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Ce numéro est composé de trois volets. Le premier propose des approches théoriques de la poétique de l’imaginaire, le second est entièrement consacré à la thématique de l’odeur, le dernier publie la présentation de travaux de jeunes chercheurs de l’imaginaire.

La critique de l’imaginaire s’est beaucoup appuyée sur la notion d’archétype, d’espace, et sur la question de la perception du monde. Trois poéticiens revisitent d’une manière critique chacun de ces éléments fondamentaux.

Corin Braga propose de faire la genèse de la notion d’archétype, et pour pouvoir rendre compte des systèmes étrangers à cette notion, il associe voire dépasse cet invariant thématique et formel par deux autres concepts novateurs, l’anarchétype et l’eschatype. Partant de l’idée que l’archétype est ancré dans des sociétés liées à des récits fondateurs, C. Braga s’intéresse aux sociétés, aux cultures ou aux récits détachés de cette relation fondatrice, privés d’une structure, de l’élection d’un modèle. L’anarchétype serait comme un contre-archétype, rebelle aux thèmes et aux formes prédéterminées, présent notamment dans ces univers imperméables aux structures, aux prédéterminations et envahis par la fragmentation et la dispersion dont l’anarchétype serait le signe. L’eschatype serait un archétype qui se constituerait non en amont de l’œuvre qui le prendrait comme modèle, mais en aval, ou pendant son développement : au final, une fois constitué et élaboré cet eschatype deviendrait un archétype et pourrait être désigné comme tel. L’archétype n’est donc plus l’élément initial et fondateur, ni l’aune de tout récit et imaginaire, il peut être constitué a posteriori, voire disparaître au profit d’éléments variables et mouvants.

Bertrand Westphal s’intéresse quant à lui à la question de l’espace : nous tenions à demander au fondateur de la théorie de la géocritique comment son modèle conceptuel de lecture de l’espace pouvait ou non croiser les travaux de Gilbert Durand, puisque tous deux proposent justement de ne plus donner au temps le primat de l’imaginaire. B. Westphal expose sa propre lecture des Structures anthropologiques de l’imaginaire, en soulignant certains éléments problématiques de cet ouvrage, liés aux choix conceptuels de G. Durand, ou en regard d’autres penseurs qui ont participé après 1969 à l’histoire de la critique de l’espace ou de l’imaginaire. B. Westphal souligne la part finalement réduite du lieu en tant que tel des Structures, l’étrange silence de G. Durand sur le chronotype bakhtinien qui aurait pourtant apporté un certain enrichissement aux héritiers de la critique de l’imaginaire. Il signale aussi le renversement durandien de la théorie de G. Bachelard, et démontre surtout la tentation d’universalisme dans la volonté de G. Durand de relier les cultures entre elles au travers des notions d’espace, d’identité — tentation dont le lecteur habitué aux travaux d’Iris pourra aussi apprécier la possible pertinence. En cela, B. Westphal souligne, d’une manière plus nette encore que C. Braga, l’apport qu’il juge essentiel de Gilles Deleuze dans l’étude de la représentation, des espaces et des cultures et, par là, les limites de la notion d’archétypologie : C. Braga met à distance le seul recours à l’archétype, justement postulé par G. Durand, et propose, comme en écho à B. Westphal, d’identifier le rhizome deleuzien à son anarchétype. Il ouvre ainsi la voie à d’autres représentations dénuées de structure et de cadre, rebelles aux interprétations durandiennes. B. Westphal va plus avant dans la convocation de G. Deleuze et son invalidation des structures durandiennes : en s’interrogeant sur les relations de l’individu à l’espace, G. Deleuze aboutit à la nécessité de définir l’espace dans les territoires mobiles qui le composent, faisant du lieu un ensemble d’éléments hétérogènes qu’on ne peut unifier, et ainsi totalement à l’opposé de la doctrine durandienne et de sa vision homogénéisante de l’espace. Vision qu’on ne peut plus reprendre pour sienne, une fois persuadé de la pregnance de la pensée deleuzienne. Seul point de jonction possible entre la théorie de l’imaginaire durandienne et la géocritique, la métaphore apparaît pour B. Westphal comme le point d’aboutissement de l’imaginaire, et justement aussi comme une ouverture possible sur une ligne de fuite, hétérogène et plurielle, défiant toute tentation d’universalisme.

Hervé-Pierre Lambert permet quant à lui de revisiter la notion d’imagination, cette « folle du logis » que souhaitait réhabiliter G. Durand. L’élément visuel, justement central dans la théorie durandienne, repose sur une conception traditionnelle de la représentation qui le considérait bien souvent comme le centre du monde imaginaire. En rappelant comment les neurosciences ont bouleversé notre conception des modalités perceptives, notamment dans la découverte des déficiences dont peuvent être victimes nos sens, H.‑P. Lambert montre l’importance du sens olfactif : en amont de ces découvertes, le pressentiment de Marcel Proust quant à l’incidence du sens olfactif sur le fonctionnement de notre psyché et de notre mémoire montre l’importance dans l’imaginaire littéraire moderne du parfum ; en aval, H.‑P. Lambert explique aussi l’influence de ces découvertes scientifiques sur les fictions contemporaines. Nous n’imaginons plus aujourd’hui comme avant et notre univers imaginaire se trouve construit au travers d’un sens dont on ne doit pas négliger l’incidence.

C’est précisément pour cette raison que nous avons choisi de consacrer ce numéro à la question de l’odeur, et notamment du parfum pour montrer la force de l’imagination mue par ce sens olfactif. Ce dernier autorise la convocation, aux côtés des études de poétiques de l’imaginaire, d’autres disciplines qui se sont intéressées aux mêmes objets qu’elles, la représentation du monde et ses déformations humaines, et nous avons joint à chaque article une importante bibliographie sur la question. Le parfum a d’abord dans l’univers du sacré une signification symbolique que l’historien médiéviste Jean‑Louis Benoît retrace. Il nous permet de recenser toutes les formes d’odeur (parfum, encens, liquides balsamiques) et leurs multiples origines célestes, physiques ou matérielles, tangibles ou immatérielles.

La langue quant à elle est moins prolixe et l’odeur semble être justement le « parent pauvre des couleurs ». Le grand chercheur en linguistique générale, Georges Kleiber, expose minutieusement les noms et faux noms des vocables olfactifs, et souligne le paradoxe du faible nombre de mots qualifiant ces odeurs, ce qu’il nomme le « silence olfactif nominal ». Le linguiste explique cette absence de noms en s’appuyant sur des éléments linguistiques, culturels au sens large et neuroscientifiques. Il recense ce faisant les possibilités auxquelles on a recours dans la langue pour désigner plus spécifiquement les odeurs malgré ce défaut des odoronymes.

L’étude thématique se conclut par deux entretiens. Le premier consiste en un dialogue avec le neuroscientifique Jean‑Louis Millot. Nous l’avons interrogé sur l’apport de l’étude de l’olfaction dans l’étude du cerveau humain, et l’incidence de ce sens sur le fonctionnement de notre mémoire et de certaines maladies. Le parfum ou l’odeur font l’objet de mesures et leurs traces ne sont plus évanescentes, mais bel et bien signifiantes à plusieurs niveaux. Le second entretien, réalisé par notre spécialiste en sciences de la communication, Patrick Pajon, propose la vision d’un créateur de parfum, un « nez » de Channel, Christopher Sheldrake. Nous l’avons interrogé sur la manière dont se créait un parfum, dont il était perçu et C. Sheldrake nous fait ainsi entrer dans son imaginaire et découvrir des territoires olfactifs cachés.

Le numéro s’achève sur les articles de deux jeunes chercheurs de l’imaginaire, Salvatore Grandone et Isabelle Perrier. S. Grandone tente de comprendre la conception des rapports entre l’image et l’imaginaire, en s’appuyant sur les apports d’Edmund Husserl, Gilbert Durand et Jean‑Jacques Wunenburger. Notons que le jeune chercheur permet de développer la fécondité de la notion de « conscience d’image » et de montrer sa genèse. I. Perrier consacre ses travaux à la science-fiction, et montre la relation existante entre le mythe et cet univers comme l’évolution de l’imaginaire des technosciences passé de la conquête spatiale à la représentation d’une nouvelle post-humanité.

Le numéro se termine sur une série de comptes rendus livrés par le directeur d’Iris, Philippe Walter.

References

Bibliographical reference

Véronique Adam, « Éditorial », IRIS, 33 | 2012, 5-7.

Electronic reference

Véronique Adam, « Éditorial », IRIS [Online], 33 | 2012, Online since 17 octobre 2021, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2046

Author

Véronique Adam

Université Toulouse 2 – Le Mirail

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