« Si est tens a fester » : hommage à Philippe Walter, études réunies par Kôji Watanabe, préface de Fleur Vigneron

Tokyo, CEMT Editions, 2022, 220 p.

Bibliographical reference

« Si est tens a fester » : hommage à Philippe Walter, études réunies par Kôji Watanabe, préface Fleur Vigneron, Tokyo, CEMT Editions, 2022, 220 p.

Text

Kôji Watanabe réunit une vingtaine d’auteurs pour rendre hommage au Professeur Philippe Walter. Fleur Vigneron introduit ce recueil international en rappelant l’immense impact des recherches universitaires de Philippe Walter, qui a su donner une nouvelle impulsion aux recherches sur l’imaginaire en étant, au-delà de l’universitaire, un « médiéviste des champs » selon ses propres termes (p. 1-5). Capable de comprendre les mystères des fêtes folkloriques et de décrypter les rites calendaires, Philippe Walter a su redonner sens aux mythes et aux figures légendaires, tout en publiant et donnant vie à des collections sur le Moyen Âge.

L’ouvrage démontre, s’il en est encore besoin, l’importance de questionner les mythes et leur origine dans les différents continents. Les contributions de ses ami·es, collègues et anciens doctorant-es regroupent ses nombreux champs d’études.

Les contributions étant très diverses, nous prions les auteurs de nous excuser si nous n’avons pu rendre compte dans la totalité du fruit de leurs recherches.

Tous les articles montrent le foisonnement de recherches dans des champs d’études différents et complémentaires. Ainsi, nous découvrons une réflexion sur les textes de l’abbé laïc Eginhard (Osamu Kano, p. 129-140), un questionnement sur le nom de l’épée de Mordret (Yuri Fuwa, p. 90-104), un article sur la place des paysages des héros et le but de leurs voyages (Satoko Ito-Morino, p. 104-118), mais également une étude sur l’épopée Er Toshtuk et son lien avec la mythologie japonaise (Hiroki Sakai, p. 140-145). L’analyse de trois œuvres de Gustave Moreau permet de relier son œuvre et sa représentation des femmes à des sources mythiques (Yûko Takematsu, p. 168-179).

Dans son livre Arthur l’ours et le roi1, Philippe Walter a démontré le lien essentiel entre le nom du roi et sa nature ursine ce qui permet de comprendre nombres de récits de la matière arthurienne. L’étude de Tetsuya Amado, qui ouvre ce volume (p. 11-14), en est une approche complémentaire ; il propose une lecture de la figure de l’ours au-delà des frontières, en apportant une vision des montagnes et des croyances relatives à cet animal dans l’idée des « married couple bears » (p. 12). Le symbolisme rejoint la célèbre association de la figure mythique de l’ours et du roi Arthur.

Ne pas négliger l’étude des vies des saints pour comprendre les légendes reste un élément-clé des recherches de Philippe Walter. Alors que Taiichirô Sugizaki nous entraîne dans l’abbaye de Moissac pour découvrir le culte des saints (p. 155-168), Karin Ueltschi questionne la légende de sainte Marthe sous l’angle de la nourriture et des repas partagés (p. 179-187). Elle croise les sources folkloriques, les récits du Graal et discute de ces repas essentiels et riches de sens que l’on retrouve dans les petites et grandes mythologies2.

Fabio Armand, Marie-Agnès Cathiard et Christian Alary (p. 14-32) nous proposent une réflexion extraordinaire sur la question de la paralysie du sommeil ; pour analyser ce phénomène, ils utilisent différentes approches dont l’étude du folklore et les apports des neurosciences dans une étude croisée, sur les pas des recherches menées par Carlo Ginsburg, Bruce Lincoln et Roman Jakobson.

Il était évident de trouver un article sur les amants du Morrois, que Philippe Walter a si bien étudiés et dont il nous a transmis les secrets. Jean-Charles Berthet (p. 41-57) apporte des éléments pour consolider la place, qui n’est plus discutable, de l’héritage celte dans la légende tristanienne. Il considère corpus brittonique, gallois et français pour questionner les mots dans ces différentes langues et les mettre en regard. Il décode ainsi des cryptages poétiques comme l’extrait des Folies Tristan (v. 388, p. 54).

Les schèmes de la peur étudiés par Nicolas Schunadel dans le cadre de ses recherches sur l’imaginaire permettent de comprendre l’élection de Gauvain dans Le chevalier ver (p. 145-154). Gauvain, encore, est à l’honneur dans l’article d’Anne Berthelot (p. 32-41) qui met en avant ce « chevalier solaire » en questionnant ses origines dans les Enfances Gauvain et en soulignant la prise de recul nécessaire quant à la notion « d’enfances » dans le titre.

La transition vers la question de la permanence de la légende arthurienne après le xvie siècle est menée par l’étude de Christine Ferlampin-Acher sur la réception du Perceforest à la cour du roi Soleil (p. 71-89). Après 1530, les héros de la matière arthurienne disparaissent mais l’histoire de Perceforest perdure dans certaines bibliothèques et on en trouve trace dans les dictionnaires. La permanence de ce récit est aussi à lire dans les contes de fées littéraires du xviie siècle, qui puisent leurs sources dans des contes médiévaux et questionnent l’influence de ces textes et le goût des auteurs pour ces histoires. Mais la diffusion des aventures de Perceforest ne s’arrête pas aux dictionnaires ou à des « antiquaires » comme Claude Fouchet, (p. 73) qui recherche, au xvie siècle, des « informations sur le costume mais aussi sur la langue ». Les figures se réinventent et se revivent comme dans le cas du « Prince Lutin » et sa relation possible avec Perceforest. Le médiévalisme est déjà d’actualité…

L’étude des jeux vidéo comme support permettant la régénération des mythes est extrêmement intéressante et permet de mieux comprendre une des assertions fondamentales de Philippe Walter : « Un mythe ne meurt jamais. » Il se réinvente sous différentes formes. Fanfan Chen (p. 58-71) questionne la réception des mythes et de leur recrudescence dans la série Warriors Orochi3.

La santé et la guérison sont, on le sait, souvent associés à des pouvoirs magiques ou surnaturels ou à des croyances folkloriques. Hisami Iwase (p. 118-119) nous entraîne sur les chemins des connaissances médicales entre l’Ecosse, l’Irlande, le pays de Galles et le Japon ; il étudie le conte classifié ML 3030 « Le Serpent blanc » dans les sources celtiques et le compare à des récits japonais qui mettent en scène des docteurs/soignants aux pouvoirs extraordinaires. L’usage de « potions » est très présent, le Kappa est l’élément « merveilleux », « surnaturel » qui change de forme selon les lieux. On revient ainsi à des récits hérités d’une lointaine source traitant de soins, de potions et d’êtres surnaturels qui se retrouvent au-delà des frontières.

Grâce à la mythologie comparée, l’apport des folkloristes a permis de relier la figure de la « femme à la bouche fendue » à une image archétypale de la femme japonaise dans les contes et récits traditionnels. À partir de ce fait divers datant de 1979, la recherche de Kôji Watanabe et Oliver Lorrillard nous entraîne dans la découverte des contes japonais qui mettent en avant des femmes monstrueuses ou très belles, mais ambivalentes et qui peuvent être rapprochées de figures d’autres continents. Leur enquête continue.

Dernière étape et non la moindre dans les découvertes croisées : la lecture d’un poète contemporain de Chrétien de Troyes, Tomomi Yoshino (p. 203-210), étudie le personnage du « poète voyageur » Saigyo. Il met en scène des animaux et des arbres : un rossignol ou des passages vers d’autres mondes qui évoquent étrangement certains motifs de la mythologie celtique.

Soulignons enfin que l’ouvrage propose la mise à jour de publications de Philippe Walter depuis 2012 (p. 7-9), ainsi qu’une très belle bibliographie japonaise de ses travaux (p. 210-218). Ce livre, riche d’enquêtes et d’ouvertures, publié au Japon, est une parution qui sort de l’ordinaire et l’Université Grenoble Alpes a la chance d’en avoir un exemplaire4.

Notes

1 Philippe Walter, Arthur : l’ours et le roi, Paris, Imago, 2002. Return to text

2 Nous reprenons cette expression issue d’un titre d’un livre de Philippe Walter. Philippe Walter, Mythologie chrétienne, fêtes, rites et mythes du Moyen Âge, Paris, Imago, 2011. Karin Ueltshi, Grandes et petites mythologies I. Monts et abîmes : des dieux et des hommes, Reims, ÉPURE, 2020. Return to text

3 Orochi est un démon qui traverse l’espace-temps et décide de fusionner les univers des Trois Royaumes et l’époque Sengoku. Return to text

4 BUDL Grenoble ; côte 809.1 Walt. Return to text

References

Electronic reference

Laurence Doucet, « « Si est tens a fester » : hommage à Philippe Walter, études réunies par Kôji Watanabe, préface de Fleur Vigneron », IRIS [Online], 43 | 2023, Online since 04 décembre 2023, connection on 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3533

Author

Laurence Doucet

Docteure de la communauté UGA, Lettres et Arts spécialité recherches sur l’imaginaire

Docteure associée, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France

Author resources in other databases

  • IDREF
  • HAL

By this author

Copyright

CC BY‑SA 4.0