Contes et Légendes du diable présentés, annotés et commentés par Claude et Corinne Lecouteux

Paris, Imago, 2022, 236 p.

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Contes et Légendes du diable présentés, annotés et commentés par Claude et Corinne Lecouteux, Paris, Imago, 2022, 236 p.

Texte

Claude et Corinne Lecouteux nous proposent de retrouver les contes et légendes du diable. La figure du diable est passionnante et il apparaît sous différentes facettes, loin de la vision unique de l’ennemi du Christ. Cette anthologie documentée apporte un éclairage nouveau et fondateur sur la figure du diable et sa réécriture dans une vingtaine de pays et sans restriction d’époque1.

Chaque récit est annoté en fin d’ouvrage (ce qui est le propre des éditions Imago et que l’on peut regretter, car cela ne favorise pas la lecture) et la source est signalée, en la complétant le cas échéant avec les références répertoriées dans l’Index d’Aarne-Thompson par exemple, ou d’autres recueils de contes déjà traduits mais complétés par des explications et annotations pour cette édition (par exemple les notes d’Emanuela Timotin relatives aux contes p. 29 et 33).

Cette anthologie permet à tout chercheur, comparatiste ou non, d’avoir un outil précieux d’études sur la figure du diable : elle présente différents textes sur le diable et ses relations au monde, deux annexes qui proposent un répertoire de contes-types traitant du diable (p. 217-218) et une sur quelques motifs associés au diable (p. 219-220), et enfin une bibliographie avec des références en plusieurs langues.

La figure du diable se décline au cours des contes qui le montrent comme prétendant malheureux ou pas (p. 17-29), au sein de sa famille (p. 35-49) qui se révèle pleine de surprises. Ensuite, on retrouve la figure bernée du diable « dindon de la farce » et perdant face à un concurrent (ou une concurrente) plus rusé(e) que lui (p. 53-119). Le diable est souvent ridiculisé, y compris au sein de sa propre famille, et a peur de certains humains, surtout des femmes : la belle-mère du diable est ainsi crainte du personnage et se révèle non seulement apte à convoquer mais aussi à emprisonner son gendre diabolique. On constate alors que certaines femmes sont capables de le maîtriser ou de contrer ses œuvres. Elles peuvent ainsi être considérées comme des femmes ayant des pouvoirs surnaturels. Certaines peuvent même être apparentées à une figure de fée (par exemple dans un conte lituanien, p. 194, la Laume qui est soit une fée, soit un esprit sylvicole).

La ruse, la moquerie sont les clés de ces contes qui relativisent la malignité et les pouvoirs du diable. Certains contes donnent des indications sur des caractéristiques physiques qui sont associées à ce personnage (cornes cachées sous la chevelure, une queue — p. 44 —, des griffes — p. 63). Mais il sait apparaître sous une apparence physique flatteuse cachant, pour un temps, sa laideur terrifiante qui ne manque pourtant jamais de resurgir ; il maîtrise l’art de la métamorphose (en animal par exemple, p. 73). Un de ses noms védiques, kâmarûpa ou viçvarûpa, signifie de fait « celui qui change de forme à volonté » (p. 9). Les noms du diable sont d’ailleurs légion, puisqu’on le connaît sous les noms célèbres de Malin (p. 177), Belzébuth (p. 161) et bien sûr Lucifer (p. 96), mais également — moins connu — le vieil Éric (dans un conte danois, p. 83).

Les dernières parties du livre le montrent en contact avec l’Enfer, l’Église ou avec d’autres figures diaboliques, et rappellent le pouvoir de la messe qui permet de vaincre le diable (p. 171). Enfin, un dernier chapitre est consacré à des contes singuliers non classés.

La cinquantaine de contes et légendes mêle donc différentes sources et les textes sont rédigés dans une syntaxe et des formulations qui nous sont familiers. Soulignons certains mots-clés qui sont présents autour de la figure du diable. Ainsi, elle peut s’apparenter à celle d’un magicien ou d’un sorcier (p. 138) qui maîtrise les formules magiques (on retrouve par exemple le motif D1727 du « magic circle » p. 148 dans un conte autrichien) et le pouvoir des nombres (le chiffre 7 pour les références au temps — 7 années, p. 111 — et le chiffre 3 pour les incantations). Il se révèle aussi être un enseignant hors pair mais est très vite dépassé par ses élèves qui parviennent à s’échapper de son emprise (p. 78 et 123).

Il est fort intéressant de pouvoir disposer des notes qui font état de précisions quant aux traductions et à certaines expressions qui peuvent ne pas être comprises de prime abord ; le lecteur appréciera les explications données pour les expressions roumaines (p. 223), ou encore le jeu de mot sur le droit en danois qui peut être traduit par « droit » ou « justice » (p. 86).

Quel que soit le pays d’origine de ces contes, la figure du diable est omniprésente et atemporelle, et cela démontre l’intérêt absolu de la compilation de ces récits pour comprendre les légendes et leur réécriture. Issues de la tradition orale, ces histoires ne sont pas immuables ; elles évoluent, traversent les siècles et se retrouvent dans différents pays, toujours avec un socle et des motifs communs. S’intéresser à ces contes, c’est souvent, rappelle Philippe Walter, « retrouver une forme de pensée mythique, une “pensée sauvage” qui constitua pendant longtemps les repères d’une authentique culture orale répandue dans toutes les couches de la civilisation2 ».

Notes

1 On pourra consulter également un autre ouvrage des mêmes auteurs sur les diableries, mais orienté cette fois sur la période médiévale (Contes, diableries et autres merveilles du Moyen Âge, Paris, Imago, 2013). Retour au texte

2 Philippe Walter, Perceval, le pêcheur et le Graal, Paris, Imago, 2004, p. 56. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Laurence Doucet, « Contes et Légendes du diable présentés, annotés et commentés par Claude et Corinne Lecouteux », IRIS [En ligne], 42 | 2022, mis en ligne le 19 décembre 2022, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3028

Auteur

Laurence Doucet

Docteure de la communauté UGA, Lettres et Arts spécialité recherches sur l’imaginaire

Docteure associée, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France

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