Hervé-Pierre Lambert, Octavio Paz et l’Orient

Paris, Garnier, 2014, 580 p.

p. 224-225

Référence(s) :

Hervé-Pierre Lambert, Octavio Paz et l’Orient, Paris, Garnier, 2014, 580 p.

Texte

À en croire le titre, on pourrait s’imaginer qu’il s’agit d’une très classique étude sur le « thème de l’Orient » dans l’œuvre d’Octavio Paz. Ce serait se méprendre totalement sur le contenu de ce livre, infiniment plus riche et stimulant que son modeste titre le laisse entendre. Il faut dire que l’auteur, ancien directeur de l’Institut français d’Amérique latine, a aussi enseigné au Centre national des arts de Mexico avant de partir pour l’Université de Kyushu au Japon. L’ouvrage est ainsi non seulement nourri d’une excellente connaissance de l’œuvre de Paz, mais aussi d’une parfaite pénétration dans des civilisations que le grand poète et essayiste mexicain (mort en 1998) a connues. Cette véritable fresque mythopoétique de Paz comporte quatre grands volets : « Identité, fantasme, expérience de soi », « Mode de pensée pazien et pensée orientale », « Octavio Paz et les religions orientales », « Octavio Paz et la culture japonaise ». Sont soulignées particulièrement les corrélations entre les figures de l’imaginaire pazien et les pensées orientales, les attitudes contrastées du poète face à l’Inde qui lui valut (en 1951) un puissant choc culturel, mais aussi l’idée de la préfiguration de la modernité occidentale dans les pensées d’Orient. La fantasmagorie sublimée du féminin, le tantrisme érotique pazien, l’ombre mythique des grandes déesses indiennes, la métaphysique de l’illusion cosmique ou, ce que l’on pourrait appeler, après Julius Evola, « la métaphysique du sexe » sont autant de pivots d’une véritable mytho-biographie pazienne qui ouvre l’essai avec clarté, précision et largeur de vue. Sont relevées aussi tout au long de l’essai l’influence sur Paz de grands esprits comme Georges Dumézil, Mircea Eliade, Louis Dumont ou Claude Lévi-Strauss. Ce dernier fit surgir dans la réflexion du poète mexicain l’idée que l’Occident est devenu inconsciemment bouddhiste. Tout en reconnaissant que le monde est un « tissu de significations », les Occidentaux lui dénient tout sens ultime ou constatent l’indicibilité de ce sens fuyant, ce qui est proprement l’intuition du bouddhisme pour qui toute construction intellectuelle ne peut que s’annuler dans la recherche impossible d’un sens ultime absent, culminant dans un vide (zen) qui est en fait un trop-plein.

On ne saurait oublier que Paz était aussi diplomate et que sa vision des relations internationales et de la politique n’est pas séparable, selon lui, de l’idiosyncrasie culturelle des pays considérés. Quand on fait de la politique, négliger de se replacer dans le « temps long » (Fernand Braudel) des civilisations, c’est se condamner à ne rien comprendre à l’humanité (comme on aimerait que tous les hommes politiques d’Amérique du Nord et d’Europe entendent cet appel et apprennent « à écouter l’autre langage : le langage enterré », voir p. 291 !), au langage de l’autre qu’un ethnocentrisme tournant à la paranoïa empêche de simplement concevoir. Au fur et à mesure des chapitres de l’essai se dessine le portrait contrasté que Paz réalise des grandes civilisations (surtout asiatiques) à partir de leurs interactions ou de leurs conflits internes ou externes (rapports conflictuels entre hindous et musulmans, entre le Mexique et le Japon, entre l’Occident et le bouddhisme, etc.). Finalement, ce que nous avons appris à désigner aujourd’hui comme un « monde globalisé » était déjà une idée et une réalité bien présentes dans l’esprit de Paz. Le « cauchemar de l’histoire » (Paz), plus actuel que jamais, peut-il nous laisser finalement d’autres formes de salut individuel que la poésie ? Il faut lire ce magnifique essai de Hervé-Pierre Lambert pour commencer à entendre la réponse politique et civilisationnelle.

Citer cet article

Référence papier

Philippe Walter, « Hervé-Pierre Lambert, Octavio Paz et l’Orient », IRIS, 37 | 2016, 224-225.

Référence électronique

Philippe Walter, « Hervé-Pierre Lambert, Octavio Paz et l’Orient », IRIS [En ligne], 37 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1522

Auteur

Philippe Walter

Université Grenoble Alpes

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