Quelques traces du trickster dans la littérature médiévale

  • Some Traces of the Trickster in Medieval Literature

DOI : 10.35562/iris.3267

p. 29-58

Abstracts

Il semblerait que toutes les cultures ont en commun un personnage qui transgresse les lois sociales et abuse ses semblables, même s’il peut, en même temps, représenter un héros civilisateur. Malgré les contradictions et ambiguïtés qui déterminent la figure du trickster ou joueur de tours mythique, on partira d’une classification des composantes fondamentales de son identité pour examiner ses traces chez plusieurs personnages de la littérature médiévale tels que Loki, Renart, Tristan, Merlin et Robin Hood, ainsi que chez les mystificateurs anonymes des courts récits.

It seems that every culture shares a figure who tricks and transgresses rules even if at the same time he is a Cultural Hero. Based on a classification of some basic characteristics common to all tricksters, and despite the fact that contradiction and ambiguity are fundamental for their identity, this paper deals with trickster’s traces in several Medieval Literature characters as Loki, Renart, Tristan, Merlin, robin Hood, and the anonymous mischievous deceiver of short stories.

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Remerciements
Je tiens à remercier Mme Fabienne Bradu pour la traduction des premières versions de ce texte, Mme Monique Landais pour sa méticuleuse et patiente révision, mes étudiants Teyeliz Martínez, Esteban Pomposo, Daniel Cid pour leur assistance technique et Karina Castañeda, enfin, pour sa soigneuse lecture.

Il existe toute une catégorie de personnages littéraires dangereusement enclins à la transgression, dont les traits semblent hérités de la figure du trickster, très connue dans le domaine de l’anthropologie1. Si au Moyen Âge on pense surtout à Renart, il faudrait aussi considérer tous ces gouailleurs picaresques anonymes des courts récits médiévaux et même des farces, comme Pathelin, ainsi que des bandits comme Robin des Bois ou Eustache le Moine2, sans oublier, bien sûr, les personnages de Tristan et Merlin du domaine romanesque, dont il faudra également tenir compte3.

Le trickster parcourt, en effet, les littératures et les mythologies de tous les temps comme si toutes les civilisations avaient besoin d’un trickster ou joueur de tours. Habile, rusé, polymorphe, bon orateur et superbe manipulateur du langage, ce tricheur ou filou picaresque, dont la personnalité semble constituée de toutes les oppositions et tous les contrastes4, est parfois considéré même diabolique alors que, par ailleurs, il peut représenter un héros culturel qui apporte des éléments essentiels à la société. En fait, en introduisant le désordre dans le monde, le trickster laisse à découvert les contradictions inhérentes à la structure complexe de la société. Si sa remise en question des normes et croyances essentielles de la communauté les renforce par là même, ses transgressions mettent en lumière leurs aspects dérobés ou incongrus. S’il oppose la réalité et l’idéal, c’est pour rappeler que le malpropre et le laid font aussi partie du monde, même s’il est de mauvais goût de le mentionner. Personnage marginal, le trickster est avant tout un médiateur : habitué des seuils, il articule des espaces et des contrastes. Et finalement, son emploi de pièges et de tromperies procure, à maintes reprises, un dénouement comique aux tensions issues des règles. Hermès et Loki parmi les dieux5, ou Ulysse et Renart en littérature, constituent quelques exemples de ce personnage toujours en mouvement, qui se moque si irrévérencieusement de tout, qu’il provoque le rire, même si parfois sa méchanceté devient inquiétante.

On sait que le trickster est contradictoire, ambigu, qu’il change de forme et que ses histoires sont susceptibles de se poursuivre à l’infini, sans jamais connaître de conclusion définitive, ni morale ni littéraire6. En raison de sa vocation d’enfreindre les limites et de renverser les situations, on ne peut pas le réduire à une définition absolue7 ; on doit se contenter d’une classification des composantes principales de son identité qui devrait inclure les éléments suivants8.

Astuce et transgression

S’il est vrai que les tricksters se caractérisent par leurs inclinations transgressives, accomplies grâce à un emploi remarquable de toutes sortes de procédés astucieux, il faudrait préciser que le plus souvent ces infractions aux règles obéissent à la recherche de la satisfaction d’appétits élémentaires (sexe ou nourriture, qui peu à peu arrivent à se transformer en d’autres biens matériels ou argent). Mis à part le fait qu’ils mettent en scène une sorte de loi inéluctable : celle de la victoire du faible contre le puissant ; de la ruse contre la force9, ce qui est remarquable aussi, c’est la nuance festive d’une grande partie de leurs transgressions10. En effet, un incontestable plaisir de duper comme attribut essentiel de nos personnages est évident11. Parfois, ce plaisir malicieux et bientôt gratuit de faire le mal arrive à les rendre méchants et même pervers12, rejoignant parfaitement Loki, Renart et même Robin des Bois ou Eustache le Moine, dont la malignité leur a valu d’être satanisés13.

D’autre part, il faut ajouter que leurs duperies se retrouvent maintes fois ponctuées d’obscénités et de blagues scatologiques. Renart et les protagonistes des fabliaux et des nouvelles ne sont pas les seuls. En effet, plus d’un épisode des tricksters participe de cet esprit de transgression festive qui cultive le comique du « bas du corps14 » décrit par Mikhaïl Bakthine. On y compte l’emploi des vulgarités et des mots crus, ainsi que l’exposition de tout ce qui d’habitude se passe sous silence pour être considéré comme indécent15.

On y associera, de plus, la tendance à exploiter les éléments d’inversion du monde carnavalesque (d’abord par leurs déguisements dont on reparlera. Mentionnons seulement ces constantes apparitions de Merlin en enfant et en vieillard16), mais aussi chaque fois que, renversant les situations à son avantage, le trickster rend floues les frontières de ce qui est permis, ou vrai, ou possible. Ainsi, Renart parvient à convaincre le loup que le paradis se trouve au fond d’un puits où les vertueux doivent donc descendre (branche IV) ; et plus tard, il usurpe le rôle du roi (branche XI), ou participe à un renversement du rituel de la messe17 ; de même qu’il accuse constamment ses ennemis des fautes qui lui sont uniquement imputables à lui seul et à nul autre.

Le penchant pour le renversement se retrouve également dans les textes des tricksters médiévaux qui raillent volontiers les conventions littéraires d’autres genres ou qui, dans leurs diverses réécritures, transforment les motifs ou le ton des récits. Ainsi, dans Tristan le Moine, des données importantes de la légende sont inversées18 : la fausse mort du héros semblerait contre-ponctuer la fin tragique des amants. Dans le même sens, à la dame dont l’amour peut guérir le chevalier mourant — rôle d’Yseut à différents moments de l’histoire — se substitue cet amant dont la réapparition en vie rétablit complètement son amie ; et, en contraste avec la constante séparation des amants, cette fois on force le héros déguisé en moine médecin à rester à la cour jusqu’à ce qu’il ait « rendu la santé » à la reine19. Finalement, les accusations traditionnelles des barons félons contre Tristan seront remplacées ici par de répétitives plaintes funéraires, composées de louanges hyperboliques, qui débouchent sur un roi Marc culpabilisé et repenti d’avoir injustement exilé son « innocent » neveu20.

Pour sa part, Robin Hood, à l’instar de bien d’autres bandits, crée une sorte de société alternative où il rend la justice comme elle aurait dû être rendue, et dont le chef hors-la-loi symbolise le bon roi généreux21. Finalement, Merlin était voué à invertir l’histoire de Jésus en celle du fils du démon, mais il choisit de modifier son destin en se mettant au service de Dieu, ce qui finit par renverser les expectatives de ses créateurs (les diables). Ce n’est pas par hasard, non plus, que celui qui catalyse le dénouement du Roman de Silence soit le mage, lui‑même, dont le rôle de personnage hybride, entre homme sauvage et prophète prestigieux, est paradoxalement celui du redresseur des inversions sexuelles dans cette histoire où tous semblent enfreindre la vérité22.

Toutes ces inversions se rattachent, d’ailleurs, au thème du mystificateur mystifié que l’on examinera plus tard. Pour l’instant il faudrait s’attarder sur la manière dont le trickster amuse en faisant le mal, qui renvoie à un autre trait primordial de la figure ici étudiée : son ambiguïté. Pour mieux l’aborder, il faudrait partir de la condition hybride et liminaire du trickster.

Ambivalence et ambiguïtés

Le trickster comme personnage marginal ou hybride

Puisqu’il s’agit d’un personnage dont l’essence est d’enfreindre les règles, sa propre histoire ou activité semblerait l’isoler des autres23. Tout comme Loki24, Robin Hood, Tristan et Renart ont tous violé les normes de leur communauté, par laquelle ils se retrouvent expulsés, voire persécutés25. Quant à ce dernier, sa marginalité est manifeste dans l’ordre même des récits : la première branche s’occupe du jugement et ce n’est qu’à la seconde que l’on relate les crimes pour lesquels il est jugé. Ce qui indique la volonté de camper, avant tout, le personnage comme hors-la-loi26.

De sa part, Pathelin est un avocat au chômage, également isolé de sa communauté professionnelle. Il en est de même avec les mystificateurs des récits comiques qui, en outrepassant les limites des normes sociales, se situent sur un plan différent du reste de leurs semblables qui, eux, obéissent aux lois.

On ne s’attardera pas sur le mélange humain et animal de Renart : vaillant baron de la cour du lion, le roi, il est à la fois un goupil mort de faim qui dévore sans pitié de petites proies, telles que des poules, tout en chevauchant un cheval et en portant des éperons. Il serait, après Merlin, le cas le plus évident d’hybridisme. Le mage, lui, a été engendré par un démon et une vierge27, fils donc de Satan mais allié de Dieu (grâce à la protection divine que demanda pour lui sa mère), il compte avec des pouvoirs divinatoires à la fois démoniaques et divins. Il naquit, d’ailleurs, avec un corps velu, terreur des sages-femmes, qu’il conservera jusqu’à neuf mois et que l’on reliera à sa facette d’homme sauvage28. Déjà dans la Vita Merlini il adopte ce rôle et depuis Robert de Boron, et à plusieurs occasions (notamment dans l’épisode de Grisandole), le magicien affiche temporairement cette apparence primitive, jusqu’au Roman de Silence où il semble être devenu un véritable homme sauvage — qui déambule par la forêt depuis très longtemps, et dont les habitudes qui l’éloignent de l’humanité sont imposées par « Nurture » contre sa propre « Nature » humaine. Il est significatif que dans ce dernier ouvrage l’on arrive à se demander « … s’il est u hom u bieste29 ».

En tout cas, c’est sa propre nature, comme le déclare ouvertement Merlin, qui oblige le trickster à s’isoler30. Et, en effet, le mage ne restera jamais longtemps en compagnie.

Cette même marginalité répondrait aussi à l’articulation des domaines différents ou opposés effectuée par les tricksters. On a toujours remarqué l’extraordinaire mobilité de cette figure31, qui le pousse à transiter dans différentes dimensions spatiales : tout comme Loki déambulant entre la Demeure des Ases et les sphères des géants et des nains ainsi que dans l’enfer et qui, grâce à des sandales spéciales — analogues à celles d’Hermès — se transporte dans l’air et dans l’eau32. Également nos personnages ne cessent de se déplacer. Et ce n’est pas un hasard si, dans la plupart des cas, pour eux, le bois représente un espace de libération33, qui échappe à la rigidité des lois et des normes morales de la féodalité34. En effet, il s’agit de trajets entre le monde de l’ordre des institutions et des interdits et cet espace naturel, de liberté qui, curieusement, dans le cas de Merlin, serait représenté par la littérature même : ses voyages étant justement destinés aux rencontres avec Blaise à Northumberland, où ce scribe se chargeait de mettre par écrit les faits et dires du prophète que celui‑ci lui dictait au fur et à mesure qu’ils se produisaient.

Le caractère liminaire

La position marginale, alliée à sa mobilité, aide le trickster à aller et venir entre ce monde et l’au‑delà (en tant que psychopompe qui accompagne les âmes dans l’autre monde, comme dans le cas d’Hermès). Ce n’est donc pas par hasard que Renart apparaît comme passeur dans « Renart le Noir » (Martin-XIII, Pléiade-XIV), rôle que détient également Tristan « lépreux » au Mal Pas. Philippe Walter précise que la crécelle du « ladre » reçoit même le nom de tartarie dans le texte de Béroul, ce qui suggère « que la traversée de la Blanche Lande est aussi un voyage dans l’au‑delà » ; de plus, son bâton, lesguêtres et le bonnet de fourrure qu’il reçoit des rois Arthur et Marc, s’associent au caducée, aux talonnières et à la pétase du trickster grec35. L’office de médiation de Tristan se révèle tout autant par sa présence comme porcher dans les triades galloises. Le critique a, en effet, rappelé le symbolisme du cochon pour les anciens Celtes comme animal sacré en communication avec l’autre monde et initié à la science de l’éternité, ce qui rendait aux porchers une dignité druidique, en plus de leur fonction de gardiens des frontières et de la souveraineté des royaumes36.

Dans le cas de Merlin, lui aussi s’associe au cochon37 et à d’autres animaux psychopompes comme le cerf (dont il lui arrive de prendre l’apparence38), mais aussi à l’ours39. Néanmoins, c’est peut‑être son pouvoir oraculaire qui met le mieux en lumière la médiation entre la divinité et les hommes, ainsi que l’articulation du temps40.

À un tout autre niveau, l’occupation d’avocat de Pathelin n’est pas gratuite pour ce qui est de la médiation.

D’ailleurs, de nombreux tricksters mythiques ont « inventé la mort41 » (sans oublier les rapports de Loki à l’enfer42) ; Merlin peut, pour sa part et tout enfant déjà, prophétiser la mort à divers personnages. Il ira même, dans un passage de R. de Boron, expliquer à Uter et à Pendragon comment mourir en bon chrétien43, et s’il ne participe pas à la destruction du Royaume arthurien, il est tout de même capable de prophétiser son effondrement.

Les aspects de cette fonction mythique en rapport avec la mort réapparaîtront dans les parodies des rites mortuaires du Roman de Renart44. Maint personnage des récits comiques et des farces préside aussi à cette sorte de rite burlesque. Il suffit de se reporter à la parodie de confession in articulo mortis que réalise Ciappelletto dans le premier récit du Décaméron, ou à la plaisanterie scatologique du moribond qui lègue un pet à partager entre les douze moines d’un couvent, dans le Conte du Semoneur des Contes de Canterbury, ou encore au délire parodique que met en scène Pathelin lorsqu’il feint l’agonie. On n’oublie pas non plus les nombreux fabliaux et nouvelles dont le ressort divertissant est soit la simulation d’un décès, soit une arrivée au paradis ou en enfer, ou encore la mise en scène de mystérieuses « multiplications de cadavres45 ». Merlin joue aussi avec l’idée qu’on le prend pour mort (à cause de ses subites et/ou constantes disparitions46) et, dans Tristan le Moine, on assiste également à la mort feinte de Tristan et à ses funérailles, contre-ponctuées par les commentaires ironiques, voire cyniques, du héros déguisé qui les contemple d’un air amusé et provocateur47.

C’est également sa liminalité qui permet au trickster d’introduire le désordre dans l’ordre idéal en articulant toutes sortes de contradictions et d’éléments disparates (ce qui est permis et ce qui est interdit). Ce n’est pas non plus par hasard que Tristan a ramené Yseut d’une région distante et, de surcroît, ennemie du royaume de Marc, et que c’est justement par cette dame étrangère, extrêmement belle et inquiétante aux savoirs méconnus48 et aux traits de fée, que le désordre s’infiltre à la cour. Il est également significatif que l’histoire de Tristan, de même que celle de Merlin constituent, en fait, des carrefours de langues et de cultures, où l’on assiste à la confluence d’espaces et de motifs celtiques s’opposant et se mêlant à la fois aux traditions féodales chrétiennes qui essaient de les neutraliser49.

Ce rôle de médiation et d’articulation des contraires propre aux tricksters s’associe également au croisement des genres des récits de nos personnages qui, comme on l’a déjà commenté, parodient volontiers des textes et des valeurs propres aux genres sérieux50. On pourrait signaler également les constantes réécritures de leurs histoires avec des intentions et des tons divers51, et les rapports intertextuels entre les récits des divers personnages qui nous occupent52.

Les allées et venues du trickster, liées à la médiation, nous mènent, enfin, à l’ambiguïté intrinsèque de cette figure : tout en relevant de la transgression, nos personnages fonctionnent comme héros culturels, en même temps que leur ruse peut être utilisée à leur encontre et les convertir en victimes.

L’ambiguïté et les dualités du trickster

On a déjà cité l’énumération faite par Laura Makarius des contradictions qui coexistent dans la personnalité du trickster53. Ainsi en est‑il de nos personnages qui montrent tous un genre d’ambivalence. On vient de mentionner l’hybridisme du trickster, notamment chez Renart, de par sa double condition d’animal aux attitudes humaines, et aussi chez Merlin qui, tout en étant un entremetteur des amours interdits, est à la fois un conseiller militaire dont les premières apparitions littéraires (dans l’Historia regum Britanniae et dans la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth) sont elles aussi partagées entre traditions textuelles et orales diverses54. Il faudrait ajouter qu’une partie de l’aspect carnavalesque des tricksters consiste en leur tendance aux bouffonneries dégradantes, qui offrent un singulier contraste avec les pièges ingénieux qui les caractérisent. En effet, Loki, Renart, et même Tristan et Merlin, souffrent tous de multiples humiliations55.

D’ailleurs, Tristan, héros et tricheur à la fois, a été aussi considéré comme un personnage contradictoire, quelquefois actif, quelquefois passif, surtout dans la version de Thomas56, où il doute constamment et change d’opinion — en fait, dans cette partie, la dualité est plus visible grâce à la multiplication de personnages portant le même nom : il y a en effet deux Tristan et deux Yseut, ce qui rappelle le défi où Loki est vaincu par Logi57. Pour sa part, bien que Robin Hood agisse par la transgression et dans la marginalité, il n’abandonne jamais ses manières chevaleresques et l’on retrouve constamment des allusions à sa courtoisie (« so curteyse an outlawe as he was one » [tellement il était un hors-la-loi courtois58]).

Finalement, on doit rappeler que dans leur célèbre étude sur la mètis, cette intelligence prudente et astucieuse des Grecs, Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant ont souligné le caractère double et ambigu de la ruse comme génie constructeur qui, tout en s’aidant d’une grande habileté, frise tout de même la falsification. En raison de cette ambiguïté, la mètis rend le mystificateur souvent mystifié par ses propres armes59, comme c’est justement le cas du trickster60.

Le trickster mystificateur mystifié

Il s’avère qu’une des limites au génie du trickster est de ne s’autoriser aucune négligence. Il est toujours conscient du fait qu’à tout instant quelqu’un de plus habile que lui peut le rouler et nos personnages en sont la preuve. Notamment lorsque Renart, le champion de la ruse, est humilié à plusieurs reprises par des animaux sans défense et plus faibles que lui, qui ont recours à des tours ingénieux61.

C’est ainsi que Loki, inventeur du filet à pêche, est fatalement attrapé par ce même filet. De leur côté, après avoir eu recours à toutes sortes de mensonges pour cacher la nature de leur relation au roi et à la cour, Tristan et Yseut périssent par une mystification, œuvre d’Yseut aux Mains Blanches, l’épouse de Tristan. Merlin trouve sa fin également quand il est victime d’un sort que lui‑même avait enseigné à son disciple Viviane62. Par ailleurs, Pathelin avait montré à un berger ignorant comment ne pas payer sa dette au drapier, et dans la scène qui clôt la farce le berger se sert du même stratagème pour ne pas payer le truqueur. Finalement, après avoir lui‑même tendu tant de pièges, Robin des Bois tombe dans un piège ourdi par sa cousine, qui le mène à la mort63.

Malfaiteur et bienfaiteur

On sait que Loki rend d’importants services aux Ases. Il leur fournit leurs meilleures armes et leurs plus précieux trésors, comme le navire Skíđblađnir de Freyr ou l’épieu d’Odinn, et c’est grâce à lui que Thor obtient son prodigieux marteau emblématique64. Toutefois, la première description de Loki dans l’Edda de Snorri Sturluson nous peint le pire ennemi des dieux : « Il y a encore, compté parmi les Ases, celui que certains appellent “calomniateur des Ases” et “initiateur des tromperies” et “honte de tous les dieux et de tous les hommes”65. » En effet, Loki mettait constamment les Ases dans des situations problématiques, pour les en sortir grâce à ses ruses.

Le lien évident avec le diabolique des dernières apparitions de Loki se retrouve bien sûr chez Merlin (fils du diable66), mais également chez Renart, surtout lorsqu’il devient magicien à Tolède. Eustache le moine, à son tour, a appris d’un diable les arts maléfiques, lui aussi67 dans cette même ville. Renart, pour sa part, réussit à créer des bêtes monstrueuses, à plusieurs têtes, bruyantes et crachant du feu « avec une telle fureur qu’il semblait que la fin du monde fût arrivée68 », ce qui rappelle les alliés de Loki — et, parmi eux, sa propre descendance monstrueuse69 — lors, justement, de la bataille de la fin du monde contre les Ases. Même si le registre chez Renart est plutôt burlesque, dans ces épisodes les deux tricksters semblent se ranger définitivement du côté du mal. La culture chrétienne aurait ainsi satanisé le trickster à cause de son côté obscur, insoumis, marginal et changeant70. Il faudrait remarquer, néanmoins, que comme Lewis Hyde le précise, le diable, en tant que personnification du mal, ne pourrait point être un trickster de par l’absence d’ambiguïté de sa méchante vocation. Au contraire de Satan, qui est immoral, le trickster est amoral, et incarne « cette grande portion de notre expérience où le bien et le mal sont inextricablement entrelacés71 », ce qui a, sans doute, dû rendre l’Église particulièrement inquiète.

L’une des facettes de cette trame inextricable d’oppositions entrelacées chez le trickster est justement sa fonction régénératrice, impliquée dans ses rapports à la mort. On a cité l’énumération faite par L. Makarius des contradictions qui coexistent dans cette figure, où elle mentionne, entre autres traits, qu’il « introduit la mort à la fois qu’il dispense des médicaments qui guérissent ». En effet, le trickster mythique, associé aux origines, semble jouer un rôle dans la régénération cyclique de la nature, qui fait partie des mythes fondateurs de toutes les cultures. L. Hyde rappelle que la mort de Baldr, provoquée par Loki avec une branche de gui, fait justement référence au cycle de mort-renaissance de la nature72. On retrouvera les traces de cet aspect chez nos personnages littéraires. On a déjà remarqué que la traversée de la Blanche Lande du Tristan lépreux marque une transition temporelle et participe à un rite de renouvellement du temps73. Tout comme Merlin se trouve aussi associé au rythme du temps cosmique (ses apparitions et disparitions sont associées à des périodes carnavalesques de transition où le temps peut se rajeunir, comme P. Walter l’a démontré74). Même Robin des bois, avec son habit vert, pourrait être relié à ces cycles de régénération naturelle75, ainsi que les autres bandits (de par leur association à la forêt76). Renart offre, en outre, la particularité de se montrer pratiquement immortel, comme dans les dessins animés, car aussi pénible soit l’état dans lequel il sort d’un épisode, il réapparaît sain et sauf dans le suivant pour commettre d’autres méfaits, ce qui réfère également aux cycles de régénération du temps77. Même Pathelin se relie à cet aspect, lorsqu’après sa fausse agonie il « ressuscite » pour le jugement du berger. En effet, le récit du passage à une nouvelle vie est une histoire qui ne cesse d’être racontée chez les tricksters78, et qui passe par toutes les transgressions et les licences, ainsi que par la coïncidence de toutes les oppositions. Comme lors du Carnaval, ces récits nous ramènent aux contingences de l’existence et à la rénovation du monde.

D’autre part, le héros culturel est un transformateur qui rend le monde habitable en le libérant des monstres, ou en trouvant des moyens ingénieux de faciliter la vie humaine, tels que le feu ou diverses astuces pour capturer des animaux, comme le filet de pêche inventé par Loki. Tristan protège des royaumes en danger lorsqu’il tue un dragon en Irlande ou qu’il libère le peuple de Marc du redoutable Morholt. Tristan fait, en outre, des apports à l’art de la chasse : il est présenté par Eilhart comme « le premier homme à pêcher à la ligne79 », ce qui le relie à Loki, mais surtout il enseigne aux chasseurs de Cornouailles à préparer la viande des animaux tout juste attrapés. D’autres tricksters, comme Prométhée et Hermès, censés avoir modifié le rituel sacrificiel, se sont occupés de cette significative activité qui consiste à dépecer les bêtes immolées. Il s’agit de l’articulation de ce monde et de l’au‑delà à travers le sacrifice80. Ce n’est donc pas par hasard que pratiquement toutes les versions insistent sur les talents de vénerie de Tristan81.

À un tout autre niveau, Robin des Bois avait établi un modèle de société égalitaire où tout était réparti selon une justice impartiale, et il apparaît aussi en défenseur des pauvres — traits partagés par le « bandit noble » étudié par Hobsbawm82 —, de même que Pathelin vient en aide à un berger pour le défendre du drapier qui l’exploite et le menace devant la loi, contribuant ainsi d’une certaine façon à la défense des misérables face aux puissants.

Merlin, dans son rôle, est détenteur d’un mélange de pouvoirs sataniques et divins, qu’il met, la plupart du temps, au service du royaume : il se charge de faciliter la conception d’Arthur, ce qui mettra fin aux guerres intestines pour le pouvoir et, de plus, il propose la création de la célèbre table ronde, qui réunira les meilleurs chevaliers du royaume en harmonie et concorde et qui, à partir de R. de Boron, se teintera du symbolisme chrétien83. Tous ces bienfaits se superposent au portrait de lubricité démoniaque qui le caractérisera plus tard, le condamnant même à l’enfer84.

Bien qu’il faille revoir, sur ce point, dans quelle mesure les mystificateurs de courts récits comiques — moins complexes que les autres personnages — partagent les bontés du trickster bienfaiteur, il ne faut pas oublier que dans les œuvres où ils apparaissent, la moquerie et les mauvais tours servent souvent à juger des aspects négatifs de la société, ou au moins à mettre sur le tapis ses aspects sales et cachés85. Ce n’est pas en vain que l’on retrouve parmi leurs victimes les membres corrompus ou pervertis de l’Église, tout comme Robin des Bois et les hors-la-loi qui attaquent en particulier les religieux enrichis et les opulentes autorités abusives. De même que Pathelin et Renart qui, tout en ourdissant une duperie, dénoncent les hypocrisies sociales ou bien mettent en cause les procédures de la justice et les mauvais traitements que les pauvres subissent86.

Ainsi apparaît‑il que les spécialistes ont souvent souligné les nombreuses incohérences et les oppositions radicales qui constituent le caractère de l’archétype et rendent difficile sa compréhension, car les images du sot ou du vaniteux, du malicieux et de l’égoïste qui ne cherche qu’à satisfaire ses propres désirs à travers la fraude et la cruauté, semblent incompatibles avec celle du héros culturel. On l’a même considéré comme le résultat de la fusion de deux personnalités différentes87. L. Makarius résout la contradiction en appelant à la notion du nécessaire « violateur de tabous » mythique qui, à travers l’infraction des interdits sacrés, obtient la satisfaction des besoins ou des désirs collectifs d’une communauté (l’exemple canonique en est Prométhée qui vole le feu à Zeus pour le livrer aux hommes, mais la transgression par laquelle Merlin aide à la conception d’Arthur serait aussi un bon exemple88).

L’ambiguïté découlant de cette caractérisation contradictoire n’épargne pas les narrateurs qui admirent la ruse tout en critiquant les méfaits pervers du trompeur89. Tout cela suggère que l’ambiguïté du trickster mythique est beaucoup plus complexe que le simple jeu d’oppositions binaires que la pensée occidentale permet d’entrevoir, ce qui nous empêche de conceptualiser sa multiplicité, si bien exprimée par ses constants changements d’apparence90.

Le trickster polymorphe ou la réalité plurivalente

Une autre caractéristique commune à tous les tricksters est leur polymorphisme. J’irai même jusqu’à proposer que c’est justement le jeu des différentes identités qui permet de mettre en rapport des personnages aussi divers que Merlin, Renart ou Robin Hood et Tristan91.

Renart est peut‑être celui dont les masques sont les plus connus. Il se déguise en teinturier, en jongleur blond (branche Ib), en moine (branche III), en pèlerin (branche VIII), il teint sa peau en noir (Martin‑XIII, Pléiade-XIV), il se fait passer pour un médecin (branche XI), prend la place du roi (Martin-XI, Pléiade-XVI), d’un prêtre (Martin-XII, Pléiade-VI) et devient même magicien (Martin-XXIII, Pléiade-XXIV). Quant à lui, Robin Hood a l’habitude de changer de costume pour semer ses persécuteurs, comme dans la ballade de Robin Hood and Guy of Gisborne, quand il endosse les vêtements de l’ennemi qu’il vient de tuer, ce qui lui permet de sauver Petit Jean92, ou lorsqu’il échange ses habits avec ceux d’un potier (celui‑là lui prête également ses marchandises qu’il vend au shérif sans être reconnu93). Ces stratagèmes sont partagés avec d’autres bandits comme Eustache le moine ou Fouke le Fitz Waryn94. Tristan prend également différentes identités : il apparaît en lépreux pour le jugement ambigu d’Yseut, en marchand à plusieurs occasions, aussi bien qu’en musicien, et surtout comme fou pour pouvoir revoir sa bien-aimée dans les Folies, sans oublier ce chevalier mort — qu’il se charge de défigurer lui‑même — par qui il se fait remplacer, tandis qu’il s’habille en religieux, dans Tristan le Moine. On a souligné l’effet dégradant de la plupart des masques de Tristan95, mais il n’est pas le seul. Apparemment tous les tricksters se permettent allègrement des attitudes et des accoutrements avilissants, qui évoquent leur position marginale96.

À son tour, Pathelin réussit à feindre des maladies diverses : une rage de dents au jugement et un fou délire pendant sa fausse agonie. Mais ses meilleurs déguisements seront justement les différentes langues qu’il est capable de produire durant ce délire hilarant. Ces fausses langues comme masques sont emblématiques de la capacité verbale de tous les tricksters. Par ailleurs, les déguisements et les usurpations d’identités surviennent fréquemment chez les mystificateurs des fabliaux, nouvelles et farces. Même les auteurs de collections d’histoires comme le Décaméron ou les Contes de Canterbury en feront usage en tant que stratégie scripturale, se masquant sous les différents narrateurs des récits de chaque ouvrage97.

Merlin, pour sa part, jouit de pouvoirs de transformation plus sophistiqués, qui l’assimilent par là même aux tricksters traditionnels tels que Loki. Comme tout être primordial mythique, il peut prendre la forme des animaux (il se transforme en cerf et s’associe à l’ours, au loup, au merle, au saumon98), en plus de devenir bûcheron, bouvier ou homme sauvage, et apparaître en enfant ou en vieillard. En fait, le mage semble ne pas avoir d’apparence fixe99. R. de Boron ne donne jamais une description explicite de sa personne et se voit souvent obligé à utiliser une périphrase pour expliquer comment le mage prenait « la samblance en quoi la gent de la terre le conoissoit100 ». De ce point de vue, il est significatif que dans Tristan le Moine, le héros ait choisi d’être substitué justement par un chevalier dépourvu de visage, comme s’il voulait répondre ponctuellement à cette identité, toujours floue, des tricksters.

La distorsion de la réalité que les travestissements facilitent se renforce, le plus souvent, par des actes ou affirmations équivoques et mensongères qui ne sont en fait qu’une manière de masquer la vérité et qui nous mènent au thème suivant.

Le langage et l’aspect formel : astuce verbale et narrations épisodiques

Tous nos personnages se caractérisent par leurs habiletés verbales101 qui construisent des univers inexistants, et parfois enivrants, pour mystifier autrui. La verve séductrice de Renart matérialise du miel ou des rats imaginaires qui, selon ses dires, n’attendent qu’à être dévorés par Brun ou Tibert, victimes tous les deux d’innombrables blessures dues aux paroles truquées du roublard102. Tout comme les arguties langagières de Pathelin (dont le métier, l’« advocacion », rimera avec « trompacion103 »), le rendront célèbre.

Tristan et Yseut, de leur côté, se défendent continuellement des accusations d’adultère grâce à des affirmations équivoques, telles que le serment ambigu, par lesquelles ils nient et affirment leur relation interdite104. Leurs phrases à double sens rappellent les constantes acrobaties et jeux de mots des fabliaux et des nouvelles comiques105, où d’ailleurs la manipulation langagière est l’arme la plus importante. Loki lui‑même se caractérise par des traits d’esprit qui le tirent des embarras que lui occasionnent, sans cesse, ses roueries106. Mais il faut surtout mentionner la Lokasenna, dans l’Edda poétique : duel verbal où les antagonistes échangent des vitupères et s’insultent publiquement à travers d’élaborés distiques rimés. Il faut démontrer le plus d’esprit possible pour riposter et, sans jamais perdre le contrôle ni passer à l’agression physique, dominer verbalement l’autre dans le but de le laisser interdit ; lui faire tourner la tête ; le rendre fou ; et/ou le pousser aux coups107. Tout comme dans les motti du Décaméron et d’autres courts récits, celui qui gagne est celui qui domine la parole, même si les récits de Boccacce comme ceux des Cent Nouvelles nouvelles, ne déploient point l’agressivité blessante de Loki108. En revanche, les sarcasmes que Renart inflige aux personnages de la cour lors du « siège de Maupertuis » ont été comparés à ceux de la Lokasenna109, et parfois Merlin arrive aussi à produire des discours sarcastiques et injurieux (envers Grisandole, par exemple).

De plus, Merlin, tel un prophète, parle en termes obscurs qu’il faut interpréter110 ; il utilise ainsi des énigmes pour faire ses prédictions, comme lorsqu’il indique la triple mort qui attend un certain homme.

Il faudrait aussi mentionner le langage de l’irrationnel dans les jeux fatrasiques de Pathelin quand il feint le délire et que, à l’instar de Renart, déguisé en jongleur étranger, il réalise de comiques combinaisons en différents dialectes pour déconcerter le drapier, ce qui s’apparente aussi au discours chiffré de Tristan lépreux, que l’on a caractérisé comme une véritable sottie111 très liée aux comiques propos à double entente du Tristan « fou » des Folies.

Mainte confusion que le trickster produit se doit à l’usage d’une parole séductrice et volontiers ironique112, dont les entourloupettes verbales et les ressorts rhétoriques exploitent la pluralité sémantique du langage.

On voit donc que l’emploi du langage des tricksters va des simples mensonges ou flatteries aux injures, des phrases oraculaires abstruses aux affirmations à double sens vulgaire, de l’agression verbale à l’irrationnel délirant. Quoi qu’il en soit, sa parole sera presque toujours transgressive. Parfois, par le choix du registre bas, voire obscène, que les textes déploient assez joyeusement : on raille les conventions courtoises de l’emploi de mots choisis, et l’on rabaisse tout, en se réjouissant aux métaphores érotiques et aux allusions plus ou moins indécentes113. Par ailleurs, la transgression des prophéties de Merlin relève du fait même de leur articulation entre le passé et le futur.

Si les tricksters se chargent de brouiller les frontières et déplacent les marques de différenciation entre ce qui est permis et ce qui est interdit, les textes où ils apparaissent donnent voix à tout ce que l’idéologie officielle prétend supprimer, ils nomment les parties défendues du corps, tout comme ils parlent du côté obscur de la nature humaine et de la réalité, de la malignité qui nous habite tous, de nos désirs de fuir des obligations, des aspects ignobles et dégoûtants. On a mentionné que, parfois, les genres mêmes qui mettent en scène le personnage trickster parviennent à représenter, à leur tour, une sorte d’insubordination, d’une part envers la littérature officielle, et d’autre part envers les frontières génériques. À part les fabliaux et les nouvelles, le meilleur exemple serait celui du Roman de Renart qui contrefait presque tous les genres traditionnels de son époque, et qui illustre bien la difficulté que les critiques rencontrent pour délimiter le genre114. Tout comme il n’est pas étonnant que Tristan le Moine transgresse le récit courtois qui semble amorcer l’histoire, en le transformant en une narration au style burlesque qui métamorphose le tout en un texte hybride difficile à définir115.

Un autre trait commun aux récits des tricksters réside dans le fait que tous quasiment se présentent sous forme de courtes narrations racontant une intrigue autonome, susceptible de s’enchaîner à d’autres épisodes. Semblables aux dessins animés auxquels on les a comparés116. En effet, leur capacité à réapparaître sans aucune égratignure pour un nouveau tour semblerait ouvrir leur histoire à une suite interminable d’anecdotes (ainsi en va‑t‑il pour les branches de Renart117, les aventures de Loki118, ou les premières versions de la légende de Robin des Bois, qui ne se conservent que dans des ballades isolées119). Pour preuve, la diffusion des scènes indépendantes de Tristan ou leur insertion dans des textes plus longs. Il s’agit toujours des épisodes narrant les rencontres entre les amants grâce à une nouvelle ruse de Tristan, qui se déguise en ménestrel, en fou, ou se fait passer pour mort et prend l’apparence d’un moine, et même dans les moins trickstériles il chante comme un rossignol ou laisse un message en code secret. Ces épisodes pourraient, en effet, se multiplier sans arrêt, pourvu qu’on les situe intercalés avant la mort tragique des amants120. Chacune de ces scènes, affirme Nancy Freeman Regalado, se clôt sur la séparation des amants et ne conduit à aucun dénouement narratif ; elles constituent « l’articulation thématique du désir insatiable propre aux tricksters ».

Ainsi en est‑il des récits contant les aventures des bandits hors-la-loi, et même de Merlin. Pensons, en effet, aux scènes où il prouve la véracité de ses pouvoirs prophétiques, se moque et rit sans cesse, celles qui le rapprochent d’un trickster. Elles sont constituées de motifs folkloriques (comme la prédiction de la triple mort d’un seul homme, ou celles du décès de différents personnages) et semblent répétitives, plus pour consolider sa célébrité que pour faire avancer l’action. L’épisode de Grisandole, dans la Suite Vulgate (où le mage démontre encore une fois ses capacités divinatoires), peut également constituer une anecdote détachable121. Et dans le Roman de Silence, même si c’est grâce à lui que se produit le dénouement de la narration, dans la perspective de l’histoire de Merlin, son apparition dans le récit pourrait être considérée en fait comme un autre épisode indépendant qui — sans être détachable — ne représente qu’une aventure additionnelle dans une longue vie remplie d’anecdotes semblables (dont on reprend à nouveau les motifs connus des prédictions, des révélations et du rire énigmatique122).

Finalement, il faut mentionner les fabliaux et les nouvelles, où le piège et la duperie sont les motifs principaux d’une brève narration constituée par une seule intrigue, c’est-à-dire qu’elles se présentent sous la forme d’un épisode indépendant qui connut probablement une longue diffusion orale. Même dans le cas de Pathelin, nous retrouvons une farce complexe qui, à l’origine, devait être construite par la superposition de trois farces indépendantes ayant chacune une seule intrigue123.

Un dernier trait nous permettra de conclure. Dans presque tous nos exemples s’impose un discours répétitif. Soit qu’on veuille rappeler ses exploits (Merlin dictant à Blaise124, ou Tristan déguisé, pour se faire reconnaître par Yseut) ; soit pour raccommoder les faits, dans le but de berner quelqu’un, comme chez Renart125 ou dans le court récit, et même chez Pathelin, ou encore, comme dans Tristan le Moine, pour rendre Tristan « mort » plus innocent qu’il ne l’était. Les bandits, enfin, ont une tendance à parler d’eux‑mêmes et de leurs méfaits à la troisième personne126, pour se moquer, mais aussi afin de se montrer encore plus dangereux qu’ils ne le sont. En tout cas, ce qui saute aux yeux est le fait de la construction du personnage127.

En outre, à travers ces récits répétitifs, corrigés ou en troisième personne, ainsi qu’avec chaque masque, il s’avère que le trickster acquiert des traits différents et même contradictoires, qui nuancent sa personnalité de mille visages et le rendent impossible à cerner ou étiqueter. En définitive, il finit par sembler, paradoxalement, toujours pareil (la ruse toujours à portée de main) et toujours distinct (il s’agit toujours d’une nouvelle argutie), mais surtout insaisissable dans sa totalité.

De cette tentative de repérer les traces du trickster dans la littérature médiévale, il ressort que nous nous retrouvons de toute évidence bien loin des mythes d’origine où cette figure occupe un lieu prépondérant bien que marginal. En effet, sans cesser d’être ses évidents descendants, lorsque les personnages littéraires sont confrontés au trickster mythique, ils ont déjà perdu la signification et les fonctions primordiales de celui‑ci128. Le trickster mythique appartient aux origines du monde, avant que ne soient définies les limites entre le bien et le mal, entre l’humain et l’animal ; son hybridisme, ses ambiguïtés, son polymorphisme et même ses malignités, sont difficilement acceptables dans une société rigidement hiérarchisée telle que la société médiévale129, qui ne peut les concevoir sans les sataniser. Ce qui expliquerait les réactions aux aspects inquiétants des héritiers des traits trickstériles, et la fascination mêlée de réprobation de la part des conteurs.

Le cas de Merlin poserait plus de problèmes étant donné sa liaison aux fonctions druidiques et ses rapports aux anciennes divinités Celtes (tout comme P. Walter l’a examiné). S’il est vrai que le prophète-magicien ne montre pas tous les aspects subversifs d’un trickster tel que Renart, il faudrait admettre qu’il est né de la subversion la plus grave qu’on aurait pu imaginer au Moyen Âge, puisque son rôle était, à l’origine, d’introduire le désordre et la malignité dans le monde des humains. En bon trickster il arrivera à déjouer les expectatives perverses de ses créateurs et à servir Dieu. Mais la trace de ses traits subversifs et de son héritage obscur ne disparaissent pas pour autant et finissent par le condamner dans quelques versions. Il n’y a aucun doute que tout en se rangeant du côté de l’Ordre, Merlin n’échappe pas à son destin d’être hybride, ce qui le relie au trickster mythique, avec lequel il partage aussi la ruse, la marginalité, la vocation de médiateur, l’ambiguïté, le polymorphisme et un certain goût, indéniable, pour la transgression.

La figure du trickster constitue une issue aux contradictions de la vie humaine, entre l’exigence de structure et de règles et la nécessité de liberté et de spontanéité ; entre le besoin de satisfaire de façon immédiate les pulsions et désirs élémentaires tels que la sexualité ou la faim, et le maintien de la vie sociale, tout en nous montrant au passage nos propres faiblesses et limites, c’est ce qui le rend à la fois si comique et si touchant130. Il oppose donc à l’idéalisation d’un monde parfait — ou sacré, ajouterait Franchot Ballinger131 — les imperfections et les contradictions humaines dans la réalité complexe du présent132. En nous ramenant aux contingences de l’existence humaine, c’est au besoin constant de transformation pour résister à l’inertie et à la stagnation qu’il fait appel. En plus de remettre en cause les lois et les normes sociales, il nous remet en mémoire que le désordre et la désobéissance sont inhérents à notre réalité. On ne peut pas oublier que dans un grand nombre de codex médiévaux coexistent les textes sacrés et les fabliaux, et que dans maints manuscrits l’obscénité des enluminures va difficilement de pair avec le contenu pieux des textes qu’elles accompagnent. Selon Barbara Nolan133 et Carter Revard134, cela est dû à la tentative de rendre compte de la complexité et de la multiplicité du monde, une façon d’acquérir une idée plus équilibrée et plus exacte de la réalité, au moyen d’un procédé parfaitement conforme au trickster : montrer le revers de la médaille ou, plutôt, une profusion de facettes possibles.

Nous pourrions conclure, avec Georges Balandier, qui a étudié la fonction sociale et politique du désordre à l’intérieur de l’ordre, que mis à part les fonctions rituelles et mythiques du trickster, ses héritiers littéraires évoquent certainement ces « conduites génératrices de crise que l’ordre social refoule ordinairement135 », qui remplacent la transgression réelle par la transgression fictive en mettant la ruse au service d’une fraction de liberté.

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Notes

1 À travers les mythes de presque toutes les civilisations, et tout particulièrement à partir du travail canonique de P. Radin concernant le trickster nord-américain de Winnebago : The Trickster. A Study in American Indian Mythology (1972), avec les essais de K Kerényi analysant le rapport du trickster avec Hermès, et celui de C. Jung qui procède à la caractérisation de l’archétype universel. Return to text

2 Eustache le Moine était d’ailleurs un personnage historique — bandit sur terre et sur mer —, bien connu à son époque, même si le récit de ses aventures suit un moule rempli des motifs communs aux récits des hors-la-loi littéraires. Voir Le Roman d’Eustache, éd. de A. J. Holden et J. Monfrin, 2005, et la traduction en anglais commentée de G. Burgess, Two Medieval Outlaws. Fouke Fitz Waryn and Eustace the Monk, Cambridge, D. S. Brewer, 1997. Le texte de Fouke a été édité par L. Brandin (Fouke Fitz Warin. Roman du xive siècle, Paris, Champion, 1930) et plus récemment dans une excellente édition par E. J. Hathaway, P. T. Ricketts, C. A. Robson et A. D. Wiltshire (Fouke le Fitz Waryn, « Anglo-Norman Text Society », nos 26, 27 et 28, 1976). Par ailleurs, Fouke le Fiz et Robin des Bois — dans un texte tardif — ont eux aussi des aventures maritimes. Quant à Robin, voir ci‑dessous, note 21. Return to text

3 Parmi les études des tricksters littéraires médiévaux, voir notamment les travaux de N. Freeman Regalado, « Tristan and Renart: Two Tricksters », L’Esprit créateur, vol. 16, no 1, printemps 1976, p. 30‑38 ; A. Lomazzi, « L’eroe come trickster nel Roman de Renart », Cultura neolatina, no 40, 1980, p. 55‑65 ; M. Blakeslee, « Tristan the Trickster in the Old French Tristan Poems », Cultura neolatina, no 44, 1984, p. 167‑190. Le livre substantiel de A. Williams (Tricksters and Pranksters, Roguery in French and German Literature of the Middle Ages and the Renaissance, Amsterdam / Atlanta, Rodopi, 2000) fait un examen détaillé de la figure littéraire de quelques tricksters du Moyen Âge, parmi lesquels on distingue Eustache le Moine, Fouke le Fitz et Renart. Quant à Tristan et Merlin, voir C. Azuela, « Du héros au trickster dans Tristan als Mönch. Entrelacement et contrepoint » (2008), et C. Azuela, « Merlin prophète et trickster dans le Roman de Silence » (travail en cours de publication). Return to text

4 Ainsi que le montre L. Makarius en décrivant le trickster comme : « […] le Civilisateur, qui transforme la nature et parfois crée le monde et l’espèce humaine, est en même temps un pitre, un bouffon. Le héros indomptable qui arrête la course du soleil, pourfend les monstres et défie les dieux, est aussi le protagoniste d’aventures obscènes, dont il sort humilié et avili. L’inventeur de tant d’ingénieux stratagèmes est victime de ses propres ruses. Le maître du pouvoir magique est représenté comme un pauvre bougre, se traînant sur un chemin, allant de déconvenue en déconvenue. Il donne aux hommes les arts, les outils et les autres biens culturels, mais leur joue des tours pendables dont ils font les frais. Il dispense les médecines qui guérissent et qui sauvent, et introduit la mort dans le monde. On dirait que chaque qualité et chaque défaut qui lui sont attribués font surgir automatiquement leur opposé. Le Bienfaiteur est aussi le Malin. Le malintentionné. Tout le bien et tout le mal se rapportent à lui. » (Le Sacré et la Violation des interdits, Paris, Payot, 1974, p. 215‑216) Return to text

5 Quant à Loki, voir S. Sturluson, L’Edda. Récits de mythologie nordique, F.‑X. Dillman (trad.), 1991 (voir ci‑dessous, note 118). Études : G. Dumézil, Loki, 1986 [1re éd., 1948] ; J. de Vries, The Problem of Loki, 1933 ; et l’utile révision de S. von Schnurbein, « The Function of Loki in Snorri Sturluson’s Edda », History of Religions, vol. 40, no 2, 2000, p. 109‑124. Return to text

6 Voir F. Ballinger, « Ambigere: The Euro-American Picaro and the Native American Trickster », Melus, vol. 17, no 1, printemps 1991et printemps 1992, p. 21‑38, en particulier p. 31. Return to text

7 C’est pourquoi quelques auteurs comme J.‑P. Bordier mettent en question l’utilité de la notion de trickster pour l’analyse littéraire, lorsqu’il compare — à juste titre — Renart, Trubert et Pathelin au trickster mythique (« Pathelin, Renart, Trubert, Badins, Décepteurs », Moyen Âge, no 6, 1992, p. 71‑84, en particulier p. 82). Voir aussi le chapitre « Un faux type universel : le décepteur » de J. Batany, dans Scène et Coulisses du Roman de Renart, Paris, SEDES, 1989, p. 23‑45. Toutefois, on a essayé, ici, de repérer les éléments constitutifs de cette figure mythique dont les traces sont évidentes chez de nombreux personnages littéraires. Return to text

8 On a suivi en partie l’utile « guide heuristique » fourni par W. Hynes (« Mapping the Characteristics of Mythic Tricksters: A Heuristic Guide », dans W. Hynes et W. Doty (éds), Mythical Trickster Figures, Alabama / Londres, University of Alabama Press, 1993, p. 33‑45), ainsi que des considérations de L. Hyde (Trickster Makes this World, New York, North Point Press, 1999) et de A. Williams (Tricksters and Pranksters, ouvr. cité). Return to text

9 Voir plus loin, note 60. Return to text

10 On ne peut pas oublier la joie de Tristan déguisé en lépreux, quand il guide ses ennemis jusqu’aux endroits les plus profonds du marécage pour qu’ils s’y embourbent, ou les insultes voilées qu’il débite contre Marc (aussi dans les Folies, en feignant la démence, et même dans Tristan le Moine). On peut penser également aux « gouailleurs » des fabliaux et des nouvelles, dont les farces et les pièges, en partie déterminés par les circonstances, révèlent une dose de malice qui correspond au plaisir de réussir à tromper les autres « pour la beauté de la chose », comme le dit G. Sinicropi (« Il segno linguistico del Decameron », p. 195, dans Studi sul Boccaccio, vol. IX, 1975, p. 169‑224). Return to text

11 Même dans un texte dont les visées ne sont pas particulièrement comiques, comme c’est le cas du Merlin de R. de Boron où il s’agit de relier l’univers du roi Arthur à la spiritualité chrétienne, on nous montre le mage riant sans cesse, surtout à l’heure, encore enfant, de faire ses premières prophéties. Cependant, si ce rire peut paraître énigmatique, c’est par contre dans une ambiance de bonne humeur partagée, digne de n’importe quelle comédie, qu’il va démontrer à Uter et à Pendragon sa véritable qualité de prophète : il apparaît et disparaît, change d’aspect, se moque d’Uter avec la complicité de Pendragon, et le rire est toujours présent (R. de Boron, Merlin. Roman de xiiie siècle, 1979, § 38, p. 145). Les mystérieux éclats de rire du mage apparaissent partout dans les textes liés à Merlin, et plusieurs critiques s’en sont occupés (voir P. Zumthor, Merlin le Prophète, Genève, Slatkine, 2000, p. 45‑47 ; H. Bloch, « Le rire de Merlin », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, no 37, 1985, p. 7‑21 ; et surtout P. Walter, Merlin ou le savoir du monde, Paris, Imago, 2000). Return to text

12 Ce qui correspondrait, d’après C. G. Jung, aux pulsions agressives, hostiles et destructrices de l’inconscient, propres à cette étape plus primitive (voir le paragraphe sur le trickster malfaiteur ou bienfaiteur). W. Hynes et W. Doty révisent cette posture « évolutionniste » dans Mythical Trickster Figures, ouvr. cité, p. 22‑23. Return to text

13 Quant aux liens des tricksters avec le diabolique, reliés, d’ailleurs, à leur hybridisme, voir plus loin, note 70. Return to text

14 Qui apparaît clairement dans les récits du trickster des Winnebago, Wakdjunkaga. En fait, le trickster est généralement décrit comme luxurieux et, dans plusieurs cultures, il est doté d’un énorme phallus ou d’intestins démesurés. K. Kerényi et D. Vazeilles mentionnent les représentations ithyphalliques d’Hermès qui, de l’avis de J. de Vries, se retrouve mêlé au moins à une trentaine d’aventures érotiques (K. Kerényi, « The Trickster in Relation to Greek Mythology », dans P. Radin, The Trickster, ouvr. cité, p. 171‑191 ; D. Vazeilles, « Tricksters et transgression, hier et aujourd’hui. Études comparées : Amérindiens, Grèce antique et monde occidental contemporain », dans P. Sauzeau et J.‑C. Turpin (éds), Philomythia. Mélanges offerts à Alain Moreau, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2008, p. 237‑261 ; J. de Vries, The Problem of Loki, ouvr. cité). Return to text

15 Certains fabliaux et branches du Roman de Renart illustrent assez bien ces aspects. Même le Merlin du Roman de Silence emploie une expression imagée pour parler d’un adultère (vers 6368-6369 de la version en anglais de S. Roche-Mahdi, Silence. A Thirteenth Century French Romance, 1992 [la première édition de ce texte, signé par H. de Cornuälle, fut de L. Thorpe, Le Roman de Silence. A Thirteenth-Century Arthurian Verse Romance, 1972]). Tout comme le serment ambigu d’Yseut chez Béroul rend présent le corps — avec tous les plaisirs qu’il réclame —, alors que la société qui était en train de la juger voulait justement effacer le corps, ou tout au moins le rendre coupable (Béroul dans Tristan et Iseut. Les premières versions européennes, C. Marchello-Nizia [éd.], 1995, vers 4197-4216). La figure féminine rusée est, d’ailleurs, typique des récits aux intentions comiques du genre des fabliaux et nouvelles. Il existe des études sur les tricksters littéraires féminins (définies comme « trickStars » par M. Jurich, « “Mastermaid” to the Rescue! Tricks, TrickSTARS, and Tricksters: Transforming Gender Roles and Folktale Study », dans C. W. Spinks [éd.], Trickster and Ambivalence: The Dance of Differentiation, Madison, Atwood Publishing, 2001, p. 21‑33). Voir aussi la section que A. Williams consacre aux femmes des fabliaux (Tricksters and Pranksters, chap. 2). Il faudrait inclure, aussi, des entremetteuses telles que Celestina dans la littérature espagnole, ou même l’Auberée du fabliau (rôle de Merlin dans la conception du roi Arthur, ou d’Hermès dans la comédie latine. Ce dieu participe d’ailleurs aux naissances exceptionnelles [voir W. Doty, « Hermes as a Trickster », dans W. Hynes et W. Doty (éds), Mythical Trickster Figures, ouvr. cité, p. 46‑65, en particulier p. 54 et 56]). Return to text

16 Bien que ces traits découlent de sa maîtrise du temps, ils correspondent aussi aux renversements typiques du trickster : ainsi, l’image burlesque du Merlin-homme sauvage ivre et au ventre ballonné qu’offre le Roman de Silence (vers 6120-6129) semble bien être une image carnavalesque du prophète arthurien, tout comme d’autres tricksters changent les situations, les rôles et même l’identité sexuelle, ainsi que le met en évidence Loki par ses changements de sexe : il se transforme en femme et en sorcière, il se convertit même en jument et procrée différents animaux (voir S. von Schnurbein qui examine ces traits : « The Function of Loki », art. cité, p. 109‑124, surtout p. 119‑123). En outre, il faut se rappeler aussi du déguisement féminin que Wistasse le Moine choisit pour duper un de ses ennemis ; celui de Fouke, également. D’ailleurs, l’inversion carnavalesque constitue l’un des axes de l’ouvrage de A. Williams (Tricksters and Pranksters). Return to text

17 P. Walter examine en détail les traits carnavalesques de Renart dans « Renart le fol, motifs carnavalesques dans la branche XI du Roman de Renart », L’information littéraire, no 5, 1989, p. 3‑13 ; ce critique suit la numérotation de Roques, différente de celle de Martin, dont cet épisode, « Les Vèpres de Tibert », correspond à la branche XII, tout comme dans l’édition de J. Dufournet : Le Roman de Renart (2 vol., J. Dufournet et A. Méline [éds et trad.]), ici citée pour les branches I‑X et XIV‑XVI. Quant à celles qui n’y sont pas éditées intégralement, on les citera à partir de l’édition de la Pléiade (sous la direction de A. Strubel, Paris, Gallimard, 2000), dont l’épisode des « Vêpres… » correspond à la branche VI, p. 219‑253. Return to text

18 Ce qui a rendu le texte quelque peu incommode pour la critique : A. Classen, « Humor in German Medieval Literature: Revisiting a Critical Issue with Special Emphasis on the Grotesque in Tristan als Mönch and Heinrich von dem Türlin’s Diu Crône », Tristania, no 21, 2002, p. 59‑91, surtout p. 74‑75 ; A. Classen, « Moriz, Tristan, and Ulrich as Master Disguise Artists: Deconstruction and Reenactement of Courtliness in Moriz von Craûn, Tristan als Mönch, and Ulrico von Liechtenstein’s Frauendienst », Journal of English and Germanic Philology, vol. 103, no 4, 2004, p. 475‑504 ; W. McDonald, The Tristan Story in German Literature of the Late Middle Ages and Early Renaissance, Lewiston / Queenston / Lampeter, The Edwin Meller Press, 1990, p. 104‑132 ; D. Buschinger, « Tristan le Moine », dans Tristan et Iseut, mythe européen et mondial (actes du colloque des 10, 11 et 12 janvier 1986), Göppingen, Kümmerle Verlag, 1987, p. 75‑86 ; C. Azuela, « Du héros au trickster dans Tristan als Mönch. Entrelacement et contrepoint », art. cité. Return to text

19 Tristan als Mönch, vers 2647-2650, A. Classen (éd.), Greifswald, Reineke, 1994 ; la traduction en français est de D. Buschinger (« Tristan le Moine », p. 1057, dans Tristan et Iseut. Les premières versions européennes, ouvr. cité, p. 1023-1058). En fait, dès le moment où la reine se rend compte que Tristan est toujours vivant, jusqu’à la fin du récit, le texte se surcharge d’éléments propres aux fabliaux (i.e. allusions à double sens, voir C. Azuela, « Du héros au trickster », art. cité). Return to text

20 On reviendra aux parodies des rites funéraires (voir le paragraphe sur le caractère liminaire). Return to text

21 Même le roi avoue son admiration pour la loyauté de ses hommes : « His men are more at his byddynge / Then my men be at myn » [« Ses hommes sont plus à son service que mes hommes au mien… »] (A Gest of Robyn Hode, Fytte VII, vers 1563-1564, dans S. Knight et T. Ohlgren, Robin Hood and Other Medieval Outlaws, 2000). Toutes les citations des textes de Robin des Bois [avec ma traduction] viennent de cette substantielle édition, qui inclut d’autres textes de bandits tels que celui de Hereward the Wake (Gesta Herewardi, p. 633‑667). D’autre part, les hors-la-loi font preuve de leur supériorité morale par rapport à la corruption des autorités contre lesquelles ils se rebellent. Ils démontrent même une honnêteté toute particulière lorsqu’ils soutirent seulement de l’argent aux victimes qui ont essayé de cacher les véritables sommes qu’elles portaient. Cette punition pour les menteurs et la récompense pour ceux qui sont honnêtes semblent être un motif commun aux histoires des bandits. Return to text

22 Comme il le dit : « Car il n’ia celui de nos / Ki n’en ait l’un l’altre escarni » (Roman de Silence, ouvr. cité, vers 6477-6478). Quant à Merlin-homme sauvage, voir ci‑dessous notes 28 et 29. Return to text

23 Les tricksters sont représentés par des animaux solitaires comme le lièvre, le coyote et le corbeau dans les mythes de l’Amérique du Nord (voir M. Carroll, « Lévi-Strauss, Freud, and the Trickster: A New Perspective upon an Old Problem », American Ethnologist, vol. 8, no 2, mai 1981, p. 301‑313 ; et P. Radin, The Trickster, ouvr. cité, p. xxiii-xxiv), auxquels il faudrait ajouter aussi l’araignée, telle qu’Ananse, le trickster africain (voir C. Vecsey, « The Exception Who Proves the Rules: Ananse the Akan Trickster », dans W. Hynes et W. Doty [éds], Mythical Trickster Figures, ouvr. cité, p. 106‑121). Curieusement Loki est également lié aux araignées (voir G. Dumézil, Loki, ouvr. cité, p. 56‑59 et S. von Schnurbein « The Function », art. cité, p. 113, même si J. de Vries rejette ce rapport). Return to text

24 Loki porte de forts préjudices aux Ases, ce qui aboutit à une hostilité déclarée qui le séparera définitivement de la communauté divine (lorsqu’il provoque la mort de Baldr — sur laquelle on reviendra —, à part la bataille de la destruction finale). De plus, bien qu’il soit une divinité assez active, il semble différer du reste des créatures divines et n’est pas objet de culte. Contre l’opinion de J. de Vries, G. Dumézil le considère comme un « dieu sans fonction » et sans rite déterminé. Il explique même ses traits de « personnage marginal » par l’extrême intelligence dont il fait preuve (Loki, ouvr. cité, p. 215). P. Radin précise que le trickster des Winnebago semble aussi être une divinité secondaire, tout comme Hermès chez les Grecs. Return to text

25 Même si, comme A. Lomazzi le précise, « la transgression sexuelle joue un rôle primordial pour Tristan et pour Renart » (voir « L’eroe come », art. cité, et aussi M. Carroll, « Lévi-Strauss, Freud », art. cité), il faut se rappeler que les autres tricksters sont séparés de leur communauté pour des raisons différentes, comme dans le cas d’Ulysse. Return to text

26 Voir A. Lomazzi, « L’eroe come », art. cité. Cet ordre appartient notamment aux mss A et B, mais pas à tous (voir J. Dufournet, Le Roman de Renart, entre réécriture et innovation, Orléans, Paradigme, coll. « Medievalia », 2007, p. 7). Return to text

27 Tout comme certains soutiennent que Loki a eu également une naissance anormale, puisqu’il est le fruit d’une union transgressive entre une déesse et un géant (voir S. von Schnurbein, « Function of Loki », art. cité, p. 118). D’après L. Makarius, ces naissances anormales constituent une autre caractéristique des tricksters mythiques (Le Sacré, ouvr. cité, p. 218). Pour sa part, Tristan est conçu hors mariage et sa naissance doit rester secrète, ce qui l’oblige à vivre sous une fausse identité dès le début (mais on ne peut pas oublier les versions extravagantes qu’il donne de cet événement dans les Folies — que d’ailleurs P. Walter examine). Si les naissances extraordinaires sont propres aux héros, le rapport avec la bâtardise comme signe de liminarité (justement dans le cas de Loki, Merlin et Tristan) reste néanmoins à souligner. Il faudrait, enfin, revoir la branche « Naissance et enfances de Renart » (Martin-XXIV, Pléiade-XXV), qui décrit sa création parmi les créatures sauvages et nuisibles. Return to text

28 A. Berthelot propose que cette condition d’homme sauvage est la véritable nature du mage (« Merlin ou l’homme sauvage », Senefiance, no 47 [Le Nu et le vêtu au Moyen Âge], 2001, p. 17‑28). Ce trait, associé par P. Walter à ses diverses apparitions comme cerf, homme loup, bouvier, bûcheron et gardien des bêtes, permet de le relier aux êtres archaïques hybrides, mi‑humains, mi‑animaux (Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 115), aux divinités protéennes archaïques. Return to text

29 Roman de Silence, ouvr. cité, vers 5908. Dans cet ouvrage le mage conserve, en fait, la peau velue lorsqu’il habite à la forêt et, de plus, il est comparé à un ours et à un cerf (« et si est com uns ors velus ; / Si est isnials com cers de lande », vers 5930-5931). D’ailleurs, on prévient Silence qu’on n’arrivera à l’attraper que s’il conserve toujours des traces d’humanité (« S’il a humanité en lui », vers 5955). Voir aussi le débat entre Nurture et Nature (vers 5996-6090), où d’ailleurs l’on remarquera l’inversion de la notion de la courtoisie comme élément de « Nurture », puisqu’ici c’est justement Nurture qui fait sombrer le mage dans la condition sauvage contre sa Nature humaine. Return to text

30 « Je voil que vous sachiez entre vos priveement mon affaire et mon estre. Je voil que vous sachiez qu’il me convient par fine force de nature estre par foies eschis [à l’écart] de la gent. » (Merlin, § 39, p. 149) Return to text

31 P. Radin, The Trickster, ouvr. cité, p. 165‑166. La mobilité du trickster se relie à son polymorphisme ; F. Ballinger l’associe également à l’impossibilité de le définir (« Ambigere », art. cité, p. 31‑32). A. Lomazzi a suggéré, de même, que les mouvements sinueux de Renart correspondent aux discours tortueux et aux détours verbaux dont il use pour confondre ses victimes (« L’eroe come », art. cité, p. 62). Return to text

32 S. von Schnurbein propose que Loki se situe plutôt dans une position intermédiaire entre diverses catégories : homme et femme, humain et animal, géants et dieux, comme nous le verrons dans la section consacrée au polymorphisme (« Function of Loki », art. cité, p. 110 et 117‑119). Et l’on n’oublie pas ses importants rapports avec les nains. Return to text

33 Depuis la Vita Merlini de G. de Monmouth, la forêt constitue un refuge pour le prophète Merlin qui semble choisir la « vie sauvage » en raison de sa nature d’homme sauvage, ce qui inclut un refus des frivolités sociales. De même, Robin des Bois ne supporte pas plus d’un an la vie à la cour auprès du roi, et il finit par retourner à Sherwood (A Gest of Robyn Hode, Fytte VIII, ouvr. cité). Return to text

34 J. Le Goff, « Le désert-forêt », dans L’Imaginaire médiéval, 1985, p. 59‑85 et « Lévi-Strauss en Brocéliande ». C’est, par exemple, dans la forêt, que Tristan et Yseut peuvent rester ensemble le plus longtemps (même si D. Poirion critique le préjugé romantique de l’amour enfin libre dans la forêt, en soulignant les cruautés de la vie sauvage ; voir l’introduction à son édition de Béroul dans Tristan et Iseut. Les premières versions européennes, ouvr. cité, p. 1147-1148). Ainsi, les aspects les plus menaçants et périlleux de la forêt ramèneraient encore à une autre ambivalence reliée aux tricksters — comme l’affirment, au sujet des hors-la-loi, A. J. Pollard (Imagining Robin Hood, Londres / New York, Routledge, 2004, p. 57‑81) et A. Williams (Tricksters and Prancksters, ouvr. cité, p. 123‑125). Return to text

35 P. Walter, Le Gant de verre. Le mythe de Tristan et Yseut, Poiré-sur-Vie, Artus, 1990, p. 295‑298 ; la citation vient de la p. 297. En fait, dans cet ouvrage ainsi que dans Tristan et Yseut. Le porcher et la truie (2006), l’auteur remarque plusieurs analogies entre Tristan et Hermès dues, comme il le précise, à des origines indo-européennes partagées, auxquelles on pourrait ajouter la commune qualité de tricksters. Return to text

36 P. Walter, Tristan et Yseut. Le porcher et la truie, Paris, Imago, 2006, p. 258. On reviendra plus tard sur une autre sorte d’articulation entre l’humanité et la divinité, que les connaissances de vénerie (liées aux sacrifices) confèrent à Tristan (voir le paragraphe sur le trickster malfaiteur ou bienfaiteur). Return to text

37 Il faut souligner que la familiarité de Merlin avec le cochon se relie à Yr Oianau, le petit cochon, texte d’origine galloise (P. Walter, Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 19‑21). Return to text

38 Dans l’épisode de Grisandole de la Suite du Merlin, P. Walter mentionne le rôle du cerf comme animal funéraire dans le monde celtique et préceltique (dans Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 110‑111). D’ailleurs, cette association du prophète avec le cerf vient de la Vita Merlini. Return to text

39 P. Walter examine la portée des rapports entre Merlin et l’ours dans Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 63 et 156 ; ainsi qu’avec le loup, p. 64‑68. Return to text

40 On ne peut pas oublier qu’Hermès détient aussi un don de prophétiser, quoique mineur. Return to text

41 Voir l’histoire des Navaho où Coyote introduit la mort dans sa communauté. Il explique que c’était nécessaire car, sans elle, le monde risquait d’être surpeuplé (F. Ballinger, « Ambigere », art. cité, p. 34, et aussi la p. 134 de R. Pelton, « West African Tricksters: Web of Purpose, Dance of Delight », dans W. Hynes et W. Doty [éds], Mythical Trickster Figures, ouvr. cité, p. 40 et 122‑140). Return to text

42 À part la mort de Baldr, provoquée par Loki, et spécialement significative puisqu’elle semble marquer le début de la fin du monde des Ases, Loki est aussi le père de Hel — qui domine sur l’au‑delà. L. Hyde remarque que ces faits, tout comme l’épisode du vol des pommes de l’éternelle jeunesse d’Idunn, rappellent que c’est justement de vieillissement, de mort et de destruction qu’il menace les Ases — même si, dans ce dernier cas, il s’arrange pour récupérer les pommes (voir Skaldskaparmal, § 1 [L’Edda, p. 106‑107]). Voir aussi J. de Vries qui signale ses rapports avec l’autre monde dans The Problem of Loki, ouvr. cité, p. 210‑215). On reviendra aux aspects de régénération de la nature liés aux tricksters (voir le paragraphe sur le trickster malfaiteur ou bienfaiteur). Return to text

43 R. de Boron, Merlin, ouvr. cité, § 45, p. 169‑170. Return to text

44 Le thème de la mort occupe une place centrale dans plusieurs épisodes de Renart qui feint d’être mort pour ne pas être exécuté (branche III, vers 46 et suiv.) ou fait son testament avant d’être jugé (branche Ia, vers 1965 et suiv.), ou enfin est même enterré (« La mort de Renart », Martin-XVII, Pléiade-XVIII). D’ailleurs, J. Dufournet examine ces aspects dans Le Roman de Renart, entre réécriture, ouvr. cité, p. 137‑159). Voir également les funérailles de Coupée, devenue martyre miraculeuse dans la branche I, et tous les autres personnages qui sont tués dans un épisode, mais réapparaissent dans les suivants. Return to text

45 Voir les fabliaux « D’Estormi », « Les III bossus » ou « Du segretain moine ». D’autres parodies mortuaires se retrouvent dans « Du vilain qui conquist le paradis par plait », « De Saint Pierre et du jongleur », ou dans le Décaméron (II‑8, VII‑1, VII‑10). Return to text

46 R. de Boron, Merlin, ouvr. cité, p. 192‑193. Return to text

47 On a dit qu’à la fin, Tristan et Yseut se moquent des obstacles sociaux à leur amour au moyen des arbres qui enlacent leurs branches au‑dessus de leurs tombes (comme le suggèrent D. Poirion, J. Batany et M. R. Blakeslee). N. Freeman Regalado propose d’ailleurs que la mort si fortement érotisée des amants constitue en elle‑même une ultime transgression (« Tristan and Renart », art. cité, p. 34, n. 11). Return to text

48 Outre le fait d’être dotée d’une beauté exceptionnelle, Yseut connaissait les herbes curatives et, à la différence des femmes soumises, elle prenait des initiatives et partageait, solidaire, les affres de l’amour avec Tristan, ce qui l’éloignait aussi des dames altières des troubadours et trouvères. En bonne séductrice de l’univers celtique, elle aurait sûrement fait pâlir l’image de bonnes épouses chrétiennes, comme l’affirmait D. Poirion (voir M. Cazenave, « L’amour impossible », dans L’Art d’aimer au Moyen Âge, 1997). Yseut sous la figure de la fée est minutieusement étudiée dans Le Gant de verre de P. Walter (ouvr. cité). Return to text

49 Il faut penser à la langue anglo-normande d’abord, mais surtout, comme P. Walter le propose, à tout l’héritage celtique et indo-européen de ces deux personnages. D’ailleurs, Merlin, dont l’apparition dans la littérature française est due à un clerc gallois de l’époque d’Henri II et Aliénor d’Aquitaine, est un descendant des druides, partageant des traits avec des êtres mythiques primordiaux. Remarquons aussi que Fouke le Fitz et Eustache se retrouvent également dans ce carrefour anglo-normand (ce dernier offre ses loyautés tantôt aux Français, tantôt aux Anglais). Return to text

50 Ainsi, le va-et-vient de Renart rappellerait la lecture intertextuelle proposée par le Roman de Renart, qui va du texte parodié à la parodie elle‑même (A. Lomazzi, « L’eroe come », art. cité, p. 62). Return to text

51 Notamment de Renart et de Tristan, mais aussi de Robin des Bois : au fur et à mesure que les histoires du bandit sont reprises, il perd ses traits les plus agressifs pour devenir le hors-la-loi le plus courtois qu’on puisse imaginer (voir ci‑dessous, note 82). Sans mentionner la compliquée genèse textuelle de Merlin, ses avatars et les multiples réécritures de son histoire. Return to text

52 L’on y retrouve, en effet, des allusions plus ou moins explicites aux autres tricksters : Renart parodie Tristan, tandis que sa tanière est mentionnée chez Béroul. De même que la renardie occupe une place explicite dans Tristan le Moine, ainsi que chez Pathelin. À son tour, l’histoire d’Eustache le Moine reprend des motifs de Renart et de Tristan, comme le rappelle M. Lecco (« Wistasse Rossignol: l’intertesto tristaniano in Wistasse le moine », Romance Philology, no 59‑1, 2005, p. 103‑119) et Loki, enfin, est comparé à Ulysse (voir plus loin, note 118). Return to text

53 Voir plus haut, note 4. Return to text

54 Comme P. Walter l’a démontré en révélant les racines mythiques celtes du personnage dans des textes gallois et irlandais (Merlin ou le savoir). Return to text

55 Voir le paragraphe sur le trickster polymorphe : lorsque Tristan se déguise en fou ou en lépreux, ou quand les gens de la cour doutent des pouvoirs de Merlin (voir notamment le Roman de Silence). Si l’on arrive à jeter sur Tristan le bouillon de la soupe (Donnei des amants), Renart, lui, reçoit même un bain d’excrément (dans « Renart magicien », Martin‑XXXIII, Pléiade-XXIV). D’ailleurs le rapport des tricksters aux excréments est un thème bien étudié. Return to text

56 Voir B. Franceschini, « Ephémeros. Per un’analisi dei caratteri nel Tristano di Thomas e di Béroul », Cultura Neolatina, no 61 (3‑4), 2001, p. 275‑299. Return to text

57 Gylfaginning, § 46 (L’Edda, p. 81‑86). Le motif de la duplication, comme la duplicité, semblerait être récurrent dans les récits de tricksters, et se lie de près à leur polymorphisme (voir notamment les doubles, négatif et positif, de Fouke le Fitz Waryn). Return to text

58 On y reviendra. Voir A Gest of Robyn Hode, Fytte I, vers 7, ouvr. cité. C’est surtout à partir de ce texte — du début du xvie siècle — que l’on assiste à l’ennoblissement du personnage, qui peu à peu perd ses traits agressifs les plus inquiétants (comme lorsqu’il défigure la tête de l’ennemi qu’il vient de tuer [ballade de Robin Hood and Guy of de Gisborne]). Ainsi, au lieu d’être le féroce ennemi des riches des premières ballades, il devient le protecteur des pauvres, tel que les tout derniers vers de la Gest le soulignent : « For he was a good outlawe, and dyde pore men moch god » [« parce qu’il était un bon hors la loi, et faisait beaucoup de bien aux pauvres »] (Fytte VIII, vers 1823-1824). D’autre part, on peut rappeler que dans Tristan le Moine, le héros défigure, lui aussi, le chevalier mort qui le remplacera lors de ses fausses funérailles. Return to text

59 Tout comme la déesse Mètis finit par être avalée par son époux Zeus. Return to text

60 Plusieurs critiques ont relié le comportement de Renart, Tristan ou Merlin à la notion de la mètis (voir A. Lomazzi, P. Walter, A. Berthelot, A. Strubel, entre autres). En effet, dans Les Ruses de l’intelligence, M. Detienne et J.‑P. Vernant rappellent, par exemple, comment s’opère la première alliance de Zeus avec la déesse Mètis, qui l’aide à gagner le pouvoir et, bien sûr, à le conserver. Ce qui illustrerait, justement, l’idée que la force, seule, sans la ruse, ne suffit pas, comme le prouveront de nombreux tricksters répétant à plusieurs reprises que mieux vaut ruse que force — i.e. Merlin, lorsqu’il transporte les pierres de Stonehenge (notamment dans le Roman de Brut, mais l’idée apparaît déjà chez G. de Monmouth [Historia]) ; et surtout Renart, presque toujours moins fort que les grandes bêtes qu’il finit par railler (i.e. branche II, vers 618). Si, par ailleurs, M. Detienne et J.‑P. Vernant ne font qu’une rapide allusion au trickster, J.‑P. Bordier rejette tout rapport entre celui‑là et la mètis (« Pathelin, Renart »). Return to text

61 Curieusement, quand G. Chaucer décide de reprendre un épisode du goupil dans ses Contes de Canterbury (le récit du Prêtre des nonnes), il choisit une des anecdotes du mystificateur mystifié (celle où Chanteclair se moque de Renart) comme s’il avait pressenti que cet aspect de réversibilité de la ruse constituait une partie essentielle de la caractérisation du personnage. Return to text

62 La fin de Merlin, racontée dans des versions postérieures à R. de Boron, « témoigne d’une réversibilité de ce savoir magique dont il était a priori le seul détenteur » (P. Walter, Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 185). D’ailleurs, c’est curieux que ce soit seulement des femmes (Viviane, la dame du Lac, Grisandole ou Silence) qui réussissent à surprendre le puissant mage — même si c’est seulement de manière temporaire, dans le cas des deux dernières. S. Roche-Mahdi mentionne une autre jeune femme déguisée en homme qui le capture aussi dans un texte germanique (« A Reappraisal of the Role of Merlin in the Roman de Silence », Arturiana, vol. 12.1, 2002, p. 6‑21, en particulier p. 20, n. 4). Return to text

63 « Yet he was begyled, iwys » (« Malgré tout il a été berné sans doute », A Gest of Robyn Hode, Fytte VIII, vers 1801, p. 147). Ce dernier « sans doute » insinue l’étonnement du narrateur. Mais le renversement des rôles du trickster était déjà suggéré dans l’épisode où Robin rate son but et reçoit des gifles de ses compagnons. Return to text

64 Le bateau était si grand qu’il pouvait contenir tous les Ases avec leurs armes et leurs cuirasses de guerre. Aussitôt la voile hissée, le vent le portait où il voulait, mais en cas de nécessité, il pouvait se plier comme un mouchoir de poche. L’épieu ne manquait jamais son but. Le marteau revenait à la main de Thor et était indestructible (Skaldskaparmal, § 5 [L’Edda, p. 117‑119]). Si pour G. Dumézil cela ne suffit pas pour le considérer comme un « héros civilisateur » (Loki, ouvr. cité, p. 206, n. 4), J. de Vries, pour sa part, conclut son étude sur Loki justement par la reconnaissance de la double nature du trickster, fripon et héros culturel à la fois, comme trait capital de son caractère (The Problem of Loki, ouvr. cité, p. 297). Return to text

65 Gylfaginning, § 33 (L’Edda, p. 61). Loki est d’ailleurs étroitement lié à la malédiction de l’or du Rhin des Nibelungen. Return to text

66 Voir notamment les versions postérieures à R. de Boron, telles que la Suite Vulgate et la Suite du Merlin, où l’on découvre une conception négative et diabolique du personnage. Quand le mage se trouve face à la mort, dans le Baladro de Merlín, la version espagnole de la Suite du Merlin, son dernier geste est un cri typique des créatures du mal, et à la fin le diable récupère son âme (voir R. Lendo, El proceso de reescritura de la novela artúrica francesa: la Suite du Merlin, Mexico, UNAM, 2003, p. 175 et 181‑182. Je remercie cet auteur pour sa précieuse aide et ses discussions au sujet du mage). Return to text

67 Comme le montrent les toutes premières lignes de son histoire (Le Roman d’Eustache, ouvr. cité, vers 6‑36). Return to text

68 « Renart magicien », Martin-XXXIII, Pléiade-XXIV : vers 1832‑1833. Return to text

69 Comme Fenrir, le loup hideux et sinistre, le serpent géant de Midgard et Hel, déesse de l’inframonde. À la fois, il peut, lorsqu’il est devenu jument, mettre bas Sleipnir, le merveilleux cheval à huit pattes qu’Odinn chevauche (Gylfaginning, § 34, § 42 [L’Edda, p. 61 et 75]). Return to text

70 J. de Vries (The Problem of Loki, ouvr. cité, p. 214, 246 et 249‑250 et passim), S. von Schnurbein (« Function of Loki », art. cité, p. 124) et U. Drobin (« Myth and Epical, Motifs in the Loki-Research », Temenos: Studies in Comparative Religion, vol. 3, 1968, p. 36) discutent de l’influence du christianisme dans cette vision satanisée de Loki ; L. Hyde suppose que, quand S. Sturluson l’appelle « père des mensonges » (ou « premier auteur des tromperies »), épithète absent dans l’Edda poétique, il sait, sans doute, que c’est ainsi que les chrétiens désignent Satan (Trickster Makes, ouvr. cité, p. 104). Ainsi, même si l’on n’oublie pas que Loki est aussi responsable de la mort de Baldr, cela est dû à son rôle d’être primordial, dans les cycles naturels que l’on mentionnera plus tard (voir aussi plus loin, note 72). On ne peut passer outre le fait que le polymorphisme typique des tricksters a probablement aidé à leur satanisation, puisque les changements d’apparence sont une caractéristique des êtres diaboliques, dont les transformations servent à masquer la vraie nature. Return to text

71 Trickster Makes, ouvr. cité, p. 10. Return to text

72 L. Hyde, Trickster Makes, ouvr. cité, p. 104‑107 ; voir aussi S. von Schnurbein (« Function of Loki », art. cité, p. 123) qui discute le symbolisme du gui comme élément d’intermédiation. Il faut rappeler d’ailleurs que cette plante, à feuillage persistant, était sacrée pour les anciens Celtes. Chez les Gaulois, elle s’associait au premier jour de l’an. On n’oublie pas non plus le rôle de Loki dans l’épisode des pommes d’immortalité (mentionné plus haut, note 42). Return to text

73 Voir le paragraphe sur le trickster marginal. P. Walter trouve, par ailleurs, un « faisceau d’analogies » entre un rituel amérindien — étudié par C. Lévi-Strauss — pour conjurer la sécheresse, la guerre et les maladies, et l’épisode du Mal Pas, inauguré par un vacarme prolongé jusqu’à l’aube (Le Gant de verre, ouvr. cité, p. 296‑300). Dans Tristan le Moine, l’on retrouvera un épisode qualifié de « peu courtois » par la critique, au cours duquel les chevaliers se livrent toute la nuit à des jeux désordonnés et bruyants. Cette scène précède justement celle de la défiguration du cadavre qui permettra à Tristan de « ressusciter » pour rencontrer sa bien‑aimée (et la soigner d’une « maladie » feinte et de ses souffrances d’amour…). D’ailleurs, l’association du héros à la musique dans ce poème est aussi remarquable. Return to text

74 Par les associations du mage au cerf et à l’ours, tous les deux reliés au cycle des saisons, et aux transitions temporaires (P. Walter, Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 119‑125). Cet auteur s’occupe aussi de l’apparence intemporelle de Merlin : sa vie dans l’esplumoir comme une sorte de limbe, et la permanence de sa voix. Même dans le Roman de Silence il semble avoir vécu plus qu’un homme normal. Return to text

75 M. Keen fait une utile révision, particulièrement détaillée, des associations de la figure de Robin des Bois aux rites païens de l’été (la fête de mai) et à la mythologie ancienne. Même s’il ne donne pas crédit à ces associations, on arrive à entrevoir les quelques traits des êtres surnaturels liés à la forêt parmi les composants de sa figure (M. Keen, The Outlaws of Medieval Legend [1961], Londres / New York, Routledge, 2000, appendix I). De leur côté, dans l’introduction à l’édition des textes des hors-la-loi (Robin Hood and Other Medieval Outlaws, ouvr. cité, p. 5‑6 et 274), S. Knight et T. Ohlgren rappellent des festivités rituelles et des jeux annuels que l’on dédiait à Robin Hood sur tout le territoire britannique au début de l’été, époque donc de transition saisonnière (documentés à partir du xve siècle) : des jeux cérémoniels, des danses, des défilés et des divertissements variés, notamment des processions de gens habillés de vert et portant les symboles de la forêt, guirlandes de feuilles ou branches, avec « Robin Hood » en tête du défilé. Les participants parcouraient les villages en recueillant de l’argent pour fournir aux besoins de la communauté (i.e. aménagement des chemins — ce qui ramène à Hermès d’ailleurs [voir W. Doty, « Hermes as a Trickster », art. cité, p. 55]) —, et en échange ils pouvaient offrir des spectacles divers, y compris des pièces de théâtre — comme en témoignent celles des xve et xvie siècles. Return to text

76 A. Williams, Tricksters and Pranksters, ouvr. cité, p. 123‑125 et 129, et aussi K. Koepping, « Absurdity and Hidden Truth: Cunning Intelligence and Grotesque Body Images as Manifestations of the Trickster », History of Religions, vol. 24, no 3, février 1985, p. 191‑214. Return to text

77 J. Dufournet, Le Roman de Renart, entre réécriture et innovation, ouvr. cité, p. 126. Return to text

78 Comme le signale R. Pelton, au sujet d’Ananse, l’araignée (« West African », art. cité, p. 125). Return to text

79 Voir « Tristrant », dans Tristan et Iseut. Les premières versions européennes, ouvr. cité, p. 323. De plus, dans l’épisode de la forêt (Béroul), il invente « l’arc infaillible » et entraîne son chien à chasser sans faire de bruit. Makarius signale, au sujet des tricksters violateurs de tabous, que « la violation d’interdit porte chance et, en particulier, chance à la chasse » (Le Sacré, ouvr. cité, p. 220). Voir aussi P. Walter, Tristan et Yseut. Le porcher, ouvr. cité, p. 243‑244. Dans tous ces cas, d’ailleurs, on notera le trait habituel du trickster qui se sert de la ruse pour tromper autrui. Return to text

80 On a même suggéré qu’Hermès est l’inventeur de l’art du sacrifice (voir L. Hyde, Trickster Makes, ouvr. cité, p. 34 et 256‑257). Return to text

81 Voir la Saga, § 21 et Gottfried ; ces talents réapparaissent dans le ton railleur du fou, dans la Folie d’Oxford (vers 489‑514) ; et même quelque peu dénaturés dans Tristan le Moine, lorsqu’il ne s’en sert que pour défigurer un cadavre. Return to text

82 Notion examinée par E. Hobsbawm (Les Bandits, 2008), que Fouke incarne aussi. Voir ci‑dessus, note 58. Return to text

83 Voir R. de Boron, Merlin, ouvr. cité, § 48, p. 182‑185. P. Walter rappelle que cette table sera le centre cérémoniel de la cour arthurienne. Return to text

84 Voir ci‑dessus, note 66. Return to text

85 L’épisode où « Renart parfit le con » pourrait ainsi constituer une obscène parodie des bienfaits des héros culturels (Martin-XXII, Pléiade-XXIII). Return to text

86 Voir la branche I, vers 505‑527. C. Reichler, La Diabolie. La séduction, la renardie, l’écriture, 1979. Voir plus loin, note 102. Return to text

87 K. Kerényi, « The Trickster », art. cité, p. 181 ; M. Blakeslee, « Tristan the Trickster in the Old French Tristan Poems », art. cité, p. 168 ; M. Carrol, « Lévi-Strauss, Freud », art. cité, p. 305 ; L. Makarius, « Le mythe du “trickster” », Revue de l’histoire des religions, vol. 175, 1969, p. 17‑46 ; et J. de Vries, The Problem of Loki, ouvr. cité. Return to text

88 C’est ainsi que le mage justifie la mort du mari d’Ygerne (la mère d’Arthur) dans le Roman de Silence (vers 6155‑6157). Voir L. Makarius, « Le mythe du “trickster” » (art. cité) et R. Girard, qui examine le meurtre de Baldr comme une modification de l’homicide collectif mythique où, pour atténuer la culpabilité des divinités, on la condense dans le personnage de Loki (R. Girard, Le Bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982, chap. vi). Je tiens à remercier le Dr José Carlos Hesles pour les inestimables discussions au sujet de R. Girard, G. Balandier et G. Dumézil. Return to text

89 Ceci est évident chez Béroul (voir les allusions à la nature ambiguë des termes liés à la tromperie et qui, selon le registre du texte (comique ou cultivé, Renart ou Tristan), acquièrent des nuances négatives ou positives (N. Freeman Regalado, « Tristan and Renart », art. cité, p. 32‑33). Return to text

90 F. Ballinger, « Ambigere », art. cité, p. 30. À la notion des ambivalences du trickster reliées à sa fonction de médiation, comme C. Lévi-Strauss le propose, d’autres auteurs préfèrent l’idée de complémentarité, où les éléments de l’opposition seraient plutôt perméables l’un l’autre (hypothèse soutenue par M. Douglas, dans Pureté et danger [1966]), ce qui permet de mieux rendre compte de la complexité du personnage (voir K. Koepping, « Absurdity and Hidden Truth », art. cité). Return to text

91 Les masques deviennent encore un autre trait d’ambiguïté, surtout chez ces tricksters qui apparaissent comme des personnages type, sans évolution et toujours égaux à eux‑mêmes, puisque, paradoxalement, leurs constantes transformations et déguisements les rendent toujours divers. Return to text

92 Voir la ballade de Robin Hood and Guy of Gisborne, vers 173‑180 et suiv., p. 178‑180. Return to text

93 Robin Hood and the Potter, Fytte 2, vers 95 et suiv., p. 65 et suiv. Presque tous les bandits partagent ce déguisement, à part ceux de charbonnier, marchand, moine et musicien (voir C. Azuela, « De la historia a la literatura: Fouke le Fitz Waryn, Eustaquio el monje y Robin Hood », article en cours de parution). Return to text

94 Eustache prend au moins dix-neuf différentes identités (celles de la note précédente inclues). Fouke apparaît en moine, en marchand et en habit de femme comme Eustache, mais en général il compte avec un bon ami (presque son double) pour les accoutrements les plus dégradants (voir A. Williams, Tricksters and Pranksters), même si, comme on le rappelle ici, le trickster n’a pas, en général, peur ni de s’humilier ni de faire le clown (voir notes qui suivent). Return to text

95 D. Buschinger, « Le motif du déguisement de Tristan dans les œuvres médiévales allemandes des xiie et xiiie siècles », dans M.‑L. Ollier (éd.), Masques et déguisements dans la littérature médiévale, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1988, p. 35‑41. En effet, lorsqu’il apparaît en lépreux, mendiant ou fou, il est déconsidéré et il lui arrive aussi d’en être humilié. Par contre, le rôle de porcher de Tristan dans les triades galloises ne saurait constituer un déguisement puisqu’il s’agit d’une importante facette du personnage, comme on l’a déjà commenté. Return to text

96 Il faudrait penser aux apparitions de Merlin en bûcheron, gardien de bêtes, simple vilain, ou messager, des personnalités toutes bien en dessous des dignités de la cour (à part ses transformations en enfant). Ainsi qu’aux déguisements des hors-la-loi, indignes des chevaliers aguerris. Return to text

97 Comme le signale à propos des nouvelles M. Jeay (« L’enchâssement narratif : un jeu de masques. L’exemple des Cent Nouvelles nouvelles », dans M.‑L. Ollier [éd.], Masques et déguisements dans la littérature médiévale, ouvr. cité, p. 193‑201). Il faudrait ajouter que si les pícaros tels que Lazarillo de Tormes ne se déguisent point, ils changent sans cesse de métier ; ce qui vaut pour autant de masques. Return to text

98 Loki, en effet, peut se convertir en différents animaux : jument, mouche, phoque, saumon. Comme femelle, il/elle parvient même à avoir des enfants (voir ci‑dessus, note 69). Quant à Merlin, P. Walter consacre toute une section de son livre, Merlin ou le savoir du monde, aux aspects protéiformes du personnage (chap. 6 : « Merlin Protée »). Voir aussi A. Berthelot, « Merlin ou l’homme sauvage ». On doit aussi mentionner le rapport que P. Walter signale entre le mage et Suibhne, personnage de la tradition irlandaise capable de voler (il est même doté de plumes [voir La folie de Suibne, § 64, dans Le devin maudit, et p. 12‑15]), tout comme Loki peut prendre l’aspect du faucon de Frigg et s’envoler (S. Sturluson, Edda, Skáldskaparmál, § 18). Il faut admettre, toutefois, que dans la tradition irlandaise les traces du trickster deviennent très faibles chez le prophète. Return to text

99 C’est un trait commun à d’autres tricksters mythiques. P. Radin décrit Wakdjunkaga comme « a nondescript person », parfois un vieillard — bien qu’en réalité il n’ait pas d’âge — à l’identité changeante, pouvant se transformer en animal ou changer de sexe (The Trickster, p. 165). Return to text

100 R. de Boron, Merlin, ouvr. cité, § 39, p. 150 ; voir aussi § 63, p. 222. Return to text

101 Les tricksters semblent toujours reliés au langage, parfois à la diversité des langues, parfois à l’invention de l’écriture ou à l’interprétation prophétique. Il faudrait de même approfondir l’étude sur le lien entre les habiletés musicales et la parole chez eux. Tout comme Hermès inventa la lyre — et la donna en cadeau à Apollon —, Tristan est le plus musical des héros médiévaux (P. Walter examine les associations à la musique de Tristan qui, d’ailleurs, peut imiter le chant des oiseaux [voir Tristan et Yseut. Le porcher, ouvr. cité, chap. xi]). Renart se déguise en jongleur, et maint bandit passe par cette identité : Robin des Bois apparaît, dans les ballades, toujours lié à une mélodie printanière, et finit par se déguiser lui‑même en jongleur (« Robin Hood and Allin a Dale », ballade du xviie siècle) ; Eustache, habillé en ménestrel, est décrit comme maître de « toutes les chansons » et récits (Le Roman d’Eustache, ouvr. cité, vers 2169 et 2191), à part Fouke — ou plutôt son double — et Hereward (voir C. Azuela, « De la historia a la literatura », art. cité). Même Merlin prend cette identité (dans la Suite Merlin). Pour les rapports du mage avec les oiseaux et ses connaissances du langage des animaux — que Tristan semble partager —, voir P. Walter, Merlin ou le savoir, ouvr. cité, p. 120‑122. Cet auteur commente en plus les rapports des connaissances musicales avec l’au‑delà et le savoir, puisque pour les Celtes « la musique est une des expressions terrestres de l’Autre Monde » (Tristan et Yseut. Le porcher, ouvr. cité, p. 249 et 258). Return to text

102 C. Reichler (La Diabolie, ouvr. cité) fait l’analyse du langage séducteur de Renart ; ainsi lors de son jugement, Renart aura le cynisme de les accuser d’avoir joui de ces festins fictifs (vers 1244-1252). Le chat se vengera, à son tour, avec le même stratagème dans l’épisode des « Vêpres de Tibert »). Return to text

103 La Farce, scène I, vers 55‑56. Les jeux de mots et les constantes ambiguïtés de Pathelin sont étudiés, entre autres, par R. Dragonnetti, « Les travestissements du langage dans Maître Pathelin », dans M.‑L. Ollier (éd.), Masques et déguisements dans la littérature médiévale, ouvr. cité, p. 261‑276 ; J. Dufournet et M. Rousse, Sur « La Farce de Maître Pierre Pathelin », Paris, Champion, 1986 ; et aussi G. Eigenmann, « Pathelin ou la fausse monnaie du discours », Littératures, no 16, 1978, p. 7‑12. Return to text

104 À part l’escondit, voir vers 4199‑4216, v. 20‑25 et 67‑79, chez Béroul. Return to text

105 L’astuce verbale du trickster est aussi bien représentée par les femmes mystificatrices du court récit (voir plus haut, note 15). Return to text

106 À la suite d’un pari, il se sauve du vainqueur, un nain qui voulait le décapiter, en argumentant qu’il n’avait compromis que sa tête et non pas son cou (Skáldskaparmál, § 5 [L’Edda, p. 119]). Return to text

107 Voir les commentaires de L. Hyde, Trickster Makes, ouvr. cité, p. 271‑273, ainsi que le travail de G. Dumézil, « Problèmes de la Lokasenna », dans Le Roman des jumeaux. Esquisses de mythologie, Paris, Gallimard, 1994, p. 285‑323, et ci‑dessous, note 109. Return to text

108 Voir G. Sinicropi, « Il segno linguistico del Decameron », art. cité ; C. Azuela, Del Decamerón a las Cent Nouvelles nouvelles. Relaciones y transgresiones en la nouvelle medieval, Mexico, UNAM, 2006. Return to text

109 J. Grisward, « Loki, Renart et les sarcasmes de Maupertuis », dans J.‑C. Mühlethaler et D. Billotte, Rien ne m’est seur que la chose incertaine. Études sur l’art d’écrire au Moyen Âge offertes à Éric Hicks par ses élèves, collègues, amies et amis, Genève, Slatkine, 2001, p. 293‑303. Return to text

110 Il le déclare assez explicitement : « je ne parlerai plus devant le pueple ne en cort se si oscurement » (Merlin, ouvr. cité, § 43, p. 163). Dans le Roman de Silence, S. Roche-Mahdi examine plusieurs déclarations « obscures » du mage déguisé en vieil homme que l’on a peu étudiées (« A Reappraisal of the Role of Merlin in the Roman de Silence », art. cité, p. 12‑15). Return to text

111 D. Poirion, dans ses notes à son édition de Béroul, ouvr. cité, p. 1199. Voir les vers 3715-3731 et 3742-3777 de cette édition. Return to text

112 R. Pelton propose que le registre fondamental du trickster soit l’ironie (« West African », art. cité). Return to text

113 L’emploi des images érotiques railleuses, lié à l’intention transgressive et carnavalesque, est commun dans la tradition des fabliaux et nouvelles — on le retrouve partout dans la littérature comique, et bien sûr dans le Roman de Renart. On peut rappeler aussi, dans Tristan le Moine, les équivoques de la fin, où l’on peut même relever une métaphore digne du Décaméron (vers 2660-2663, et p. 1058 de Tristan le Moine [Pléiade] ; voir Décaméron, VII‑3, § 39 et 40). Au sujet des nouvelles, voir C. Azuela, « Les métaphores érotiques dans Les Cent Nouvelles nouvelles : sexe et écriture », Fifteen-Century Studies, vol. 29, 2003, p. 35‑51. Return to text

114 Le Roman de Renart a été considéré difficile à classer par H. R. Jauss ; tout comme il n’est pas simple, non plus, de donner une définition totalisante des fabliaux, étant donné leur diversité. Peut‑être les romans de Merlin et les ballades de Robin des Bois seraient‑ils une exception à cet égard. Quant aux aventures de Loki, voir ci‑dessous, note 118. Return to text

115 Dans Tristan le Moine, la critique a trouvé un mélange des traits de divers genres (des planctus de la poésie héroïque et la tradition arthurienne et tristanienne aux fabliaux). Return to text

116 M. Valvassori, « El personaje trickster o “burlador” en el cuento tradicional y en el cine de dibujos animados », Culturas Populares, Revista Electrónica, no 1, janvier-avril 2006, p. 1‑27. Return to text

117 Il faut de même se rappeler que les différentes branches contenant les suites d’épisodes du goupil furent écrites à partir du xiie siècle jusqu’à la fin de l’époque médiévale, selon plusieurs tonalités allant des satiriques aux moralistes. Return to text

118 Voir A. Lomazzi, « L’eroe come », art. cité, p. 56‑57 et F. Ballinger « Ambigere », art. cité, p. 21. Le cas de Loki est spécial car les textes où il apparaît se conservent comme des chansons isolées du reste de l’Edda (des xe et xie siècles, bien que consignés par écrit au xiiie siècle par S. Sturluson, dont le but était de préserver les vers scaldes en tant que tradition orale et préchrétienne). Ainsi, les apparitions de Loki surviennent dans différents épisodes qui semblent des fragments isolés. Voir à ce sujet les explications détaillées de S. von Schnurbein, « Function of Loki », art. cité, p. 110‑111. Il est intéressant que le récit des aventures d’Odyssée, le meilleur trickster des héros grecs, se présente aussi sous forme d’épisodes : dans l’Odyssée apparaissent plusieurs anecdotes situées dans les différents chants. Par ailleurs, à la fin du Gylfaginning de l’Edda de S. Sturluson, Loki est justement comparé à Ulysse. Return to text

119 Seule la Gest of Robyn Hode raconte plusieurs épisodes des aventures du héros. À la même époque (xvie siècle), des pièces de théâtre et d’autres textes narratifs racontant sa vie apparaîtront, et continuent encore à s’écrire aujourd’hui. Return to text

120 Tout comme le copiste de Tristan le Moine a situé ce récit entre le Tristan de Gottfried et l’un de ses continuateurs, comme s’il avait compris qu’il s’agissait simplement encore d’une autre scène de retrouvaille amoureuse, sans tenir compte des différences de ton, de registre et d’intention (voir C. Azuela, « Du héros au trickster », art. cité, p. 33). Return to text

121 A. Berthelot commente qu’il s’agit, en effet, « d’une séquence autonome, proche du fabliau » (dans « Les métamorphoses de Merlin, de Robert de Boron au Book of Merlin », Études de linguistique et littérature en l’honneur d’André Crépin, vol. 20, 1993, p. 11‑19, en particulier p. 16). Return to text

122 Ce qui expliquerait d’ailleurs sa subite disparition du récit — une fois conclues les révélations finales —, sans même un mot de la part des personnages ou du narrateur, qui s’empresse de clore l’histoire. Return to text

123 M. Rousse explique que la longueur normale des farces est de 500 vers, et celle de Pathelin en compte 1 500 : c’est-à-dire, trois farces enchaînées. Le critique signale, en plus, les phrases charnières entre les trois parties qui sont typiques de la fin des farces (« Le rythme d’un spectacle médiéval : Maître Pierre Pathelin et la farce », dans J. Dufournet et M. Rousse [éds], Sur « La Farce de Maître Pierre Pathelin », ouvr. cité, p. 87‑97). Pour sa part, J.‑P. Bordier mentionne les continuateurs de cette farce « qui esquissent la formation d’un cycle » (« Pathelin, Renart », p. 79). Return to text

124 Ou, comme dans le Roman de Silence, lorsque pour introduire le personnage du mage, la reine procède à la récapitulation de l’épisode des tours auprès de Vortinger (vers 5784‑5803). Return to text

125 Dans le Roman de Renart, le goupil est accusé par ses victimes, ou bien doit confesser ses forfaits, ou se défend, enfin, lors d’un jugement mais, à chaque occasion, l’on énumère de nouveau ses roueries criminelles, qu’il arrive même à maquiller à sa convenance. Return to text

126 Voir Le Roman d’Eustache, ouvr. cité, vers 831 ; Fouke, 29, lignes 13‑28 ; Hereward, § 23, p. 648. Return to text

127 Le tour se relie à l’emploi d’une parole mystificatrice qui tend des pièges aux victimes du trickster, mais aussi aux lecteurs des récits, qui tombent eux‑mêmes dans le cercle de la fiction. L’incessante reprise des exploits du personnage construit le récit et devient à la fois miroir et instrument de la propre production du texte. Pour N. Freeman Regalado, ce constant récit itératif pourrait constituer la meilleure trouvaille de l’auteur, lui permettant d’étaler son répertoire et de narrer la totalité de l’histoire à l’intérieur de chaque épisode isolé (« Tristan and Renart »). Ce n’est pas par hasard qu’un déguisement indispensable du trickster est celui du ménestrel, ou du jongleur (voir ci‑dessus, note 101). Return to text

128 Comme le précise M. Ballinger (« Ambigere », art. cité). Return to text

129 Comme le rappelle A. Strubel dans son introduction au Roman de Renart, ouvr. cité, p. lii. Return to text

130 M. Carroll, « Lévi-Strauss, Freud », art. cité ; F. Ballinger, « Ambigere », art. cité, p. 25. Voir aussi R. Pelton, « West African », art. cité, p. 137‑140. Return to text

131 F. Ballinger, « Ambigere », art. cité, p. 31. Return to text

132 N. Freeman Regalado, « Tristan and Renart », art. cité, p. 18. Return to text

133 B. Nolan, « Promiscuous Fictions: Medieval Bawdy Tales and Their Textual Liaisons », dans P. Boitani et A. Torti (éds), The Body and the Soul in Medieval Literature, Cambridge, D. S. Brewer, 1999, p. 79‑105. Return to text

134 C. Revard, « From French “fabliau manuscripts” and MS Harley 2253 to the Decameron and the Canterbury Tales », Medium Aevum, vol. 69, no 2, 2000, p. 261‑279. Return to text

135 G. Balandier, Le Pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, p. 73. Return to text

References

Bibliographical reference

Cristina Azuela, « Quelques traces du trickster dans la littérature médiévale », IRIS, 32 | 2011, 29-58.

Electronic reference

Cristina Azuela, « Quelques traces du trickster dans la littérature médiévale », IRIS [Online], 32 | 2011, Online since 05 octobre 2021, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3267

Author

Cristina Azuela

Instituto de Investigaciones Filológicas, Université nationale autonome du Mexique (Universidad nacional Autónoma de México)

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