Karin Ueltschi et Flore Verdon (dir.), Grandes et Petites mythologies I. Monts et abîmes : des dieux et des hommes

Reims, ÉPURE, 2020, 366 p.

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Karin Ueltschi et Flore Verdon (dir.), Grandes et Petites mythologies I. Monts et abîmes : des dieux et des hommes, Reims, ÉPURE, 2020, 366 p.

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Dans ce volume, qui est annoncé comme le premier d’une série, les directrices de l’ouvrage réunissent les travaux issus d’un séminaire et d’une journée d’étude qui s’étaient déroulés en 2018 et 2019 à l’université de Reims, dans le cadre du Centre de recherche interdisciplinaire sur les modèles esthétiques et littéraires.

L’objectif déclaré est de porter à la lumière la « petite » mythologie (niedere Mythologie, la formule est des frères Grimm), fruit des traditions populaires, et de relever les passerelles qui existent entre celle-ci et les domaines de la « grande » mythologie, antique ou biblique, par exemple.

Le volume est parfaitement équilibré, puisque les deux parties qui le composent comprennent sept contributions chacune : la première est consacrée aux figures mythologiques, tandis que la seconde explore les catégories de l’espace et du temps.

Le premier volet du livre, « Des dieux, des héros et des hommes », réunit les travaux du séminaire.

En étudiant les personnages de Zéphir et Proserpine dans Perceforest et Artus de Bretagne, deux romans arthuriens tardifs, Christine Ferlampin-Acher s’interroge sur les procédés de nomination des créatures de la petite mythologie d’après la grande mythologie. Elle montre que les romanciers ont su aboutir à une élaboration syncrétique de leur héritage culturel.

Ásdís Rósa Magnúsdóttir s’intéresse à la relation entre géants, revenants et angoisse dans la Saga de Grettir, un roman du xive siècle dont le protagoniste est un géant valeureux, mais effrayé par l’obscurité et hanté par les monstres qui surgissent de la longue nuit hivernale islandaise.

Pour Philippe Walter, les deux actions du nain tricoteur et fouettard dans le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes relèvent à la fois de la petite et de la grande mythologie, puisqu’elles évoquent, grâce au dieu gaulois Ogmios (p. 109), « la grande figure mythique indo-européenne spécialiste des liens et du liage ; son nom hindou est Varuna » (p. 107).

Dans l’étude qu’elle consacre à Mélusine, Laurence Hélix soulève la question du lien entre culture savante et culture populaire : la figure de l’effrayante sorcière appartenant au folklore païen devient ainsi matériau littéraire, sous les traits rassurants de la bonne fée.

Une autre figure à la lisière entre mémoire culturelle savante et populaire, Grisélidis, est l’objet de l’étude proposée par Marie-Dominique Leclerc qui retrace sa fortune littéraire et artistique. L’image de ce personnage, une bergère épousant son seigneur, puise à la fois dans la mythologie romaine et chrétienne et, par son obéissance exemplaire, elle donne naissance au mythe (misogyne) de la femme parfaite.

Galina Kabakova se penche, elle, sur un corpus de récits étiologiques slaves qui mettent en scène Satan et les figures diaboliques, une tradition qui relève de la « confrontation de Dieu et du diable lors de la Création » (conte-type 773 ATU). Ce système manichéen invite les lecteurs à éviter les œuvres du diable et à respecter celles qui viennent de Dieu.

Le centaure au miroir du Grand Siècle est le sujet traité par Bernard Teyssandier, qui remarque à cette période le passage d’une interprétation chrétienne, et donc morale du mythe (dans son « rapport au vice et à la vertu », p. 186), et d’une lecture politique (en tant qu’image du Prince « mi‑bête mi‑homme » chez Machiavel) à une approche poétique (dans une finalité mémorielle, par exemple), entraînant une circulation entre grande et petite mythologie.

Le deuxième volet de l’ouvrage, intitulé « Au carrefour de l’espace et du temps », regroupe les travaux présentés lors d’une journée d’étude consacrée à ce thème.

Thomas Nicklas examine les liens entre la grande mythologie allemande du Docteur Faust et la petite mythologie de Johannes Praetorius (xviie s.) au sujet du sabbat diabolique qui, dans Faust I (1808), se déroule pendant la « Nuit de Walpurgis », dans la contrée de Schierke et Elend, en direction du sommet du Brocken (Harz), considéré comme « un lieu de rencontre du diable et des sorcières » (p. 213) : un haut lieu de l’imaginaire géographique, conclut l’auteur, qui concentre « toute sorte de syncrétisme et de temps mêlés » (p. 222).

Un autre lieu mythique, la Montagne Noire des Carpates d’Ukraine, se trouve au cœur de l’étude d’Olena Berezovka Picciochi, lieu qui représente le carrefour des traditions savantes et populaires depuis les Gesta Romanorum jusqu’aux récits oraux recueillis au xixe siècle, qui en font « tantôt un monde intermédiaire du culte des ancêtres morts, tantôt un enfer sur terre » (p. 229).

Myriam White-Le Goff se penche sur la légende du Purgatoire de saint Patrick, qui s’ancre dans un autre paysage imaginaire médiéval situé entre traditions savantes et populaires. Elle en retrace l’histoire et la fortune, dans le but de mettre en évidence ses différentes filiations.

L’imaginaire géographique lié au récit de voyage de Marco Polo ne pouvait pas manquer dans ce recueil. Jean-Marie Fritz s’intéresse aux îles Mâle et Femelle que l’on trouve décrites dans le Devisement du monde, œuvre qui « se plaît bien souvent à déconstruire les stéréotypes occidentaux de la merveille » (p. 271). Image inversée de l’Amazonie, ce lieu devient une subversion de la subversion.

Marie-Dominique Leclerc consacre une seconde contribution aux pérégrinations calendaires et géographiques du Juif errant, un personnage mythique qui a connu une grande fortune. Bien que limitée au domaine français, l’étude de la légende fait ressortir un personnage-pont « entre passé et présent. […] Le Juif errant symbolise le cours linéaire, continu et irréversible du temps » (p. 297‑298).

Dans sa contribution sur l’enfondrement, Denis Hüe analyse les composantes symboliques des lieux qui, dans la littérature médiévale, engloutissent les personnages. Il en conclut que « l’enfondrement est toujours lié à la fécondité, au renouvellement des choses, au lignage comme à l’héritage » (p. 323).

Enfin, Flore Verdon examine l’imaginaire du royaume arthurien dans les romans de Chrétien de Troyes : les lieux et les temps construisent chez cet auteur un monde idéal utopique, mais qui est projeté dans un avenir réalisable, eutopique.

Un épilogue et quelques documents annexes permettent à Karin Ueltschi et à d’autres auteurs de présenter de manière stimulante les traditions liées aux figures de saint Nicolas et du Père Noël. Une conclusion aurait été bienvenue, permettant de rappeler les figures, les lieux et les temps forts du recueil autour des différentes traditions convoquées.

En dégageant les liens qui unissent les grandes et les petites mythologies, les études réunies dans ce volume offrent une riche contribution à la science de l’homme. Elles montrent que, comme l’écrit Philippe Walter, la grande et la petite mythologie « sont nécessaires l’une à l’autre, car elles s’épaulent et s’enrichissent de leur croisement » (p. 111).

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Référence électronique

Cristina Noacco, « Karin Ueltschi et Flore Verdon (dir.), Grandes et Petites mythologies I. Monts et abîmes : des dieux et des hommes », IRIS [En ligne], 41 | 2021, mis en ligne le 28 novembre 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2285

Auteur

Cristina Noacco

Université Toulouse – Jean Jaurès, PLH EA 4601, équipe Littérature et Herméneutique

Droits d'auteur

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