Parmi les créatures héritées des légendes et mythes anciens que la littérature de jeunesse s’est appropriée au point d’en faire un archétype de son personnel romanesque, le dragon arrive en tête de liste. Que ce soit dans les albums ou dans les romans, la figure dragonesque n’a de cesse d’être réinvestie en se dépouillant le plus souvent de l’aura maléfique et terrifiante que lui assignaient les récits du Moyen Âge. Comme l’ont remarqué Bernard Ribémont et Carine Vilcot, le dragon d’aujourd’hui est souvent un « gentil dragon », une créature profondément anthropomorphisée qui devient l’ami ou le protecteur du jeune héros, qui communique avec lui et l’aide à grandir (Ribémont & Vilcot, 2004). Il suffit, pour s’en convaincre, de lire des séries comme Les Dragons de Nalsara de Marie-Hélène Delval (2008), L’Héritage de Christopher Paolini (2011) ou Les Royaumes du feu de Tui Sutherland (2015). En cela, la saga Harry Potter de J. K. Rowling se démarque nettement des productions littéraires de ses homologues. En effet, selon la classification du ministère de la magie, le dragon est un « animal fantastique ». Il se distingue de ce fait des « êtres magiques » qui sont des « créatures[s] dôtée[s] d’une intelligence suffisante pour comprendre les lois de la communauté magique » (Rowling, 2001, p. 16). En tant qu’animal, le dragon dans Harry Potter ne fait ainsi l’objet d’aucune anthropomorphisation et il n’entretient aucun lien affectif avec les moldus ou les sorciers, d’autant qu’il s’agit d’un animal de « Catégorie cinq », « impossible à dresser ou à domestiquer » (Rowling, 2001, p. 30). Par exemple, Hagrid veut élever un dragon, il couve d’ailleurs le dragon Norbert d’un amour maternel, mais il doit renoncer à élever son petit protégé (Rowling, 2018a [1997]). Par ailleurs, Harry s’attendrit en voyant son jouet vivant, un « Magyar à pointes miniature », se comporter comme un animal de compagnie et se coucher tranquillement à côté de son lit comme un petit chat : le jeune sorcier s’émeut en voyant « le minuscule dragon baill[er], se roul[er] en boule et ferm[er] les yeux » (Rowling, 2018c [2000], p. 392). Il ne faudrait pas oublier cependant la peur qu’il a ressentie lors de la première épreuve de la Coupe de Feu où il a failli être tué par le Magyar à pointes de taille réelle.
Les dragons dans Harry Potter sont donc des animaux dangereux et cette dangerosité permet de réinvestir les leitmotivs de la figure dragonesque héritée des mythes et des légendes. Toutefois, sa classification en tant qu’animal fait que le dragon n’apparaît plus comme une incarnation du mal. C’est une créature animée par l’instinct, non par des valeurs éthiques, et cette amoralisation de la figure du dragon influence foncièrement sa représentation.
Le motif du dragon dans Harry Potter : entre stéréotypes et invention
La première évocation des dragons dans Harry Potter se produit tandis que le héros et ses deux amis sont à la bibliothèque. Ils aperçoivent Hagrid dont l’attitude les intrigue. Harry, Ron et Hermione vont alors vérifier discrètement ce que le garde-chasse consultait : « Hagrid regardait les bouquins consacrés aux dragons […] : Les Différentes Espèces de dragon d’Angleterre et d’Irlande, De l’œuf au brasier, Le Guide de l’amateur de dragons » (Rowling, 2018a [1997], p. 235) auquel il faut ajouter le titre du manuel que le futur professeur de soin aux animaux magiques a emprunté : « L’Élevage des dragons pour l’agrément ou le commerce » (Rowling, 2018a [1997], p. 238). Dans l’univers d’Harry Potter, le dragon apparaît donc d’abord comme une créature livresque, ce qui souligne sa nature foncièrement littéraire et mythique. Le dragon est une créature de légendes que les livres n’ont de cesse de relater. Évoquer cette figure, c’est donc faire signe vers un vaste architexte qui nourrit la représentation que chaque lecteur peut se faire de l’animal fantastique. Grâce à l’évocation de ces manuels consacrés aux dragons, J. K. Rowling signale la pratique intertextuelle qui nourrit son écriture, suggérant que les dragons qui peuplent l’univers des sorciers sont semblables à ceux évoqués dans la littérature médiévale. Cela étant dit, la référence à ces manuels n’a pas qu’une dimension métadiscursive. En effet, les titres de ces ouvrages laissent entendre qu’ils sont destinés à un zoologue ou à une personne qui, en dépit des interdictions proclamées par le ministère de la magie, voudrait élever un dragon. Autrement dit, ces livres entendent proposer une description réaliste et pratique des dragons, loin de toute affabulation mythologique. Ils prétendent offrir au lecteur une approche naturaliste de l’animal en recensant des informations concrètes sur son physique, son alimentation, son habitat, son mode de reproduction et ses habitus comportementaux. Ces ouvrages font ainsi signe vers des livres d’histoire naturelle comme Serpentum et draconum historiae libri duo d’Ulisse Aldrovandi. Cela se confirme durant la lecture des Animaux fantastiques de Newt Scamander, un des livres de magizoologie de la bibliothèque de Poudlard dont Ron et Harry ont pris connaissance, comme l’apprend le lecteur de J. K. Rowling qui peut lui-même se procurer cet ouvrage en bibliothèque. L’auteur d’Harry Potter en a en effet intégralement rédigé le contenu et l’a publié. Elle l’a attribué à un personnage fictif, le sorcier Newt Scamander, connu en France sous le nom de Norbert Dragonneau. En marge des textes sont reproduites des notes manuscrites de Ron et Harry qui, tout en brouillant les frontières entre réel et fiction, attestent que la lecture des Animaux fantastiques est inscrite au programme de Poudlard.
Ce manuel à destination des sorciers recense les dix espèces de dragons vivants sur les différents continents, à l’exception de l’Afrique : l’Antipodean Opaleye séjournant en Nouvelle-Zélande mais migrant parfois en Australie, le Boutefeu chinois habitant en Asie, le Peruvian Vipertooth qui réside sur le continent américain et les dragons européens qui se répartissent essentiellement sur trois territoires : le Noir des Hébrides et le Vert gallois commun en Grande-Bretagne ; le Romanian Longhorn et l’Ukrainian Ironbelly des pays de l’Est ; le Norvégien à crêtes et le Suédois à museau court des terres du Nord. Le Magyar à pointes, le dragon qu’Harry affronte lors de la première épreuve de la Coupe de Feu, n’est pas géolocalisé. Les noms des différentes espèces de dragons, qui sont tantôt en français, tantôt en anglais dans la traduction de Jean-François Ménard, mettent l’accent sur les caractéristiques physiques de chaque famille. Sous le pseudonyme de Newt Scamander, J. K. Rowling propose une description naturaliste des dragons, évoquant presque systématiquement la couleur de chaque espèce, la forme et la dureté des écailles, le type de flamme crachée par l’animal et les régimes alimentaires, avec une prédilection des différentes espèces pour le bétail et parfois les humains. Si la nature reptilienne des dragons est mise en avant, le Magyar à pointes étant même comparé à « un gros lézard » (Rowling, 2001, p. 49), on s’aperçoit néanmoins que les autres caractéristiques du dragon qui ont forgé son image traditionnelle dans l’imaginaire sont peu évoquées. Il n’est presque jamais question des ailes des dragons, sauf pour le Noir des Hébrides qui « est doté d’ailes de forme semblable à celles d’une chauve-souris » (Rowling, 2001, p. 50). De même, la queue du dragon, attribut pourtant essentiel d’après Jacques Voisenet expliquant que « c’est essentiellement dans celle-ci que réside sa force » (Voisenet, 1994, p. 231), n’est décrite que si elle comporte des marques distinctives par rapport à l’imagerie classique. Ainsi, des épines couleur bronze hérissent la queue du Magyar à pointes (Rowling, 2001, p. 49) et la queue du Noir des Hébrides « se termine par une sorte de flèche » (Rowling, 2001, p. 50). Enfin, plus une espèce de dragon se rapproche de la représentation traditionnelle de l’animal, moins elle est décrite : le Suédois à museau court et le Vert gallois commun sont uniquement identifiés par leur couleur, respectivement bleu argenté et vert. Ces descriptions concises s’expliquent par ce que Jean-Paul Resweber appelle « l’ancrage spéculaire » du dragon :
Il existe […] un imaginaire à la fois énergétique et fantasmatique du dragon, qui constitue la matrice de toutes les transformations possibles, de toutes les anamorphoses et métamorphoses. Cet imaginaire ressemble moins à une réserve d’images qu’à un laboratoire de composition et de recomposition des formes. (Resweber, 2006, p. 178)
Quand les dragons imaginés par J. K. Rowling s’apparentent à ceux qui peuplent l’imaginaire du lecteur, la description ne s’avère pas nécessaire. Toutefois, l’auteur d’Harry Potter insiste sur les spécificités de ses dragons qui les distinguent de ceux déjà connus. Elle évoque par exemple la présence de cornes (Magyar à pointes, Peruvian Vipertooth, Romanian Longhorn), de pointes et de plaques sur l’échine (Noir des Hébrides, Norvégien à crêtes) qui rapprochent les dragons de certains dinosaures (Rowling, 2018c [2000], p. 348). Elle insiste sur « les crochets particulièrement venimeux » (Rowling, 2001, p. 51) du Peruvian Vipertooth qui expliquent son nom (« vipertooth » signifiant « dent-de-vipère ») et permettent de rappeler les associations entre le dragon et le serpent. Ce dialogue qu’instaure J. K. Rowling entre l’image du dragon héritée de la tradition chinoise et ses propres créations est notamment visible dans le portrait qu’elle dresse du Boutefeu chinois :
Boutefeu chinois
(Parfois appelé Dragonlion)
L’unique dragon d’Extrême-Orient est particulièrement frappant. Écarlate, les écailles lisses, il a un museau écrasé entouré de pointes d’or et des yeux très protubérants. Le Boutefeu doit son nom à la flamme en forme de champignon qui jaillit de ses narines lorsqu’il est en colère. Il pèse entre deux et quatre tonnes, la femelle étant plus grande que le mâle. Ses œufs, d’une vive couleur cramoisie parsemée d’or, sont très recherchés par les sorciers chinois pour les propriétés magiques de leurs coquilles. (Rowling, 2001, p. 49)
On retrouve sans peine dans ces quelques lignes les caractéristiques du dragon chinois tel qu’il est représenté dans les sculptures et bas-reliefs qui décorent par exemple la Cité interdite, ou tel qu’il apparaît sur les vases Ming : « yeux protubérants », « museau écrasé », écailles rouges, couleur impériale signe de pouvoir. La crinière de lion qui orne habituellement le dragon chinois a certes disparu, mais elle reste suggérée par le deuxième nom de l’animal. En revanche, les longues moustaches autour du museau ont été remplacées par des « pointes d’or » et les cornes de cervidés ont été gommées afin de rapprocher ce dragon asiatique de la représentation que le lecteur occidental se fait de cette créature. J. K. Rowling modifie l’image du dragon chinois de manière à instaurer une cohérence dans la typologie des dragons qu’elle propose. Ce travail de réappropriation d’un héritage iconographique est particulièrement visible dans la description du feu craché par le Boutefeu : sa « flamme en forme de champignon » apparaît comme une transmodalisation des volutes qui composent les décors chinois où évoluent les dragons, la mer et le ciel souvent illustrés par des spirales ou des tourbillons qui peuvent ressembler à des champignons.
Afin d’insuffler dans l’univers magique d’Harry Potter une impression de vraisemblance, les dragons, « sans doute les plus célèbres de tous les animaux magiques » (Rowling, 2001, p. 47), sont avant tout abordés sous un angle scientifique. Au regard du naturaliste qui s’intéresse aux caractéristiques physiques et comportementales du dragon s’ajoutent en effet deux autres approches : l’approche pharmacologique et l’approche économique. L’approche pharmacologique étudie les propriétés médicinales et magiques des coquilles d’œufs du Boutefeu, des cornes d’or du Romanian Longhorn (Rowling, 2001, p. 52) et, plus généralement, « la peau, le sang, le cœur, le foie et les cornes du dragon ont des propriétés magiques très puissantes » (Rowling, 2001, p. 47). L’approche économique, quant à elle, réglemente la vente des produits dérivés de l’animal. Par exemple, « ses œufs sont classés dans la catégorie A des Marchandises interdites de commerce » (Rowling, 2001, p. 47). Cette approche économique de l’animal permet à J. K. Rowling de réinvestir les stéréotypes associés à l’image du dragon tout en les intégrant à son univers romanesque. Un tel choix limiterait cependant l’actualisation de la figure dragonesque qu’elle propose si elle n’était pas complétée par le réinvestissement de motifs mythologiques qui participent à l’image du dragon comme créature chtonienne gardienne de trésors. Or, ces leitmotivs apparaissent dans les différents volumes d’Harry Potter.
Pour concilier sans contradiction les représentations naturalistes et mythiques du dragon, J. K. Rowling introduit la caractéristique suivante : les dragons présentés comme des gardiens de trésors ont été extirpés de leur habitat naturel pour être intégrés de force dans les zones habitées par les sorciers. Cela s’applique aux quatre dragons importés de la réserve roumaine pour la première épreuve de la Coupe de Feu :
Quatre énormes dragons à l’air féroce se dressaient sur leurs pattes de derrière à l’intérieur d’un enclos fermé par d’épaisses planches de bois. Le cou tendu, ils rugissaient, mugissaient, soufflant par leur gueule ouverte, hérissée de crocs acérés, des torrents de feu qui jaillissaient vers le ciel noir à quinze mètres au-dessus du sol. L’un d’eux, d’une couleur d’un bleu argenté, les cornes pointues, grognait et claquait des mâchoires en essayant de mordre les sorciers qui l’entouraient. Un autre, aux écailles vertes et lisses, se tortillait en tous sens, piétinant le sol de toute sa puissance. Un troisième, de couleur rouge, la tête couronnée d’une curieuse frange d’épines dorées, crachait des nuages de feu en forme de champignon. Enfin, celui qui se trouvait le plus près d’eux était noir, gigantesque, et sa silhouette ressemblait à celle d’un dinosaure.
Une trentaine de sorciers, sept ou huit pour chaque dragon, essayaient de les contrôler, tirant sur les chaînes attachées à d’épaisses sangles de cuir qui leur entouraient les pattes et le cou. (Rowling, 2018c [2000], p. 348)
L’enclos et les chaînes utilisés pour entraver les dragons témoignent bien de la violence humaine faite à ces animaux pour les contraindre à intégrer un espace qui n’est pas le leur. On retrouve là l’image mythique du dragon enchaîné véhiculée par exemple par la légende de Saint-Georges qui, selon Jacques de Voragine, vainc le dragon et rejoint la cité de Silcha en tenant l’animal en laisse (Voragine, 1967, p. 298). Intégrer un dragon dans un espace contrôlé par l’homme, ce dernier fut-il sorcier, modifie l’image que renvoie la créature : de l’animal sauvage et libre, il devient le monstre qu’il faut dominer et enchaîner. Les sorciers, influencés par les anciennes histoires sur les dragons, portent un regard biaisé sur lui et lui attribuent alors des comportements qui ne sont pas propres à leur nature, mais imaginés. L’image du dragon gardien de trésors est alors réactualisée. Pour la première épreuve du tournoi, les organisateurs ont caché, au milieu des œufs de chaque dragonne que les champions doivent affronter, un œuf d’or : les quatre participants doivent s’emparer de ce trésor. Le comportement naturel de la femelle protégeant sa couvée est donc détourné par les hommes eux-mêmes pour conforter leur représentation du dragon comme gardien de trésors. Cette exploitation des animaux fantastiques est encadrée par des magizoologues expérimentés, comme Charlie Weasley, qui veillent à la fois à la sécurité des humains et à celle des animaux qui sont ensuite réintégrés dans leur habitat naturel au cœur de la réserve roumaine de dragons. Ce traitement de l’animal, tout de même exploité pour des jeux humains à l’instar des fauves lâchés dans les arènes romaines, est signalé dans le générique du film de Mike Newell adaptant le quatrième tome d’Harry Potter où l’on peut lire en effet : « No dragons were harmed in the making of the movie1. »
Du reste, l’exploitation des dragons par les gobelins est d’une autre nature. Ils ont également réinvesti la mythique image du dragon chtonien gardien de trésors, mais pour soumettre l’animal à cette représentation légendaire, ils l’ont torturé dans un but économique. Aussi le monstre gardant les coffres les mieux protégés de la banque est-il d’une incroyable férocité, rappelant à bien des égards Smaug dans Le Hobbit de Tolkien :
Devant eux, un dragon gigantesque était attaché au sol, interdisant l’accès aux quatre ou cinq chambres fortes les plus profondes de la banque. Au cours de sa longue incarcération sous terre, les écailles de la bête étaient devenues pâles et friables par endroits. Ses yeux étaient d’un rose laiteux. Ses deux pattes de derrière portaient de lourds anneaux munis de chaînes qui les reliaient à d’énormes pitons profondément enfoncés dans la pierre. Ses grandes ailes hérissées de piquants, repliées contre son corps, auraient rempli toute la caverne s’il les avait déployées et lorsqu’il tourna vers eux son horrible tête, il poussa un rugissement à faire trembler la roche, ouvrit la gueule et cracha un jet de feu, les obligeant à rebrousser chemin à toutes jambes. (Rowling, 2007, p. 572)
Bien que J. K. Rowling privilégie une approche naturaliste du dragon, comme la description de la dépigmentation des écailles et de l’iris du dragon de Gringotts qui a été trop longtemps privé de lumière, elle réinvestit les stéréotypes mythiques liés à la créature légendaire. Elle va même jusqu’à se réapproprier le mythe de Baiart, le cheval engendré par un dragon et donné par Charlemagne à l’aîné des fils Aymon (Quatre Fils Aymon). Or, ce cheval aux origines fabuleuses inspire à l’auteure de nouvelles créatures dragonesques : les Sombrals.
Les Sombrals, qui réactualisent la figure mythique du cheval-dragon, n’apparaissent que tardivement dans la saga d’Harry Potter, au cinquième tome de la série. Hagrid, qui enseigne le soin aux animaux magiques, emmène ses élèves à l’orée de la Forêt interdite pour leur faire découvrir ces timides et paisibles créatures :
Deux yeux blancs, brillants, au regard vide, grandissaient dans les ténèbres. Un instant plus tard, la tête de dragon, puis le corps squelettique d’un grand cheval ailé, entièrement noir, émergèrent de l’obscurité. L’animal regarda les élèves pendant quelques secondes en agitant sa longue queue noire, puis baissa la tête et commença à arracher de ses crocs pointus des lambeaux de chair à la vache morte. (Rowling, 2018d [2003], p. 529)
La tête, la queue, les ailes et le régime alimentaire des Sombrals en font bien des créatures dragonesques à part entière. L’introduction de cette nouvelle espèce dans le bestiaire de dragonologie pourrait alors surprendre : comment se fait-il qu’aucun mythe n’ait jusqu’à présent mentionné l’existence de cette créature ? L’explication est apportée par le récit de J. K. Rowling. Lors du cours d’Hagrid, seuls trois élèves, dont Harry, peuvent voir les Sombrals car « les seules personnes qui peuvent voir les Sombrals […] sont celles qui ont vu la mort » (Rowling, 2018d [2003], p. 531). Aussi l’existence des Sombrals ne peut-elle relever que de la légende. L’explication de J. K. Rowling permet de justifier ses apports au bestiaire dragonesque qu’elle met en scène dans Harry Potter. Entre réécriture des archétypes issus des mythes et invention, elle dresse une représentation du dragon qui actualise le motif pour en proposer un traitement naturaliste sans symbolique maléfique. Ce faisant, elle délaisse tout un pan de l’imaginaire dragonesque hérité des récits bibliques et médiévaux qui associent traditionnellement le dragon et le serpent comme l’incarnation du mal. Pourtant, elle ne nie pas totalement cette parenté puisqu’elle insiste sur la nature reptilienne du dragon. Il convient donc de ce fait de comprendre quelle place occupe précisément le dragon dans le bestiaire reptilien d’Harry Potter.
Le dragon dans le bestiaire reptilien d’Harry Potter
En tant que créature reptilienne, le dragon est apparenté au serpent. Même si J. K. Rowling veille à ne pas mettre l’accent sur ce lien, elle ne l’efface pas totalement. Cela est manifeste dans la description du Magyar à pointes affronté lors de la première épreuve de la Coupe de Feu. Assis sur son balai, le héros vole autour du dragon pour tenter de l’éloigner de l’œuf d’or dont il doit s’emparer : « Il prit peu à peu de l’altitude et la tête de la dragonne s’éleva en même temps que lui, son cou tendu continuant d’osciller comme un cobra devant un charmeur de serpents… » (Rowling, 2018c [2000], p. 380) La comparaison avec un cobra souligne bien la filiation entre le dragon et le serpent. Cependant, ce rapprochement est surtout souligné par le serpent de Voldemort qui le protège en tant qu’horcruxe et veille même sur lui comme une mère nourricière lorsque Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom n’a pas encore retrouvé toutes ses forces. Ce rôle est clair dans le nom même du serpent de Voldemort qui s’appelle Nagini. Or, dans la mythologie indoue, les Nâginî sont les femelles des Nâga, des divinités serpentines dont Jacques Ivanoff, dans un article consacré au dragon asiatique, a bien montré la nature dragonesque, soulignant notamment leur statut de gardiens de trésors (Ivanoff, 2006).
Malgré le lien indéniable entre le dragon et le serpent, le rôle symbolique du serpent contredit l’image du dragon dans la structure manichéenne d’Harry Potter : le serpent est le symbole du mal. Nagini est le familier de Voldemort, lié à son maître par la magie des horcruxes. Les Mangemorts portent la Marque des Ténèbres, « une sorte de tatouage rouge, éclatant, qui représentait une tête de mort avec un serpent qui sortait de la bouche » (Rowling, 2018c [2000], p. 683). À l’inverse le dragon, présenté comme un animal sauvage, ne s’inscrit pas dans un registre symbolique opposant le bien et le mal. Certes, les choix patronymiques de certains Mangemorts tendent à créer une certaine ambiguïté, comme Lucius Malefoy qui a choisi de prénommer son fils Draco. D’ailleurs, Hermione s’en inspire pour imaginer l’identité de Ron lorsqu’ils s’introduisent dans Grinsgotts en se faisant passer pour des disciples de Voldemort nommés Bellatrix Lestrange et Dragomir Despard (Rowling, 2007, p. 563). L’ambiguïté des patronymes tient son origine dans l’étymologie même du nom dragon. Comme le remarquent Bernard Ridemont et Carine Volcot, « le mot dragon, dérivé du latin draco est, dans la littérature médiévale, interchangeable avec “serpent” ou même “guivre”. En Grec, drâkon désigne le serpent, “roi des êtres qui rampent” » (Ribémont & Vilcot, 2004, p. 12). Le dragon n’est donc pas un animal dont les Mangemorts peuvent s’approprier la figure pour en faire un symbole du mal. C’est bel et bien le serpent aux connotations bibliques qui incarne ce symbole. D’ailleurs, contrairement au serpent, le dragon ne parle pas fourchelang.
Bien qu’apparentés, le dragon et le serpent apparaissent dans Harry Potter comme des créatures investies de valeurs antithétiques propres à l’imaginaire dragonesque occidental : le dragon est fidèle à l’image de la créature que transmet la fantasy contemporaine, tandis que le serpent apparaît comme l’incarnation du dragon hérité des récits médiévaux. Par exemple, les deux champions de Gryffondor mènent un combat contre deux gigantesques serpents au service de Voldemort : le Basilic et Nagini.
Dans Harry Potter et la chambre des secrets, le personnage éponyme doit affronter le Basilic, un « énorme serpent d’un vert éclatant, au corps aussi épais qu’un tronc de chêne » (Rowling, 2018b [1998], p. 332). Tandis que la description physique du monstre met l’accent sur sa nature serpentine, le contexte du face-à-face entre le héros et la créature souligne en revanche sa nature dragonesque. Si Ron et Harry décident d’enfreindre les interdits et de pénétrer dans la chambre des secrets, c’est parce que le Basilic a enlevé Genny, la jeune sœur de Ron, qui deviendra la petite amie puis la femme d’Harry. On retrouve là un leitmotiv des contes de fées : le combat contre le dragon pour sauver la princesse, notamment intégré dans les Deux frères de Grimm. Comparable au dragon, le Basilic a enlevé Genny, jeune fille en détresse, contraignant de ce fait le champion à partir en quête pour la délivrer. Pour sauver celle qu’il épousera, Harry doit donc vaincre le Basilic. Pour ce faire, il n’utilise pas sa baguette, qui est pourtant son arme de prédilection. Grâce à l’intervention inopinée de deux adjuvants, le Choixpeau et Plumesec, le phénix de Dumbledore, il entre en possession de l’épée légendaire de Godric Gryffondor avec laquelle il terrasse le Basilic, reproduisant en cela un geste chevaleresque :
Harry s’était relevé, prêt à combattre. Le Basilic fit un mouvement brutal pour se retourner, son corps s’enroula sur lui-même en heurtant les colonnes et sa tête s’abattit sur Harry. Celui-ci vit les énormes orbites de ses yeux morts et sanglants, et sa gueule qui s’ouvrait, immense, hérissée de crochets luisants, aussi effilés que son épée, des crochets mortels, prêts à le transpercer…
Le serpent plongea à l’aveuglette. Harry réussit à l’éviter et la tête du reptile heurta le mur. À nouveau, il plongea et sa langue fourchue cingla Harry comme un fouet. Il prit alors son épée à deux mains et la brandit au-dessus de sa tête.
Le Basilic attaqua à nouveau, et cette fois, il visa juste. De toutes ses forces, Harry enfonça l’épée jusqu’à la garde dans la gueule du monstre et lui transperça le palais. (Rowling, 2018b [1998], p. 333-334)
Tout en reprenant les motifs du combat entre un chevalier et un dragon, la description du Basilic proposée par J. K. Rowling insiste sur sa nature serpentine qui le lie à celui qui l’a invoqué : Voldemort. De fait, au-delà du sauvetage immédiat de Genny, la victoire d’Harry sur le Basilic apparaît comme une étape dans le parcours initiatique du jeune sorcier destiné à affronter le « Seigneur des Ténèbres ».
L’adaptation cinématographique d’Harry Potter et la chambre des secrets par Chris Columbus offre une belle transposition de ce combat entre Harry et le Basilic dont la nature dragonesque est sublimée par l’image de synthèse2. L’attention portée au décor prépare ce rapprochement du Basilic et du dragon car la représentation des souterrains du château de Poudlard évoque les sombres cavités ruisselantes d’eau où sont tapis les monstres chtoniens. Avant même que ne surgisse le terrible serpent-dragon, le spectateur est préparé à voir le Basilic comme une créature dragonesque grâce à la reprise de stéréotypes qui, comme l’explique Francis Dubost dans les Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale, font du dragon un genius loci (Dubost, 1991). L’apparition du monstre confirme cette parenté. Bien plus gros que celui imaginé par J. K. Rowling, le Basilic de Chris Columbus est plus proche de la taille que l’on attribue habituellement à un dragon. Par ailleurs, il est rarement présenté à l’écran dans son intégralité, l’image montrant surtout la partie avant de son corps qui se dresse, évoquant de ce fait le long cou des dragons et le corps des serpents. Sa tête rappelle aussi le facies dragonesque : hérissée de pointes, elle a pris du volume, perdant cet aspect aplati qui caractérise la physionomie serpentine. Le Basilic qu’affronte Harry dans le film est donc bien plus proche du dragon que du serpent. Aussi n’est-il pas surprenant de voir le héros manier l’épée comme un chevalier de littérature médiévale, repoussant les assauts du monstre qui tente de le dévorer et finissant par transpercer sa gueule de sa lame. Cela sollicite l’imagerie médiévale dont les enluminures consacrées à Yvain le chevalier au lion de Chrétien de Troyes très évocatrices dans l’imaginaire collectif.
Une scène similaire, bien que moins développée, se déroule dans le dernier tome de la série. Alors que Voldemort et son armée ont détruit les ultimes défenses de Poudlard et croient avoir tué Harry, les derniers partisans de Dumbledore se préparent pour l’affrontement final. Neville Londubat est le premier à refuser de se soumettre au Seigneur des Ténèbres dont la victoire semble pourtant assurée. Pour le punir, Voldemort l’entrave avec des liens magiques, mais Neville parvient à se libérer et entre en possession de l’épée de Godric Gryffondor avec laquelle Harry a vaincu le Basilic :
D’un mouvement rapide, fluide, Neville s’était libéré du maléfice du Saucisson qui l’avait paralysé. Le Choixpeau enflammé tomba de sa tête et il tira de ses profondeurs un objet argenté, avec une poignée incrustée de rubis étincelants…
La lame aux éclats d’argent fendit l’air […]. D’un coup unique, Neville trancha la tête du grand serpent. Elle tournoya haut dans les airs, luisant dans la lumière que déversait le hall d’entrée. (Rowling, 2007, p. 782-783)
Neville, qui aurait pu être l’enfant élu pour vaincre Voldemort3, imite ainsi le geste chevaleresque qu’Harry avait exécuté pour vaincre le Basilic et, ce faisant, il vainc Nagini, le serpent-dragon de Voldemort.
La confrontation des héros avec les serpents incarnant le mal s’apparente donc à une réécriture du motif du chevalier affrontant le dragon. Le serpent incarne en définitive le dragon maléfique. En proposant une scission de la figure dragonesque qui prend corps tantôt sous la forme d’un dragon, tantôt sous la forme d’un serpent, J. K. Rowling préserve la figure du dragon. L’analyse que proposent Bernard Ribémont et Carine Vilcot du dragon chrétien pourrait alors pleinement s’appliquer à la dualité qui structure le bestiaire reptilien d’Harry Potter :
Le fait que le serpent soit condamné à ramper peut laisser penser qu’avant sa faute il possédait des pattes, comme les autres animaux. Selon une telle hypothèse, le serpent des premiers temps pourrait être rapproché du dragon traditionnel en imaginant un reptile doté de pattes. Et l’ambiguïté du vocabulaire va dans le même sens. Le dragon apparaît alors comme un serpent non diffamé puisqu’encore pourvu de ses pattes, signe de dignité. (Ribémont & Vilcot, 2004, p. 60)
Le dragon pourvu de pattes et d’ailes est un animal noble, dont la dignité n’est pas entachée par le péché originel. Telle est en effet l’image qu’en donne J. K. Rowling, l’érigeant même en symbole, non d’ancestrales valeurs manichéennes, mais de valeurs foncièrement nouvelles et contemporaines puisqu’en tant qu’animal sauvage, noble et majestueux, le dragon devient en quelque sorte l’étendard vivant de la cause écologique qui transparaît dans la série Harry Potter.
Dragon et écologie : l’actualisation politico-philosophique d’un motif ancestral
Par-delà la grande fresque épique d’Harry Potter où s’affrontent le Bien et le Mal, J. K. Rowling développe dans ses romans des réflexions politiques et sociétales. L’obsession du « sang pur » chez Voldemort et les Mangemorts, qui les conduit à vouloir éliminer tous les « sangs mêlés » et les « sangs de bourbe », c'est-à-dire les sorciers nés de parents Moldus, permet de dénoncer le racisme et les discriminations, faisant écho à l’idéologie arienne du Troisième Reich. L’engagement d’Hermione pour libérer les elfes de maison réduits en esclavage par les familles de sorciers expose une réflexion sur l’exploitation des plus faibles et sur les droits fondamentaux de liberté et d’égalité de tous les êtres vivants et pensants. Ces discours philosophiques et humanistes ont déjà un ancrage historique, bien qu’ils restent actuels. En revanche, le discours écologique est plus récent. La problématique du respect de l’environnement et de la vie animale est une problématique littéraire novatrice qui s’est développée dans la littérature dans les années 70 et qui est aujourd’hui un des leitmotivs de la littérature de jeunesse. J. K. Rowling s’empare aussi de ce thème et utilise la figure du dragon pour le développer.
Mythiquement lié à la terre et parfois considéré comme la cause des catastrophes naturelles et des tremblements de terre, le dragon incarne la nature brute et sauvage que l’homme tente de dominer, faisant sien le crédo cartésien selon lequel les hommes doivent se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes, 1824, p. 192). La façon dont les sorciers et les gobelins enchaînent les dragons et utilisent la magie ou la torture pour canaliser leurs forces naturelles témoigne de cette volonté de domination de l’homme sur la nature. J. K. Rowling condamne cette domination qui s’exerce par la force et la violence sans aucun respect pour l’environnement et la vie animale. Elle dénonce ainsi la façon dont les hommes s’attribuent les territoires des autres espèces, rappelant par exemple que le Noir des Hébrides, l’un des dragons de Grande-Bretagne, « doit disposer d’un territoire de deux cent cinquante kilomètres carrés par individu pour vivre dans de bonnes conditions » (Rowling, 2001, p. 50). Par son comportement envahisseur, l’homme met les écosystèmes et les animaux en danger : les dragons sont des animaux en voie de disparition. À l’image des programmes écologiques de préservation des espèces animales menés aujourd’hui par les gouvernements et certaines associations comme le WWF, le ministère de la magie a donc mis en place un plan de préservation des dragons.
Ce programme visant à prévenir la disparition des dragons repose d’abord sur la mise en place de réserves naturelles. Si la plus grande, où travaille Charlie Weasley, le frère de Ron, se trouve en Roumanie, d’autres territoires préservés sont aussi créés. Ainsi y a-t-il une réserve au Pays de Galles pour protéger les dragons natifs de cette région : « La couleur du Vert gallois commun se marie très bien aux herbes luxuriantes de son pays natal, bien qu’il niche dans les hautes montagnes où une réserve a été établie pour sa protection » (Rowling, 2001, p. 53), explique l’auteur des Animaux fantastiques. À la mise en place de réserves s’ajoute un plan de reproduction ayant pour ambition d’empêcher la disparition programmée de certaines espèces dragonesques : « Le Longhorn a fait l’objet d’un programme intensif d’élevage à la suite d’un effondrement de ses effectifs, largement dû au commerce de ses cornes qui entrent désormais dans la catégorie B des produits dont le commerce est soumis à conditions » (Rowling, 2001, p. 52). Inversement, comme cela s’est produit en France à l’automne 2020 pour les sangliers, les sorciers interviennent parfois pour réguler la population dragonesque dont l’expansion incontrôlée risquerait de mettre en péril un écosystème. Une telle mesure a par exemple été prise à l’encontre du Peruvian Vipertooth, « la Confédération internationale des sorciers a[yant] dû envoyer au dix-neuvième siècle des équipes de chasseurs chargés d’en réduire le nombre qui augmentait à un rythme alarmant » (Rowling, 2001, p. 51-52). Enfin, la préservation s’effectue également grâce à une régulation drastique du commerce des marchandises magiques issues de l’animal.
En développant une réflexion politique et écologique sur les dragons, animaux en voie de disparition, J. K. Rowling l’érige en symbole. Il devient le support d’un discours pédagogique énoncé à destination du jeune lecteur afin de le sensibiliser à la nécessité de préserver la nature et les espèces animales. Les enjeux de cette mission écologique sont d’ailleurs bien expliqués par Dumbledore, le directeur de l’école de Poudlard :
Pourquoi continuons-nous, à titre collectif et individuel, à nous donner tant de mal pour protéger et cacher tous ces animaux magiques, même les plus sauvages et les plus indomptables ? La réponse, bien sûr, la voici : pour que les générations futures de sorcières et de sorciers puissent à leur tour s’émerveiller de leur étrange beauté et de leurs pouvoirs comme nous-mêmes en avons eu le privilège. (Rowling, 2001, p. 29)
Même si Harry et ses deux amis ne s’impliquent pas réellement dans l’entreprise de préservation des dragons, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’ils en ont l’occasion, ils prennent fait et cause pour l’animal. Ainsi aident-ils le dragon de Gringotts à s’échapper de sa prison où le maintiennent les gobelins. Harry libère d’abord le dragon de ses chaînes. Celui-ci tente alors de creuser un passage pour quitter son cachot, mais l’entreprise semble vouée à l’échec jusqu’à ce que les jeunes sorciers, hissés sur le dos de l’animal, lui viennent en aide :
Soudain, il entendit Hermione crier :
— Defodio !
Elle aidait le dragon à élargir le passage, découpant le plafond pendant qu’il s’efforçait de remonter vers une atmosphère moins confinée, loin des gobelins qui ne cessaient de hurler. Harry et Ron l’imitèrent, creusant les parois avec de nouveaux sortilèges de Terrassement. Ils passèrent à côté du lac souterrain et l’énorme bête grondante parut sentir devant elle l’espace et la liberté. Derrière eux, la queue hérissée de la créature donnait des coups violents de tous les côtés, répandant dans son sillage de gros morceaux de roche et de gigantesques stalactites brisées. (Rowling, 2007, p. 579)
Cet épisode où les héros aident le dragon à retrouver sa liberté et où le dragon les aide à fuir la banque de Gringotts met en exergue l’interdépendance de l’homme avec les espèces animales, même les plus sauvages et les plus dangereuses. Le dragon devient ainsi un symbole écologique, une preuve que l’homme doit protéger l’environnement et les espèces animales, non seulement pour le bien de la planète, mais aussi pour son propre bien.
Conclusion
Inscrit dans un vaste bestiaire fantastique dans lequel se côtoient des créatures issues de la mythologie gréco-romaine (centaure, hippogriffe), de la mythologie nordique (elfes, trolls), de l’imaginaire médiéval (licorne, manticore), des légendes et des peurs ancestrales (Acromantula4), le dragon dans Harry Potter apparaît bien comme une créature légendaire et mythique dont J. K. Rowling réinvestit les principales caractéristiques. Toutefois, en choisissant de décrire le dragon comme un animal fantastique et en optant pour un traitement naturaliste de la créature, l’auteur modifie foncièrement la représentation de la figure dragonesque. Les dragons qui peuplent l’univers d’Harry Potter ne sont plus des incarnations diaboliques du mal comme c’était le cas dans certains récits médiévaux. Ils diffèrent également des dragons de « la Dragon Fantasy [où] le dragon n’est pas considéré comme un animal, mais comme le représentant d’une espèce intelligente antérieure à l’homme » (Palmas Jauze, 2018, p. 13). Les dragons dans Harry Potter sont des animaux sauvages, méconnus de la plupart des humains et qui pâtissent de cette ignorance puisqu’à cause d’elle, leur espèce est menacée. Ils deviennent le symbole des animaux en voie de disparition, étendard vivant du militantisme écologique de J. K. Rowling. Cette actualisation de la figure du dragon insuffle une dimension inédite dans sa représentation qui vient enrichir le mythe. Comme le dit Roland Barthes, « le caractère fondamental du concept mythique, c’est d’être approprié » (Barthes, 1957, p. 204). J. K. Rowling s’est donc approprié le motif du dragon, apportant un regard moderne à cette figure légendaire. Cette nouvelle caractéristique est stipulée dans la notice « Dragon » du Dictionnaire de la fantasy : cette créature est le symbole « d’une genèse magique dont les dragons sont les protagonistes disparus ou en voie de l’être » (Besson, 2018, p. 98). Or, en érigeant le dragon en symbole d’une nature à préserver, l’auteur de la saga d’Harry Potter délivre un double message militant où la lutte pour la préservation de la nature et celle pour la restauration de la magie se mènent de front et se cristallisent dans le traitement de la figure dragonesque.