Emanuela Timotin, Paroles protectrices, paroles guérisseuses. La tradition manuscrite des charmes roumains (xviie-xixe siècle)

Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2015, 386 p.

p. 225-226

Référence(s) :

Emanuela Timotin, Paroles protectrices, paroles guérisseuses. La tradition manuscrite des charmes roumains (xviie-xixe siècle), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2015, 386 p.

Texte

L’ouvrage résulte d’une thèse de doctorat que son auteur a soutenue en 2009 à Grenoble, sous l’égide du Centre de recherche sur l’imaginaire (CRI). C’est l’exploration d’un monde inconnu et fascinant qui s’ouvre dans ce livre passionnant. Pour la première fois est révélé au public français le corpus des plus anciens charmes roumains conservés (les plus vénérables datant du xviie siècle). Ils sont édités dans leur langue originale et intégralement traduits en français. On trouvera donc douze charmes contre le najit (mal de tête), cinq contre les maladies de la matrice, dix-huit contre la fièvre, trois contre la branca (érysipèle), douze contre le mauvais œil, huit exorcismes contre le diable des eaux, quatre charmes contre les fées, sept contre le maléfice. Près de la moitié de ces charmes sont totalement inédits. Une étude synthétique à la fois philologique et anthropologique suit chaque groupe de charmes formant chacun des huit chapitres de l’ouvrage se concluant sur une dense bibliographie de vingt-trois pages. Trois indices (manuscrits, passages bibliques, thèmes et notions) facilitent la consultation de cette riche matière.

L’édition de textes se trouve toujours à la base de la démarche scientifique d’Emanuela Timotin. Elle part systématiquement des textes originaux qu’elle soumet à une analyse philologique très rigoureuse (étude paléographique, étude des variantes, etc.) et ne cherche pas systématiquement à proposer des interprétations ésotériques hasardeuses. Cette prudence est de bon aloi. Il ne faut pas se le cacher. L’analyse des charmes est difficile. Le caractère elliptique (et parfois lacunaire) des formules rend délicate la restitution et l’explicitation des éléments du contexte ethno-symbolique qui les sous-tend. Il est difficile de pénétrer dans un système de pensée magique dont nous ne connaissons plus les règles. La règle des quatre similitudes signalées par Michel Foucault (Les mots et les choses, Gallimard, 1966) semble pourtant fournir le cadre de la pensée analogique familière au corpus étudié : convenientia (les choses qui se jouxtent), aemulatio (ressemblance sans contact), analogie (correspondance microcosme-macrocosme), sympathie (correspondance plus intuitive, sensorielle). Chercher le sens (et la fonction symbolique) des charmes, c’est souvent mettre au jour ce qui se ressemble pour rééquilibrer des forces macro- et microcosmiques en conflit. L’élément d’un charme a une efficacité dans la mesure où il a une « ressemblance » avec ce qu’il veut traiter. Sont recensés dans cette étude nombre de croyances magiques (mauvais œil), de superstitions populaires (les démons aquatiques, les ieles — nom roumain des fées, rôle sacré des vers à soie, personnification des maladies à travers des esprits maléfiques, etc.). Le rôle des saints est vital dans la lutte contre le mal et les maladies : sainte Photinie guérit la fièvre et les maladies des yeux (ceci lui vient de son nom grec phôtos « lumière »). Il faut supposer que l’idée de lumière inclut celle de chaleur (y compris celle du corps).

Au-delà de leur intérêt philologique et ethnologique, ces textes incitent à réfléchir à la « rhétorique magique curative » de cette médecine populaire. Les procédés linguistiques et poétiques employés ici peuvent être rapportés aux fonctions jakobsoniennes du langage mais aussi, très curieusement, à la fonction poétique : l’importance de la métrique, du rythme incantatoire, la versification, mais aussi les procédés prosodiques (assonances, allitérations, etc.) ont visiblement un rôle à jouer dans la visée performative de ces textes (« Quand dire, c’est faire ») afin de soutenir l’action thérapeutique. On ne peut pas oublier que dans la tradition indo-européenne, magie, poésie, divination, médecine et musique se retrouvent subsumées sous la grande figure apollinienne. Au total, un ouvrage très stimulant et une contribution essentielle à l’étude anthropologique de la magie populaire et de l’imaginaire roumain.

Citer cet article

Référence papier

Philippe Walter, « Emanuela Timotin, Paroles protectrices, paroles guérisseuses. La tradition manuscrite des charmes roumains (xviie-xixe siècle) », IRIS, 37 | 2016, 225-226.

Référence électronique

Philippe Walter, « Emanuela Timotin, Paroles protectrices, paroles guérisseuses. La tradition manuscrite des charmes roumains (xviie-xixe siècle) », IRIS [En ligne], 37 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1524

Auteur

Philippe Walter

Université Grenoble Alpes

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