Bernard Emery, Les Moines pétrifiés ou la légende des Sarrasins dans le Sisteronais

Grenoble, UGA Éditions, coll. « Ateliers de l’imaginaire », 2020

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Bernard Emery, Les Moines pétrifiés ou la légende des Sarrasins dans le Sisteronais, Grenoble, UGA Éditions, coll. « Ateliers de l’imaginaire », 2020

Texte

Si l’hypothèse inaugurale avancée par l’auteur du présent ouvrage, à savoir que les vestiges d’une mosquée pourraient se trouver sous les fondations de la citadelle de Sisteron, se présente comme une boutade, voire une provocation, elle entre en résonance profonde avec l’entreprise réellement menée : proposer une archéologie de l’imaginaire du lieu, et plus précisément de la légende des Pénitents des Mées.

Bernard Emery analyse d’abord brièvement les sources littéraires concernant des moines pétrifiés juste avant de céder à la tentation suscitée par de belles Sarrasines. Reproduites en annexes, ces sources s’avèrent toutes tardives, puisqu’elles sont postérieures à 1892, alors que la matière du récit se situe vers la fin du xe siècle.

L’auteur s’attache alors à comprendre la mémoire mythique du lieu, dont il s’efforce de dégager les différentes strates : la mode orientaliste du xixe siècle réactive en effet les légendes suscitées par l’occupation sarrasine de la Provence au xe siècle, qui ont pu circuler malgré les « béances historiographiques » laissées par cette époque, récits qui eux‑mêmes reposent sur un substrat mythique qu’actualise la légende des Pénitents.

Bernard Emery consacre cependant l’essentiel des Moines pétrifiés à l’analyse des sources historiques. Il entreprend ainsi de démontrer, par un examen serré de sources latines, que la légende des Pénitents recouvre la réalité historique de la prise du bastion, qu’il suppose sarrasin, de Pierre Impie par Bevons en 973. Telle est « l’étincelle » historique d’où a jailli le feu de cette légende pour l’auteur.

L’ouvrage se conclut sur un déplacement, qui constitue aussi un retour à l’hypothèse initiale : l’analyse mythocritique et historique de la légende des Pénitents des Mées permet avant tout de révéler « le véritable mythe, lato sensu » qui sous‑tend ce récit, le mythe du Sarrasin, dont l’ouvrage montre le glissement dans la longue durée de la figure guerrière au pouvoir de fascination féminine, sans jamais perdre de vue la réalité historique qui vit les Sarrasins occupant la Provence du xe siècle vivre « comme tous les autres », ni plus belliqueux ni plus fervents religieux.

On comprendra donc que si l’auteur, dont l’érudition, le style alerte et l’humour rendent la lecture du présent ouvrage très agréable, ne prétend pas « produire une nouvelle histoire des invasions sarrasines en Provence », il entend éclairer les « Sisteronais de souche » comme ses autres lecteurs sur la richesse historique et mythique d’un lieu, commun aux Sarrasins et aux Francs d’Europe du Nord aussi bien. Sur ce plan‑là, les Moines pétrifiés sont une franche réussite.

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Référence électronique

Mathieu Dijoux, « Bernard Emery, Les Moines pétrifiés ou la légende des Sarrasins dans le Sisteronais », IRIS [En ligne], 41 | 2021, mis en ligne le 28 novembre 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2283

Auteur

Mathieu Dijoux

Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France

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