article

Référence papier

Marie-Agnès Cathiard, « Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées », IRIS, 38 | 2017, 130-132.

Référence électronique

Marie-Agnès Cathiard, « Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées », IRIS [En ligne], 38 | 2017, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1135

Auteur

Marie-Agnès Cathiard

Université Grenoble Alpes

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