L’imaginaire du Phénix dans La Pente, Les Crépuscules de Z. Morsy. En attente de la révolution solaire

DOI : 10.35562/iris.1926

p. 107-129

Résumés

Notre analyse a pour objectif de souligner l’existence d’un rayonnement ombreux du mythe du Phénix, plus puissant que l’actualisation de mythèmes académiquement répertoriés. Nous mettrons en lumière son étonnante vivacité et son impressionnante capacité d’adaptation — mais aussi la profonde originalité de la poétique de Morsy. Mêlant en effet dénonciation et incertitude, révolte et espérance, apocalypse et renaissance, elle indique une aspiration à renverser un ordre établi. Poésie et mythe, à partir d’une réflexion polémique sur l’histoire, ont retrouvé ici leur commune origine. En dépit de ses nombreuses ambiguïtés, le Phénix structure l’imaginaire crépusculaire du recueil : il est avant tout puissance de transgression, source secrète de sa poétique.

Our analysis has for objective to underline the existence of a shadowy radiation of the myth of the Phoenix, more powerful than the mythemes academically listed. We shall bring to light its surprising liveliness and its impressive capacity of adaptation—but also the profound originality of Morsy’s poetics. Indeed mixing denunciation and uncertainty, revolt and hope, apocalypse and revival, it indicates the purpose to knock down an established order. Poetry and myth, from a polemical reflection on the history, found here their common origin. In spite of its numerous ambiguities, the Phoenix structures the crepuscular imagination of his collections of poetry: it is above all power of transgression, the secret spring of his poetics.

Plan

Texte

« Le problème de celui qui crée […], c’est peut-être celui de la renaissance, de la perpétuelle renaissance, oiseau phénix renaissant périodiquement, étonnamment, de ses cendres et de son vide. »
H. Michaux
(Émergences, Résurgences, 1972, p. 45)

On pourrait décider de voir une actualisation du mythe du Phénix à peu près partout où il serait question de renaissance, dans laquelle serait impliquée une dimension solaire. Mais le fait de diluer le mythe de la sorte ne serait pas méthodologiquement convaincant — même si, on le sait, P. Brunel évoque l’irradiation du mythe et sa présence furtive et tangentielle à travers de simples mythèmes, ayant le pouvoir de le réactiver entièrement. Choisissant de m’intéresser à un poète peu connu du grand public, Zaghloul Morsy, j’analyserai la relation très singulière qu’il entretient, dans son troisième et dernier recueil poétique, La Pente, Les Crépuscules (La Différence, 20051), avec le mythe du Phénix.

Le mythe n’est pas l’expression d’un destin définitivement scellé et il est permis d’imaginer le Phénix renaissant sous des formes inattendues. Nous ne nous référons pas à un imaginaire rétroactif, dont on ne ferait qu’apprécier la réactualisation des mythèmes préexistants, mais à un imaginaire proactif, dans la conception duquel le mythe, si sa sève est toujours verte, peut voir pousser de nouvelles branches et fleurir des fruits inconnus. Car c’est précisément dans sa capacité à être transplanté dans la terre humaine et à s’y développer, que se lit sa puissance : dans son pouvoir de s’adapter à des terrains toujours neufs et de répondre de façon inédite à des questions nouvelles. Le modèle du mythe pour lequel nous plaidons ne se trouve donc pas en amont, mais en aval de celui‑ci, dans son potentiel actualisé. L’histoire vient régénérer le mythe, surtout lorsqu’il est travaillé par un poète dans les profondeurs imaginales des langues et des cultures.

Une universitaire, rendant hommage en 2000 à Zaghloul Morsy, Mme Yamna Abdelkader (2000, p. 373‑383), a mis en évidence chez cet auteur la prégnance de notre mythe, évoquant à la lecture de son premier recueil, D’un soleil réticent (Grasset, 1969), la fin des temps, la thématique contrastée de la finitude et du renouveau ; elle soulignait en outre les images de décomposition et la déchirure dans laquelle se trouve pris l’écrivain francophone, écartelé entre le même et l’autre, entre ce côté‑ci de la Méditerranée, où il a choisi de demeurer, et l’autre côté où demeurent ses souvenirs d’enfance et sa nostalgie, entre sa langue natale et la langue de l’autre dans laquelle il a décidé d’écrire.

Fondant notre étude, l’auteur lui-même, dans les rares propos qu’il a tenus sur son œuvre, se récusant d’être un « passeur », affirme : « […] je suis plutôt Transgresseur, à l’image du Phénix, quelqu’un qui s’est libéré » (Abdelkader, 2000, p. 379), dont l’itinéraire initiatique consiste moins à passer d’une rive à l’autre qu’à se libérer de ses attachements. Si les références du mythe sont furtives dans son dernier recueil, Morsy l’évoque explicitement dans son second recueil, Gués du temps (1985, p. 31‑32) :

Ce sera feu central fils et père de lui-même
Et l’œil se vitrifiant
À la face flexible du rapace de fortune
S’incandescende enfin.

Ainsi, de l’origine à ses dernières productions poétiques, le mythe du Phénix traverse l’œuvre de Morsy.

Mais, plus précisément encore, et en lien avec sa puissance symbolique qu’explicite la citation de Michaux donnée en exergue, on se demandera si une des fonctions de la poésie n’est pas de maintenir vif le flambeau du mythe en lui proposant d’autres terres d’incarnation. Du reste, l’œuvre de l’oiseau solaire, comme celle de tout poète, ne consiste-t-elle pas, fondamentalement, dans une double trajectoire : exotérique (trajectoire d’Ouest en Est, vers Héliopolis) et ésotérique (passage de sa forme à un au-delà de sa forme) ? En ce sens, le poète alchimiste, à l’image du Phénix, énonce son désir de dépasser les contraires, alliant l’œuvre au rouge à l’œuvre au noir de la mort, par la transformation de la matière corporelle (mais aussi culturelle) en une matière régénérée, d’une autre nature — en quoi pourrait consister la dimension spirituelle de sa poétique.

Plus généralement, le mythe du Phénix entretient de la dialectique ontologique entre le même et l’autre — que lui-même devient lorsqu’il renaît, du transbord vers le pays natal et de la trajectoire que l’animal mythique effectue vers le paysage solaire originel, lorsqu’il décide de mourir et de disparaître de manière solaire. L’implantation dans la contemporanéité de ce récit aux valeurs symboliques multiples est l’objet oblique de la méditation poétique de Morsy, sur fond de conflits historico-culturels. Comment évolue le mythe dans son espace poétique ? Comment sa poésie ranime-t-elle le mythe, en en actualisant l’image archétypale dans un lieu, un corps mais aussi une histoire collective ?

Nous allons interroger en ce sens La Pente, Les Crépuscules afin d’apprécier le travail (objectif et subjectif) qu’il réalise sur le mythe : nous formons l’hypothèse qu’il contribue à définir sa poétique et sa conception de l’œuvre poétique. Ce faisant, nous espérons redéployer, dans une perspective à la fois imaginale, éthique et politique, les intuitions de Mme Abdelkader.

Situation de l’auteur et problématique

Une remarque liminaire s’impose : qui est Zaghloul Morsy ? Ce poète, essayiste et romancier contemporain, extrêmement discret et confidentiel, Bousfiha Noureddine le classe parmi les « poètes franco-marocains d’expression française » (B. Noureddine, 1991, p. 190‑199). On notera cependant que le second recueil a été publié dans la collection « Études arabes » chez L’Harmattan. Il est en effet très difficile de savoir de quel versant (oriental ou occidental) se revendique cet auteur, qui semble cultiver à cet égard une certaine ambiguïté, à la fois par manque de déclaration de sa part à ce sujet et parce qu’il paraît pleinement assumer son statut de métis culturel, puisqu’il est de père égyptien et de mère marocaine.

Demeurant actuellement à Paris, il a obtenu son agrégation de Lettres à la Sorbonne en 1960 ; après sept années d’enseignement à l’université de Rabat, il a ensuite exercé de courtes fonctions de diplomate (1968‑1969) ; puis, dans le cadre des missions qu’il a réalisées pendant une vingtaine d’années à l’Unesco, il a dirigé jusqu’à sa retraite (1993) la revue d’éducation comparée Perspectives. Il s’est passionné pour cette question, qui l’a amené à adopter une approche interdisciplinaire, articulant, autour de la problématique de l’éducation, des considérations anthropologiques, politiques, psycho-sociologiques et des préoccupations relatives à la santé publique.

Si sa première œuvre poétique, D’un Soleil réticent, a été vivement saluée en son temps par Roger Caillois et Roland Barthes, on ne connaît qu’une étude sur ce recueil poétique, et aucune sur Gués du temps, second recueil, quasi-introuvable et passé totalement inaperçu, qui précède de vingt années La Pente, Les Crépuscules — lequel n’a donné lieu qu’à un seul travail universitaire2. On peut lire ici ou là quelques recensions sur Internet, mais aucun article de presse n’est accessible et aucune distinction ne semble lui avoir été décernée pour son œuvre, certes assez mince, même si on lui adjoint son roman, Ishmaël ou l’Exil.

Un des objectifs de cet article est donc de faire renaître un poète original, qui fuit le tapage médiatique mais dont la dimension imaginaire et politique est riche et féconde. En effet, Morsy, qui ne fait aucune allégeance à la langue de domination dans laquelle il écrit admirablement, propose un espace de métissage poétique singulier, où l’innutrition de la culture arabe et l’oralité, caractéristique des traditions du Maghreb, entrent en concours, voire en concurrence, avec l’utilisation très savante qu’il fait de la langue écrite française, en particulier dans le registre qu’il s’est choisi : la poésie à tonalité épique.

S’agissant précisément du mythe du Phénix, ce dernier irradie dans le dernier recueil de Morsy selon un ordre imaginaire non apparent, au point qu’un lecteur non averti ne le remarquerait pas. En effet, les thématiques affichées dans le titre des poèmes de la première section (sourires, amants, orage, alliance, convergence, folie, arbre, migrant, peuple), ne renseignent guère sur la présence du mythe. Si les adjectifs contenus dans les titres de la seconde section (bourgeonnant, serein, aliéné, incendiée, assoiffée, saccagée, carnassière, adultère), pourraient en approcher par la thématique du feu (reprenant celle de l’orage), éventuellement aussi par l’évocation de la chair et celle des charognards, en revanche, les autres adjectifs, à caractère moral ou évaluatif, en éloignent. La dernière section, par la distance prise et le regard éloigné, qui font quitter la scène des hommes et de l’histoire (humilié, bafoué), ramène plus nettement à la question du mythe par l’évocation d’une thématique immémoriale, que suggèrent les mots « ère », « Odyssée », « alpha » et « oméga », contenus dans ses titres.

Dans une première approche, on perçoit donc que la trajectoire du recueil part des notations « personnelles » d’un sujet lyrique, où la thématique d’Eros est centrale, à une seconde dans laquelle la voix subjective, prenant de la distance par rapport à ses émois, se mêle à des considérations historicisées (« peuple », « migrant ») pour parvenir à un troisième état, où le lyrisme se mêle étroitement à un regard transhistorique, sur un fond symbolique où se combinent les thématiques de l’orage, de l’incendie et du crépuscule. On progresse donc de l’histoire personnelle à des rappels historiques, puis de ces derniers à une histoire collective, au caractère dramatique : on assiste à la constitution de l’épopée des peuples bafoués, au cours de laquelle intervient une dimension sacrée3, sacrificielle, voire prophétique, qui présente un spectacle de fin de monde. À cet égard, marquant une évolution et une inflexion thématique claire, l’engagement du poème devant l’Histoire paraît incontestable dans La Pente, Les Crépuscules. Le recueil se construit autour d’une espérance : « l’hymne du monde est à venir » (39). L’histoire contemporaine, entrant dans le poème, fait évoluer la tonalité épique vers la dimension mythique, puisque le troisième millénaire, dont le seuil vient d’être franchi lors de la publication de La Pente, Les Crépuscules, est présenté comme l’attente d’un renouvellement fondamental du monde4.

Ainsi le mythe du Phénix, qui retrace la fin d’un monde, s’appréhende de façon graduée, oblique et jamais de façon frontale. Il structure le recueil, en ce sens qu’il permet de révéler l’ossature secrète du recueil et d’en synthétiser le drame central, traité sur le mode épique : celui des « peuples à genoux » (136), pour lesquels « la planète est lotie » et la « succession close » (135). On notera, pour finir, que Mme Abdelkader, dans le premier recueil, considérait comme ambiguë la figure de Phénix (tantôt « oiseau de mort », « usurpateur », tantôt « oiseau-lyre5 »), qu’elle mettait en lien avec le paysage mental contrasté de Morsy, qualifié de « sérénité tourmentée6 » (Y. Abdelkader, 2000, p. 383). Cette ambiguïté est-elle maintenue ? Comment a évolué cette figure emblématique de sa quête ?

Le travail du mythe : convocations et infléchissements du mythe dans le recueil

Avant de vérifier comment Morsy infléchit ses mythèmes, examinons ceux qui permettent de repérer le mythe. Repérons tout d’abord ceux qui sont actualisés dans le recueil de 2004, au sein de la constellation dont il est le centre.

Les séquences et motifs qui constituent le mythe sont simples et originaux : selon Marie Miguet,

Dans l’histoire du Phénix n’interviennent ni fautes ni châtiments. Pas d’épreuve sinon une seule qu’on peut qualifier de glorifiante : la mort débouchant sur la résurrection. L’unicité du Phénix, sa beauté, son lien privilégié avec le soleil, source de vie : tout s’unit pour lui donner des qualités positives. On comprend pourquoi il aura une grande fortune littéraire, ne connaissant que peu d’éclipses. (Y. Abdelkader, 2000, p. 1121)

Le Phénix apparaît ici précisément en période d’éclipse, caractérisée par le déclin de la lumière : jamais dénommé, éclipsé du poème mais irradiant l’ensemble des textes, il est cependant pleinement impliqué dans le dernier recueil de Zaghloul Morsy. Il y intervient de façon oblique, dans un espace crépusculaire où se dit constamment la nostalgie d’un passé solaire et d’une beauté perdue, renvoyant à un âge d’or révolu. Que devient en outre l’épreuve centrale et glorifiante ?

Une description des occurrences où les motifs et mythèmes du mythe sont convoqués, par rappels de l’hypotexte dans l’hypertexte, nous autorisera, dans un second temps, à entrevoir la spécificité de cette réécriture du mythe, dans le contexte singulier où le fait évoluer Morsy. Le mythe est-il détourné, ou subit-il une puissante adaptation, courbant son horizon interprétatif sur celui des espérances et des passions humaines ?

Convocations du mythe

Le mythe plane, « rêve d’ailes singulières » (149), sur le poème comme une hantise : en effet, l’oiseau peut métonymiquement être évoqué par l’un de ses attributs, en l’occurrence ici, les ailes. Des liens objectifs avec le mythe du Phénix existent bien. Pour cela, considérons le matériel mythique, avec ses implications herméneutiques.

Oiseau fabuleux et merveilleux, dégagé de la sphère de la sexualité (il est hermaphrodite) et de la souffrance, désengagé de toute dimension historique7, il est aussi désimpliqué de toute forme de communication, ainsi que des valeurs affectives qui caractérisent l’humanité. Figure archétypale, corporéité pure frappée d’une sorte de complétude (il est auto-suffisant, toujours unique et jamais semblable), évoluant dans un espace intermédiaire, entre les mondes terrestre et céleste ; comment, dans La Pente, Les Crépuscules, cet oiseau de feu / de mort en arrive-t-il à devenir la figure dynamisante d’un univers poétique incarné et historicisé ?

Un élément structurel à la fois confirme la présence du mythème solaire et nuance l’approche qu’en fait le poète : en 36 ans d’un parcours existentiel et poétique, on passe d’un « soleil réticent » aux « crépuscules ». La descente de l’aigle se confirme, dont la pente n’est plus ascendante et solaire. Certes Héliopolis, significativement, reste mentionné comme pôle imaginaire (41) ; la scène poétique demeure parfois sous l’attraction de « la lumière stridente » (105) ; au « cri du soleil » (32) fait (encore, mais rarement) écho la « dure stridence » des cigales au solstice (69).

Des sous-motifs constitutifs du récit mythique sont présents à deux reprises dans les poèmes, soulignant bien ces empreintes du mythe, où l’on peut lire : « Le diapason avait pour branches / le palmier d’en‑deçà et le pin d’outremer » (141). Cette référence est intéressante, en ce que, non seulement les motifs comme ceux de la musique et du palmier (que l’on retrouve encore dans « l’épine du palmier », 143) sont ici imbriqués, mais la dimension transgressive du mythe du Phénix, désignée par Morsy lui‑même comme l’axe majeur de son interprétation, se lit dans la tension évoquée entre l’« en‑deçà » et « l’outremer8 ».

Un dernier élément mineur retient notre attention : comme certaines versions l’attestent, le Phénix vit plusieurs centaines d’années et, à trois ou quatre reprises, Morsy mentionne de très longues périodes : ces cycles font référence à une « occultation » (111), un « enténèbrement » (105) : « l’errance aura duré 487 ans » (130) ; « après mille ans et demi / où le fort plia le démuni » (128). La lumière est affectée d’un caractère moral et le déclin, auquel fait écho la « pente » symbolique du titre du recueil, donne sa tonalité à l’ensemble du recueil. Le climat moral de la sphère terrestre se situe, on le voit, aux antipodes du rayonnement solaire du Phénix.

Un second motif du mythe est le voyage aérien. Le voyage stellaire du céleste volatile est évoqué sur une modalité intermédiaire entre le style hugolien de Booz endormi et celui, rimbaldien de « Ma Bohême » : le « vent à l’étoile » (36), vent ascendant qui fait bruire les ailes (« des ailes frémirent », 37), suggère le vol du rapace sur fond d’une « nuit phosphorescent » (35). Au voyage des visionnaires, qui ont développé l’œil de l’âme de façon aussi aiguë que la vision aquiline, Morsy, par la médiation ambivalente de la voile, connecte une Odyssée maritime à une navigation céleste (où la seconde, s’avère être plus fréquente que la première). À la question : « Ils te demanderont / qu’en est-il du Voilier » (128), semble répondre cette notation de la page 130 : « ce Voilier sombrera ». Ainsi, à la superposition du vaisseau céleste et du vaisseau maritime, tous deux portés par le vent, font écho tantôt sa disparition dans les profondeurs, tantôt son envol et sa renaissance : « vous cinglant vers votre chrysalide » (18).

Elle établit en outre un lien entre la navigation rimbaldienne des conquérants de l’âme et celle des conquistadores, guerriers et conquérants9 de la Renaissance, qui évoluent vers l’Ouest et le Nouveau Monde par la voie maritime. La navigation aérienne / maritime suscite en effet l’ivresse visionnaire, celle du bateau ivre (« déploie ton foc », 69). Entre ces deux figures (opposées) de conquérants, Morsy place le poète, qui navigue entre les espaces et les temporalités : « conquistadors de tous langages nous faisons flèche de chaque instant » (104). Car Morsy aussi est en quête d’un Nouveau Monde, d’un monde né une nouvelle fois — et l’ombre du Phénix de se manifester une fois de plus.

Nous parvenons au mythème, central et glorifiant, de la renaissance. La parole poétique et visionnaire, dans sa tension imaginale, laisse présager la sortie du labyrinthe. La renaissance s’énonce sur le plan humain qui voit se lever une nouvelle race d’hommes : « les maquisards du futur » (101), dont l’action de rébellion s’exerce sur le plan langagier, le plus profond de l’humanité. En réponse à « l’appel du futur » (56) et à la symbolique de l’Est, ces hommes nouveaux, dont Morsy, en visionnaire, indique l’émergence dans un verbe nerveux, incarnent une humanité libérée des puissances qui inhibaient sa fierté et entravaient son esprit conquérant.

Car ici la reconquête s’effectue au plus intime de l’être, dans les puissances de l’esprit, à laquelle fait écho le fiat de la nomination poétique : « nous épelons l’homme qui veut naître » (104) ; « épeler qui sera » (56). Cet homo novus, ni d’Orient ni d’Occident, ne peut être au service d’une quelconque cause ou idéologie (« Dieu absent ni présent », 120), mais il prend en charge les « rêves ensevelis » de tous les « irrédimés » (94), de toutes les révoltes étouffées ; il symbolise le retour d’une humanité née de nouveau, après le passage du feu qui a brûlé « ce qui en nous est mort » (121).

Un « souverain de l’envol et l’étincelle » (149) est évoqué, qui trouve une connexion inattendue avec Prométhée, car le feu qu’il porte est « étincelle de survie » (122), « flamme de survie » (126). Le mythème de la renaissance s’actualise également dans la thématique de l’œuf, de l’embryon. Et le modèle mythique transparaît nettement dans l’évocation suivante : « l’embryon est tapi / sur un lit de racines entumultées » (137) où s’opère le passage de la fin de vie à la survie de l’oiseau de feu sur un bûcher d’aromates — faisant ainsi écho au retour possible du temps enchanté où éclatait sa splendide beauté : « comme il y a sept siècles / elle faisait lit de ses splendeurs » (111).

On constate d’autres références obliques au mythème de la renaissance. Ainsi, comme le note par ailleurs M. Détienne et comme en témoignent les poésies de Morsy, l’aigle, sec et céleste, est présenté comme antinomique du vautour et de la hyène (104) qui fréquentent les marécages, l’humide ou le pourri. L’aigle symbole du pouvoir et de l’empire — y compris celui que l’on exerce souverainement sur soi — règne sur midi le juste, force d’équilibre cosmique au sein du four solaire — brûlure de lucidité dans « la vie neuve de l’aride » (120) : « il est de l’aigle de veiller sur le juste » (105).

On le voit — autre spécificité du troisième recueil — Morsy fait du Phénix le patron de la force morale ; son déclin symbolise le crépuscule de ces valeurs dans l’univers contemporain10 — mais dont la régénérescence serait susceptible de conduire à un regain d’énergie. Aussi les « transgresseurs », comme le Phénix / poète, sont-ils aussi qualifiés de « justes » (86). En effet, l’espoir continue de poindre, telle une escarbille prête à faire repartir l’incendie : si « l’ancêtre » est « déchu » (114), subsiste « une vieille patrie inédite / d’où l’Injuste est banni » (119). C’est ainsi que le poème entretient un rêve en direction d’une terre mythique où sa lancinante nostalgie trouverait son apaisement.

Concernant la moisson d’or qui pointe, une « sève jadis profuse » (106) semble pouvoir encore s’épanouir en « l’or des javelles » (37) ; cet or végétal, à la fois terrestre et céleste (cette « orge stellaire », 35) soudain explose en une « nébuleuse de pollen » (122). Appuyés par la présence en creux de l’industrieuse abeille, qui réalise le lien entre l’or et le pollen, tous ces éléments indiquent, sous la débâcle apocalyptique de l’âge de fer, une possible régénérescence cosmique, une reprise de la vie et de la fertilité. Ailleurs il est écrit qu’« un rêve d’ailes », voire un « frémissement d’ailes » (143) — métonymie de l’aigle et de l’ange — se faisait sentir ; et avec le retour d’un solstice symbolique on aurait alors une véritable revanche sur le « souvenir du soleil » (93) moribond.

Mais, si l’espoir d’une renaissance n’est pas interdit, l’issue de la quête demeure infiniment problématique11, ainsi qu’en témoigne cette très emblématique question : « Comment surgir de la poussière de nos os ? » (150). « Feu l’homme ancien », lit‑on p. 110, actant à la fois de sa disparition et de sa possible renaissance, une fois passé par le feu. « La cendre déjà couvre vos yeux » (52) rappelle, s’il en était besoin, la présence et la puissance incendiaire et apocalyptique du Phénix.

Plus généralement, le caractère solaire du mythe est très ambivalent. En effet, les sables solaires du désert, tantôt, dans une magnifique constellation sémantique, rappellent la blondeur de la moisson astrale, tantôt le mirage, l’illusion, voire la désillusion : « les dunes de nos mirages » (115), « désert d’épaves » (124). La puissance solaire alors s’éteint et l’âge d’or, un instant présenté comme probable, redevient un « rêve enseveli » (94) : « tout est si loin et si fade / souvenir du soleil » (93). L’aigle solaire peut à tout moment se métamorphoser en aigle noir, porteur d’une lumière noire : ici son versant apocalyptique semble même prévaloir sur son versant de renaissance.

***

Il faut à présent nous intéresser à la spécificité de l’imaginaire de Morsy : à toutes les formes de la décomposition qui menacent le caractère solaire et ascétique du mythe. Par opposition à une certaine image du Phénix, qui paraît très peu soumis à l’univers des émotions, l’espace poétique de Morsy est angoissé, peuplé d’affects, voire de colère face aux choix manqués, à un destin cauchemardesque dont les acteurs subissent un interminable châtiment.

Les déviations du mythe se marquent en effet par la rencontre, non plus avec le Sud et son ascétique four solaire, mais avec la touffeur, le glauque et l’ignoble. L’aigle se métamorphose en vautour et le désert en enfer spleenétique : « le lourd varan » (78) ou les « touffeurs du Congo » (116) résonnent dans les « mégapoles du Nord » au « ciel boueux » (82), où « le crachin y tisse suaire de suie » (82). Et « les gibbosités de l’immondice recyclée » (84) renvoient aux « sérosités d’âme blette » (83), au déclin (universel ?) de la force spirituelle. En effet, Bruxelles, aux antipodes de Ramallah et de Sabra ou encore « Ham bourre » et « Pig All » (50), symbolisent l’ivresse de la décrépitude, antinomique de l’ivresse inspirée et visionnaire. On assiste, précisément à l’occasion de ces évocations septentrionales, à une décomposition du langage, au « désastre de syllabes débandées » (60), sur lequel on reviendra.

Soleil noir du désastre, contrairement à l’imaginaire solaire du mythe, une partie du discours de Morsy est orientée vers un Occident décadent : « fric, came » (48) et sexe seraient les trois mamelles de la monstrueuse Babylone nordique. « Éructation de l’ancien homme d’occident » (43), ils évoquent le pourrissement de la vieille Europe où toute forme d’idéal semble être entrée en déshérence (« popotin sein glin glin », 50), à l’image de la « sex chaupisserie » qui y sévit, vérole de l’âme. Le « crépuscule du millénaire » (51) est-il encore à venir ? Où se tourner pour ranimer ce cadavre ? La souillure, soleil noir du chaste Phénix, paraît générale. La tonalité poétique ressemble, par certains aspects, à une grand-messe du dégoût (« c’est la nausée qui nous point », 112) : tout semble exsangue et voué à la régénération du feu purificateur, en attente du grand kalpa, où l’univers disparaîtra dans un embrasement généralisé. Suivant un destin tragique inéluctable, le monde semble aspiré par une pente — et Morsy construit l’image d’une gueule monstrueuse où « refluent et se résorbent les empires12 » (72) — qui engloutit tous les rêves de grandeur dans une sorte d’immense vortex où s’abolit l’histoire humaine.

Le retour à la dignité historique passe par la cessation de toute indignité, par la reconquête de la langue de l’âme : « nous émergeons en sueur / d’entre les scories / gangue éclatée / l’avers reconquis des siècles face à terre / visage adulte et sans honte / de qui ont regagné / le chemin de l’histoire commune / carnassière » (123). L’effort humain, asservi à la sphère « carnassière », où évoluent des rapaces qui s’entredévorent, pourrait cependant venir à bout de la désespérance et de l’ignominie. Mais cette restauration paraît peu envisageable : les « flammes asséchées » (73) signalent un exil définitif du sacré, un éloignement radical de la salutaire brûlure solaire, « brasier où se trempe et mue l’âme » (81) ; la terre, lieu excrémentiel, est définitivement désertée par « les dieux ». L’idée de défaite prime ici, signifiée par de nombreux adjectifs privatifs cités en note, de même que par la thématique de la chute et du dépérissement, voire de la malédiction (« la chute vaut pour siècles », 72).

C’est un Phénix déboussolé qui semble « faire voile au couchant » (128), faire route vers l’Occident et vers le Nord : si, comme l’indique le poème, « leur portulan avait le Sud pour Nord » (129), si le « sens » du voyage concerne la spoliation des peuples du Sud par ceux du Nord, alors on pourrait dire, au sens de la navigation aérienne que le vol du Phénix a été « détourné ». Cependant un mythe ne se détourne pas, puisqu’il s’agit seulement ici d’une version inédite de ce dernier ; d’autre part, s’il relève d’une méta-histoire, ses enseignements concernent l’histoire.

Que nous enseigne-t-il à ce sujet ?

Histoire et méta-histoire : les deux histoires imbriquées du mythe

Si Morsy engage l’oiseau de l’espérance et du changement au sein des soubresauts de l’histoire, c’est parce que le paradigme mythique relève de l’imagination créatrice : le travail poétique de Morsy a précisément consisté ici à remettre en mouvement les significations du mythe, pour le faire renaître de ses cendres — et dont la forme incinérée consistait en sa représentation stéréotypée, désénergisée.

Morsy part d’un désastre qui abîme toute relation au sacré : un passé glorieux a subi une éclipse sévère ; l’ancêtre est « déchu » (114), « la terre jadis faste » (51) est devenue « terre gaste » (51), « méhaigne », « dévoyée » (93). La terre étant une métonymie de la mère, c’est aussi la mère qui est atteinte : « la mère adultère » est « confondue à son serment mensonger » (119) ; « saccagée toute mère » (86). Cette transgression du code méditerranéen symbolise une définitive impasse, l’infernale errance dans le labyrinthe des temps historiques et les « siècles de disette » (81).

Comme celle de la mère, la figure archétypale de l’enfant et la thématique du sacré sont soumises à la même indétermination. Si, en effet, est déclarée « coupable toute enfance » (140), comme est affirmé « le carcan de toute enfance » (131), si même est évoquée « la mise à mort de l’Infant » (132), dans une sorte de simultanéité, cette image sacrée et royale de l’enfant semble retirée de la sphère humaine, où elle a été polluée : « l’enfant s’est muré pour mille ou deux mille ans » (150).

Plus généralement, la posture adoptée à l’égard du sacré est la même, et part d’un constat amer : « le dieu qui les menait (a été) dépecé au grand jour » (107). Si « kyrie », « dikhr » et « cantiques » (77) semblent mêlés dans la même ironie, la sacralité, une fois débarrassée de ses scories et mensonges, paraît pouvoir renaître « avec un visage différé » (121), resurgissant à la croisée du présent. Cette opération offre une étonnante similitude avec la création poétique, entreprise de nomination par recréation du regard matutinal sur les êtres et le monde : elle s’effectue dans une sorte de futur antérieur où, retrouvant leur source dépolluée, les êtres et les événements reprendraient comme magiquement leur orientation originelle.

Ainsi, lorsque Morsy déploie l’image d’un monde crépusculaire, engagé sur la pente descendante, faisant un arrêt sur l’image de l’histoire des peuples, il choisit de remonter vers l’origine, à partir de laquelle d’autres choix redeviennent possibles — comme pour annuler ceux qui mènent aux impasses actuelles. Dans le temps de l’imaginal, les choses peuvent reprendre un cours différent, selon l’option prise. C’est ainsi que la métahistoire, qui est le temps solaire de l’éternité, entre en concurrence avec son double historique : un temps crépusculaire, intermonde de la stagnation spirituelle.

Voyons comment il établit une connexion et une imbrication du mythe et de l’histoire.

Les acteurs du drame dont il nous entretient sont — apparemment — clairement identifiables. « Aux divers noms d’Allah nous avons tous plié » (135) : si est évoquée « la grande gloire de l’Oumma » (128), la communauté musulmane mondiale, « la tradition, errance circumambulatoire » (151) paraît désignée comme responsable de l’éclipse. Il est affirmé que « l’homme arabe se disjoint » (41), politiquement et spirituellement, et le héros central de cette quête paraît clairement nommé : « Nous sommes l’Arabe à vif […] incendiant legs et royautés pour un autre destin » (100). De même, « L’homme d’Occident » (125) ou « l’homme du Nord […] à la main gantée de blanc » (136), désigne sans aucun doute l’indigne asservisseur, le prédateur des populations du Sud (« nos pays assignés à l’histoire du Nord », 136), soumises à différentes colonisations.

Cependant, même s’ils sont parfois très précis, les référents historiques demeurent estompés ; lorsqu’il évoque Sabra13, Ramallah ou Hambourg, Morsy assume une forme d’universalité — parce qu’il considère la réalité à partir du point de vue contrasté de sa double identité de Maghrébin d’Europe. Cette perspective lui fait embrasser une vision qui dépasse une perception binaire et adopter, sur les faits qu’il considère, le discours universaliste du mythe — lui conférant, par le regard éloigné qui est le sien, un caractère à valeur éthique, voire gnomique.

Réciproquement, le mythe, parce qu’il gomme toute dimension factuelle, constitue un patron qui ne délivre sa vérité impliquée que si elle est actualisée. Ainsi, la tonalité poétique, épique, s’élargit en une dimension métaphysique, comme si les événements de l’histoire trouvaient leur origine sur un plan imaginal, dont ils seraient devenus l’ombre. Le travail du poète consiste alors à redéployer ce plan métahistorique où prennent naissance les drames de la temporalité.

C’est pourquoi, la possible renaissance, préalablement évoquée, dès lors qu’elle concerne, comme ici, « la vie neuve de l’aride » (120) et qu’elle conteste « l’âge mercantile » (83), ne peut renvoyer exclusivement à un rêve de retour à l’âge d’or du monde musulman, dont la nostalgie, impériale et impérieuse, tarauderait le poète. De même, les grondements d’une révolution qui sourd (« entendrons‑ils / la grande ruche en gésine ? », 129) ne peuvent concerner la seule révolution des peuples du Sud. La figure du Phénix engage un lien privilégié à l’universel, au sein duquel sont impliqués les drames humains mentionnés.

En quoi pourtant les forces qui ont mené à l’obscurantisme historique concerne-t-elles l’aigle transhistorique ? Le Phénix, on le sait, étant souvent impliqué dans la littérature apocalyptique, les troubles de l’histoire pourraient n’être que l’écho de drames imaginaux, relatifs à une forme d’enténèbrement cosmique. Du reste, la poésie de Morsy adhère en partie à une détermination eschatologique des faits historiques (même si la faute des hommes est aussi invoquée) : ainsi, remontant du plan mythique à l’histoire humaine, le poème met en lumière comment la figure inimitable du Phénix a été confondue avec d’équivoques copies, par des acteurs qui en singeaient la vertu, en la détournant de son ascétique vérité. « Aigles de port et singes d’âme » (150), tels sont les usurpateurs qui en ont sali l’image idéelle de l’aigle, ancrée dans l’âge d’or. Le mythe actualisé à la fois relie et sépare les deux pôles sur lesquelles il s’édifie : du temps sacré mythique à l’image historique dégradée.

Du centre inaccessible (midi le juste) partent deux options, deux potentialités : l’une vers la renaissance, l’autre vers l’Apocalypse. Si le temps du poème de Morsy semble arrêté, pétrifié dans un crépuscule fantastique où l’âge d’or s’est inversé en une interminable saison en enfer, c’est sans doute parce que le poète, entre utopie et atopie, adopte une posture paradoxale : il oscille entre deux rives, deux choix ou deux postulations, tout en manifestant sa révolte14. La voix poétique évolue selon une voie très étroite, tantôt se plaçant dans la neutralité d’une temporalité poétique suspendue, tantôt s’engageant dans l’histoire. De ce brouillage s’ensuit une sorte de désenchantement qui colore la temporalité épique du poème : « C’était avant mes palais, nos mensonges » (112) ; « C’était avant la marche lumineuse » (102) ; ces évocations sonnent comme des rémanences rimbaldiennes d’Une Saison en enfer.

Si l’écho qu’il donne d’une conscience collective empêtrée dans un exil, tant culturel que métaphysique15, peut expliquer la tonalité lyrique contrastée, à la fois nostalgique et un peu dépressive, de l’ultime recueil, Morsy, par l’énergie du verbe, sort de l’ornière des lâchetés et des compromissions — véritables non-choix.

La difficile et ambiguë activité poétique — « aventure du sens / élaborant les vocables de sa langue fourchue » (144) — implique en effet un authentique courage, et de véritables choix à caractère poético-politique, puisqu’il s’agit rien moins que d’« oser l’aventure périlleuse / sous ce soleil / en cette unique vie » (150). En ce sens, la révolution solaire se trouve être aussi celle de la langue : la parole poétique est le lieu de retour à la maîtrise, raturant les méprises de l’histoire ; dans la nomination / régénération symbolique et dans « l’incendie du verbe » (S. Stétié) qu’elle effectue, elle interpelle l’homme nouveau.

Par opposition, l’indifférenciation, « où tous les dieux s’enlisent / et s’indifférencient / hors de toute mémoire » (133), est à l’image de « l’androgyne sénescent » (65) et de « l’hyène hermaphrodite » (40) (comme le Phénix). La langue s’affirme comme le lieu d’une infinie différenciation : voici une lecture novatrice du mythe du Phénix — dont le vol subtil se produit dans les mots, sous les mots ! Du reste, le Phénix peut-il renaître autrement que dans la différence à soi — c’est-à-dire à l’opposé de toute indifférenciation ? L’altérité s’avère une nécessité dynamique, de même que le différentiel culturel, sans lequel n’existe plus d’identité. L’identité se nourrit d’altérité. Et implique un engagement devant l’histoire et donc devant la langue : « C’est un tierce langage où l’univers change de signe alphabétique » (Gués du temps, p. 59).

Le verbe ailé et révolutionnaire de Morsy

L’image de l’aigle, prenant de la hauteur et de la distance par rapport au sol, rencontre le regard éloigné et critique du poète. C’est au cœur de cette posture qu’opère le travail de Morsy sur le mythe : en engageant les spécificités de son imaginaire, dans sa réimplantation sur le terreau de la réalité langagière. La voix collective du poète recoupe une méditation sur le destin d’un peuple, voire d’une ère historique.

Dans cette ultime section, je m’intéresserai d’abord à la posture, altière et prophétique, du poète, à sa hauteur de vue et au plan d’énonciation où il s’inscrit, à la fois ici et ailleurs, hier et aujourd’hui — opérant une surprenante superposition de l’image du poète et de celle du Phénix, des plans historique et mythique.

Posture du poète (mythique et sacrificielle)

D’un espace intermédiaire entre le plan mondain et le plan du mythe, il regarde, sans concession, la courbe d’une ère dont l’âge d’or passé n’a jamais refleuri. Son regard est celui de l’aigle qui, des hauteurs où il évolue, observe la courbure de la terre et embrasse symboliquement l’axe des temporalités ; son regard couvre un espace-temps qui s’étend de la mythique protohistoire (« c’était avant mes palais nos mensonges », 107) au futur antérieur (« Souviens-toi du futur », 132), en passant par le « désert d’épaves » (124) contemporain. Ce qui est frappant, au même titre que la polyphonie énonciative, est ce simultanéisme temporel qui mélange passé, présent et futur dans une singulière coexistence, que j’assimile au temps mythico-poétique.

« Au nom de l’Humilié l’éternel bafoué / Louange au rebelle / Seigneur unique des néants retournés / Maître du Non16 et de l’idée conquise / souverain de l’envol et de l’étincelle » (149). Un programme poétique semble s’inscrire dans une romantique révolte, où le poète devient l’incendiaire ailé qui prend le parti des « damnés » (152), des oubliés, des désertés, et qui conteste la loi du « fort (qui) plia le démuni » (128). Une certaine violence accompagne la dénonciation ; parfois l’imprécation se fait menace contre la paresse fataliste, l’absence de race ou de virtus (« reviens fouetter les dormeurs Machallah », 125) : « souviens-toi du futur, il ne fera pas grâce » (132). Un engagement combatif prend le relais de la parole, s’articule sur le verbe redevenu vigoureux, aux accents prophétiques : « s’il faut nous renier / alors nous trahirons en gravissant » (152). Il s’agit désormais de remonter la pente « en reniant en nous l’inhumain » (152). Un travail de civilisation semble, selon le poète, devoir être réalisé sur soi-même, comme une immense remise en question, afin que le Grand Œuvre puisse se poursuivre, en dépit de la florissante barbarie.

S’il lui arrive aussi, telle une version du mythe, de reconnaître sa part maudite, celle qui le retient à la terre et aux hommes, c’est aussitôt pour revendiquer son unicité, sa solitude, tout en contestant ou en dépassant ses origines et déterminations. C’est ainsi que j’interprète cette parole (131) : « Nul n’a choisi son siècle ni son père / Fils d’un âge mixte / j’ai choisi d’être orphelin / Regard rentré j’ai appris / le carcan de toute enfance / J’ai renié les deux fleuves / ils m’ont tant assagi / et je n’ai plus de lieu. » Le Phénix n’est-il pas un aigle qui dépasse sa condition d’oiseau ? De même, le poète, dans sa multiplicité ontologique et conformément à l’auto-mythographie romantique du poète résidant dans les nuées, ce dernier est un être singulier (un « hapax » au sein de sa communauté), dont la parole distanciée et imprécatrice le tient loin du groupe : « je ne suis pas des vôtres » (103) ; « j’ai gagné la rive haute / de la pente et du gué / crépusculaires » (133).

Un homme mythique fait surface : il signale son apparition dans le langage et l’espace visionnaire et poétique, « ce rêve unique rebelle aux syntaxes natives » (61). À l’homme neuf, correspond en effet un langage vif, qui se reconstruit en déshérence de tout héritage préconstitué. En ce sens, on est frappé par les occurrences du vocable « biffer » (ou « biffure ») qui renvoie à la rupture (transgression des traditions orientales et occidentales), à la rature (et donc au langage écrit) et à la coupure : au stylet, au style — et donc aussi à la plume de l’oiseau solaire, obsessionnel dans l’imaginaire de Morsy, « il biffa d’un coup d’aile » (146). L’aigle préside à l’écriture, qui remplit une fonction sacrificielle et transgressive, rendant ainsi compte de la densité et de l’hermétisme du vers, une fois dégagé de toutes ses boursouflures.

Par ailleurs, les évocations de la lame, de la cicatrice, de « la pointe d’obsidienne » (103), du « souffle de la hache » (38) connotent l’idée de sacré et de sacrifice liée à la parole poétique. La « parole de silex » (114) rappelle l’outil, rustique et préhistorique, qui servait à trancher, à couper la chair : une forme de mutilation serait-elle nécessaire pour renaître, à l’être et au langage ? La crise est aiguë, comme le soulignent les images du couteau (« s’effile pour nous l’attente », « s’effile l’arête » : 57, 111) et elle concerne en effet simultanément l’acte et le verbe, car dans toute poétique, le verbe est acte : « l’arête de nos actes épouse l’arête même du verbe » (119), et inversement l’acte poétique est coupure, « le Verbe d’obsidienne » (Gués du temps, p. 8). Le sacrifice de soi étant nécessaire pour renaître, cet acte contrebalance, par une touche d’hybris qui rappelle l’ivresse rimbaldienne, le caractère apollinien de l’aigle mythique.

Une irréductible polyphonie énonciative

En effet, force est de constater l’ambivalence dans laquelle s’inscrit le sujet lyrique, à la fois dans la mesure et l’ivresse. La dimension essentielle de la poétique de Morsy, la forme et la mise en page très libre des versets, qui côtoient l’académique alexandrin dans La Pente, Les Crépuscules sont à mettre en lien avec la reconfiguration révolutionnaire du mythe et celle, énonciative, de sa parole.

Texte ambigu, le dernier recueil opère en effet un savant brouillage des personnes : qui est ce « leur » (les conquérants, mais lesquels : ceux des nôtres qui se sont dévoyés ou ceux que nous subissons, les idéologues de l’Occident conquérant ?) ; qui est ce « elle » : la femme aimée ou une entité ouverte, une personne collective comme la nation, la communauté (l’Oumma) ? Il en est de même du « je » : le je de « j’ai tué et j’ai dévasté » (89) n’a apparemment rien à voir avec l’auteur du recueil, puisqu’il rejoint le je prophétique de celui qui affirme : « Je dis cette frontière abolie / et notre rêve déchu » (125). Nous avons affaire à une forme complexe de polyphonie, où le « je » assume la parole de plusieurs actants et embrasse un point de vue multiple17.

Ce en quoi Morsy, imprécateur véhément, rêveur nostalgique ou illuminé, dépasse les engluements de l’histoire, personnelle ou groupale, réside dans la constitution d’un nouveau langage et dans la relecture du mythe dont le « sujet » véritable est le nous, la communauté humaine en procès. Cette mythification, due à son élévation (où l’aigle rejoint ici Baudelaire), en fait parfois une instance idéelle, dont seul le « je » grammatical lequel (contrastant avec le « tu » ou le « vous » du groupe) parfois rejoint un « nous » inaugural. L’espace poétique, fortement polyphonique, ne parvient pas à une symbiose entre ces éléments qui flottent, comme des débris d’épaves à la surface de la mer, tout au plus de façon syncrétique — images d’une identité qui a perdu sa cohésion ou n’a pas encore réalisé sa synthèse.

Car le sujet lyrique, à la fois en reconstruction et en fragmentation, est divisé : comme le migrant, le poète est à la fois présent ici et appelé par un ailleurs, il cherche sa place dans une sphère historique qui lui conteste une identité stable — à l’image de toute une génération d’hommes qui a connu l’exil et l’émigration. Morsy en effet prête sa voix à ces hommes, pris dans des conflits culturels et des dissensions morales et religieuses ; il se fait l’écho du ressentiment collectif de ces laissés pour compte de l’histoire — individus portés ici ou là par les courants de celle-ci, incapables d’agir sur leur destin et éprouvant un puissant sentiment d’injustice. Leur drame consiste à ne pas être parvenus à la réconciliation avec eux-mêmes ; leur rêve rejoint le pouvoir du Phénix qui réussit à transgresser la logique binaire (qui est celle de l’aliénation), à parvenir à s’envoler « par‑delà les deux fleuves » (titre de la troisième section du recueil) et à transgresser une identité originelle, définitivement défunte.

Ces conflits intimes se retrouvent dans les marques de l’espace paginal. En effet, l’Odyssée poétique du bateau ivre des peuples évoluant sur les rapides de l’Histoire (avec la récurrente image du voilier) s’avère une dérive cauchemardesque, dont témoignent la délinéarisation du vers, ainsi que sa spatialisation — qui laisse place au blanc de l’hésitation, de l’inquiétude et renvoie au dialogue non résolu entre des voix contradictoires. L’espace du poème demeure endigué en haut de page : à l’image du banni, crispé sur ses tourments, incapable de respiration ouverte et libre, bloqué dans la temporalité enfermante de la division, antichambre de la folie.

Si la structure des versets en « strophes » binaires est la plus fréquente, on note l’existence de groupes ternaires (voire quaternaires), entrecoupés de phrases en italiques (voix en dialogue). Cette présentation visuelle laisse apparaître un espace tiers, l’imagination d’« aubes nouvelles » (139), de « l’inaugural » (137) — et fait sauter la très symbolique « digue18 du déserté, celle du dedans » (126), la plus dangereuse — puisqu’elle enclôt le banni une seconde fois (au-delà des frontières et des murs de la honte) : à l’intérieur de lui-même.

Le verbe de Morsy est en effet pris dans une tension qui l’écartèle, l’entraînant tantôt vers une parole rimbaldienne, relevant de l’ivresse rebelle et de la vision échevelée19, tantôt vers « la mesure des verbes » (118), mesure apollinienne savamment reconquise, où l’image vient combattre le logos : « si l’image regimbe / la raison neuve la module » (139). Un équilibre et une harmonisation de courants divergents paraissent s’imposer : « tant de fièvres churent dans les rets du logos » (92). Morsy rêve ici à un âge d’or de la pensée, à une forme de beauté dont la maturité serait âprement reconquise20.

Le poème se présente comme le lieu d’un combat spirituel qui réalise la difficile transmutation de l’aliénation en liberté : s’il s’exprime dans un « vieux langage neuf » (133), parfois concassé ou rendu ivre, l’espoir s’inscrit au cœur même de la langue poétique, creuset d’une identité désaliénée (« Tu es langue à revenir », 21), émergeant du « partage trouble des eaux » (29). Le Phénix, c’est la langue miraculeuse du poème, où se mêlent le je et le nous, dans un espace spirituel sans dieu(x), propre à une humanité visionnaire, créatrice de son propre destin. Comme la figure mythique, il est une sorte d’androgyne (65) qui accepte les caractères fécondants du même et de l’autre dans l’édification de sa personne. Morsy, indiquant certains dangers qui accompagnent l’usage du langage poétique, institue sa poétique en méta-poétique.

De la crise du langage vers une langue substantielle, imaginale et métis

Une grande suspicion règne effectivement sur les ambiguïtés du langage. La langue, en tant qu’espace commun, constitue une source de confusion : ainsi les homonymes sont‑ils déclarés « pervers » (147) et la langue « fourchue » (144). Cette dernière, comme toute source, est susceptible d’être polluée. Et le poète, parfois contesté par les siens, de connaître « le faisandé de la flexion » (146). Ainsi la débâcle morale, antérieurement constatée, a-t-elle pour correspondance la décomposition du langage, avec son « désastre de syllabes débandées » (60). Seul le « chant de l’Enchanteur » (111), si souvent affamé par ceux qui sont spirituellement sourds, semble pouvoir rédimer la langue, « pourri(e) par vos jeux fades » (118).

C’est pourquoi, le nid odorant de brindilles d’aromates que se construit le Phénix symbolise le désir de dissoudre les formes anciennes du langage. Ce « nid » recoupe analogiquement le « tissu », la « trame », « l’écheveau », la « tessiture », la « texture » (145) et la « forêt de mots » (68) : Morsy y met le feu, comme le Phénix à son nid, immolant à la fois la mémoire traumatique, ainsi que les données aliénantes de l’histoire, afin de communiquer au monde « le poème de la folie fertile » (121). Car le monde est langage : la Cité est dite « paradigmatique » (138), le Verbe est vivant, clone du Phénix dans son processus de mutation, « l’anamorphose du verbe aux ailes brisées » (146). Si le verbe est malade (« verbe en quarantaine », 62), c’est que le monde est devenu cataclysmique : « quand s’effondraient par pans les lexiques » (145). Mais inversement, l’écrit poétique prend une valeur capitale, puisqu’il pourrait bien être question, au cœur de la rébellion poétique, de réécrire magiquement « le palimpseste maternel » (141), « adorn(é) de sarments diacritiques préserpentés21 ».

Car — clair miroir où se reflète la confuse réalité humaine — tout ce qui a lieu dans le grand réel trouve un écho dans les drames du langage poétique, qui est traité comme une matière sensible22. Dans l’anatomie subtile des poètes, le langage est un aliment immatériel, qui possède cependant une saveur : c’est ainsi que Morsy dit apprécier « le frugal aoriste » et « la pulpe du futur antérieur » (146). C’est ainsi que le matériau langagier et les tropes en viennent étonnamment à représenter, selon une esthétique abstraite, les soubresauts de l’histoire événementielle ou personnelle.

Le langage poétique devient terre de vision, terre de résurrection. Choses et êtres, sur la terre imaginale d’où rêve Morsy, fusionnent et deviennent des équivalents des mots : « et c’était merveille de fondre / l’inconnu en tropes équivoques / le regard écoutant la neige calcinée / la langue ludique sertissant / des Èves mulâtresses entre consonnes gutturales […] » (141). Le cri sourd de l’oiseau de l’éther s’entend ici en sourdine, à l’intérieur du langage, comme ces consonnes qui claquent, expressions sonores du tourment du poète.

Ce dernier réside dans l’incapacité (plaisir et torture mêlées) de promouvoir un chant univoque, ne parvenant pas à éviter l’équivoque — que symbolise le monde intermédiaire et infernal — dont la diphtongue, en tant que son duel, constitue l’écho sur le plan du langage : ainsi « l’appel » des « maquisards du futur » (101), qualifié de « diphtongué » (16), demeure ambigu ou incertain. Car la tessiture du langage est toujours « hybride » (145). Pris entre le compromis et l’isolement superbe, il n’y a, semble-t-il, pas d’autre choix que de s’arranger avec le « duel », car ce serait là une détermination ontologique : « l’ordre de l’Unique fomente le duel / ouvrant licence au périssable » (77).

Sorte de réverbération de la nature ontologique duelle de l’humain, un réseau lexical fourni (en partie déjà nommé) relatif à l’Ambidextre, au double, au duel (« ta race duelle », 134), au jumeau, aux « deux fleuves » (131), aux deux rives (celles de la Méditerranée, qui reprennent la double origine de Morsy) cohabite conflictuellement avec l’Un, l’Unique, l’orphelin23, l’androgyne, le couple « découplé » (65). À travers ce réseau d’antonymes, qui entretient une tension irrésolue dans le recueil, on lit l’aspiration vers l’impossible et absolue pureté du Phénix. À l’Est, pôle d’un langage auroral, correspond la posture éthique du très chaste Phénix — qui reflète lui-même la posture spirituelle intransigeante de Morsy.

De cette connaturalité de la quête spirituelle et du langage, matière fondamentale de la réalité poétique, découlent trois conséquences.

D’abord, la forge poétique rappelle le feu alchimique de l’Athanor qui, du bûcher, fait un lit sur lequel opère l’œuvre au noir. Le langage, comme le Phénix, autorise un passage par l’indifférenciation des formes vers un élément tiers, autre, inassimilable aux minerais qui le constituent. D’autre part, le bloc poétique de Morsy, mêlant des éléments d’oralité et les imbriquant à des considérations très écrites, constitue un conglomérat langagier, dont l’alliance conflictuelle est source de création identitaire.

Ensuite, Morsy convoque une métaphysique de la lettre : l’ultime parole chaque fois déploie son origine ; il effectue un travail symbolique sur les lettres alpha et oméga, « l’oméga fils servant de l’alpha » (91). L’alpha se reconstitue à partir de l’oméga, parvenu à une radicale altérité par rapport à ses origines. Ce paradoxe rejoint la transgression, évoquée préalablement, qui permet un passage « Par l’Alif et l’Oméga » (105), vers le même et pourtant tout autre, comme le Phénix renaissant de lui‑même.

Enfin — ultime conséquence — de l’acceptation de la métamorphose découle une poétique singulière : porte-parole des peuples « damnés » par les puissances impérialistes, Morsy construit sa poétique autour du contact des langues, dont la coprésence dans le recueil (français, allemand, anglo-américain, arabe24) entretient un lien symbolique avec la figure du Phénix : l’aigle impérial(iste) constitue, en ce sens, un anti-Phénix, un réinvestissement, dans le contexte historique, de la puissance spirituelle de l’aigle mythique. On peut y lire, de façon directe, son soutien aux peuples du Sud qui sont écrasés, économiquement mais aussi culturellement et langagièrement, par les puissances du Nord. Cette poétique à caractère socio-linguistique / politique reprend les intérêts de l’auteur pour la diplomatie et la géopolitique, évoqués plus haut, mais aussi pour les questions interculturelles.

Émergence d’un imaginaire interculturel des langues

Cette poétique du contact des langues explique de nombreux phénomènes langagiers du recueil, de même que le travail du texte par l’imaginaire de la métamorphose.

Ainsi la ville de Grenade est tantôt nommée en français, tantôt en arabe (Gharnât), tantôt dans les deux langues ; les villes d’Orient (Moyen et Extrême) se côtoient (Djakarta, Port Saïd, Vietnam et Quounayt25, 46), ou celles d’Orient et d’Occident (Gharnât, ‘Ayn al-shams, 41). Morsy, par ces imbrications, entraîne une confusion sur les frontières d’un espace planétaire qui, tout entier, concerne le poète : c’est ainsi que peut s’entendre le jeu de mots sur « il y a » et la ville dénommée Ilyà26. L’espace du poème est en gestation, à partir d’un no man’s land, d’un lieu introuvable, d’une patrie à venir. C’est ainsi également qu’un espace utopique est à rêver entre les mots, une nidification à envisager dans l’imaginaire buissonnier des langues.

Par ailleurs, on constate que les poèmes qui possèdent des titres, sont soit traduits en deux langues (français / arabe), soit sont matérialisés par une lettre de l’alphabet arabe. Le traitement qui est fait de cet « alifabécédaire » (143) est significatif : ce mot valise indique la constitution d’une interlangue (entre alif, première lettre de l’alphabet arabe et la déclinaison de l’alphabet français) où se concrétisent à la fois les possibilités de mixité entre les langues et les limites qu’y posent les hommes. En effet, on y trouve des lettres qui tantôt figurent des sons communs27, tantôt des sons communs à deux langues seulement28, tantôt des sons spécifiques de l’arabe29. Des espaces de symbiose demeurent possibles, mais des spécificités identitaires ou culturelles empêchent d’aller au-delà d’un syncrétisme, en ce sens que chaque composante peut refuser de fusionner avec l’autre.

Ce travail sur les lettres illustre la méditation de Morsy en direction d’un communautaire destin planétaire, auquel donne aussi à penser l’œuvre universelle du Phénix. Morsy pense sa poésie comme un laboratoire où il essaie des significations inédites et témoigne de la réflexion socio‑linguistique et socio‑poétique actuelle, relative aux implications imaginaires et identitaires du contact des langues.

On retrouve des phénomènes similaires dans les traductions de l’arabe au français qui sont (ou non) données par Morsy : le titre des sections est traduit littéralement, à l’exception de « Lointains », traduit en arabe par « Rosée » (variation poétique ou écart ?). À la page 143, un vers arabe est traduit en français, et un autre en ancien français (non traduit) cohabite avec l’arabe, manifestant une foi en l’intercompréhension poétique. Parfois, au contraire, des mots interviennent dans le texte français sans traduction30 : intercompréhension supposée ou non-mixité ? Encore une incertitude, liée aux réticences des hommes à métisser leur identité.

Le monde en décomposition trouve un plan d’analogie avec les constituants de première et seconde articulation de la langue, renvoyant ainsi à un travail sur la materia prima du signifiant, qui n’appartient plus à la sphère historico-idéologique — fortement sollicitée au plan des significations. Ces constituants basiques, antéprédicatifs, subissent un puissant travail de malaxage, comme une pâte que le boulanger fait lever — donnant l’image langagière d’un monde en gésine, d’un monde chaotique en réorganisation. Ce tohu‑bohu atteint la langue française qui, mêlée au franglais, semble avoir perdu son identité et son pouvoir de faire sens, tant ses valeurs et sa culture, qui donnent cohésion à la langue, paraissent entrées en déshérence : les jeux de mots soulignent ce retour à une indifférenciation première, voire à une forme aiguë de confusionnisme31.

Chambardement des langues et bouleversements de l’histoire entrent en consonance autour de l’idée d’une dés(organ)isation généralisée. La langue, notre corps communautaire en souffrance, symptôme majeur de la crise, subit une littérale décomposition. Au cœur de ce cataclysme, Morsy tente de reconstruire un corps collectif, à l’identité ouverte. La langue, réverbération et reconfiguration du monde, est l’ultime lieu d’où il puisse renaître de ses cendres. Mais la décomposition est aussi un espace de fusion, d’où miraculeusement peut apparaître l’or — qui est la terre de renaissance, désespérément espérée, d’une humanité régénérée.

Voici le Phénix grinçant de Morsy, tel qu’il transparaît en filigrane dans ses poèmes, où une certaine dérision se mêle à la foi d’un alchimiste : que peut en effet encore la parole du poète dans un univers de violence et de folie auto-destructrice ? L’espérance réside dans l’oméga, dans le toujours radicalement autre du Phénix renaissant — et non dans l’alpha, qui figure la nostalgie de l’origine mythique.

Dans son interminable saison en enfer, Morsy s’obstine à chercher, non pas une tierce voie conciliatrice des binarités antinomiques32 qui ne soit pas un retour vers l’anté-historique, vers les origines33 mais vers une « Oumma », spirituelle et cependant non-confessionnelle : une communauté poétique improbable ; telle est l’infernale quadrature à laquelle il se soumet34. Selon la tradition universelle des mythes cosmogoniques, de l’Un surgit la dualité ; Morsy lutte avec cette énigme et paraît vouloir faire retour, à partir du duel et du pluriel, à une univocité paradoxale, est harmonieusement irréconciliée avec elle-même.

***

L’ombre du Phénix plane sur La Pente, Les Crépuscules et confirme notre analyse, qui avait pour objectif de souligner l’existence d’un rayonnement ombreux du mythe, plus puissant que l’actualisation de mythèmes académiquement répertoriés. La méditation poétique du recueil de Morsy, pliée autour de l’hypotexte enfoui du mythe du Phénix, met en lumière à la fois son étonnante vivacité et son impressionnante capacité d’adaptation — mais aussi la profonde originalité de la poétique de Morsy, dont la tonalité s’avère être d’une grande complexité. Mêlant en effet dénonciation et incertitude, révolte et espérance, apocalypse et renaissance, elle indique une aspiration (transgressive) à renverser un ordre établi, tantôt inique comme l’aigle impérialiste des dominants, tantôt veule comme l’albatros des dominés.

Sa poétique se construit ainsi autour d’une tentative de rééquilibrage entre deux images déformées et insatisfaisantes de l’aigle mythique — comme il tente par ailleurs de réduire la « fissure de deux âges » (Gués du temps, 53) ou, intrinsèquement au paysage marocain, de réaliser la « suture entre l’erg et la mer » (ibid., 61). Se démarquant des modèles et de l’imaginaire d’un Occident présenté sur son déclin, elle s’exprime ici dans une esthétique baroque, tant les plans énonciatifs, temporels et référentiels sont interpénétrés, dans une coexistence problématique (mi-conflictuelle, mi-harmonieuse). Elle comporte des aspects chaotiques et volontairement inachevés, à l’image du tohu-bohu originel : son poème est un chaudron en ébullition où la (re)création d’un monde est en train d’opérer, confirmant son inscription dans une sorte de néo-cosmogonie. Poésie et mythe, à partir d’une réflexion polémique sur l’histoire, ont retrouvé ici leur commune origine.

En dépit de ses nombreuses ambiguïtés, le Phénix est chez Morsy le patron d’une triple révolution : historique, morale et poétique. Il structure en creux l’imaginaire crépusculaire du recueil, exprimant la hantise d’un retour à l’aurore et l’espoir ardent que cesse l’éclipse du soleil de la justice. La figure du Phénix, au caractère altier et intouchable, recoupe l’acte de création, complexe et conflictuel, que le poète effectue, de façon permanente, dans l’Athanor de la langue de l’autre et d’un imaginaire singulier — rendant sensible un imaginaire politique du contact des langues. Sa convocation confère toute sa cohérence à cette poétique, en devenant aussi principe explicatif d’une destinée, à la fois singulière, communautaire et universelle. Ses paroles enflammées sont le bûcher où s’éliminent les scories et se purifie un destin maudit, laissant émerger des « cendres » (29) une lueur aurorale.

En définitive, comme le pressentait Michaux, le Phénix apparaît ici comme une figure tutélaire du travail poétique. Dans l’herméneutique du mythe, davantage que le mythème de la renaissance infinie, Morsy retient le brandon de révolte que le poète tend pour activer tous les nécessaires incendies qu’il convient à l’homme d’allumer pour tenter de se dépasser. L’oiseau divin prend parfois, on l’a vu, la coloration, noire et flamboyante, de la révolte luciférienne ou prométhéenne. Ainsi s’exprimait aussi Artaud, cet incendiaire / incendié de l’imaginaire : « Le Poète est celui qui s’exprime en paroles de feu. » (Artaud, 1977, p. 55) Et de préciser : « J’étais prêt à toutes les brûlures et j’attendais les prémices de la brûlure, en vue d’une combustion bientôt généralisée. » (Artaud, 1987, p. 57) C’est pourquoi la signification révolutionnaire de l’oiseau sublime pourrait bien s’avérer être la condition même d’une régénération du monde. La poésie, langue incinérée, espace symbolique où s’immole le Phénix pour opérer son alchimie spirituelle, est le lieu où le poème, instance transpersonnelle où communient les citoyens du monde autour d’une commune espérance : celle de le métamorphoser radicalement. Cette interprétation, Zaghloul Morsy l’avait puissamment affirmée, en notant que pour lui le Phénix était avant tout puissance de transgression, source secrète de sa poétique.

En définitive, la pourpre du Phénix, comme les ailes de l’archange empourpré, pourrait bien refléter, par réverbération, la violence de l’incendie, prélude à un nouveau monde, auquel tant de relégués et de réprouvés aspirent, en leur nom s’institue sa parole, conférant au recueil les couleurs d’une nostalgie mystique : dans la révolution solaire en cours, les flamboyances épiques du crépuscule de l’histoire viennent exactement se superposer aux lueurs de l’aurore d’un matin nouveau — « pour qu’enfin l’homme fuse » (Gués du temps, 27). Et le « soleil récusé » de se « prend(re) à tenter / ton pas de danse sur terre reconquise » (Gués du temps, 53), et la mort de retrouver le visage de l’enfance.

Bibliographie

Abdelkader Yamna, « D’un soleil réticent du poète Zaghloul Morsy : le verbe d’un veilleur, mémoire d’“un astre donné pour mort” », dans Eidôlon, La fin des temps, no 57, Bordeaux 3, 2000, p. 373‑383.

Artaud Antonin, Nouveaux écrits de Rodez, Paris, Gallimard, 1977.

Artaud Antonin, Les Tarahumaras, Paris, Folio, 1987.

Michaux Henri, Émergences, Résurgences, Genève, Skira, 1972.

Morsy Zaghloul, Gués du temps, Paris, L’Harmattan, 1985.

Noureddine Bousfiha, Poésie méditerranéenne d’expression française, Paris, Fasano, Schena/Nizet, 1991.

Stétié Salah, Carnets du méditant, Paris, A. Michel, 2003.

Stétié Salah, Hermès défenestré, Paris, José Corti, 1997.

Notes

1 Toutes les citations seront données en référence à cette édition. Ainsi les chiffres présentés entre parenthèses après une citation correspondent à la page où elle se trouve dans l’édition donnée ici en référence. Retour au texte

2 Mme Abdelkader, auteur également de cet article, semble avoir, dans son argument, considérablement ouvert sa réflexion sur Morsy depuis 2000 ; elle montre comment le poète, dans La Pente, Les Crépuscules, accompagnant son « positionnement idéologique postcolonial », s’affranchit du modèle poétique français et définit ainsi une poétique inédite. Voir « Le pacte du parcours de lecture » (Actes du colloque de l’université de Calgary, mai 2009 — à notre connaissance non publiés à ce jour). On notera cependant l’existence, signalée tout récemment, d’un ouvrage universitaire (non consulté) qui traite partiellement de Z. Morsy : Musanj Ngalasso-Mwatha, Linguistique et poétique, Presses universitaires de Bordeaux, 2009. Retour au texte

3 Les « dieux », sans autre précision, sont évoqués à plusieurs reprises. Retour au texte

4 On notera que Morsy, refusant de figer l’interprétation du recueil autour de l’ordre linéaire (Amants, Lointains, Par‑delà les deux fleuves), propose au lecteur, dans la table des matières (à la manière d’un conteur) un second itinéraire qui donne de la souplesse à la construction des significations, laissées dans un flottement relatif : s’il n’est pas pertinent ici de développer ces variations, on notera cependant que cet itinéraire débute toujours par le poème « voici réplique de sourires » et se conclut par une vision synoptique qui embrasse le passé et le futur autour d’un présent décadent ; dans les deux itinéraires, un dernier coup d’archer épique est donné sur les peuples humiliés. Retour au texte

5 « Douanier et passeur, ambigu le poète, à cette frontière que sans cesse il garde et viole », note aussi S. Stétié (2003, p. 16). Retour au texte

6 Elle fait écho ici à la « sérénité crispée » de R. Char, que Morsy manifestement connaît bien, puisqu’il construit l’exergue de son second recueil à partir des vers de ce dernier — lequel, évoquant Nicolas de Staël, écrit : « ceux sur lesquels tes yeux s’abaissent dans le caduc et dans l’aride ». Retour au texte

7 À part, bien sûr, dans les lectures idéologiques du mythe : apothéose de l’empire romain ; assimilation du Phénix au Christ qui, comme lui, triomphe de la mort. Retour au texte

8 Ne faut-il pas y voir aussi une certaine revendication de l’outrance poétique, avec la convocation oblique de l’imaginaire rimbaldien du voyage et de l’ivresse poétique ? Retour au texte

9 « […] ivres d’un rêve héroïque et brutal » (J. M. de Hérédia). À ce sujet, on notera que la thématique de l’ivresse symbolique est plusieurs fois évoquée dans le recueil qui nous intéresse. Retour au texte

10 Chez Z. Morsy, apparaît à plusieurs reprises la notion de piège — tromperie ou écueil que l’on n’a su éviter, ou que l’on s’est tendu à soi-même : « piéger le ciel » (64), « piégé notre printemps » (81), « midi piégeant le siècle » (27). Mais là aussi demeure un mystère : on ne sait pas s’il s’agit d’une fatalité ou si la responsabilité en incombe à l’homme, entré dans le mensonge, ou perverti par « l’âge de l’injuste » (68) qu’il traverse. Retour au texte

11 On ne compte plus les mots porteurs de négativité (haine, oubli, regret, abolition) ni ceux, souvent dotés d’un préfixe privatif, renvoyant à la chute (échu, déchu, défaite, défolié, désarçonné, loqueteux). Retour au texte

12 Le poème suggère même un seuil inverseur qui peut s’interpréter (avec un peu d’audace) comme la Reconquista (« 487 ans »), les invasions arabes et l’âge d’or du monde musulman (« mille ans et demi »). Retour au texte

13 L’évocation de « l’âme inégorgeable / debout / sur nos cadavres napalmés » (112), oriente l’interprétation à la fois vers le caractère incréé de l’âme et vers les atrocités contemporaines (Sabra, guerre du Vietnam). Retour au texte

14 En témoigne l’expression « Ainsi en fut‑il » (90), laquelle, contrairement à la formule rituelle de l’acte divin créateur qui engage le futur, indique l’action d’un maléfice qui oblige à une perpétuelle rétrospection, piégeant le poète — comme Eurydice se retournant sur Orphée. Mais, selon une autre interprétation, cette même formule constituerait un refus obstiné devant ce qui serait ressenti comme un oukase divin, équivalent d’une malédiction ou d’une prédestination. Retour au texte

15 « Dans le Neutre / Toi et moi / parmi eux, étrangers » (95). Retour au texte

16 Cette formule est aussi celle de Michaux ; étonnante consonance. Retour au texte

17 « Je » est cependant infiniment énigmatique ; il est le même et pourtant un autre, à l’image du Phénix re‑né : « je ne suis pas des vôtres / la clé-dieu est sous le seuil » (103). Retour au texte

18 Mais la « digue » construite « face à l’Apocalypse » (125), « la digue frontalière » (125), qui a pour corollaire « la digue du déserté / celle du dedans / au cœur des racés » (126), semble aussi remplir une autre fonction : faire obstacle à l’indigne et à l’ignoble. Retour au texte

19 Un « langage dément » (90), « pulsant des rêves exorbitants » (83). Retour au texte

20 Au sein de l’action poétique, se manifeste alors une forte concordance entre l’ordre corporel et l’ordre cosmique : « J’avais piégé l’informe / et le monde émergeait à l’infinie maturité / Mon souffle et mes cheveux innervés à la sève / l’esprit du monde flamboyant nu » (92). Retour au texte

21 Mais les pleins et déliés ornementaux de l’écriture, concernant les enluminures et les arabesques de l’écriture arabe, pourraient aussi signifier la conception d’un poème aux « syllabes évidées » (145), au verbe creux — que Morsy décrie, comme détournement de la puissance poétique de la langue. Retour au texte

22 « […] écossant les vocables de sa langue » (144). Même lorsqu’il l’appréhende dans son immatérialité, cette dernière conserve un toucher mental : « l’insubstantielle consonne toute hérissée d’accents » (144). Retour au texte

23 « […] j’ai choisi d’être orphelin » (131). Retour au texte

24 Je remercie ici chaleureusement mon étudiante libanaise Maya Hanna qui a traduit pour moi toutes les notations du recueil en arabe. Retour au texte

25 Capitale du Golan occupé. Retour au texte

26 Mais ils n’ont pas tous un caractère ludique : ainsi cet écho interne entre les pages 69 et 114 à propos de Mallâh (ghetto juif des villes du Maghreb, où se pratique la salaison des têtes des suppliciés) et Ma(ch)allâh (interjection signifiant : « par les grâces divines »). Retour au texte

27  = y.  = b.  = r. Shîne = “ch”. Retour au texte

28 Thà = « th » (dur de think). Dhàd = « th » (doux de the). Khà = « ch » allemand. Retour au texte

29 D’had / Hamza = équivalent de la cédille. Retour au texte

30 feddân : « arpent » (121) ; ghourabà : « étranger » (147) ; H’azirâne : « mois de juin ». Retour au texte

31 Ainsi le sens émerge, par ricochet, d’une langue sur l’autre : « mettre en Peace » (47 : pour « mettre en pièces ») ; « is notre proof Sion » (« profession », mais ce sabir peut aussi se reformuler en « preuve de notre sionnisme » — lequel caractériserait un projet assumé de destruction, au nom d’un mensonger désir de paix). Retour au texte

32 Cf. l’ambiguë notation, plusieurs fois reprises : Never Terza (115). Retour au texte

33 Ainsi, faisant écho à l’« Ancêtre déchu », et comme concession à la tentation, se trouvent convoqués les peuples arabes originels (« les ‘Âd et Thamoûd », 130) et le poète anté-islamique T’arafa ben al’‑Abd (13). Retour au texte

34 Pour sa part, le poète libanais Salah Stétié l’envisage ainsi : « Il veut, pour mieux tuer l’Un, sortir du deux afin de se faire trois, et l’Hermès Trismégiste, Thot lui‑même, n’est pas satisfait de son destin : au bout de ses expérimentations et de ses algèbres, ce qu’il veut, c’est le quatre, c’est la quadrature du cercle qu’il veut. » (Stétié, 1997, p. 278) Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Claude Fintz, « L’imaginaire du Phénix dans La Pente, Les Crépuscules de Z. Morsy. En attente de la révolution solaire », IRIS, 34 | 2013, 107-129.

Référence électronique

Claude Fintz, « L’imaginaire du Phénix dans La Pente, Les Crépuscules de Z. Morsy. En attente de la révolution solaire », IRIS [En ligne], 34 | 2013, mis en ligne le 31 janvier 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1926

Auteur

Claude Fintz

Université Grenoble Alpes, CRI, F-38040 Grenoble

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