L’imaginaire, les neurosciences et l’olfactif : confirmations et extrapolations

  • Imagination, Neuroscience and Olfaction: Confirmations and Extrapolations

DOI : 10.35562/iris.2456

p. 37-51

Abstracts

La prise en compte de l’olfaction dans les sciences cognitives et les neurosciences a notamment permis de s’intéresser aussi aux dysfonctionnements de ce sens et d’examiner certains phénomènes linguistiques (inadéquation entre langage et odorat) ou littéraires (la mémoire proustienne). Neurologie et anthropologie semblent en arriver à la même conclusion sur l’inadéquation universelle entre le langage humain et les odeurs, à l’opposé de la relation entre langage et couleurs.

Cognitive sciences and neurology finally put the stress on olfaction and its dysfonctionalities. Their researches may explain linguistic phenomenoms (insuitability between language and odors) or litterary issues (proustian memory). Neurology and anthropology apparently conclude that there is a fundamental inadequation between human language and odors, opposed to language and colors’s subtle and narrow links.

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Les trois sens de l’olfactif

La révolution des neurosciences a modifié en profondeur nos conceptions des modalités perceptives. Pourtant, l’impact des neurosciences sur l’imaginaire lié à l’olfactif aussi bien dans le domaine littéraire qu’artistique est resté limité, à l’opposé de l’influence que purent avoir l’anthropologie sensorielle de Constance Classen et David Howes, et l’histoire des mentalités d’Alain Corbin1. Ainsi, l’art olfactif et les discours qui l’accompagnent font d’abord référence à l’anthropologie comme dans l’article de Jim Drobnick (1998, p. 10‑19) et dans celui de Caroline Jones pour l’exposition Sensorium qui présentait l’œuvre de Sissel Tolaas, une artiste conceptuelle « olfactivist » (Jones, 2006, p. 12). Les neurosciences ont d’abord étudié la modalité visuelle. Les découvertes essentielles sur le fonctionnement de la vision préalablement faites sur des singes, dans les années 1970, ont été confirmées pour le cerveau humain grâce à l’utilisation de la nouvelle imagerie médicale dans les années 1980. Dans l’histoire de ces découvertes, tout s’est passé comme si la dévaluation traditionnelle du sens olfactif dans les mentalités occidentales et la surévaluation de la vision avaient influé sur le rythme des recherches. Danièle Dubois et Catherine Rouby se font l’écho de ce déséquilibre :

L’étude de la perception dans les sciences cognitives est essentiellement centrée sur la modalité visuelle. Les odeurs, déjà assez peu étudiées en neurophysiologie sensorielle et en psychologie, sont encore moins présentes dans le développement des recherches cognitives. Si l’olfaction tient une place importante comme phénomène de mémoire ou de cognition dans l’univers littéraire, de « la Madeleine de Proust » au « Parfum » de Suskin, elle n’est la plupart du temps, dans l’espace scientifique, prise en compte que par les domaines très spécialisés de la chimie, le plus souvent à visée applicative (parfumerie, produits pharmaceutiques), ou par les sciences encore peu intégrées à la dynamique cognitive, telle l’anthropologie, l’éthologie animale ou humaine. […] De plus, parmi les recherches cognitives effectuées chez l’adulte et dans une moindre mesure chez l’enfant […], les paradigmes utilisés tentent de reproduire le cadre des recherches élaborées dans le domaine « visuo-verbal » et le projeter dans le domaine olfactif. (Dubois et Rouby, 1997, p. 9‑10)

Si ce système sensoriel reste encore en partie une terra incognita, des progrès considérables ont été faits en neurobiologie. Le chaînon manquant dans la connaissance de la perception olfactive, celui de la propriété des récepteurs, a été découvert grâce aux travaux de Linda Buck et Richard Axel. Leur article de biologie moléculaire, en 1991, récompensé par le prix Nobel de médecine en 2004, « A Novel Multigene Family May Encode Odorant Receptors: A Molecular Basis for Odor Recognition », expliquait le fonctionnement des récepteurs olfactifs. De même, ce sont des travaux dans un autre domaine que la physiologie de l’olfactif qui eurent un retentissement majeur sur la connaissance de ce système. Le bulbe olfactif allait être le théâtre d’une révolution paradigmatique qui bouleversa le dogme du non-remplacement des cellules cérébrales érigé par Ramón y Cajal, selon lequel l’on naissait avec un stock de cellules cérébrales qui ne faisait que diminuer. Dès les années 1965, Joseph Altman et Gopal Das du MIT avaient relevé la création de cellules nouvelles chez le rat adulte dans le bulbe olfactif et l’hippocampe, mais la nouveauté était trop révolutionnaire pour être entendue et il a fallu attendre la fin des années 1980 pour que l’équipe d’Elizabeth Gould observe la présence de neurogenèse dans l’hippocampe et le bulbe olfactif de singes primates. La même année une équipe américano-suédoise démontrait l’existence d’une neurogenèse dans le cerveau humain, éliminant définitivement un des dogmes des neurosciences : premier relais cérébral de l’information olfactive, le bulbe olfactif intègre de nouvelles neurones (De Chevigny et Lledo, 2006).

Alors que la conception traditionnelle occidentale avait divisé la perception en cinq sens — la vision, l’audition, l’olfaction, le goût et toucher —, le nombre de systèmes sensoriels recensé est maintenant plus élevé, pouvant aller jusqu’à la vingtaine, sans qu’un décompte définitif soit l’objet d’un consensus. D’ores et déjà un sixième sens — le sens vestibulaire — est aujourd’hui placé au même rang que les cinq sens traditionnels. Si l’olfaction et le goût sont à l’opposé de l’audition, de la vision et du toucher, des sens chimiques, ils sont rejoints aujourd’hui par un troisième système sensoriel chimique, le système chimiosensoriel trigéminal. « La détection des substances chimiques de l’environnement est assurée par trois systèmes sensoriels de la sphère bucco-nasale : l’olfaction (odorat), la gustation (goût) et le système chimiosensoriel trigéminal (pour les substances irritantes). » (Purves, 2005, p. 363)2 Ce troisième système chimiosensoriel mis à jour, le système chémosensible trigéminal « renseigne sur les substances chimiques irritantes ou nocives qui entrent en contact avec la peau ou les muqueuses des yeux, du nez ou de la bouche » (ibid.). Il existe encore un quatrième système sensoriel chimique, le système voméronasal. Il est présent chez une grande partie des animaux — les rongeurs, les carnivores comme les chiens et les chats —, mais son existence chez l’être humain, restée longtemps objet de polémique, n’est véritablement attestée que dans la période fœtale. Le système voméronasal a pour particularité de détecter des odeurs appelées phéromones, qui entraînent de la part de l’individu de la même espèce que celui qui les capte des réponses comportementales ou physiologiques immédiates parmi lesquelles des comportements sexuels3. Dans l’état actuel de la science, l’existence de phéromones humaines, réduites de surcroît à la seule fonction d’attirance sexuelle — le chimiotropisme sexuel —, relève d’extrapolations aux nombreuses retombées éditoriales et médiatiques. Cette découverte des neurosciences a provoqué ainsi l’apparition d’une nouvelle mythologie contemporaine. Dans un chapitre nommé « Les phéromones : les nouveaux agents secrets » d’un livre intitulé Comment devient‑on amoureux ?, on peut lire :

Ne pourrait‑on pas stimuler de manière artificielle les récepteurs des phéromones et des odeurs d’une personne qui reste insensible à nos odeurs et nos phéromones naturelles ? Ne pourrait‑on pas utiliser ces agents secrets comme un leurre à la façon de Cyrano de Bergerac prêtant sa parole poétique à l’insipide Christian sous le balcon de Roxane ? Si, on pourrait. (Vincent, 2006, p. 152)

Dans son article « Olfaction et processus sociaux », Benoist Schaal, en porte-parole de la majorité scientifique ou du moins du paradigme actuel dominant, récuse toute scientificité aux extrapolations sur les phéromones humaines. Mais, ajoute‑t‑il, les études actuelles sur l’importance de l’expérience olfactive chez le nouveau‑né, puis chez les enfants, et sur les potentialités olfactives de la communication chez les adultes montrent que la conception de l’« anosmisation » de l’homme, en particulier véhiculée par la psychanalyse, ne serait qu’« une représentation culturelle » (Schaal, 1996, p. 388).

En l’état actuel des recherches chez l’espèce humaine, aucune sécrétion odorante corporelle ne répond aux critères d’une phéromone. La valeur sémiotique des odeurs véhiculées par les sécrétions corporelles n’est nullement remise en cause pour autant celles‑ci sont détectables et transmettent des indices décodables. (Ibid., p. 411)

L’apologue neuropsychologique d’un dysfonctionnement du sens olfactif

De même que le sens olfactif reste moins prestigieux et moins connu que les systèmes visuel et auditif, de même sa perte ou ses dysfonctionnements n’ont pas connu les traitements cliniques ou littéraires consacrés à la cécité et la surdité. En introduction à un numéro consacré au sens de l’olfaction, les auteurs de la Revue internationale de psychopathologie écrivaient : « De tous les organes des sens, l’olfaction est peut‑être celui qui “parle” le moins en psychopathologie ; […] Il n’est que de comparer ce qu’on a pu écrire des hallucinations olfactives en regard de la littérature consacrée à celles touchant l’acoustico-verbal et le visuel. » (Holley, 1996, p. 243) L’anosmie est le terme désignant la perte de la sensation olfactive, l’incapacité à identifier une ou plusieurs odeurs familières. Ce déficit chimiosensoriel peut être congénital, ou la séquelle d’une maladie infectieuse, d’une inflammation des sinus ou d’un traumatisme crânien. L’anosmie peut également constituer l’un des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer et de Parkinson. Comme pour la vue et l’audition, le système sensoriel olfactif perd de son acuité avec l’âge mais, contrairement à ceux‑ci, sa perte peut aussi constituer une expérience familière lors d’une anosmie temporaire liée à un gros rhume. Les cas contraires d’intensification généralisée de l’odorat ou d’hallucinations olfactives — les hyperosmies — peuvent se rencontrer dans les crises d’épilepsie, les migraines à aura et les schizophrénies.

L’article d’Oliver Sacks, « Dans la peau du chien » dans L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, traite de deux cas opposés. Le premier cas est celui d’une hyperosmie, et le second d’une hallucination olfactive qui vient pallier une anosmie bien réelle. Le patient Stephen D. est présenté comme un étudiant en médecine âgé de vingt deux ans, consommateur de drogues, seule raison retenue au final pour expliquer son aventure temporaire d’hyperosmie :

Une nuit, il fit un rêve très précis : il rêva qu’il était un chien, évoluant dans un univers olfactif incroyablement riche et évocateur « l’odeur éternelle de l’eau qui ruisselle, la saveur liquide de pierres solides ». À son réveil, il se trouva justement plongé dans un tel univers. (Sacks, 1988, p. 203)

Sa vie est alors transformée par l’« exaltation de l’odorat » (ibid.). Le récit inclut de nombreuses citations du patient décrivant les effets de cette nouvelle condition surgie dans le rêve puis continuée dans la réalité, créant un univers étrange — comme souvent dans les récits de neuropsychologie — où le réel prend des allures fantastiques. « J’ai rêvé que j’étais un chien — c’était un rêve olfactif — et je me suis réveillé dans un monde infiniment odorant — un monde où toutes les autres sensations, si accentuées qu’elles puissent être, restaient pâles comparées à l’odeur. » (Ibid., p. 204) Entrant dans une parfumerie, l’étudiant aux pouvoirs olfactifs canins peut distinguer tous les parfums un par un, alors qu’il n’avait « jamais eu tellement de nez pour les odeurs » (ibid.). L’olfaction devient le sens prééminent de son rapport au réel. « Il était habité par l’impulsion de toucher et renifler tout. (Rien n’était vraiment réel avant que je ne l’ai senti.) » (ibid.) Son pouvoir olfactif transforme sa relation sociale. Tout en cachant cette attitude, c’est par l’odeur que le jeune médecin va dorénavant reconnaître ses patients, évaluer leurs émotions.

« J’entrais dans la clinique, je reniflais comme un chien et reconnaissais avant de le savoir, les vingt patients qui se trouvaient là. Chacun d’eux avait sa propre physionomie olfactive, beaucoup plus forte et évocatrice que n’importe quelle physionomie visuelle. » Il pouvait comme un chien, sentir leurs émotions — la peur, la satisfaction, la sexualité ; il reconnaissait chaque rue, chaque boutique, à son odeur, et, rien qu’à l’odeur, il pouvait reconnaître infailliblement son chemin dans les rues de New York. (Ibid.)

Le neuropsychologue Alexandre Luria, auteur du classique Une prodigieuse mémoire, dont le modèle d’écriture est revendiqué par O. Sacks, écrivait ainsi pour qualifier l’aspect prodigieux, fantastique et néanmoins bien réel d’un patient qui possédait à l’excès des capacités mentales, à la fois hypermnésiste et synesthéte, qu’il suivit pendant des décennies : « Nous suivrons la petite Alice à travers la surface froide du miroir, pour nous retrouver au Pays des merveilles, où tout nous est si familier et si proche, et en même temps si étrange et insolite. » (Ibid., p. 205) Trois mois après, le patient de O. Sacks, à la fois soulagé et attristé, perdit ses nouveaux pouvoirs sensoriels : « Je suis content d’en sortir, dit‑il, mais en même temps, c’est une perte terrible. Je sais maintenant à quoi nous renonçons en étant civilisés et humains. » (Ibid.) Seize ans plus tard, devenu docteur, ami et collègue de O. Sacks, il commente sans regret mais « avec une certaine nostalgie », « ce monde olfactif, ce monde d’odeurs, s’exclame‑t‑il. Si intense, si réel ! On aurait dit que je visitais un autre monde, un univers de perception pure, riche, vivante, autonome, pleine. Si seulement je pouvais parfois revenir en arrière et redevenir chien ! » (Ibid.)

O. Sacks tire une morale des conséquences de cette hégémonie sensorielle olfactive sur les capacités cognitives. C’était « un monde concret, d’une spécificité irrésistible, disait‑il, un monde d’une immédiateté, d’une signification immédiate écrasante » (ibid.). Le neurologue commente : « Plutôt intellectuel et enclin à la réflexion et à l’abstraction, il trouvait désormais la pensée, l’abstraction et la catégorisation difficiles et irréelles par rapport à l’irrésistible immédiateté de chaque expérience. » (Ibid.) Ce commentaire sur les conséquences cognitives négatives d’une hyperactivité d’une faculté mentale est à rapprocher à la fois des commentaires de A. Luria sur son patient hypermnésiste, mais aussi des commentaires de Jorge Luis Borges sur le comportement cognitif de son hypermnésiste dans « Funès ou la mémoire ». Les conséquences cognitives chez les deux hypermnésistes, le patient réel de A. Luria et le personnage fictif de J. L. Borges, sont analogues à celles du patient de O. Sacks à l’odorat exacerbé, tout comme à celles de l’artiste autiste étudié dans son même livre. La leçon que O. Sacks veut tirer de ces cas de performance mentale ou sensorielle prodigieuse, de « cette dualité pathétique des esprits où le prodigieux et le pathologique sont ainsi articulés » (Luria, 1995, p. 16) est qu’elle entraîne une incapacité à la généralisation et à la conceptualisation. À propos de l’artiste autiste, il écrit :

Ils ne vivent pas dans un univers, mais dans ce que William James a appelé un « multivers » constitué d’innombrables particularités, à la fois précises et passionnément intenses. C’est un mode de pensée tout à fait opposé à la généralisation scientifique, mais non moins « réel », bien que sa réalité soit radicalement différente. Borges a imaginé un esprit de ce genre dans l’histoire de « Funès ou la mémoire » lequel Funès ressemble beaucoup au « mnémoniste » de Luria. (Sacks, 1988, p. 291)

O. Sacks cite le commentaire de J. L. Borges sur les déficits intellectuels de l’hyper­mnésiste en raison même de l’excès de mémoire : « Celui‑ci ne l’oublions pas, était presque incapable d’idées générales, platoniques4. » (Borges, 1983, p. 258) C’est la même idée que O. Sacks décline pour l’hyperosmique. Celui‑ci fait aussi référence au traitement par la psychanalyse du sens de l’odorat. Il s’oppose à la théorie freudienne du refoulement du sens olfactif dû à la répression de la sexualité et à l’institution de principes civilisateurs (Le Guérer, 1996). Mais son opposition n’est pas celle d’un anthropologue5 ou d’un historien des mentalités, elle se fait au nom d’exigences cognitives. Observant que la désinhibition du sens de l’odorat n’a pas entraîné de « régression sexuelle chez son patient » (Sacks, 1988, p. 206), O. Sacks avance l’idée de l’universalité de l’inhibition et sa nécessité : cette inhibition universelle serait une nécessité cognitive. De son côté, A. Corbin nommait « préjugé platonicien sans cesse réaffirmé » (Corbin, 2008, p. 13) le courant traditionnel du dénigrement intellectuel de l’olfactif dans la tradition occidentale : « Victime de sa fugacité, la sensation olfactive ne saurait solliciter d’une manière durable la pensée. L’acuité de l’odorat se développe en raison inverse de l’intelligence. » (Ibid.) Annick Le Guérer souligne aussi : « L’odorat se voit également reprocher son impuissance à abstraire » (Le Guérer, 1990, p. 37) En expliquant un déficit cognitif par la présence de syndromes neurologiques d’excès — hypermnésie, autisme, hyperosmie —, O. Sacks semble offrir une version neurologique de ce « préjugé platonicien ».

L’inadéquation entre le langage et l’odorat : l’hypothèse neurologique

Smell […] is a highly elusive phenomenon. Odours, unlike colors, for instance, cannot be named—at least not in European languages. “It smells like…”, we have to say when describing an odour, groping to express our smell experience by means of metaphors. Nor can odours be recorded: there is no effective way of either capturing scents or storing them over time. In the realm of olfaction, we must make do with descriptions and recollections. (Classen, 1994, p. 3)

C’est un lieu commun de remarquer l’inadéquation entre les odeurs et le langage. Il ne s’agirait pas d’une faiblesse d’une langue ou d’une famille de langues, mais semble‑t‑il d’un fait universel, ce que Dan Sperber résumait ainsi : « Il ne semble exister dans aucune langue du monde une classification des odeurs, comparable par exemple à celle des couleurs. Les ethnolinguistes résument systématiquement les classifications des couleurs en classifications comportant souvent plusieurs centaines de termes ordonnés sous un petit nombre de catégories fondamentales (et sans doute universelles […]). » (Sperber, 1974, p. 127) La tentative de catégorisation des odeurs a donné lieu à des classifications, en particulier dans la parfumerie et en œnologie, sans qu’un système ne puisse être entaché de subjectivisme et d’arbitraire. À l’opposé des couleurs il n’existe pas d’odeurs primaires ou d’odeurs fondamentales. Force est de noter qu’« il n’y a pour l’heure aucune base cohérente permettant de discriminer les différents types d’odeurs sur la base de leurs propriétés physiques ou chimiques » (Richardson, 1989, p. 352) et que « les odeurs ne peuvent être rapportées à des catégories pures et indépendantes » (Le Guérer, 1990, p. 38). Au contraire, l’autre sens chimique — le sens gustatif — présente une liste de catégories primaires de saveurs même si elle a été revisitée. Elle comprenait de manière traditionnelle le salé, le sucré, l’acide et l’amer. Une cinquième catégorie a été rajoutée, l’umami, mot japonais signifiant « délicieux » et choisi pour désigner une catégorie manquante, correspondant essentiellement au glutamate monosodique qui donne la saveur des viandes cuites et des aliments riches en protéines. Au contraire, comme il a souvent été souligné, « les mots utilisés pour désigner les odeurs et les adjectifs employés pour les qualifier ne constituent pas un vocabulaire spécifique. Les odeurs sont très généralement rapportées à une substance, un objet, un lieu qui sont supposés à l’origine de l’odeur. Les odeurs sont “odeurs de …” » (Holley, 1996, p. 25). Les odeurs sont généralement désignées par leurs causes : odeur d’encens, odeur de café, ou par leurs effets : odeur plaisante ou désagréable. Alors que dans le domaine visuel, l’organisation cognitive des couleurs semble en adéquation avec les propriétés du stimulus exprimées en longueur d’onde, il n’existe pas de lexique spécifique des odeurs. Les recherches actuelles, à la suite notamment des travaux de Trygg Engen (1991), plutôt que de continuer à étudier la cognition des odeurs par rapport au modèle d’apparence parfaite de la relation entre le langage et les couleurs, mettent l’accent sur la singularité cognitive de l’olfactif avec la « dimension hédonique » (Dubois et Rouby, 1997, p. 12) des odeurs, où la notion de plaisant / déplaisant semble fondamentale. D. Dubois appelle « renversement de paradigme » le fait de cesser de penser l’odeur par rapport au modèle visuel et de reconnaître la singularité du cadre cognitif de l’olfactif : « L’odeur ne serait donc ni un objet, ni une dimension autonome de l’objet, mais serait un effet pour le sujet, ou un indice d’un objet ou mieux encore d’un état du monde […] l’odeur n’est pas construite collectivement comme objet autonome mais seulement comme invariant individuel, enfermé dans la subjectivité d’une mémoire autobiographique. » (Ibid., p. 17) La neurologie, avec sa tendance physicaliste inhérente, ne pouvait que tenter d’expliquer cette inadéquation entre le langage et l’olfaction par la nature même du système neuronal. « The reason for the poverty of the lexicon of olfaction is a neurophysiological one. » (Holz, 2007, p. 189) Alors que les stimuli olfactifs sont traités dans la zone limbique, les centres de perception et de production du langage se trouvent dans les zones corticales de l’hémisphère gauche, et de plus les connexions neuronales entre les zones corticales de l’hémisphère gauche et les zones limbiques subcorticales sont relativement pauvres. « As a consequence of that it is apparently impossible to adequately synchronize the cerebral organization of smell perception with the language processing areas of the brain in such a way that a stable lexicon of olfaction results. » (Ibid., p. 190)

L’artiste conceptuelle, chimiste de formation, Sissel Tolaas, a créé un laboratoire de recherche à Berlin, en 2004, consacré à l’olfactif. The smell archive est une archive constituée de près de sept mille odeurs collectées dans le monde entier, et préservées dans autant de cannettes en aluminium. S. Tolaas a essayé de créer un vocabulaire technique universel, un « fictional smell language » (Jones, 2006, p. 12) pour nommer les odeurs : le « nasalo », work in progress6. Ce travail entre l’art et les sciences soutenu par une compétence scientifique personnelle, mais aussi par l’industrie de la mode et des parfums, est une référence majeure de l’art olfactif contemporain. Avec un chromatographe, S. Tolaas analyse et reconstitue des odeurs. Dans le cadre de Sensorium: Embodied Experience, Technology, and Contemporary Art, organisé en 2006 au MIT, S. Tolaas faisait respirer au public quinze odeurs reconstituées de chemises d’homme, au moment où ils avaient ressenti une angoisse particulière. Son installation-performance s’appelait FEAR of smell – the smell of FEAR. Les odeurs analysées et reconstituées par un chromatographe avaient ensuite été conservées par un procédé de micro-encapsulation. Le public devait gratter un mur en apparence vide pour faire évaporer l’odeur de l’angoisse humaine, présentée en même temps comme angoisse devant les odeurs.

Le « syndrome proustien » : entre hypothèse, expérimentation, extrapolation

Dès 1871, Hermann Ludwig von Helmholtz écrivait que les artistes étaient des explorateurs du système visuel. Plus récemment Semir Zeki, dans son Inner vision: An exploration of Art and the Brain, soulignait que les artistes étaient des neurologues étudiant le cerveau visuel avec leurs propres techniques. Il donnait notamment l’exemple de l’art cinétique qui correspondait à l’exploration et l’exploitation de la zone V5 du cortex, spécialisée dans le traitement du mouvement visuel par des cellules indifférentes aux couleurs et aux formes. Alexander Calder devenait le modèle de l’artiste neurologue, explorateur de la zone V5 (Zeki, 1999). S. Zeki, l’un des créateurs de la neuro-esthétique, s’intéressait à l’art visuel. Mais l’idée que les artistes puissent être des neurologues qui s’ignorent s’est répandue dans un autre domaine, celui des relations entre la mémoire et l’olfactif. À côté et à l’égal des Mondrian et des Calder, emblèmes des explorations des spécialisations du cerveau visuel, Marcel Proust est devenu symbole de l’apport cognitif que la littérature peut apporter dans le domaine croisé de la mémoire et de l’olfactif. Dans ses recherches sur la mémoire individuelle et la relation entre mémoire et olfactif, les neurosciences ont tenté de s’approprier l’œuvre de M. Proust, et des expressions se sont diffusées comme « Proust neurologue », « the Proustian hypothesis », « Proust as a neuroscientist ». À vrai dire, comme le rappelaient chacun de leur côté A. Corbin et Jean-Yves Tadié, il existe une véritable tradition dans la littérature française du thème de la réminiscence olfactive. J.‑Y. Tadié, dans un article pionnier « Nouvelles recherches sur la mémoire proustienne », en 1998, énonçait la problématique nouvelle : « La description que Proust nous a donnée du fonctionnement de la mémoire a‑t‑elle quelque rapport avec celle qu’en fournissent les neurosciences ? » (Tadié, 1998, p. 71) L’année suivante, le livre Le sens de la mémoire, écrit avec son frère le neurologue Marc Tadié, confirmait la valeur scientifique des notations proustiennes en avançant une explication de l’expérience de la mémoire involontaire, liée à un stimulus à la fois olfactif et gustatif, par les connaissances neuro-anatomiques et neurophysiologiques : « Cette forme de mémoire sensitive a vraisemblablement pour support un circuit reliant directement les neurones à potentialisation à long terme et le noyau amygdalien […] le support neuroanatomique est sans doute formé par des connexions synaptiques constituées entre les neurones de l’hippocampe, la circonvolution limbique et le noyau amygdalien, et procède à l’inverse de l’entrée en mémoire. » (Tadié et Tadié, 1999, p. 203)

De leur côté, des laboratoires anglo-saxons, à partir des années 1990, ont étudié à la fois la singularité de la mémoire olfactive comparée à la mémoire visuelle ou verbale — comment se souvient-on des odeurs — et la mémoire autobiographique déclenchée par des stimuli olfactifs, domaine dans lequel va se réaliser l’appropriation neurologique de l’œuvre proustienne. Deux équipes concurrentes, l’une anglaise, l’autre nord-américaine, vont faire de M. Proust un pionnier de la neurologie, testant en laboratoire ce qui va prendre le nom d’hypothèse proustienne, et même de syndrome. Une série d’études de psychologie cognitive sur la mémoire provoquée par les stimuli sensoriels, notamment olfactifs, corroborées ensuite par la nouvelle imagerie cérébrale a fait partie des avancées scientifiques des neurosciences. L’idée de tester la pensée proustienne en laboratoire semble revenir à un laboratoire anglais, celui de Simon Chu et John Downes qui, en 2000, font paraître deux articles, l’un « Long Live Proust: The Odour-Cued Autobiographical Memory Bump », article reçu par la revue Cognition, dès septembre 1998, et l’autre « Odour-Evoked Autobiographical Memories: Psychological Investigations of Proustian Phenomena7 », dans Chemical Senses. À Liverpool, ils ont ainsi étudié chez un groupe de personnes âgées le pouvoir des odeurs à évoquer des souvenirs, des événements précis et lointains. La comparaison entre les souvenirs liés à des stimuli verbaux et ceux obtenus par des stimuli olfactifs montrent que les réminiscences olfactives concernent des souvenirs liés à une époque plus ancienne, entre l’âge de six et dix ans8. S. Chu et J. Downes commentaient la problématique de leur travail en termes pragmatiques : « Our own approach to the investigation of Proustian phenomena involves translating the essence of Proust’s anecdotal literary descriptions into testable scientific hypotheses using the language of contemporary cognitive psychology. » (Chu et Downes, 2000a, p. 111) Leurs résultats se présentent comme une confirmation scientifique du phénomène dit proustien. Les auteurs introduisent ainsi cette première expérimentation scientifique de la pensée de l’écrivain français.

Interest in olfaction and memory in particular has been stimulated by folk wisdom concerning the power of odours to vividly remind one of particular past experiences. One often-quoted example is a literary anecdote from Proust (1922/1960) in which the author is vividly reminded of childhood experiences by the smell of a tea-soaked pastry: […] Proust’s experiences formed the basis of what has become known as the Proust phenomenon, the ability of odours spontaneously to cue autobiographical memories which are highly vivid, affectively toned and very old. However, such experiences are not merely limited to the realms of artistic licence-many individuals report similar experiences with odours, although few could describe their experiences as poetically and articulately as Proust. (Ibid.)

Aux États‑Unis, la liste des publications du laboratoire de Gerald Cupchik et Rachel Herz montre une spécialisation dans l’étude de la mémoire humaine liée à des stimuli olfactifs9. Le premier article de R. Herz sur le sujet date de 1992, avec « An Experimental Characterization of Odor-Evoked Memories in Humans ». Ces études de psychologie cognitive vont se corréler ensuite avec les progrès de la neuro-imagerie, comme en témoignent différents articles dont « Neuroimaging Evidence for the Emotional Potency of Odor-Evoked Memory », en 2003. Aucune référence particulière n’est faite à M. Proust dans les nombreux articles de R. Herz, avant celui de 2002 intitulé « A Naturalistic Study of Autobiographical Memories Evoked to Olfactory versus Visual Cues: Testing the Proustian Hypothesis10 ». Les premières lignes de l’article problématisaient l’enjeu de l’expérience :

In Swann’s Way (Proust, 1928), the smell of a madeleine biscuit dipped in linden tea triggers intense joy and memory of the author’s childhood. This experience often called the Proust phenomenon, is the basis for the hypothesis that odor-evoked memories are more emotional than memories evoked by other stimuli. Currently, there is descriptive and laboratory based support for this proposition. (Herz et Schooler, 2002, p. 22)

Le résultat de l’expérience confirme l’hypothèse que les odeurs accroissent la qualité émotionnelle du souvenir, alors que l’action des stimuli visuels ne diffère pas des stimuli verbaux. La psychologie cognitive démontre donc que les déclencheurs olfactifs augmentent l’intensité émotionnelle des souvenirs autobiographiques, en comparaison avec les déclencheurs verbaux ou visuels. Ces données de la psychologie expérimentale associées aux résultats neurobiologiques acquis grâce à l’imagerie cérébrale conduisent à la confirmation de ce qui est nommé l’hypothèse proustienne, rappelant l’implication de l’hémisphère droit aussi bien pour le traitement émotionnel des odeurs que de manière générale pour l’extraction des souvenirs11. Dans ce contexte de concurrence entre laboratoires, la référence proustienne semble jouer un rôle médiatique dans la communication des études. Elle apparaît en fin de parcours après que la majorité des études a été réalisée sur la mémoire sensorielle olfactive.

Proust Was a Neuroscientist est l’emblématique titre d’un livre à succès de 2007, écrit par un jeune journaliste américain, Jonah Lehner, vulgarisateur scientifique et non pas scientifique lui‑même. Ce titre est celui d’un des chapitres d’un ouvrage consacré également à Walt Whitman, George Eliot, Paul Cézanne, Igor Stravinsky, Virginia Woolf, tous présentés comme des neurologues pionniers dans un domaine cognitif précis. Ces études ont pour point commun l’idée énoncée par S. Zeki, et plus anciennement encore par H. L. von Helmholtz sur le savoir neurologique inconscient des créateurs, mais en l’étendant cette fois à tous les domaines sensoriels : « This book is about artists who anticipated the discoveries of neuroscience. It is about writers and painters and composers who discovered truths about the human mind—real, tangible truths—that science is only rediscovering. Their imaginations foretold the facts of the future. » (Lehner, 2007, p. 9)

À la suite des mêmes études en laboratoire citées plus haut, le journaliste veut prouver que la conception de M. Proust sur les processus de la mémoire et de l’olfaction étaient justes et anticipaient les découvertes scientifiques contemporaines12 : « He actually intuited a lot about the structure of our brain. […] Neuroscience now knows that Proust was right. » (Ibid., p. 80) Tout en utilisant abondamment les travaux de R. Hertz, il préfère ignorer l’interprétation finale de celle‑ci, puisqu’il va au contraire célébrer la modernité proustienne de l’idée d’une remémoration comme reconstruction. « Proust presciently anticipated the discovery of memory reconsolidation. » (Ibid., p. 85) Cette confirmation neurologique de la pensée proustienne prend la forme d’un bricolage intellectuel, qui relève de l’imaginaire contemporain par le moyen d’une brillante extrapolation scientifique à partir du rôle, pourtant encore aujourd’hui si mal connu, du prion qui viendrait expliquer la pensée proustienne. « But memories, as Proust insisted, don’t just stoically endure: they also invariably change. […] This is what Proust knew: the past is never past. As long as we are alive, our memories remain wonderfully volatile. » (Ibid., p. 94‑95)

Les découvertes considérables réalisées par les neurosciences au sujet du ou des sens olfactifs ont eu sur l’imaginaire contemporain des répercussions limitées, contrairement au rôle joué par l’anthropologie sensorielle. C’est d’ailleurs par un recours à cette anthropologie, avec la référence au statut traditionnellement dévalué de l’odorat dans les mentalités occidentales, qu’est expliqué le retard dans la recherche neurologique olfactive, quand elle est comparée à l’étude de la vision qui fut la voie royale des découvertes neurologiques de la fin du siècle passé.

Neurologie et anthropologie semblent en arriver à la même conclusion sur l’inadéquation universelle — qui constituerait donc un fait de nature — entre le langage humain et les odeurs, à l’opposé de la relation entre langage et couleurs. Alors que l’un des courants actuels de la recherche cognitive est de prendre en compte cette singularité du sens olfactif en l’étudiant hors du modèle de la vision, l’une des tendances de l’art olfactif contemporain cherche à pallier cette incapacité structurelle du cerveau, ou en tout cas à trouver dans ce manque un sujet essentiel de recherche.

Les découvertes neurologiques ont donc entraîné un certain nombre d’effets sur l’imaginaire contemporain : la fiction des phéromones humaines, l’imaginaire de l’excès olfactif, des extrapolations intellectuelles. À l’opposé des traditions psychiatrique et psychanalytique entretenant dès l’origine une relation de proximité avec la littérature, les neurosciences ont eu tendance à écarter le champ littéraire de leurs références. Ce rapport négatif avec la littérature date sans doute du temps où la notion neurologique d’audition colorée souffrait de la confusion avec le thème littéraire des correspondances, et avec les fictions synesthésiques de la culture symboliste. Elles allaient pourtant rencontrer dans le domaine de l’olfactif une riche tradition littéraire, notamment française qui, avec M. Proust mais dès avant, avaient décrit les relations entre la sensation olfactive et la remémoration. Mais cette fois les neuro­sciences ont confirmé la vérité d’une telle relation en s’emparant du nom de l’écrivain pour nommer une réalité neurologique, contrairement à leur tradition de réticence antilittéraire mais selon les pratiques communicationnelles contemporaines.

Il est néanmoins un courant de la neuropsychologie qui, tout au contraire, avait voulu garder un modèle de présentation narrative à partir d’un modèle traditionnel hérité du xixe siècle, celui défendu par A. Luria et repris par O. Sacks et Richard Cytowic, un mode de présentation où l’étude de cas est sciemment élaborée comme un exercice littéraire. Et cette neuropsychologie qui met en scène les excès ou les déficits des fonctions mentales semble constituer le réservoir le plus riche d’une imagerie liée au sens olfactif, d’autant plus que la tradition occidentale avait, là aussi jusqu’alors, quasi exclusivement privilégié les déficits ou excès liés à la vision et à l’audition. La neuropsychologie vient ainsi pallier un défaut de notre imaginaire culturel en l’informant des capacités surprenantes du sens olfactif humain — et comme souvent en neuropsychologie, proches du fantastique —, quand il est livré aux dysfonctionnements de l’excès ou du déficit, avec toutes les conséquences cognitives et psychologiques entraînées par cette démesure sensorielle.

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Notes

1 Les travaux de C. Classen et ceux de D. Howes conduisaient à relativiser les catégories occidentales en montrant l’existence d’autres divisions et de conceptions des expériences sensorielles dans des cultures différentes. En France, les travaux de A. Corbin et de G. Vigarello ont resitué la perception olfactive dans l’histoire des mentalités et souligné le « silence olfactif » de la société occidentale. A. Le Guérer (« Le déclin de l’olfactif : mythe ou réalité ? », 1990) voyait néanmoins apparaître « les signes d’un intérêt nouveau pour l’olfactif » et concluait par le constat de « la permanence et de la puissance de l’imaginaire olfactif ». Return to text

2 Voir l’ensemble du chapitre 15 : « Les sens chimiques ». Return to text

3 En 1959 A. Butenandt, déjà à l’époque prix Nobel de chimie, découvrit l’existence des phéromones à partir de l’étude des femelles du papillon bombyx qui émettent une substance odorante (bombycol), attirant les mâles dans un rayon de plusieurs kilomètres. Return to text

4 Cité par O. Sacks, dans « L’artiste autiste », L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, 1998, p. 291. Voir H.‑P. Lambert, « Hypermnésie, neurologie et littérature », 2009. Return to text

5 A. Corbin, dans sa conclusion sur l’histoire du sens olfactif dans l’Occident moderne, histoire de « la révolution perceptive, préhistoire du silence olfactif de notre environnement », voit dans la pensée freudienne la suite d’un processus historique occidental, celui de la « disqualification de l’odorat, sens de l’animalité selon Buffon, exclu par Kant du champ de l’esthétique, considéré plus tard comme un simple résidu de l’évolution, affecté par Freud à l’analité » (2008, p. 337). Return to text

6 Voir aussi B. Arning, « Sissel Tolaas », dans Sensorium, 2006. Return to text

7 Voir aussi S. Chu et J. J. Downes, « Proust Nose Best: Odors Are Better Cues of Autobiographical Memory », 2002. Return to text

8 Dans un article critiquant les travaux de S. Chu sur la mémoire proustienne, « Proust Remembered: Has Proust’s Account of Odor-Cued Autobiographical Memory Recall Really Been Investigated? » (2004), J. S. Jellinek remarquait — et sa critique pourrait aussi s’appliquer aux travaux de R. Herz — que la tentative de traduire le texte proustien en hypothèses testables repose sur une formulation erronée dès les prémisses, car la reformulation se fait en termes de stimuli olfactifs alors que chez M. Proust, rappelle J. S. Jellinek, le stimulus est multisensoriel, à la fois olfactif et gustatif. Return to text

9 Pour l’abondante production de l’équipe américaine, voir <https://rachelherz.com/academic-work/>. Return to text

10 Cet article résultait d’une expérience relevant d’une opération d’animation et de communication menée par l’Exploratorium Museum de San Francisco, qui présentait une exposition intitulée Memory, de mai 1998 à janvier 1999. Depuis, R. Herz est devenue elle‑même une scientific writer, une vulgarisatrice à succès de ses travaux. Voir R. Herz, « The Scent of Desire: Discovering Our Enigmatic Sense of Smell », 2007. Return to text

11 Mais il est à noter que R. Hertz met en doute la validité des propositions proustiennes au sujet des déformations de la remémoration : « Though Proust may have been prescient in noting the relationship between olfaction and the phenomenological experience of reliving emotions of the past, his confidence in the precise contents of his odor-cued recollections may have been ill founded. » (2002, p. 30) Return to text

12 Voir H.‑P. Lambert, « La mémoire : Proust et les neurosciences », dans Dynamiques de la mémoire : arts, savoirs, histoire, 2010. Return to text

References

Bibliographical reference

Hervé-Pierre Lambert, « L’imaginaire, les neurosciences et l’olfactif : confirmations et extrapolations », IRIS, 33 | 2012, 37-51.

Electronic reference

Hervé-Pierre Lambert, « L’imaginaire, les neurosciences et l’olfactif : confirmations et extrapolations », IRIS [Online], 33 | 2012, Online since 17 octobre 2021, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=2456

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