Karin Ueltschi et Flore Verdon (dir.), Grandes et petites mythologies II. Mythe et conte, faune et flore

Reims, ÉPURE, 2022, 288 p.

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Karin Ueltschi et Flore Verdon (dir.), Grandes et Petites mythologies II. Mythe et conte, faune et flore, Reims, ÉPURE, 2022, 288 p.

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Second volume rassemblant les travaux issus d’un séminaire et d’une journée d’étude organisés par le Centre de recherche interdisciplinaire sur les modèles esthétiques et littéraires (CRIMEL), l’ouvrage vise à « mettre en évidence les ponts qui existent entre les deux canaux “savant” et “populaire” » (p. 11), entre grandes et petites mythologies. Pour ce faire, il s’articule autour de deux thématiques porteuses : « Plasticité et variances » et « Mythologies animales, mythologies végétales ».

Le sacrifice d’Iphigénie aura-t-il lieu ? Telle est la question qui ouvre la première partie, posée par Sophie Conte dans son article sur les Iphigénie contemporaines chargées de réflexions politiques, méta-poétiques et métaphysiques. Le sort d’Iphigénie cristallise de nombreuses interrogations que la chercheuse propose d’explorer au prisme d’une analyse comparatiste de quatre pièces, composées entre 1990 et 2015, qui rejouent le mythe : quels sens et quelle symbolique attribuer au sacrifice ? Comment ont évolué et se sont déplacés les enjeux de l’issue tragique d’Iphigénie ?

À travers son article sur le mythe de Pygmalion, Alain Trouvé revient de façon diachronique sur ses différentes versions. Bien davantage que le mythe d’un créateur, c’est le mythe d’une création qui est ici examiné avec une focalisation particulière sur celle qui sera nommée Galatée. En comparant différentes représentations artistiques du mythe, Alain Trouvé interroge l’articulation entre grandes et petites mythologies autour de la notion de parole, en particulier lorsqu’elle se fait créatrice.

Après être revenue sur l’histoire de la roue de Fortune et sur quelques-unes de ses représentations iconographiques de la période médiévale, Miren Lacassagne se propose d’explorer ce motif au xviie siècle, dans le conte et la fable. Quels liens s’établissent entre la roue et Fortune, la déesse de la chance ? Parfois rouet ou meule, la roue porte finalement en elle « les traces de l’antique et sublime mythologie et celles de la petite » (p. 88).

En se fondant sur trois contes parodiques ou licencieux — Serpentin Vert, L’Amour magot et Le B[idet] —, Françoise Gevrey analyse les intrications du conte et de la mythologie, qui se composent notamment sur le mode du jeu et du détournement grivois. Inspirés par le souvenir plus ou moins lointain du mythe de Psyché ou de textes libertins qui leur sont contemporains, les contes étudiés font s’entremêler mythologie et merveilleux, fables anciennes et folklore, dieux et pagodes.

Rendue célèbre par Charles Perrault, Peau d’Âne trouve de nombreux avatars et « variances » qu’invite à (re)découvrir Anna Loba. Dans son article, la chercheuse revient sur quelques textes qui ont précédé le conte perraldien, puis sur une version des Grimm, avant de s’intéresser aux sœurs polonaises de Peau d’Âne et à leurs manteaux de souris ou de poux. Ainsi sont examinées les déclinaisons de différents motifs constitutifs du conte, qui soulignent efficacement son caractère polymorphe.

C’est au cœur d’un folklore germanique et slave que nous plonge ensuite l’article de Thomas Nicklas, en mettant en lumière un être de la petite mythologie : Rübenzahl. Oscillant entre diverses représentations, telles que celles d’un esprit protecteur des bois et des montagnes, d’un ogre, d’un géant ou encore d’un vieillard, Rübenzahl est l’acteur d’un mythe « flottant entre les cultures populaires, savantes et littéraires » (p. 137). L’auteur en étudie les transformations en envisageant les différents contextes dans lesquels surgit l’être fantastique.

Ouvrant la deuxième partie de l’ouvrage sur les mythologies animales et végétales, l’article d’Aurore Noirault Potier se tourne vers la figure du lion. Observé dans le cadre de l’Iliade et des Posthomériques, l’animal sert de comparant aux héros, comme Achille. La chercheuse propose de suivre l’itinéraire symbolique du fauve qui incarne la force, mais aussi la fragilité et qui, finalement, traduit la naissance d’un nouveau héros épique. Il s’agit ici de saisir la plasticité d’un motif riche de significations, celui du lion « triomphant et royal, ou vieux lion mourant » (p. 72).

Du mythe de Narcisse à la fleur qui porte ce nom, les liens sont étroits, comme le montre Cécile Mauré en les étudiant sous une double approche : l’éphémérité et la dégénérescence. En mettant en parallèle les propriétés botaniques de la fleur et les principales lectures du mythe de Narcisse, l’auteure permet d’appréhender leur histoire et ses transformations. Si la fleur relève de l’éphémère, sa pérennité est toutefois assurée par la fable qui a traversé les siècles, où grandes et petites mythologies tendent à se confondre.

Dans son article sur les sirènes et les ondines, Laurence Hélix s’attache à montrer l’essence hybride de ces créatures mi-humaines mi-animales, qui se prolonge au-delà de leur nature en entremêlant les mythologies, comme les cultures savantes et populaires. Dans une perspective comparatiste et diachronique, Laurence Hélix revient sur les représentations des sirènes dans les arts et les lettres en étudiant notamment leur évolution au prisme du christianisme. Quelques reprises contemporaines de la figure mythique dans les littératures de jeunesse viennent enfin clore ce panorama.

Des licornes médiévales aux licornes contemporaines, comment expliquer le succès de l’animal mythique ? Telle est la question à laquelle s’attache à répondre Myriam White-Le Goff. Après avoir examiné le rapport au merveilleux de la créature imaginaire, la chercheuse étudie quelques-unes des imageries associées à la licorne, comme celle du pouvoir ou celle du désir. Objet de mystère, qui recueille aussi le fantasme, l’animal se caractérise par sa malléabilité et sa capacité d’adaptation : il ne cesse de se manifester depuis l’Antiquité, mais aussi de se réinventer.

En se fondant sur trois œuvres merlinesques, la Vita Merlini, le Lancelot-Graal et la Suite Post-Vulgate, Anne Berthelot met au jour une absence de mythologie végétale dans les représentations magiques des romans arthuriens. Si le devin se livre aux arts magiques, c’est bien davantage par sa capacité à « faire advenir les choses par les mots » (p. 236) que par l’utilisation d’une quelconque flore riche de vertus. La réflexion de l’auteure se développe autour d’un jeu de contrastes, entre la magie de Merlin et celle de ses disciples, entre magie céleste et rituelle, sorts et herbes.

Constituée d’animaux communs et mythologiques, la faune des œuvres de T. H. White (en particulier de The Once and Future King et The Book of Beasts) est mise au service d’un objectif pédagogique, comme le montre Justine Breton dans son article. L’éducation d’Arthur, comme celle des lecteurs et lectrices, est en partie déléguée aux animaux, notamment à la faune mythologique qui « constitue un guide vers une acquisition permanente du savoir » (p. 254). La chercheuse nous invite à la rencontre de ce bestiaire, à la fois populaire et savant, en s’intéressant à l’articulation de ces deux domaines.

Deux articles sur des végétaux viennent enfin clore l’ouvrage dans une partie qui se présente comme un épilogue. Le premier est d’Anne Marchand et prend pour sujet la fougère en examinant diverses légendes associées à la plante en France et à travers l’Europe. Le second texte est de Karin Ueltschi : il se fonde sur la fascinante mandragore et les pouvoirs qui lui sont attribués, tels que ses supposées propriétés narcotiques. Sont aussi mis en évidence ses liens avec les femmes et la fécondité, mais aussi avec les pendus et la mort.

À travers un parcours qui mène les lecteurs et lectrices des mythes antiques aux contes licencieux, du folklore germanique aux romans arthuriens, l’ouvrage dirigé par Karin Ueltschi et Flore Verdon établit un dialogue à deux voix, celle de la petite et de la grande mythologie, conformément à l’objectif annoncé. Les articles réunis ici déploient le sujet sur une vaste période temporelle allant de l’Antiquité à nos jours tout en étant ancrés, de façon plus resserrée, dans un contexte européen. La plasticité des mythes est fertile et les rend peut-être inépuisables, puisque ces derniers ne cessent d’irradier1 ou de se « rempoter » comme les mandragores, pour reprendre l’image pleine de sens proposée par Karin Ueltschi. Au demeurant, Grandes et petites mythologies montre bien que la réflexion critique à leur égard ne s’est pas encore tarie.

Notes

1 Nous reprenons le terme de Pierre Brunel : Mythocritique. Théorie et parcours, Grenoble, ELLUG, 2016, p. 74. Return to text

References

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Florie Maurin, « Karin Ueltschi et Flore Verdon (dir.), Grandes et petites mythologies II. Mythe et conte, faune et flore », IRIS [Online], 43 | 2023, Online since 04 décembre 2023, connection on 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3531

Author

Florie Maurin

Docteure en langue et littérature françaises

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