Les frontières du corps sont intimement liées à la notion d’alimentation. La période allant de la Renaissance à l’âge baroque, berceau des premiers humanistes, est notre premier champ d’évaluation de cette idée. Pour Montaigne, la pensée humaine se construit en effet grâce à ce qu’on appelle, dans les traités d’éducation, l’innutritio, se nourrir du savoir d’autrui. Si l’on ne s’y arrête pas plus avant, cette image, croisant la fonction du corps vivant et la formation de l’esprit humain, passerait pour une métaphore filée, poussée à l’extrême par les humanistes, convoquant au côté de l’aliment, la digestion, l’ingestion, le ventre. Or, au moment où justement le verbe « nourrir » renvoie enfin à l’ingestion d’un aliment concret, l’alimentation se double d’une représentation de l’aliment, symbolique, devenant signe même de l’humain, instrument de définition du groupe social, dans les lectures anthropologiques ou dans les croyances populaires : la nature et la manière de s’alimenter révèlent la nature de l’être humain. L’alimentation serait ainsi à la fois symbolique, imaginaire et réelle. Elle ne peut pas être comprise littéralement si l’on veut y trouver les limites du corps et de l’humain. On le sait depuis l’apparition des Cannibales dans les champs d’études (de Montaigne, encore, à Lévi-Strauss), ce qui paraît le plus inhumain, dévorer un homme, peut aussi révéler l’humanité cachée des « sauvages ». Manger l’autre, c’est aussi l’honorer.
Cette étude voudrait donc examiner les frontières du corps imaginaire dans sa relation à l’aliment, en s’appuyant sur un corpus écrit au moment où la métaphore de l’innutritio et la force symbolique de l’aliment se croisent : des textes de traités de médecine et de cuisine du Moyen Âge au xviie siècle, outils de travail des humanistes, des textes littéraires de la Renaissance ou de l’âge baroque, tragiques, satiriques ou didactiques mettant en scène l’alimentation réelle ou imaginaire de l’aliment animal et du corps humain. Autant de clefs pour apercevoir la pérennité de la vision humaniste et post-humaniste du corps alimenté dans notre société actuelle. Une étude linguistique montrera comment la métaphore alimentaire et l’évolution des mots de son champ lexical délimitent les premiers contours du corps alimenté et lui impose d’abord une place dans l’espace de la table. Une approche médicale viendra en préciser les frontières internes et externes et les relations contradictoires qu’il entretient avec les maladies alimentaires et l’aliment lui‑même qui lui compose son propre lieu, au dedans et au dehors. Enfin, ce sera au corps social, dans une approche sociologique, d’être marqué et délimité par cette relation à l’aliment et à la viande en particulier : traduite tant dans l’organisation de l’espace, comme dans le regard sur l’animal à manger, elle dessine les frontières sociales du corps du mangeur.
Les mots de l’alimentation
Se nourrir, éthique alimentaire
Le dictionnaire de La Curne, recensant les vocables du moyen français et du début de la Renaissance, ne voit dans le verbe nourrir qu’un synonyme d’instruire. C’est au courant du xvie siècle que l’on commence à lier ce verbe à la nourriture concrète. Ce phénomène sémantique va de pair avec les réflexions des humanistes sur la manière de manger, de se tenir à table, de faire bien l’homme. Ainsi Érasme, dans un traité d’éducation, explique que :
Il faut prendre garde de ne donner du coude à celui qui est proche de toi et de ne donner du pied à celui qui est assis à l’opposé. […] Il y en a qui n’ont pas le loisir d’être assis à table pour mettre la main au plat et prendre des viandes, c’est faire comme les loups affamés et comme dit le proverbe de ceux qui tirent des chaudières et marmites, dévorent les viandes des bêtes avant qu’elles soient immolées. Garde toi de porter ta main au plat le premier, non seulement pour ce que cela argüe ta gourmandise, mais aussi pour autant qu’il y a du danger. […] Afin que l’enfant s’accoutume de bonne heure à commander à ses appétits, il faut qu’il s’arrête quelque temps sans toucher aux viandes. […] Tremper ses doigts dans les sauces, c’est le propre des gens de village. (Érasme, 1613, p. 45)
Manger impose donc une position au corps, un bon usage aux membres et un respect des frontières du corps d’autrui. Se nourrir devient ainsi le signe d’une sociabilité à l’œuvre. L’attitude du mangeur construit à partir de son corps et de son être une image à trois niveaux : reflet de son âme puisque le contact avec l’aliment peut l’assimiler ici à un homme ou à une bête sauvage, le loup ou un paysan, elle traduit aussi sa bonne digestion du savoir proposé par Érasme et marque symboliquement une harmonie entre la belle âme et le corps nourri en toute sociabilité. La saleté et l’impropriété des gestes du mangeur se confondent avec une laideur morale ou une ignorance intellectuelle, liant l’animalité, la profanation et la rustrerie. Si les frontières et les manières du corps alimenté engagent l’âme, le corps vivant repose sur une articulation entre le foie, le cœur et le cerveau, le mangeur doit tracer ses propres limites pour se définir comme digne d’un monde humaniste.
La nourriture peut alors être le lieu d’une distinction et d’une séparation du corps et de son environnement et joindre aux délimitations morales des marques spatiales. Le repas décrit par Érasme n’est plus directement un partage, comme si l’humanisme se détachait d’un symbolisme religieux du repas. Ainsi, paradoxalement, le temps pendant lequel le mangeur doit respecter des règles de civilité (ne surtout pas incommoder l’autre) correspond au moment où l’espace du corps individuel se marque davantage : Érasme indique qu’il ne doit ni partager son tranchoir (sorte de tranche de pain sur laquelle on pose ses aliments), ni toucher son voisin de table, ni même toucher l’aliment : volonté hygiéniste de ne pas souiller l’aliment de l’autre, de se protéger contre les maladies des autres, de retenir ses désirs, de marquer son rang et sa culture. Manger en maîtrisant son corps, l’espace et son devenir.
La viande, le vivant et le mort
Se nourrir ne fait donc pas seulement vivre, mais fait bien vivre. Cette éthique de la nourriture est à rapprocher de l’évolution du mot viande qui nous renvoie au lien paradoxal des vocables de l’alimentation à la vie et à la mort, et finalement aussi au comportement à avoir devant un aliment vivant ou mort.
Le Viandier, cet ouvrage français de la fin du xive siècle, passant pour le premier livre de cuisine, propose une recette de « viande de carême » où l’on ne voit que des poissons, des œufs et des légumes :
Viande de Carême
[…] Prenez anguilles, et en ôtez les têtes et les gelées, et les queues aussi, et broyés bien le [restant] avec safran défait d’un peu de vin blanc. (Taillevent, 1515, p. 31)
La viande, la vivenda, est donc littéralement et étymologiquement ce qui sert à maintenir la vie, et désigne tout ce qui est comestible (légumes, poisson, bœuf, volaille, etc.). La Renaissance va restreindre le mot au sens moderne, « la chair des animaux comestibles », et c’est « l’aliment » (terme existant depuis le xiie siècle) qui recouvre alors les acceptions médiévales de la « viande », concurrencées par la « substance » qui désigne la chair, les tissus du corps. Ce qui paraît plus intéressant encore est que la viande renvoie de fait à un animal mort, et s’oppose alors à son sens étymologique, tandis que la chair ou la substance renvoie à un animal vivant. Érasme insiste sur la nécessité de ne pas manger un animal vivant pour éviter de se comporter comme un animal. Cet ajout à son éthique alimentaire le rapproche des anglophones : ceux‑ci marquent une scission nette entre les animaux morts à manger et les animaux vivants ; ils utilisent ainsi le mot mutton pour désigner le mouton lorsqu’ils mangent et sheep pour l’animal vivant. Cela naît sans doute de la même distinction comportementale que relève N. Vialles dans son travail sur les abattoirs : elle oppose les « zoophages » aux « sarcophages », ceux qui ont besoin de voir dans l’aliment le vivant et de l’y reconnaître, à ceux qui préfèrent ne voir qu’une substance non identifiable, sans chair vivante (Vialles, 1987 et 1988). Il s’agit au final moins de considérer ce qu’on mange, que son état. Montaigne se fait l’écho de cette nuance :
Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant, qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhenne, un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu [que] de le rôtir et manger après qu’il est trépassé. [On pensait qu’]il n’y avait aucun mal de se servir de notre charogne, à quoi que ce fût, pour notre besoin, et d’en tirer de la nourriture comme nos ancêtres étant assiégés par César […], se résolurent de soutenir la faim de ce siège par les corps des vieillards, des femmes, et autres personnes inutiles au combat […]. Et les médecins ne craignent pas de s’en servir à toute sorte d’usage, pour notre santé. (Montaigne, 1588, I, xxxi)
Tout corps mort, qu’il soit humain ou non, peut être mangé pour vivre ou survivre. En revanche, manger un corps vivant est barbare. Mais la distinction est rendue caduque par l’apparition des corps perçus comme faibles (vieillards, femmes) qu’on peut manger aussi, alors qu’ils sont encore en vie. Le corps vivant est donc seulement celui qui « est plein de sentiments ». Ce regard humaniste sur le cannibalisme et cette relation permanente de l’éthique alimentaire avec la vie et la mort peut contredire totalement l’analyse de R. Barthes sur les tableaux d’Arcimboldo et en particulier Le Cuisinier (1570), représentant une tête entre deux plats, formée de deux cochons de lait, tous symétriques, permettant de renverser l’image, et d’un poulet :
L’impression est d’autant plus dégoûtante que cette tête est formée de substances comestibles : elle devient alors, à la lettre, immangeable : le poulet et le poisson tournent au déchet de poubelle, ou pire : ce sont les rebuts d’un mauvais restaurant. Tout se passe comme si, à chaque fois, la tête tremblait entre la vie merveilleuse et la mort horrible. Ces têtes composées sont des têtes qui se décomposent. (Barthes, 1982, p. 137)
R. Barthes aperçoit dans le portrait de mauvais aliments, immangeables. Or Montaigne voit la charogne comme comestible. Le cuisinier, faute de pouvoir nourrir, se donnerait lui‑même en plat. Cette figure symbolise parfaitement l’univers imaginaire du lexique de l’alimentation, puisqu’elle fait de ce cuisinier, une viande, mixte de vie, sensible dans ce visage animé, « plein de sentiments » et d’aliments morts (poulet cuit), elle‑même posée entre deux plats, et prête à être mangée. La réversibilité de l’image appuie ce va-et-vient entre la vie et la mort de l’aliment, qu’importe sa nature humaine ou animale. L’incorporation de l’animal dans une partie du corps du cuisinier le métamorphose en aliment et laisse pressentir un autre phénomène à l’œuvre dans l’imaginaire de l’alimentation : la contamination de celui qui mange par ce qu’il mange. Nous y reviendrons plus loin. Pour l’heure, l’aliment semble savoir, dans les vocables alimentaires, délimiter l’humanité en la plaçant en regard d’une triade formée par l’animal, la vie et la mort, dont le mot viande condense tous les sens. Il propose dans ce tableau du « Cuisinier », une forme d’incorporation littéralement superficielle.
L’incorporation de l’aliment : l’innutritio
La question de l’incorporation de l’aliment et la métaphore de l’innutritio sont ainsi poussées à l’extrême et rendues sensibles et tangibles : le cuisinier sait comment cuisiner et montre d’une manière très particulière le savoir dont il s’est nourri. Ce qui étonne, du reste, est que ces aliments qui le composent soient dans sa tête et non dans son ventre, extériorisés ou laissés hors du corps et non intériorisés. On pourrait y lire ce va-et-vient des images alimentaires entre ce qui nourrit littéralement et cette innutritio métaphorique, signe d’une intelligence, et ce d’autant plus que les aliments visibles d’Arcimboldo, au contraire d’autres tableaux, sont cuits. Il y a alors comme un écho dans cette peinture aux débats sur le mode d’ingestion du savoir : pour Montaigne, l’enfant doit digérer son savoir avant de le restituer, car
C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée : l’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme, à ce qu’on lui avait donné à cuire. (Montaigne, 1588, I, xxv)
Le chirurgien ne fait pas autre chose chez Mondeville : il doit
[…] mâcher leurs sciences pour les élèves ignorants, ruminer deux puis trois fois pour qu’ils puissent l’avaler facilement […], ne pas cacher la moelle et la saveur intérieure de la science (Mondeville, 1306‑1320).
L’intériorisation du savoir et sa transformation dans le ventre de l’élève de Montaigne se distinguent de la double ingestion-digestion de Mondeville, du précepteur puis de l’étudiant qui reçoit un aliment prédigéré. Au lieu de ne songer qu’à ce qui est essentiel dans l’aliment (son suc, sa moelle), Montaigne préfère l’aliment entier et sa transformation par le propre corps de l’élève. C’est du reste le sens même de l’essai : c’est une expérience — elle consiste à « tâter » dit Montaigne — et il désigne aussi un petit flacon dans lequel on met du vin comme échantillon.
Pourquoi Montaigne refuse‑t‑il la rumination du précepteur ? Une hypothèse, rebattue, suggérait sa volonté que l’enfant ait un accès direct au savoir. Plus intéressante pour notre propos, serait l’idée qu’on assiste à une modification de la vision du corps. Mondeville, comme chirurgien, postule une certaine maîtrise du corps et ce faisant, du savoir sur ce corps. Chez Montaigne, au contraire, le branle universel du monde atteint le microcosme qu’est le corps et le savoir même. Il constate le caractère incontrôlable à la fois du corps, des ses organes, de ses membres :
Je vous donne à penser, s’il y a une seule des parties de notre corps, qui ne refuse à notre volonté souvent son opération, et qui souvent ne s’exerce contre notre volonté. Elles ont chacune des passions propres, qui les éveillent et endorment, sans notre congé. À quant de fois témoignent les mouvements forcés de notre visage, les pensées que nous tenions secrètes, et nous trahissent aux assistants ? Cette même cause qui anime ce membre, anime aussi sans notre sû, le cœur, le poumon, et le pouls. […] Nous ne commandons pas à nos cheveux de se hérisser, et à notre peau de frémir de désir ou de crainte. La main se porte souvent ou nous ne l’envoyons pas. La langue se transit, et la voix se fige à son heure. (Montaigne, 1588, I, xxi)
Que pourrait donc redonner le précepteur de sa rumination ? On voit ainsi tout le paradoxe de l’innutritio qui demande la maîtrise d’un savoir par le biais d’un processus, l’incorporation, dont on constate le caractère incontrôlable. On tente alors de distinguer la nutrition figurée, le raisonnement, (repos, clarté, contemplation) de la nutrition littérale, la décoction (bruit, désordre, vapeurs nombreuses qui troublent l’esprit). C’est ce que propose J. Huarte, allant même jusqu’à lier le déséquilibre alimentaire et le déséquilibre de la raison et de l’intelligence (Huarte, 1565).
La troisième explication de ce refus de Montaigne de la rumination du précepteur naîtrait d’un recentrement sur l’individu, déjà notable chez érasme, et de son refus du partage alimentaire : on ne peut donc ruminer pour autrui d’autant qu’on oublie soi‑même son propre savoir, ce que déplore Montaigne, prétendant ne nous livrer justement qu’un savoir brut, indigeste et donc en cela absolument pas ruminé. L’élève doit lui‑même manger ce qu’il est capable de transformer.
Que nous sert‑il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère, si elle ne se transforme en nous ? Si elle ne nous augmente et fortifie ? (Montaigne, 1588, I, xxv)
Seule demeure de la rumination chirurgicale la nécessité d’intérioriser l’aliment dans sa panse, filant la métaphore de la vache, sorte d’alchimie nécessaire du corps et de l’aliment pour qu’il soit digérable et énergisant. Cette intériorisation de l’aliment, qui nous fait passer de la bouche de Mondeville au ventre de Montaigne, rend autonome l’enfant qui apprend, en faisant disparaître les limites entre aliment et corps et la nature même de l’aliment qui doit se métamorphoser en trace visible sur le corps de son passage. C’est le corps qui montre le bienfait de l’aliment et sa bonne digestion, qu’elle soit réelle ou métaphorique. Peut‑être est‑ce cela qui dégoûtait Barthes chez le cuisinier : le caractère intact des aliments en lieu et place d’un visage humain disparu derrière son repas.
Le travail sur l’imaginaire de l’alimentation et son expression passe donc par le constat de la porosité symbolique de la frontière entre le corps qui mange et qui pense et l’aliment, qu’il soit littéral ou figuré. Il entre en dialogue permanent avec la définition du lieu du mangeur qu’il place dans l’espace de la table, qu’il sépare de l’aliment réellement (ne pas le toucher), symboliquement (animal mort et non vivant) et à qui il impose une transformation interne et visible de ce qui est mangé dans ses viscères1.
Les maux du corps alimenté
L’approche médicale ne fait que préciser cette porosité et la symbiose entre le corps et l’aliment.
L’équilibre alimentaire
La théorie des quatre humeurs, empruntée à Galien, est encore diffusée tout au long du xvie siècle. Les textes littéraires et historiques gardent l’idée que le corps fonctionne dans un équilibre des humeurs, sang, bile, bile noire et lymphe. Tout dérèglement, toute prédominance de l’une sur les autres provoquent des troubles, l’exemple le plus connu étant la mélancolie entraînée par excès de bile noire. Évidemment, l’ingestion d’aliment peut créer des troubles d’autant plus que la théorie des humeurs entre en correspondance avec la présence des quatre éléments dans le corps : la terre, l’eau, le feu ou l’air le rendent respectivement sec, humide, chaud ou froid. L’aliment est donc inversement choisi aussi pour soigner un déséquilibre provoqué à l’intérieur du corps comme par le temps qu’il fait qui agit sur les éléments et la température du corps. Un médecin, J. Fuchs, explique, dans un discours étonnamment proche des découvertes millénaires de la médecine chinoise :
[Qu’]en chaude maladie, faut viandes froides ; en froide, viandes chaudes ; en humide, viandes sèches. Donc viande humide sera convenante à celui duquel le tempérament est humide. […] En automne, faut user de viandes un peu plus abondamment, et qu’elles soient un petit plus sèches qu’en été, et convient moins boire et avec moins d’eau. (Fuchs, 1578, p. 182)
Rabelais lui fait écho en conseillant de
[Manger] des viandes plus dessicatives et exténuantes [quand il pleut] afin que l’intempérie humide de l’air communiqué au corps par nécessaire continuité fût par ce moyen corrigée. (Rabelais, 1534, chap. xxi)
Le livre de cuisine poursuit, comme le livre de médecine, cette pensée d’un équilibre des contraires pour assurer la santé du corps : il explique comment modifier la teneur des aliments pour corriger leur excès de sec, froid, chaud ou humide. On peut ainsi corriger les corps morts des animaux pour assurer la vie des corps humains. On précise du reste que l’opération n’est possible qu’une fois l’animal mort grâce au mode de cuisson :
En général les pigeons et pigeonneaux ont la chair de qualité chaude et humide, et enflamment le sang. Pour les corriger, les ayant saignés, on les doit faire bouillir avec eau et verjus, ou les mettre en pâte avec aigrets ou citrons, principalement pour les colériques. (Fuchs, 1607, p. 32)
Ainsi, on assiste dans les réflexions sur l’alimentation à un jeu complexe entre le corps intérieur qui ingère, l’élément du dehors ingéré et, par contamination, l’espace qui englobe corps et l’aliment2. La vision médicale moderne de l’aliment passe aussi par la mise en évidence des micro-substances qui le composent (protéine, sucre, vitamine, probiotique et autre bifidus actif). Néanmoins, l’aliment ne se confond pas encore avec un médicament mais le concurrence, tandis qu’aujourd’hui on invente des aliments-médicaments, les alicaments : l’aliment pour Mondeville et les médecines de la Renaissance apparaît meilleur pour rétablir sa santé que le médicament : « Ceux qui sont guéris par des aliments sont plus facilement ramenés à leur tempérament, que ceux que l’on guérit par des médicaments. » (Mondeville, 1306‑1320) À cet aliment s’ajoute éventuellement la potion, « un moyen plus violent que la diète » et la chirurgie « avec la main du corps humain, […] plus violente que les autres ». L’avantage de l’aliment semble résider dans sa capacité à transformer le corps de l’extérieur sans lui faire violence : la potion est purgative et évacue violemment ce que le corps a digéré, le chirurgien le coupe, alors que la simple ingestion de safran, et des épices en général, suffit à corriger le teint malade ou pâle du malade.
Le corps malade, du bœuf hongrois à la sainte
Ce lien entre l’aliment ingéré et ses effets sur l’apparence du corps sont alors poussés à l’extrême et aboutit dans cet élan imaginaire à des dérives : on corrige l’apparence de l’aliment pour soigner ou changer le corps. Les légumes verts (que l’on conserve) doivent être extrêmement verts. On décide alors de les cuire dans des bassines de cuivre. Le vert-de-gris donne une couleur idoine mais empoisonne. Ce hiatus entre l’imaginaire et le réel, entre les besoins de verdure du corps et ce poison qu’il ne supporte pas (le métal oxydé), se fait bien au nom d’une confusion totale entre la forme de l’aliment et celle du corps. Les alchimistes interviennent pour faire cesser l’usage du cuivre (Ferrières, 2006, p. 321‑341)3. L’empoisonnement au vert-de-gris est difficilement acceptable dans la mesure où il provoque un trouble alimentaire, alors même qu’on donne à manger un aliment apparemment très frais. Plus communes sont les peurs immédiates découvrant le caractère contre-nature d’un aliment.
Deux exemples l’illustrent assez bien et l’on peut en voir la résurgence à notre époque. La « vache folle », dont on se met à parler dans les années 1990 mais déjà connue au début du xxe siècle, désigne une vache rendue malade par un aliment qui ne lui correspondait pas : la végétarienne mange des farines animales, à base de poissons eux-mêmes nourris avec de la viande. On parle alors bientôt de « farines contaminées », dans une sorte d’hypallage car seul l’animal est en réalité sujet d’une contamination transmissible à l’homme. Se confondent là l’aliment et le trouble qu’il provoque, et l’imagination populaire et médiatique y projette leurs effets. Le Moyen Âge avait la même phobie, plus morale cependant : si l’animal mangeait des ordures, il propageait cette ordure à celui qui le mange (Ferrières, 2006, p. 34). La question de la « vache folle » révèle néanmoins plus d’ambiguïté : dès la fin du Moyen Âge, on évoquait une maladie similaire apportée par le « bœuf hongrois », une race de bœufs particulièrement robustes. On ne sait la nommer : l’animal n’est pas qualifié de fou mais garde son origine géographique. Progressivement, elle est identifiée tantôt à la peste (récurrente pour le xviiie siècle), tantôt au typhus (au xixe siècle). Cet animal, robuste au point de pouvoir marcher des milliers de kilomètres, offrant une viande goûteuse et revigorante, fait surgir un paradoxe en incarnant littéralement et en provoquant une maladie touchant le bétail et le mangeur. Bon nombre de savants, rétifs à l’idée de voir dans cet animal puissant le signe d’un aliment dangereux, vont apporter l’hypothèse qu’il est contaminé parce qu’il a quitté son pays, hypothèse étonnante, qui développe donc un imaginaire de l’esprit national lié à des considérations politiques désireux de ne pas accuser peut‑être la Hongrie d’un mal survenu loin de ses terres.
L’imaginaire de l’anorexie témoigne tout autant des paradoxes de l’imaginaire alimentaire et du refus de voir la force de l’aliment démenti par la forme du corps qui l’ingère. Très présente dans les récits de saintes ou de religieuses (Corbin, 2005), l’anorexie offre en apparence un corps malade auquel s’ajoutent des plaies (des stigmates le plus souvent). Mais ce corps affaibli fait se rejoindre l’imaginaire médical, alimentaire et corporel qui se heurte à une pensée plus rationnelle : historiens et sociologues voient ce corps malade privé d’aliments comme le signe d’une révolte de ces religieuses. Contraintes de se marier et vouées à la cuisine, elles fuient dans un couvent et refusent d’être déterminées par le champ de l’alimentation, nourriture ou cuisine, et de voir leur corps comme objet sexuel (Corbin, 2005, p. 49). Une vision que ne retranscrit pas la littérature ou la peinture : le corps malade et anorexique ne renvoie ni à une dégradation physique, ni à une perte de l’aura symbolique de la femme. Malade, le corps féminin préserve sa beauté, et le déséquilibre qui le touche permet de rendre tangible ce qui n’était qu’une idée : la femme au teint blanc et distante, comparée à la neige froide, lorsqu’elle tombe malade, fond sous l’effet de la fièvre. Le déséquilibre des humeurs transparaît mais la beauté demeure, telle cette belle femme malade voyant fondre sous l’effet de la fièvre, sa « neige », signe de sa blancheur (L’Hermite, « La Belle malade », 1641). Dans les récits mystiques, le corps des saintes frappe les esprits parce qu’il reste rose et frais malgré les privations, et en ce sens sublime4. Le secret de beauté de ces femmes privées de nourriture est le « saint vinage », vin de messe, vin trempé dans des reliques de saint, ou goutte conservée du sang d’un saint. Elles le boivent et gardent ainsi leur couleur et leur santé en assimilant les couleurs du vinage et sa symbolique. Cette « anorexie sainte » (Bell, 1994) fait que miraculeusement elles ne meurent pas de leur anorexie puisqu’elles établissent une communion avec le sacré : leurs corps portent souvent des stigmates et, ce faisant, se nourrissent du sang divin. Le « ceci est mon corps » est donc assimilé dans son sens le plus littéral, puisque le seul aliment possible est ce corps symbolique du Christ, lui‑même double et modèle de ces saintes et de leurs plaies. Ainsi, le corps des saintes est transmuté dans le corps qu’elles ingèrent, qui les couvrent de plaies (une contamination ?), les nourrit et leur donne leur teint rose. La confusion entre l’aliment et le corps est totale.
Le sang et le lait
Le sang fait l’objet d’un traitement particulier dans l’univers imaginaire de l’alimentation et se voit souvent associé au lait dont il est le double : tous deux témoignent du rapport réflexif du corps à l’aliment : ils sont à la fois nourriture des saintes et des enfants. Ils sont produits dans le corps, l’un par l’autre : les médecins pensent que le lait maternel vient du sang et les alchimistes tissent cette même relation dans leurs symboles. Ces nourritures essentielles permettent de comprendre certaines réactions face aux maladies : au xvie siècle, une épidémie rend malades les chèvres et non leurs chevreaux (Ferrières). Comme pour les saintes et leur sang, le lait, frais et humide, donné au chevreau, tempère la maladie, qui assèche et endurcit le corps de leur mère. D’une manière générale, le lait et le sang rendent parfaitement compte de l’équilibre intérieur du corps puisque selon Mondeville, ils s’unissent pour équilibrer le sec, l’humide, le chaud et le froid. On trouve aussi des réflexions sur la circulation du sang où le foie ou le cœur (selon la théorie démontrée) nourrissent les autres organes et Ambroise Paré désigne justement le sang comme « une matière nutritive envoyée à toutes les parties du corps pour leur nourriture » (Paré, 1840, I, p. 110). Le lait vient ainsi nourrir à l’extérieur, le sang à l’intérieur. Cette symbiose de ces deux aliments renforce l’idée que l’alimentation est perçue dans une sorte de va-et-vient permanent entre le dedans et le dehors. Ils peuvent ainsi servir de symptômes au dérèglement du corps social : d’Aubigné, décrivant les guerres de religion, voit dans la transformation du lait en sang le signe d’une violence précisément parce que le lait dégénère, en revenant à son état premier intérieur, le sang, parce qu’on se dispute le lait nourricier en ensanglantant les corps. Dans une sorte d’hallucination collective, le corps mort et déchiqueté par la guerre va se recouvrir de lait perçu comme du « sang blanchi » (d’Aubigné, 1616, III, p. 1021 ; VII, p. 190). Dès lors que le lait et le sang ne se mélangent pas, le sang peut nourrir la terre et les hommes, et est alors désigné comme une « substance », un aliment abstrait et collectif.
La relation du lait et du sang est donc complexe puisqu’ils sont physiologiquement proches, mais doivent rester distincts l’un de l’autre pour éviter toute corruption. Le poète ajoute une autre distinction : le lait que l’on boit est souvent négatif et empoisonné, alors que le lait qui se répand est bénéfique. La même distinction revient chez Montaigne pour le sang qui a une portée dysphorique quand on le boit, mais est un signe d’héroïsme lorsque le soldat le verse pour son chef. Le mode de diffusion de l’aliment devient essentiel : versé par la plaie du Christ ou du soldat, il ravive les forces ; bu simplement, il se confond avec un poison dévastateur.
L’organisation du corps
Ces aliments vont ainsi tout naturellement traduire une vision du corps : l’oscillation entre le lait et le sang témoigne de la focalisation dans le corps sur deux organes vitaux, le foie (producteur du sang) et le cœur (relié métonymiquement au sein et au lait). L’imaginaire de l’alimentation à la Renaissance se focalise sur le ventre (relié au foie) d’autant plus facilement qu’on garde encore la pensée que le siège des émotions est le foie, comme le pensait Platon et comme on le comprend dans le mythe de Prométhée. Le ventre doit digérer et distiller les aliments. Avec Descartes et les premiers travaux sur le cerveau, on constate que c’est plutôt la bouche qui remplira la fonction du ventre, du foie ou du cœur : La Fontaine montre ainsi une certaine obsession de la bouche lorsqu’il s’agit d’évoquer l’alimentation (« Le Renard et la cigogne », le corbeau, son bec et le fromage, l’âne qui a mangé l’herbe du pré d’un moine, avec sa langue, etc.). Au contraire, quand on voit surgir la bouche dans les textes antérieurs à la pensée cartésienne, elle semble plutôt renvoyer à une certaine bestialité, au contraire du ventre dont on a vu plus haut qu’il était une métaphore de l’apprentissage du savoir (rumination, digestion). D’Aubigné voit ainsi des « dents qui pillent les forêts » et imagine une mère qui au lieu de nourrir son enfant le déchire de ses ongles (d’Aubigné, 1616 : I, p. 311‑318 et 559‑560).
Le corps humain se divise donc entre un pôle nourricier et humain intérieur, ventre, lait, sang et une ouverture sur l’extérieur plus animale, bouche, dents, ongles. La plaie vient jouer sur cette ambiguïté, mi‑ouverte, mi‑fermée sur le dehors, elle découpe le corps mais nourrit celui qui reçoit son sang et sublime le corps qui la porte.
La question de l’intériorité ou l’extériorité de l’aliment touche d’une manière plus générale l’évolution du regard sur l’animal à manger. Il met en évidence la question de la proximité avec l’animal mené à l’abattoir qui va progressivement être mis à distance, exactement comme on va éloigner les cimetières et les morts du cœur de la ville (Ariès, 1975). Une approche géographique et sociologique permet ainsi de préciser le lien de l’aliment avec le corps social en particulier.
Le corps animal et le corps social : la juste distance
Le lieu de l’animal
E. Leach classe les animaux en fonction de leur proximité avec l’homme, suggérant que les échanges des animaux avec les hommes définissent leur capacité à devenir des aliments. Il distingue, du plus éloigné au plus proche, quatre catégories : sauvage, gibier, domestique (animaux d’élevage) et familier (animaux de compagnie). Pour être consommable, un animal ne doit être ni trop proche ni trop éloigné. On ne peut manger la première et la dernière catégorie d’animaux. La fonction du rituel avant la mise à mort de l’animal, qui n’est pas seulement tué pour être mangé mais doit servir à autre chose (contact avec les dieux, etc.), entraîne et organise des rites d’éloignement (Poulain, 2005). On voit bien qu’on tente d’éviter la confusion de l’aliment et du corps qui se nourrit : on accepte dans l’imaginaire une identité possible apparente avec l’aliment, mais on refuse dans le fonctionnement social une proximité avec l’animal transformé en aliment.
La ville et l’abattoir
Les travaux de N. Vialles sur les abattoirs témoignent de l’importance de la notion d’espace : au xvie siècle, l’animal doit d’abord arriver vivant en ville, car l’homme doit pouvoir le voir tel avant qu’il ne soit tué. Le statut de viande est ambigu puisque l’animal est mort mais doit en même temps avoir semblé vivant peu de temps auparavant. Peu à peu, on éloigne l’animal, et l’abattoir se trouve placé à l’extérieur de la ville. Le corps qui mange doit être séparé de celui qui est mangé et qui n’arrive qu’à l’état de viande. Autre usage codifié par la cité, tout aussi ambigu : l’animal n’a pas le droit de sortir vivant de l’abattoir, il n’a pas le droit d’entrer mort dans l’abattoir ; il doit aussi mourir rapidement sans que son sang ne coule trop. Cette propreté de la mort (très souvent, on assomme l’animal) va de pair avec le langage qui désigne sa transformation : pour évoquer le découpage de l’animal, N. Vialles note que les termes utilisés en font un végétal aux yeux des habitants de la ville (on l’abat comme un arbre, on l’habille). Cette euphémisation linguistique de la mort, remplaçant l’usage carnivore par une pratique en apparence plus douce et la dissimulation de l’animal, au nom de règles d’hygiène, permettent en toute quiétude au mangeur de dévorer cette viande. Elle ne renvoie plus ni à une image du vivant, ni à un corps en sang.
Le nivellement social
Par extension, le contact avec la viande est lui aussi réévalué : on ne doit plus voir l’animal à abattre, de même que la viande ne doit pas être touchée par quelqu’un d’impur (une prostituée, par exemple) (Ferrières, 2006, p. 63). L’aliment devient le lieu d’un nivellement social, ce faisant. L’animal venu de la campagne mais restant aux portes de la ville trace une frontière entre ruraux et citadins, comme la viande le fait entre les gens de bonnes mœurs et les autres. C’est donc bien le corps social qui se structure dans la distance placée entre le mangeur et l’aliment. Le porc et le mouton restent des animaux ruraux qu’on refuse de voir en ville, alors qu’on accepte le bœuf, le veau ou la vache. Ceux‑ci restent destinés aux travailleurs de force, capables de digérer des animaux aussi robustes qu’eux, faits de substances dures et solides, tandis qu’on réserve les animaux des airs (volaille, oiseaux) aux groupes sociaux supérieurs ou intellectuels (Vigarello, 2005, p. 448). Les légumes se voient contaminés par cette répartition laissant les légumes et les fruits des airs pour les nobles (cerise, haricot) et les légumes et les fruits de terre pour les pauvres (carottes). Une des explications pour comprendre (voir supra) que les Anglais nomment leurs animaux morts différemment des vivants, est que les Anglais étaient pauvres, qu’ils ne mangeaient pas de viande, au contraire des Français. Les noms anglais de viande ont ainsi une origine française (mutton, beef), tandis que les noms d’animaux vivants sont d’origine anglophone (sheep, cow). La peinture trahit parfois du reste cette scission en représentant les nobles aux côtés d’animaux soit non comestibles (cheval, chien) soit sacrés (agneau), alors que les paysans sont représentés avec des animaux de trait comestibles (bœufs).
Les bons et les mauvais aliments trahissent aussi l’origine sociale et la silhouette des corps : on réserve dès le Quattrocento — la peinture italienne en témoigne — les animaux des airs et les fruits aux nobles, et pour les autres les fruits et les animaux de terre. Précisément les animaux de terre, tel le bœuf, au contraire de la volaille, ont une corpulence qui les identifie au travailleur de force. On prête à ce dernier une bonne digestion capable de recevoir des substances dures et solides.
L’imaginaire de l’alimentation de la période humaniste révèle de nombreux paradoxes dans la langue, dans la conception médicale ou dans la perception sociale ou psychologique des aliments, surtout dans la représentation du corps et de ses frontières du dedans au dehors. Le corps humain semble se structurer en fonction de l’aliment qui organise sa pensée, dessine son apparence et restructure son espace social et mental, au risque de créer des séparations plus ou moins tangibles dans l’architecture des groupes sociaux ou dans son identité propre. L’individu oscille ainsi entre une éthique alimentaire qui le place dans son rapport à l’autre dans un comportement réglé où le repas ne se partage plus et une relation duelle à l’aliment : il confond son corps en apparence avec cet aliment et y voit le remède à ses maux. Ce faisant, il pose une distance toujours croissante avec la source de cet aliment, la viande, préférant lui attribuer une place plus conforme à sa perception imaginaire qu’à la réalité gustative ou concrète de ses effets. Le lieu du mangeur est devenu l’ultime avatar de cette interrogation permanente sur l’espace alimentaire. Les sociologues au service du marketing ne s’y sont pas trompés, eux qui nous classent désormais en fonction de nos habitudes d’alimentation, plus que de consommation, du « célibataire campeur » à « l’urbain moderne », au « rural domestique », au « familial », au « bien installé », au « traditionnel âgé », entre « néophiles » (aimant les nouveaux mets) et « néophobes » (peur du nouvel aliment), on tente à tout va de redonner à l’aliment et au mangeur un lieu spécifique, différent pour chacun, mais qui n’en témoigne pas moins de la fonction étrange de l’aliment (Poulain, 2005). Ce dernier tend moins à nous empêcher de mourir qu’à définir notre place dans l’espace. Le corps se définit ainsi non plus par le savoir qu’il restitue mais par ses habitudes de vie. Son corps révèle son espace propre au gré des humeurs de ses appétits, à moins que ce ne soit, hélas, l’inverse.