Les fantômes du cerveau. Le cortex et l’imaginaire

  • The Ghosts of the Brain. The Cortex and the Imagination

DOI : 10.35562/iris.3632

Résumés

La présente contribution vise à légitimer l’un des postulats de Gilbert Durand selon lequel tout imaginaire s’ancre dans une physiologie mais en l’orientant plutôt désormais vers une neurophysiologie. Les avancées nouvelles en matière de neurobiologie, de connectome et de neurogénomique conduisent à repenser le cadre de l’activité psychique et l’induction même des images mentales.

This study aims at justifying one of Gilbert Durand’s postulates according to which all imaginaire (as a result of mental imagery) is anchored in our physiology but by directing it rather now towards our neurophysiology. New advances in neurobiology, connectome and neurogenomics lead to rethinking the framework of psychic activity and the induction of neural images.

Plan

Texte

« Et dit que, dès l’âge de treize ans, elle eut révélation de Notre-Seigneur par une voix qui lui enseigna à se gouverner. Et pour la première fois elle avait eu grand-peur. »
(Procès de Jeanne d’Arc, 1430)

En matière d’imaginaire, le grand défi du xxie siècle ne sera pas de ressusciter la vieille impasse métaphysique corps/esprit à l’aide d’une sociologie astrologique (Lahire, 2002) et d’une psychanalyse chamanique (Lévi-Strauss, 1949)1. Il sera au contraire d’évaluer le statut neural de l’imaginaire en étudiant déontologiquement comment le cortex peut relever (en tout ou partie) de l’observation et de la méthode expérimentales, au même titre que d’autres organes du corps humain, d’abord et surtout pour mieux comprendre et espérer traiter ses dysfonctionnements (ceux qui relèvent aujourd’hui des « centres hospitaliers spécialisés »).

À cet égard, les travaux menés par Marie-Agnès Cathiard (2011)2 sur le membre fantôme présentent un intérêt expérimental majeur puisqu’ils montrent la rémanence d’images mentales somatiques et spécifiques chez un individu dont un membre (jambe, bras, doigt, etc.) a été mutilé (par accident ou à la suite d’un impératif chirurgical)3. Ils révèlent la nature d’organum du cortex, autrement dit sa finalité instrumentale inséparable de nos organes (sensitifs et moteurs)4 en même temps que le statut neural des images mentales induites et gérées par tout organisme d’un être vivant.

La vulgate psychanalytique nous a habitués à son essentialisme empirique : le Moi, le Corps, le Fantasme, l’Inconscient, autant de notions aux contours intuitifs et peu formalisables. Quant à savoir comment l’imaginaire se fabrique à partir de ces instances psychiques, la psychanalyse reste fort démunie. Dès la première édition de ses Structures anthropologiques de l’imaginaire (Durand, 2016), Gilbert Durand était conscient du problème et posait une base physiologique à l’émergence de l’imaginaire humain. Le recours à la réflexologie de Bekhterev (1925-1926 et 1933) lui permit de postuler dans l’expérience somatique du sujet ainsi que dans son « schéma corporel » les racines biophysiologiques de son imaginaire. La notion kantienne de schème y était engagée puisque le schème est l’effet d’une représentation psychique entre les phénomènes perçus par le corps et les catégories de l’entendement incluant celles de l’imagination et le prolongement de cette dernière appelé « imaginaire ». L’image mentale reliée aux expériences somatiques pourrait ainsi se décrire, mimétiquement, en « schèmes » du grec skhèma « maintien, posture, geste, attitude » (Chantraine, 1968, p. 393) mais aussi « figure géométrique » et « figure de rhétorique » (Bailly, 1950, p. 1885). Ce schème, à la base de l’imaginaire, serait alors une forme (psychique) de mouvement intérieur mais non la représentation d’une forme (Burloud)5. Se souvenant sans doute de l’antériorité rhétorique du schème6, Durand subsume ses trois supposés paradigmes en figures logiques de disjonction ou de deux conjonctions (l’une avec tiers exclu et l’autre avec tiers inclus), ce qui donne au total ses trois « régimes » de l’imaginaire7. Il scinde également la notion de schèmes en « schèmes verbaux » et en « archétypes épithètes », situant ainsi sa taxinomie dans la postérité des « schèmes syntaxiques » de Karl Bühler8 (Friedrich, 2016). En fait, il laisse indécise la question de l’image neurale et même celle de son induction imaginaire puisqu’il ne s’intéresse qu’aux produits finis (toute essentialisation de l’Imaginaire occulte les conditions réelles et concrètes des imaginaires manifestés).

La présente contribution légitime l’un des postulats durandiens selon lequel tout imaginaire s’ancre dans une physiologie mais en l’orientant plutôt désormais vers une neurophysiologie. Les avancées nouvelles en matière de neurobiologie, de connectome et de neurogénomique conduisent à repenser les cadres de l’activité psychique et l’induction même des images mentales. Nous reprendrons ici quelques pistes initiées en la matière par des chercheurs du CRI de Grenoble (dont Marie-Agnès Cathiard fit partie) au moment où ceux-ci envisagèrent une conjonction possible entre les sciences cognitives et les recherches sur l’imaginaire, en particulier à partir du test OBE (Out of Body Experience) et celui de la Shadow Presence (Cathiard & Armand, 2014) (ce que Maupassant appelait le Horla, « hors-là »).

Bilan de la théorie durandienne

Le succès de l’œuvre de Gilbert Durand tient à la fortune du mot « imaginaire » qui a, aujourd’hui, largement dépassé le sens initial que lui donnait son promoteur, héritier sur ce point de son maître Gaston Bachelard9. Il ne faut pas manquer d’audace pour proposer, comme il l’a fait, une théorie générale de l’imaginaire, applicable partout et en tous lieux à tous les individus. Gilbert Durand a défini l’imaginaire comme « l’ensemble des images et des relations d’images qui constitue le capital pensé de l’homo sapiens » (Durand, 2016, p. XXXIV). Rien de plus, rien de moins. Pour lui, l’imaginaire est au centre de toute notre vie mentale car il existe chez les humains une fonction imageante aussi vitale que la fonction respiratoire ou digestive ; toujours et partout l’image précède le concept. Pour analyser l’imaginaire, Gilbert Durand a vigoureusement contesté « les parcellisations universitaires des sciences de l’homme qui, donnant sur le gigantesque problème humain des vues étroites et partisanes, mutilent la complexité compréhensive (c’est-à-dire seule source de compréhension possible) des problèmes posés par le comportement du grand singe nu : l’homo sapiens » (Durand, 2016, p. XXXIV). Défendant comme Edgar Morin une « pensée complexe » et l’unitas multiplex, il s’est donc efforcé de poser le cadre d’une interaction nouvelle et créatrice de savoirs entre les disciplines qui, de près ou de loin, traitent de l’humain, de ses productions de symboles et capacités de symbolisation.

1. La visée holistique (du grec holos, « le tout ») du durandisme reste un apport essentiel car, pour cerner l’imaginaire humain, il faut à l’évidence prendre en compte la globalité de l’individu en intégrant tous ses aspects physiologiques, langagiers, sociaux et culturels. Durand veut s’éloigner d’une vision uniquement sexuelle (pansexualisme freudien), uniquement sociale (matérialisme historique) ou uniquement linguistique (structuralisme et formalisme). À partir du point focal qu’est l’image, le durandisme cherche à mobiliser et faire converger plusieurs savoirs « parcellisés » pour faire surgir de nouvelles synergies de compréhension de l’imaginaire humain. Il cherche à impulser une pluridisciplinarité dynamique et non une juxtaposition paresseuse de savoirs épars.

2. La genèse réflexologique de l’imaginaire : reposant sur des prémisses indémontrables (l’existence et le primat de l’inconscient), le freudisme avait su escamoter (sans la nier formellement) la question neurale en usant de l’allégorie œdipienne et de belles fables métaphysiques (le Surmoi, le Moi, le Ça). Pour sa part, Claude Lévi-Strauss consentait que le freudisme était un long et infini commentaire du mythe d’Œdipe ; autrement dit, il voyait surtout dans la psychanalyse une gnose mythologique. Mais n’est-ce pas oublier trop vite les déterminants physiologiques individuels de toute identité sexuelle ? Aujourd’hui, où une « théorie du genre » refait vigoureusement surface, on oublie trop vite que la sexualité humaine est aussi une affaire de biochimie et que l’endocrinologie, par exemple, apporte un éclairage physiologique possible sur la question des orientations sexuelles. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle relativise (pour ne pas dire invalide) certains a priori de la psychanalyse en la matière.

Selon cette dernière, l’homosexualité serait le résultat d’un complexe d’Œdipe non résolu et selon les constructivistes, l’orientation sexuelle résulterait essentiellement d’une influence du milieu familial ou social. Or, aucune étude quantitative ne démontre une relation entre l’histoire psychique de l’enfant (dans le milieu particulier où il a vécu) et son orientation sexuelle ultérieure. Les millions de mères célibataires sur terre n’ont induit aucune augmentation de l’incidence de l’homosexualité chez l’enfant privé de son père. En outre, dans des sociétés traditionnelles (Malaisie ou Micronésie)10 (Murray, 1992 ; Elliston, 1995), les relations homosexuelles sont imposées aux adolescents avant le mariage. Là non plus, ce milieu n’augmente pas le nombre d’homosexuels adultes. En fait, la fréquence statistique de l’homosexualité est à peu près constante dans toutes les sociétés du globe et à toutes les époques. Cela peut légitimer le recours à l’endocrinologie pour expliquer l’orientation sexuelle. Les hormones sexuelles ont, dans la période périnatale, un effet organisateur ; elles modifient même la structure du cortex et ses connexions. Si un embryon femelle est exposé à une concentration anormalement élevée de testostérone pendant la gestation, l’individu qui en naîtra aura une orientation lesbienne ou bisexuelle (Balthazart, 2010)11. L’orientation homosexuelle n’est donc ni une « maladie » ni une « perversité » ; elle procède de l’endocrinologie. On naît avec des dispositions homosexuelles ; on ne se les invente pas en totalité.

Le durandisme évita le piège métaphysique du psychisme œdipien en se réclamant d’une ontogenèse réflexologique. Notre capacité de symboliser résulterait de nos acquis sensori-moteurs et psychomoteurs (nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu12). Pour Durand, cette réflexologie commune à toute l’espèce humaine (Sapiens Sapiens) devait se relier ensuite à des universaux : une archétypologie de type jungien où l’ensemble de l’imaginaire humain se résumait à trois régimes fondamentaux (régime héroïque, mystique et synthétique)13. Un postulat universaliste (parce qu’ancré physiologiquement) fonde ainsi le durandisme : l’ontogenèse psychique retracerait la phylogenèse. Puisque « tout homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition », chaque individu reproduit en accéléré dans son développement personnel celui de l’humanité entière depuis ses origines. L’enfant étant le père de l’homme (ou de la femme), il suffit de comprendre comment les capacités de symbolisation (réflexes psychiques liés aux dominantes posturale, digestive14 et sexuelle) se créent chez l’enfant pour comprendre ensuite comment elles ont pu se constituer pour tous les humains, sans distinction de race ni de culture, tout au long de l’évolution humaine. Les capacités de symbolisation seraient ainsi liées à notre hominisation. De ce fait, notre imaginaire s’ancrerait dans notre vie physiologique. L’idée est importante car cette physiologie n’est pas seulement somatique, comme on le verra, elle est aussi neurale.

3. Les limites d’un déterminisme réflexologique : poser que le psychisme humain serait façonné par nos seuls « réflexes posturaux15 », c’est revenir à une théorie de l’animal machine dont on mesure l’étroitesse. Ce néo-behaviorisme péche par excès de simplification. Peut-on oublier que la primatologie précède l’anthropologie ? Les primates connaissent les mêmes réflexes posturaux, digestifs et sexuels que les humains. Ont-ils pour autant les mêmes capacités de symbolisation des humains ? La réponse est contrastée : apparemment pas de Lascaux chez les singes, pas de production esthétique élaborée mais une capacité certaine de production d’outils et de jouets (De Waal, 2022). Pourquoi ? La phylogénie différenciée du cortex cérébral chez ces deux espèces d’hominiens pourrait être une explication. Le durandisme n’échappe pas à un simplisme anthropologique distant de la neurogenèse, de la neurobiologie ainsi que de la neurochimie. Sur un plan expérimental, comment admettre que l’imaginaire ne procéderait, une fois pour toutes, que des seuls réflexes acquis dans l’enfance ? De plus, Gilbert Durand a proposé un imaginaire réflexe, pré-cortical, cartographié en kit16. Or, l’imaginaire est évolutif, en adaptation permanente (comme notre cortex) ; il est, plus largement, stimulé et régulé par les émotions, le contexte social, voire l’hérédité (biologique et culturelle). On ne pense ni imagine jamais à partir de nos seuls réflexes posturaux mais à partir de ce que ces réflexes mais aussi des millions d’autres stimuli créent comme connexions cérébrales chaque jour de notre vie (façonnant ainsi notre « connectome »). L’imaginaire individuel dépend toujours d’un contexte singulier, d’une époque particulière et résulte aussi d’un vécu personnel inscrit dans une mémoire individuelle et collective. Ce sont autant de paramètres que le triple paradigme des Structures anthropologiques de l’imaginaire ne permet pas d’affiner puisqu’il n’envisage qu’un produit fini (langagier, pictural, etc.) sans se poser la question de sa production.

La question devient alors in fine : peut-on encore accepter l’imaginaire pavlovien au xxie siècle ? Certes, les publicitaires qui misent sur le désir mimétique (et les régimes totalitaires qui misent sur la terreur par le dressage de réflexes contraints) s’en accommodent fort bien de nos jours. Il reste pour eux un instrument efficace de manipulation des esprits. Mais ce néo-behaviorisme ne peut plus suffire à une explication. La question qui se pose aujourd’hui est plutôt : quel est le « lieu » nerveux qui peut relier, intégrer, hiérarchiser tous les paramètres et toutes les confluences à l’origine de l’imaginaire (l’individu, le contexte social et culturel, l’hérédité) ? C’est le cortex. C’est donc lui, à présent, qui s’invite dans le débat et qui s’impose de nos jours avec de nouveaux outils d’observation. La psychanalyse et la théorie durandienne s’arrangent d’un imaginaire sans cortex, sans support neurophysiologique. Pourtant, l’imaginaire n’est pas qu’un « inconscient collectif » ou un « horizon d’attente », il est d’abord le produit induit d’une conscience individuelle.

Le cortex in vivo

Notre cortex est régi par notre activité physique, physiologique et sensorielle. On le savait déjà mais on n’avait jusqu’à présent pas les moyens de le vérifier expérimentalement. Les plus récents développements de la médecine génétique d’une part et des neurosciences d’autre part (épaulées l’une et l’autre par l’outil informatique et les nanotechnologies) sont en passe de faire éclater la théorie freudienne d’explication des psychoses mais aussi toutes les psychologies unidimensionnelles reposant sur une observation behavioriste sans visée holistique intégrant la neurobiologie. Même un esprit comme Carl Gustav Jung, médecin généraliste de formation, eut beaucoup de mal à intégrer l’aspect biochimique dans le psychologique (Jung, 1972)17. Pourtant, on sait aujourd’hui que sur les 23.000 gènes du matériel génétique humain, environ 85 sont identifiés comme étant impliqués dans l’autisme18. L’autisme n’est donc pas la conséquence d’une « maltraitance » psychique ou d’une négligence affective des parents envers leurs propres enfants, comme le prétendent encore parfois certains psychanalystes. Son origine est multifactorielle avec une nette prévalence génétique.

Aujourd’hui, le bouleversement épistémologique induit par les neurosciences est considérable par rapport aux anciens modèles de la psychologie classique. Une nouvelle approche holistique autorisée par la convergence NBIC19 redéfinit les contours de la médecine et de la psychiatrie. Au xxe siècle, cette dernière était encore tiraillée entre deux courants divergents. L’un psychanalytique (celui des psychiatres psychanalystes, pour ne rien dire des psychanalystes non médecins) reconnaissait à la théorie freudienne une réelle portée heuristique et thérapeutique. L’autre (neuropsychiatrique), sans nier certains apports de la psychanalyse en matière de symptomatologie, pressentait que la neurophysiologie était la voie d’avenir pour l’étude des « maladies mentales » parce qu’elle pouvait se réclamer de la méthode expérimentale. L’expression « maladie mentale » est d’ailleurs devenue obsolète puisqu’il apparaît de plus en plus que ces maladies supposées « mentales » possèdent toutes des bases biologiques et physico-chimiques comme les autres pathologies (diabète, grippe, poliomyélite, tuberculose, etc.) mais ces causes sont désormais à chercher dans le fonctionnement cortical lui-même. S’agissant de la schizophrénie, on admet aujourd’hui que certains traitements masquant les symptômes (mais n’éliminant pas les causes des crises) sont en réalité des molécules agissant sur la chimie des neurotransmetteurs20. Cette observation confirme une vérité organique : notre vie psychique prend d’abord appui sur notre vie physiologique ; notre cortex est d’abord organique, intégré au corps et il n’est pas une pure abstraction idéalisée et extérieure au corps qui pourrait être avantageusement remplacée par la notion freudienne d’« inconscient ». Le freudisme reposait sur ce paradoxe : l’inconscient est par définition non observable car il n’accède pas à la conscience du sujet mais pourtant le psychanalyste est seul à pouvoir le décrire ! Dieu n’est pas observable ni substituable à l’homme, personne ne l’a jamais vu, mais seuls les papes, rabbins ou imams sont en mesure de dire ce qu’Il pense vraiment ; ils sont capables de penser à sa place.

Le connectome (approche synchronique)

Pendant longtemps, la neurophysiologie a manqué d’outils expérimentaux pour étayer ses hypothèses. Aujourd’hui, l’arrivée de l’IRM et la conjonction possible, via l’informatique, des sciences cognitives et de la biologie (NBIC) permettent l’exploration du nanomonde humain (à travers son ADN). Une visualisation directe de la pensée humaine reste encore toutefois un fantasme de science-fiction en l’état actuel de l’art. On est loin de pouvoir observer in vivo la pensée. On ne peut qu’en visualiser le contenant (les réseaux du connectome) et non son contenu. Actuellement, on peut suivre les influx nerveux par PET scan utilisant du glucose marqué pour suivre l’influx de la préparation de l’idée à sa formulation et de l’idée au mouvement avec ses composantes de régulation motrice assurée par le cervelet. On peut aussi commander à l’aide de la pensée décodée par un casque enregistreur d’EEG des ordres simples permettant la maitrise d’un exosquelette. On sait surtout aujourd’hui provoquer des expériences sur le cortex et produire ainsi expérimentalement « de l’imaginaire ». Comme souvent, c’est à travers la pathologie que se perçoit la normalité. C’est à partir du dysfonctionnement des fonctions mentales (y compris de la fonction « imaginante ») que l’on peut approcher le fonctionnement normal du psychisme. On reprendra l’exemple de la schizophrénie.

À la lumière de récentes recherches, le spectre de ce trouble psychique a pu être relié à : 1) une modification génétique (anomalie de la chaîne chromosomique) provoquant 2) une modification systémique de la biochimie des neurotransmetteurs qui provoque elle-même 3) des connexions atypiques dans le réseau des neurones en excitant des aires inhabituelles liées à des fonctions cérébrales précises (l’aire du langage pour les hallucinations acousticoverbales par exemple).

On se doutait déjà de la pertinence du cortical mapping avec l’examen des séquelles d’un AVC sur les fonctions psychomotrices par exemple. Selon la zone lésée, surviennent des incapacités verbales, motrices ou autres. On se souvient encore du cas de Phinéas Gage, cheminot des États-Unis qui a survécu en 1848 à la perforation de son cerveau par une barre à mine. Il a résisté à cet accident avec une intelligence apparente conservée et une bonne compréhension mesurable par un QI normal mais aussi et surtout avec un désastre émotionnel total, son empathie ayant été annihilée par les lésions de son cerveau limbique. C’est de cette expérience in vivo que vient notre certitude que les fonctions cognitives sont traitées en parallèle par le cerveau analytique et le cerveau émotionnel qui ne sauraient fonctionner heureusement l’un sans l’autre (Damasio, 1995). D’autres lésions intracérébrales peuvent être dues à des AVC ou à des causes génétiques impactant le réseau des neurones.

L’approche synchronique du fonctionnement neural rejoint les recherches actuelles sur le connectome. On disait jadis : « Je suis mes génomes. » On dit aujourd’hui : « Je suis mon connectome. » (Seung, 2012) Il s’agit de la carte de nos connexions neuronales (en anglais cortical mapping). Le cortex est moins un organe de « production » qu’un organe de mise en relation du corps avec lui-même (voir les théories de la communication). C’est une grosse boule de fils (« électriques ») raccordant toutes ses parties entre elles et les reliant à toutes les parties du corps. L’étude du connectome vise donc à connaître les circuits associés à des fonctions précises (langage, locomotion, etc.). Les pannes de circuit résultent de la dégénérescence des terminaisons neuronales. Au niveau de la pensée (et de l’imaginaire), la variabilité des connexions cérébrales d’un individu à l’autre mais aussi la plasticité fondamentale du cortex sont à la source de la diversité de nos pensées et de notre imaginaire. Tout ce que nous sommes vient de la façon dont sont connectés nos neurones. (Au niveau expérimental, l’utilisation de traceurs permet de reconnaître les circuits de connexion grâce à l’IRM) (Jardri & Thomas, 2012). Des anomalies de fonctionnement de certaines zones du cortex produisent une pathologie de l’imaginaire21. Ainsi, la diminution drastique du nombre de synapses pourrait être à l’origine des perturbations « mentales » dans la schizophrénie mais aussi dans d’autres troubles comme la maladie d’Alzheimer par exemple (Onwordi, 2020 ; Kathuria, 2023). Toutefois, l’économie corticale reste évolutive (plasticité) (Jouvent, 2009). Cela veut dire que les connexions changent et nous transforment puis, lorsque nous nous transformons, nous changeons nos connexions en retour. La seule certitude corticale qu’on puisse avoir est que tout est dans le réseau ; rien n’est isolé. La cartographie (et programmation) de notre imaginaire serait donc là, dans les réseaux du connectome22.

La neurogénomique (approche diachronique)

Le fonctionnement neural doit être approché à la fois synchroniquement et diachroniquement. Pourquoi ? À cause d’une double articulation propre à toute science de l’humain. Tout phénomène humain (la maladie, le langage, l’art, etc.) relève nécessairement d’une double saisie évolutive : synchronique et diachronique. L’exemple du langage est connu. On peut décrire une langue du seul point de vue synchronique (c’est la description grammaticale) mais pour comprendre les particularités d’une langue et sa formation on doit aussi la décrire du point de vue diachronique et génétique (grammaire comparée des langues indo-européennes pour ce qui concerne le français). Les mots français dérivent pour la plupart du latin et la phonétique historique retrace l’évolution d’un mot latin vers un mot français (matrem > mère). Le latin à son tour dérive d’une autre langue mère (l’indo-européen commun). Les deux aspects se complètent ; ils ne se contredisent pas. Cette double articulation se retrouve en fait dans chaque phénomène humain. Aujourd’hui, savoir décrire des maladies ne suffit pas pour les guérir. La découverte du génome humain a ouvert de nouvelles perspectives de guérison pour les cancers ou d’autres maladies d’origine génétique23.

L’approche diachronique du fonctionnement neural est menée par les recherches en neurogénomique. En effet, la complexité de nos connexions cérébrales s’explique aussi par un facteur génétique. Le cerveau est évolutif : il grandit, s’adapte et se développe puis vieillit comme d’autres organes ; en plus des influences synchroniques du milieu, il n’échappe pas à sa programmation génétique (diachronique). La neurogenèse d’un individu peut induire des évolutions particulières qui conduisent vers des pathologies dites « mentales ». Des études génétiques postulent, sans pouvoir l’expliquer pour l’instant, une association entre la schizophrénie et une large portion du génome située sur le chromosome 6, baptisée locus CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) (Dawson & Murray, 1996). Or, des chercheurs américains viennent d’établir un lien entre un gène particulier de cette portion d’ADN et le risque de développer une schizophrénie. Ce gène gouverne la synthèse d’une protéine que l’on pensait uniquement impliquée dans le fonctionnement du système immunitaire. Il s’agit du gène codant (pour le composant C4 du complément) d’une protéine essentielle dans la réaction de défense vis-à-vis d’agents infectieux. Cette variation génétique sur le gène C4 est responsable d’une expression accrue du C4 du complément, qui provoque une réduction du nombre de synapses que l’on observe dans le cortex des schizophrènes. Les expériences sur la souris ont montré que ce composant C4 du complément contrôle chez cet animal l’élimination des synapses au cours de la formation du cerveau. Par ailleurs, ils notent qu’il existe des récepteurs pour le complément sur certaines cellules immunitaires (microglie) qui résident dans le système nerveux central. Il serait alors possible que se produise dans la schizophrénie une hyperstimulation de la microglie entrainant l’élimination de synapses. En conclusion, selon les chercheurs, chez l’adolescent ou le jeune adulte (période où se déclarent souvent ces troubles), cette psychose pourrait résulter, ou être aggravée, par une perte excessive des connexions synaptiques perturbant de fait la circulation des neurotransmetteurs24.

Appliquée au domaine cérébral, la convergence NBIC ouvre une vision holistique du psychisme humain qui met en relation la médecine génétique et le fonctionnement cérébral. Ainsi, des perturbations de la chaîne chromosomique seraient à l’origine d’anomalies de la biochimie cérébrale avec une incidence sur le rôle des neurotransmetteurs, ce qui est prouvé par l’action de substances neutralisant les effets bloquants de la sérotonine sur la dopamine. C’est l’observation d’états qualifiés de pathologiques qui permet de mieux comprendre des phénomènes qui existent (en moindre intensité) à l’état dit « normal ». La santé se déduit du pathologique (et non l’inverse). Les Anciens ne la définissaient pas autrement en la présentant comme une absence de troubles.

L’imaginal cortical : étude de cas

Dans sa contribution intitulée : « Et si l’imaginal cortical fondait l’imaginaire transcendantal ? », Christian Abry rappelait en 2011 l’apport des découvertes expérimentales des neurosciences en matière de phénomènes hallucinatoires25. En 1943, George Tyrrell employa pour la première fois le terme d’« expérience hors-du-corps » (OBE = out of body experience) dans un ouvrage intitulé Apparitions. Un patient lui avait dit que son âme s’était détachée de son corps et qu’elle aurait visité différents lieux. Une personne sur dix a vécu une telle expérience au moins une fois dans sa vie. Ces hallucinations peuvent avoir diverses causes physiologiques et neurologiques : traumatismes crâniens, privations sensorielles, mort imminente, coma, sommeil, psychotropes, déshydratation, stimulations électriques dans le cerveau, etc. Il ne s’agit donc pas uniquement de phénomènes pathologiques liés aux psychoses. On ne sera pas étonné de retrouver ces hallucinations narrées dans des récits qui ont parfois traversé les siècles26.

En effet, les récits fantastiques révèlent des aspects du fonctionnement neural de l’imaginaire. Le Moyen Âge, déjà, connaissait à sa manière l’expérience dite « hors-du-corps » (OBE). Tout d’abord, le rêve en soi était conçu comme un voyage physique de l’âme hors du corps. Le rêve était ainsi « externalisé » du corps. La langue garde la trace de cette « croyance » puisque rêver provient d’un ancien verbe *esver « vagabonder » connu par un dérivé desver « perdre le sens ». L’étymon serait un verbe gallo-romain *esvo « errant, vagabond », réduction phonétique normale de *exvagus issu du latin vagus « errant, qui va à l’aventure27 ». Mais qui voyage ? Non pas le rêveur puisqu’il reste immobile, mais une partie de son corps définie comme son âme. La vision de Godescalc raconte ce périple d’une âme hors du corps d’un sujet rêveur :

En l’an du Seigneur 1190, un homme simple et droit de chez nous appelé Godescalc tomba malade sept jours durant. Le huitième, il fut soustrait à la lumière de ce monde et regagna son corps cinq jours plus tard. Ayant remarqué ce léger mouvement de ses lèvres alors qu’il gisait comme mort, tout le corps rigide et froid, ceux qui étaient présents n’osèrent pas l’ensevelir, estimant que son âme était encore en lui et seulement assoupie. […] Ce qu’il vit dans l’autre vie pendant ces cinq jours, nous tenterons de le résumer comme il nous l’a narré. (Lecouteux, 1994, p. 66-67)

En fait son âme avait provisoirement quitté son corps (par la bouche). Elle avait vu des événements qui se produisaient dans l’autre monde (arrivée des anges, fleuve de terreur, tortures du feu…). Puis son âme avait réintégré son corps au bout de sept jours et c’est ainsi que l’homme put raconter ce qu’il avait vu. Aujourd’hui, on parle de vision mais c’est, étymologiquement, une âme qui voyage ou qui vague (« divague ») hors du corps. Le verbe rêver signifia « vagabonder » jusqu’au xve siècle et « délirer » jusqu’au xviie siècle. Son sens moderne (onirisme) n’apparut que vers 1670.

Un autre type de croyance médiévale relève du même contexte explicatif. Burchard de Worms, un évêque du xie siècle, s’intéressa au témoignage de certaines « sorcières » qui disaient avoir voyagé physiquement dans les airs (Vogel, 1969, p. 92)28 :

As-tu cru ou as-tu participé à une superstition à laquelle des femmes scélérates, suppôts de Satan et trompées par des fantasmes diaboliques prétendent se livrer ? La nuit, avec Diane la déesse païenne, en compagnie d’une foule d’autres femmes, elles chevauchent sur des animaux, parcourent de grandes distances pendant le silence de la nuit profonde, obéissent aux ordres de Diane comme à leur maîtresse et se mettent à son service lors de nuits bien déterminées.

Le commentaire qui suit est instructif bien qu’il ne provienne pas de Burchard mais de Reginon de Prüm (mort en 915) (Gagnon, 2010, p. 126, note 36). Il présente le diable « trompant dans les rêves l’âme qu’il tient captive ». C’est « l’âme seule qui est engagée ». « Qui jamais — si ce n’est en rêve et dans les cauchemars de la nuit — est conduit hors de soi et voit pendant son sommeil ce que jamais il n’avait vu éveillé ? » Ce voyage aérien est donc présenté comme un pur fantasme nocturne et comme une activité de veille (on notera l’effort de rationalisation de l’évêque, le souci pré-scientifique de ramener le surnaturel au naturel malgré l’usage de l’alibi du diable). Burchard « internalise » le rêve. Néanmoins, l’imaginaire n’est pas qu’une pure création de l’esprit (ou une œuvre du démon) ; il s’ancre aussi dans une physiologie. En quoi ? C’est ici que l’expérimentation sur le cortex ouvre des perspectives inédites.

Dans le cadre du traitement de l’épilepsie a été découvert et reproduit expérimentalement un phénomène de nature hallucinatoire. Pour soulager les épileptiques, certaines de leurs aires corticales sont stimulées avec de faibles décharges électriques. Un examen épileptologique par stimulation neurale du carrefour temporo-pariétal droit fut réalisé par Wilder Penfield à Montréal dès 1941. L’équipe du professeur Olaf Blanke la reproduisit en 2002 à Genève29. Le malade décrivit alors un état d’expérience hors-corps (Blanke, 2002, 2005 et 2008). Son corps senti et son corps vu étaient perçus comme dissociés. Un phénomène de double corporel se trouvait ainsi défini, le Self du patient survolait son propre corps.

Une expérience symétrique a permis de mettre en évidence la sensation d’une « ombre » ou « personne ressentie » après la stimulation corticale d’une patiente épileptique dans la jonction temporo-pariétale gauche (homologue à la zone droite) (Arzy et coll., 2006, p. 287)30. Des expériences hors-du-corps contrôlées spécifiquement ont produit des résultats complémentaires chez des sujets non-épileptiques (Ehrsson, 2007, p. 1048). Ce protocole expérimental reproduit ainsi l’expérience du Horla (hors-là) décrite par Maupassant :

(5 juillet) Je vivais sans le savoir de cette double vie mystérieuse qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments quand notre âme est engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à nous-mêmes, plus qu’à nous-mêmes. (Maupassant, 1887, p. 21)
[…]
(6 août) Je suis certain, maintenant, certain comme de l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d’eau, qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent, d’une nature matérielle, bien qu’imperceptible par nos sens, et qui habite, comme moi, sous mon toit […]. (Ibid., p. 40)
(14 août) Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j’accomplis. Je désire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas ; et je reste, éperdu, tremblant, dans le fauteuil où il me tient assis. Je désire seulement me lever, me soulever, afin de me croire maître de moi. Je ne peux pas ! Je suis rivé à mon siège ; et mon siège adhère au sol, de telle sorte qu’aucune force ne nous soulèverait. (Ibid., p. 45-46)

Corps senti et corps vu sont ainsi dissociés. Les expériences épileptologiques prouvent qu’il est possible de créer artificiellement et physiologiquement l’état décrit dans les récits de sorcellerie (en particulier le vol magique) grâce à des stimulations neurales. L’hypothèse de connexions neurales associées à des hallucinations auditives dans la schizophrénie a été défendue par l’équipe de Sonia Dollfus du CHU de Caen au 30e Congrès européen de neuropsychopharmacologie ECNP en 2017 (Dollfuss, 2018). Selon cette approche, une stimulation magnétique transcrânienne sur une zone spécifique du cortex (la partie du lobe temporal du cortex associée au langage) peut les provoquer. Les hallucinations acoustico-verbales en schizophrénie sont les propres pensées verbales du patient attribuées à un agent externe (Rapin, 2011). L’imagerie cérébrale fonctionnelle est en mesure d’explorer aujourd’hui la physiopathologie des phénotypes de certains troubles psychiatriques, dont ces hallucinations acoustico-verbales (Jardri & Thomas, 2012).

L’imaginaire et la neurocognition

Cet imaginaire « dissocié » est induit dans une aire spécifique où pourraient se créer des images « mentales » qui consistent plus en faisceaux qu’en icônes. Ceci revient à envisager les connectomes de l’imaginaire, c’est-à-dire des zones associées à certains complexes d’images (ici, lévitation ou vol aptère). Après avoir reconnu le rôle complémentaire du connectome et de la neurogénomique, on peut écarter une conception statique du cortical mapping (ce serait un retour à la physiognomonie du xixe siècle). Si l’on sait produire artificiellement des effets d’images mentales chez un sujet (par exemple OBE) par stimulation électrique d’une aire précise du lobe temporal, c’est l’interaction de cette aire avec l’ensemble de son connectome qui est à la source de cet effet. L’existence d’aires spécifiques qui seraient liées à une imagerie mentale spécifique est donc douteuse. Rien n’est isolé dans le cortex ; tout est connecté.

La question qu’on peut alors poser en tenant compte du modèle durandien est : la tripartition durandienne de l’imaginaire dans la perspective du connectome vaut-elle encore quelque chose ? En l’état actuel des recherches (il n’existe aucune cartographie des connectomes), il est difficile d’apporter une réponse définitive. Un noyau de 1 mm3 de matière corticale peut contenir 10 000 neurones, qui peuvent avoir chacun mille connexions, ce qui produit dix millions de connexions. Cela compose un circuit d’une complexité apparemment inextricable. Seule l’informatique sera en mesure de modéliser ces réseaux un jour.

Si l’on retient quelque chose de la réflexologie durandienne, il faut pouvoir l’intégrer au connectome. Comme elle met en jeu la psychomotricité (réflexologie), la typologie durandienne pourrait correspondre très grossièrement à des types de connexion reliant des aires liées à la motricité et d’autres liées au langage (ce lien semble avéré puisque l’apparition du langage articulé correspond souvent à l’apparition de la motricité chez l’enfant)31. Un mot serait d’abord un geste. Mais le nombre de connexions possibles entre ces deux aires est potentiellement si élevé qu’on pressent immédiatement la difficulté d’une telle proposition théorique. D’autre part, il faut aussi intégrer cette connexion motricité-langage à l’aire des sensations et à celle des émotions qui régule le flux des images, autrement dit se référer à un vécu du sujet. En effet, l’imaginaire ne se produit pas « en vase clos » ; il est relié à des perceptions, des sensations, des émotions. C’est probablement là que se joue l’essentiel de son activité entre la sensation, la perception et son interprétation.

On sait désormais que le cortex comme organe possède des circuits, un « câblage » de neurones, des réseaux de connexion dans lesquels circule un influx électrique unidirectionnel. Il hérite aussi de gênes qui définissent des programmes (un « logiciel » de traitement des informations) car ce cortex ne fonctionne pas à vide. Il est alimenté de stimuli qui proviennent d’abord de nos sens. Il analyse nos perceptions sensorielles. C’est ici qu’entrent en compte les sciences cognitives qui analysent les processus normaux et pathologiques à la base de notre imagerie mentale, de nos pensées mais aussi de nos actions et réactions, en un mot de notre comportement.

L’imaginaire est alors directement impliqué car il suppose des images (plus que des représentations) qui sont la réfraction d’images réelles (visuelles, auditives, olfactives, etc.) et qui sont sélectivement stockées dans notre mémoire. C’est le rôle du cerveau de les analyser voire de les déformer. L’imaginaire est alors confronté aux biais cognitifs. Le processus d’analyse des images induit des inférences circulaires qui deviennent pathologiques (dans la schizophrénie) lorsqu’elles se transforment en certitudes régissant les comportements. Il faut percevoir ce phénomène dans un continuum qui va du normal au pathologique. Des êtres normaux sont victimes de biais cognitifs au quotidien. Ils ne sont pas pour autant psychotiques. Par contre, il existe un état-limite au-delà duquel le « biais cognitif » devient pathologique lorsqu’il remplace le raisonnement ou lorsque celui-ci est anesthésié pour des raisons biochimiques (entraînant des pertes de connexion synaptiques et des circuits aberrants dans le connectome).

Voici quelques exemples de biais cognitifs (dont certains sont très actifs, y compris en milieu universitaire) :

  • Le biais de confirmation : la tendance à sélectionner uniquement les indices confortant une croyance et à refuser ceux qui la contredisent est un biais courant. Une telle dérive par amalgame est source d’incompréhensions tenaces et d’hostilité envers ceux qui la refusent. Un chercheur du dimanche prétend que le graal se trouvait dans son jardin. Pourquoi ? Parce que son jardin est traversé par un tuyau d’aqueduc romain et qu’en latin un tuyau d’aqueduc se dit calix (Gaffiot, 1934, p. 246). Or comme le graal est un calice, le graal se trouvait donc dans son jardin ! Evidemment, aucun texte médiéval ne définit le graal comme un « calix » mais il refuse d’admettre ce simple constat puisque « tout le monde sait que » le graal est un calice qui a recueilli le sang du Christ !

  • Le biais de corrélation illusoire : on établit un parallélisme entre deux phénomènes et on traduit ce parallélisme en termes de causalités. C’est le cas de la croyance astrologique : vous êtes du signe de la balance, donc vous aurez tendance à peser toujours le pour et le contre. Autre exemple : l’apparition de la pleine lune favorise les suicides. Des études randomisées ont montré que ce n’est pas vrai (Byrnes & Kelly, 1992, p. 779-785).

  • Le biais de négativité : en rentrant chez soi en voiture, on croise normalement une centaine d’automobiles. Soudain, une voiture nous double en queue de poisson et le conducteur nous adresse un doigt d’honneur. Rentré à la maison, nous ne parlons que du goujat. Nous ne retenons que l’acte négatif et déclarons que « tout le monde conduit mal ». Autre exemple bien connu pour développer la sinistrose : la presse qui ne traite que des catastrophes et jamais « de ce qui va bien » dans la société. Résultat : un pessimisme obsessionnel sur l’avenir du monde : la guerre mondiale est proche. En pathologie, on parvient ainsi au seuil de la paranoïa puisque tout constat de ce type est interprété comme une menace. Quelqu’un rit dans une assemblée et le paranoïaque croit qu’il est l’objet direct de cette risée. On pourrait ajouter ici un biais de récence et de commencement qui amène dans la narration d’une expérience à ne se focaliser et ne retenir que le début et la fin de celle-ci (Postman & Phillips, 1965).

Des biais cognitifs peuvent se traduire en termes de connectome comme l’explique l’inférence circulaire au niveau du cortex (Jardri & Denève, 2017). La formation de l’hallucination visuelle en schizophrénie s’expliquerait dans ce cadre. L’inférence circulaire utilise le concept de réseau bayésien32 récurrent (utilisé pour l’IA dans la reconnaissance des formes) ; il est mis à contribution pour décrire le fonctionnement cérébral de la perception et de son interprétation en termes d’imagerie mentale. Le cortex calcule des probabilités entre les perceptions (inputs) qui lui arrivent des sens et ce qu’il anticipe étant donné ce qu’il a mémorisé du monde par expérience (« croyance »). Deux zones du cortex sont alors impliquées. Le plus bas niveau (couche corticale) reçoit les influx nerveux venant de la rétine. Le plus haut niveau est le siège des « croyances » (incluant la mémorisation des perceptions déjà stockées du monde). Chez l’individu normal, il y a interaction permanente (feed-back) entre les deux zones et ajustement de la perception réelle à la croyance. Chez le schizophrène, il y a une mise en boucle infinie de la croyance au détriment de la perception réelle (Hofstadter, 2013) ; le cortex fonctionne alors en « vase clos », il se « cannibalise » lui-même. Ainsi, devant une forme verticale allongée, deux hypothèses sont retenues par le système visuel : une hypothèse « arbre » et une hypothèse « homme ». Dans un fonctionnement normal, le regard cherche des éléments de confirmation : une feuille tombe, un oiseau s’envole ; l’hypothèse « arbre » se confirme. Dans le cas du fonctionnement hallucinatoire, un mauvais fonctionnement du système neuro-modulateur fait que l’hypothèse « homme » s’impose car elle ne tient aucun compte d’autres indices visuels qui l’infirment. La croyance s’est mise en boucle indéfinie. C’est l’hallucination comprise souvent comme une menace dirigée vers le sujet qui la ressent. Lors de cette crise hallucinatoire, il est totalement impossible voire inutile de convaincre un patient en crise que le « fantôme » qu’il perçoit n’a aucun fondement réel ; cela ne fait que renforcer sa croyance. On retrouve ici l’idée du « transfert anthropologique » poussé vers l’absolu, c’est-à-dire la substitution des croyances du sujet aux données immédiates de sa perception :

(6 août) Comme je m’arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d’une de ces roses se plier, comme si une main invisible l’eût tordue, puis se casser, comme si cette main l’eût cueillie ! Puis la fleur s’éleva, suivant une courbe qu’aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux. Éperdu, je me jetai sur elle pour la saisir ! Je ne trouvai rien ; elle avait disparu. Alors je fus pris d’une colère furieuse contre moi-même ; car il n’est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d’avoir de pareilles hallucinations.

Toutefois, ce modèle computationnel reste en attente de validation car il faut être en mesure de visualiser la circulation corticale des neurotransmetteurs. On peut néanmoins émettre qu’on se trouve là au cœur d’un réseau cortical (connectome) de l’imaginaire. Les vrais amplificateurs de la conscience humaine ne sont pas, comme on veut le croire parfois, les théoriciens de l’imaginaire. Ce sont les patients schizophrènes qui par leur vécu nous révèlent les limites de la conscience imageante et imaginante.

En conclusion, nous n’en sommes aujourd’hui qu’au seuil de la révolution des neurosciences dans la redéfinition du psychisme humain. Il est évident que celles-ci vont impacter les sciences humaines et toutes les théories de l’imaginaire et du mythe sans exception. Gageons que la fécondité heuristique de la notion durandienne d’imaginaire (contre la notion appauvrie de « représentation ») (Wunenburger, 2014) se trouvera confortée dans le parcours expérimental des neurosciences. De même que la notion de Schatten chez C. G. Jung pour saisir cette « ombre » de soi, partie non reconnue de notre identité dans son plan négatif, qui pourrait bien relever de l’amplification de ces phénomènes OBE décrits plus haut. Toutefois, du fait de son auto-organisation, la logique figurative de l’imaginaire ne se laisse pas réduire aux formalismes déterministes des structuralismes dominant la linguistique et la sémiotique qui privilégient la notion exiguë et ambiguë de « représentation ». L’esprit humain (« l’âme » sensitive en rattachant le cortex sensori-moteur au cortex émotionnel) n’est pas plus docile. Entre hasard et nécessité, la vie humaine et celle du cortex vivent d’irrésolution. Cette incertitude est le gage du vivant par excellence. L’être humain ne se réduit pas à un algorithme : « Nous sommes faits d’un étrange mélange d’acides nucléiques et de souvenirs, de rêves et de protéines, de cellules et de mots. » (François Jacob)33

Bibliographie

Abry Christian, 2011, « Et si l’imaginal cortical fondait l’imaginaire transcendantal ? », dans Y. Durand et coll., Variations sur l’imaginaire. L’épistémologie ouverte de Gilbert Durand. Orientations et innovations, Bruxelles, EME, p. 279-294.

Abry Christian, Vilain Anne & Schwartz Jean-Luc (dir.), 2009, Vocalize to Localize, Amsterdam, John Benjamins.

Armand Fabio, Cathiard Marie-Agnès & Abry Christian, 2022, « De la neurogénération des ontologies sur-intuitives du patrimoine de l’humanité : dans les phases de disconnexion des connectomes pariétaux du corps », dans J. J. Wunenburger (dir.), Imaginaire et neurosciences. Héritages et actualisations de l’œuvre de Gilbert Durand, Paris, Hermann, p. 281-310.

Arzy Shahar et al., 2006, « Induction of an illusory shadow person », Nature, vol. 443, no 21, p. 287.

Arzy Shahar & Idel Moshe, 2015, Kabbalah. A neurocognitive approach to mystical experiences, New Haven, Yale University Press.

Bachelard Gaston, L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, José Corti, 1943.

Bailly Anatole, 1950, Dictionnaire grec-français, Paris, Hachette.

Balthazart Jacques, 2010, Biologie de l’homosexualité. On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être, Wavre, Mardaga.

Bekhterev Vladimir, 1925-1926, Nouvelle réflexologie et physiologie du système nerveux, Leningrad-Moscou (en russe).

Bekhterev Vladimir, 1933, General principles of human reflexology, Londres, Jarrolds.

Blanke Olaf, 2015, « Out of body experiences and bodily self-consciousness », conférence en ligne : <https://www.youtube.com/watch?v=GVXt1wAg8Wc>.

Blanke Olaf et al., 2002, « Stimulating illusory own-body perceptions », Nature, vol. 419, no 6904, p. 269-270.

Blanke Olaf et al., 2008, « Illusory perceptions of the human body and self », dans G. Goldenberg et B. Miller, Handbook of Clinical Neurology. Neuropsychology and behavioral neurology, Amsterdam, Elsevier, p. 429-458.

Blanke Olaf & Mohr Christine, 2005, « Out-of-body experience, heautoscopy and autoscopic hallucination of neurological origin: implications for neurocognitive mechanisms of corporal awareness and self-consciousness », Brain Research Review, no 50, p. 184-199.

Byrnes Gail & Kelly Ivan, 1992, « Crisis Calls and Lunar Cycles: A Twenty-Year Review », Psychological Reports, no 71, p. 779-785.

Calabrese Joseph et al., 2008, « Cingulate gyrus neuroanatomy in schizophrenia subjects and their non-psychotic siblings », Schizophrenia Research, vol. 104, nos 1-3, p. 61-70.

Cathiard Marie-Agnès, 2011, Parole multisensorielle anticipée, incorporée et illusionnée. Du corps de la parole aux corps imaginés, Mémoire d’habilitation à diriger des recherches préparé au sein du Centre de Recherche sur l’Imaginaire de l’université Stendhal - Grenoble 3 (École doctorale LLSH), t. I : Volume de synthèse, 264 p., t. II : Volume de publications, 677 p.

Cathiard Marie-Agnès & Armand Fabio, 2014, « Braincubus. Vers un modèle anthropologique neurocognitif transculturel pour les “fantômes” de l’imaginaire », dans P. Pajon et M.-A. Cathiard (éds), Les imaginaires du cerveau, Bruxelles, EME, p. 53-87.

Chantraine Paul, 1968, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Klincksieck.

Damasio Antonio, 1995, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, Paris, Odile Jacob.

Dawson Elisabeth & Murray Robin, 1996, « Schizophrenia: A gene at 6p? », Current Biology, vol. 6, no 3, p. 268-271.

Dehaene Stanislas, 2021, Face à face avec son cerveau, Paris, Odile Jacob.

De Waal Frans, 2022, Différents. Le genre vu par un primatologue, Paris, Les liens qui libèrent.

Dollfus Sonia et al., 2018, « High-Frequency Neuronavigated rTMS in Auditory Verbal Hallucinations: A Pilot Double-Blind Controlled Study in Patients With Schizophrenia », Schizophrenia Bulletin, vol. 44, no 3, mai 2018, p. 505-514.

Durand Yves et coll., 2011, Variations sur l’imaginaire. L’épistémologie ouverte de Gilbert Durand. Orientations et innovations, Bruxelles, EME.

Ehrsson Henrik, 2007, « The experimental induction of out-of-body experience », Science, vol. 317, 24 août 2007, p. 1048.

Elliston Deborah, 1995, « Erotic Anthropology: “Ritualized Homosexuality” in Melanesia and Beyond », American Ethnologist, vol. 22, no 4, p. 848-867.

Französisches Etymologisches Wörterbuch. Disponible sur <https://lecteur-few.atilf.fr/index.php/page/view>.

Friedrich Janette, 2016, « Le concept de schème syntaxique chez K. Bühler », Bulletin d’analyse phénoménologique, vol. 12, no 2, p. 98-120.

Gagnon François, 2010, Le Corrector sive Medicus de Burchard de Worms (1000-1025) : présentation, traduction et commentaire ethno-historique, université de Montréal, thèse disponible sur <https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/4915>.

Ginzburg Carlo, 1992, Le sabbat des sorcières, Paris, Gallimard.

Godinho Helder, 2013, « Les pouvoirs du récit », Iris, no 34, p. 55-67.

Haggerty George & Zimmerman Bonnie, 1999, Encyclopedia of Lesbian and Gay Histories and Cultures, vol. 2 : Gay Histories and Cultures: An Encyclopedia, New York/Londres, Taylor & Francis, p. 564-565.

Hofstadter Douglas, 2013, Je suis une boucle étrange, Paris, Dunod.

Iris, no 33 (Imaginaire et perception), 2012.

Iris, no 36 (Les imaginaires du cerveau [deux]), 2015, sous la direction de M.-A. Cathiard et P. Pajon.

Jacob François, 1970, La logique du vivant. Une histoire de l’hérédité, Paris, Gallimard.

Jardri Renaud & Denève Sophie, 2017, « Les décisions hâtives dans la schizophrénie sont fondées sur l’inférence circulaire. Jumping-to-conclusions in schizophrenia is mediated by circular inference », Médecine/Sciences, vol. 33, no 11, p. 933-935. Disponible sur <https://doi.org/10.1051/medsci/20173311006>.

Jardri Renaud & Thomas Pierre, 2012, « Imagerie cérébrale fonctionnelle de l’hallucination ou comment voir ce que les hallucinés entendent », L’information psychiatrique, vol. 88, p. 815-822.

Jouvent Roland, 2009, Le cerveau magicien. De la réalité au plaisir psychique, Paris, Odile Jacob.

Jung Carl-Gustav, 1972, « Lettre au président. Symposium sur la conception chimique de la psychose (1958) », dans Collected Works of C. G. Jung, Princeton, Princeton University Press, vol. 3, p. 272.

Kathuria Annie et al., 2023, « Morphological and transcriptomic analyses of stem cell-derived cortical neurons reveal mechanisms underlying synaptic dysfunction in schizophrenia », Genome Medicine, vol. 15, p. 58. Disponible sur <https://doi.org/10.1186/s13073-023-01203-5>.

Lahire Bernard, 2002, « Comment devenir docteur en sociologie sans posséder le métier de sociologue ? », Revue européenne des sciences sociales, no XL-122, p. 41-65.

Lecouteux Claude, 1994, Mondes parallèles. L’univers des croyances du Moyen Âge, Paris, Honoré Champion.

Lévi-Strauss Claude, 1949, « Le sorcier et sa magie », Les Temps Modernes, no 41, p. 385-406.

Maupassant Guy de, 1887, Le Horla, Paris, Ollendorff.

Murray Stephen (éd.), 1992, Oceanic homosexualities, New York, Garland.

Onwordi Ellis Chika et al., 2020, « Synaptic density marker SV2A is reduced in schizophrenia patients and unaffected by antipsychotics in rats », Nature Communications, vol. 11, p. 246. Disponible sur <https://doi.org/10.1038/s41467-019-14122-0>.

Pajon Patrick & Cathiard Marie-Agnès (éds), 2014, Les imaginaires du cerveau, Bruxelles, EME.

Penfield Wilder & Rasmussen Theodore, 1950, The cerebral cortex of man. A critical study of localization of function, New York, Macmillan.

Penfield Wilder, Rasmussen Theodore & Jasper Herbert, 1954, Epilepsy and the functional anatomy of brain, Boston, Little Brown and Company.

Postman Leo & Phillips Laura, 1965, « Short-term temporal changes in free recall », Quarterly Journal of Experimental Psychology, vol. 17, p. 132-138.

Potier Rémy, 2014, « L’imagerie cérébrale à la croisée des regards. Enjeux d’une discussion entre psychanalyse et neurosciences », dans P. Pajon et M.‑A. Cathiard, Les imaginaires du cerveau, Bruxelles, EME, p. 129-145.

Rapin Lucile, 2011, Hallucinations auditives verbales et langage intérieur dans la schizophrénie : traces physiologiques et bases cérébrales. Neurosciences [q-bio.NC]. Thèse de l’université de Grenoble. Français. NNT : tel-00613573.

Schizophrenia Working Group of the Psychiatric Genomics Consortium, 2014 (24 juillet), « Biological insights from 108 schizophrenia-associated genetic loci », Nature, vol. 511, p. 421-427. Disponible sur <https://www.nature.com/articles/nature13595>.

Seung Sebastian, 2012, Connectome. How the brain’s wiring make us who we are, Boston, Houghton Mifflin Harcourt Trade.

Stépanoff Charles, 2019, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte.

Vilain Anne et coll. (dir), 2011, Primate Communication and Human Language, Amsterdam, John Benjamins.

Vogel Cyrille, 1969, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, Cerf.

Walter Philippe, 2022, « L’imaginaire durandien à l’épreuve des neurosciences. Sur le régime “mystique” de l’imaginaire », dans J.‑J. Wunenburger (dir.), Imaginaire et neurosciences. Héritages et actualisations de l’œuvre de Gilbert Durand, Paris, Hermann, p. 249-265.

Wunenburger Jean-Jacques, 2003, L’imaginaire, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».

Wunenburger Jean-Jacques, 2014, « Imaginaire et représentation : de la sémiotique à la symbolique », Iris, no 35, p. 39-48.

Wunenburger Jean-Jacques, 2016, « Préface », dans G. Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, 12e éd, Paris, Dunod.

Wunenburger Jean-Jacques (dir.), 2022, Imaginaire et neurosciences. Héritages et actualisations de l’œuvre de Gilbert Durand, Paris, Hermann.

Notes

1 À l’inverse les neurosciences apparaissent parfois comme une « chance » pour la psychanalyse : Potier (2014). Retour au texte

2 Pour ses publications, voir le volume de synthèse, p. 254-264. Retour au texte

3 Souvenir d’enfance personnel. Un grand-père qui eut le pouce droit coupé par une machine de son usine m’évoquait parfois le souvenir de son doigt manquant en des termes qui me paraissaient étranges et que je ne comprenais guère. Il m’avait initié sans le savoir au membre fantôme. Retour au texte

4 Sur cet organum cortical composé d’aires du cerveau consacrées aux sensations et à la motricité des différentes parties du corps, voir les deux homoncules (moteur et sensitif) de Penfield et Rasmussen (1950 et 1954) qui furent établis sur la base de micro-stimulations électriques. Retour au texte

5 À la suite d’Antonio Damasio (1995), Helder Godinho (2013) a souligné la nature narrative des images mentales. Le dynamisme psychique de ces images avait été déjà souligné par Gaston Bachelard (1943). Retour au texte

6 Chez Platon, Ion 536c et Cicéron, Brutus, 37. Retour au texte

7 Les trois régimes avec leurs schèmes « verbaux » afférents sont : le schizomorphe (distinguer, opposer), le synthétique (relier, tiers exclu), le mystique (confondre, tiers inclus). Retour au texte

8 Karl Bühler (1907) est cité par Durand, 2016, p. 476. Retour au texte

9 « Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire. Grâce à l’imaginaire, l’imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l’expérience même de l’ouverture, l’expérience même de la nouveauté. » (Bachelard, 1943, p. 7) Sur l’histoire synthétique de la notion, voir Wunenburger, 2003, p. 5-29. Retour au texte

10 Sur le lagon de Chuuk, les Micronésiens ont des termes indigènes qui ignorent le dualisme du genre (homme/femme), par exemple wininmwaan signifie « femme qui a le comportement d’un homme » sans s’appliquer exclusivement au domaine sexuel (Haggerty & Zimmerman, 1999). Retour au texte

11 Voir le chapitre 10 (« Différences sexuelles suggérant que l’homosexualité est au moins en partie un phénomène endocrinien », p. 173-213). Retour au texte

12 « Il n’y a rien dans notre intelligence qui n’ait d’abord passé au préalable par nos sens. » Adage aristotélicien de son école péripatéticienne (du grec peripatein « se promener ») où le corps pense en marchant. Retour au texte

13 Sommairement, chacun serait dominé par un schème général : distinguer (l’héroïque), confondre (le mystique), relier (le synthétique). Retour au texte

14 Dans de très nombreuses langues, le nom de la mère est construit sur un réflexe de succion mammaire (à base de la consonne labiale m). Retour au texte

15 Une dominante posturale (station debout) pour le régime héroïque, une dominante digestive pour le régime nocturne et une dominante copulative (sexuelle) pour le synthétique. Retour au texte

16 Le tableau synoptique des régimes de l’imaginaire est passé de mode. On ne peut plus guère s’en servir comme d’un outil universel pour décrire tous les imaginaires du monde et son auteur en était bien conscient à la fin de sa carrière, estimant qu’il avait évolué sur ces sujets grâce à ses plus récents travaux. Le monde entier pense-t-il en concepts français ? Comment traduire imaginaire en anglais ? L’œuvre de Gilbert Durand témoigne parfois d’une étrange légèreté dans les aspects du langage liés à l’imaginaire. Par exemple : telle étymologie à la Burnouf (1896) pour fonder l’analogie entre Christos et Krishna (Durand, 2018, p. 352). Krishna signifie « noir, bleu-noir ». Retour au texte

17 Ce n’est qu’en 1958 (trois ans avant sa mort) qu’il admit une double étiologie (chimique et psychologique) pour la schizophrénie mais en présentant toujours la cause psychologique comme déterminante puisque c’est elle qui provoquerait le dérèglement métabolique. Retour au texte

18 <https://www.inserm.fr/dossier/autisme/>. Retour au texte

19 NBIC : acronyme de Nanotechnologies, Biologie, Informatique, sciences Cognitives. Retour au texte

20 La sérotonine ou 5-hydroxytryptamine (5-HT) est un neurotransmetteur que synthétisent certains neurones à partir d’un acide aminé, le tryptophane, entrant partiellement dans la composition des protéines alimentaires. La sérotonine contrecarrerait les effets de la dopamine, autre neurotransmetteur majeur. Les molécules actives des traitements soulageant la schizophrénie ont donc un effet dopaminergique. Retour au texte

21 Grâce à l’IRM, des chercheurs de l’université de Cambridge (Angleterre) pensent avoir isolé dans une région du cortex la source des hallucinations : le gyrus cingulaire dont la taille varie en fonction des phénomènes hallucinatoires. Plus cette zone est atrophiée, plus le patient a des hallucinations (un centimètre de réduction correspond à 20% d’expériences hallucinatoires supplémentaires, qu’elles soient de nature visuelle ou auditive). Ces chercheurs en ont déduit que cette zone nous servirait à discriminer les informations provenant de l’extérieur de celles que nous produisons nous-mêmes. Les malades avec un gyrus cingulaire réduit semblent ainsi incapables d’opérer un tel distinguo et prennent pour vrais des stimuli qui ne sont que le fruit de leur imagination (Calabrese, 2008). Retour au texte

22 Voir la tentative de Armand et coll. (2022). Retour au texte

23 Pour François Jacob (1970), l’histoire naturelle et la physiologie, longtemps étrangères l’une à l’autre, ont fusionné de nos jours dans la génétique. Retour au texte

24 <Schizophrenia Working Group of the Psychiatric Genomics Consortium>, 2014. Retour au texte

25 Le développement qui suit doit beaucoup à mes collègues Marie-Agnès Cathiard et Christian Abry et à leur apport aux travaux du CRI de Grenoble (dernière manière). Voir aussi le no 36 de la revue Iris, 2015 (numéro dirigé par Marie-Agnès Cathiard et Patrick Pajon). Retour au texte

26 Il existe aussi le voyage hypnotique, « en astral » ou rêve conscient, où le rêveur oriente délibérément son rêve en un vol l’amenant à se détacher d’abord de son corps qu’il surplombe puis à voler pour visiter des lieux vers lesquels sa volonté le guide après apprentissage du vol lui-même. Le retour dans le corps produit un choc qui réveille le rêveur resté conscient de son voyage. Il existe selon certains un entraînement utile à répéter ce genre d’expérience qui peut n’être que sporadique sinon. Retour au texte

27 Französisches Etymologisches Wörterbuch, 10, p. 184-187 (s.v. reexvagus) de la version en ligne. Retour au texte

28 Sur ces récits, voir Ginzburg (1992). Retour au texte

29 Voir la conférence en ligne de Blanke (2015). Retour au texte

30 Ailleurs Shahar Arzy (2015, p. 34-84) évoque « l’extase autoscopique » dans l’approche neurocognitive des expériences mystiques. De son côté, l’expérience chamanique est impliquée dans une activité corticale probablement du même ordre (Stépanoff, 2019). Retour au texte

31 Voir les premiers travaux de Christian Abry sur le pointage et le babillage de l’enfant (Abry, 2009 ; Vilain, 2011). On notera aussi que la paralysie cérébrale provoque simultanément des problèmes de coordination motrice et des problèmes d’élocution. Retour au texte

32 Un réseau bayésien définit des conditions de probabilités entre deux phénomènes alors que l’esprit intuitif les interprète presque systématiquement en termes de causalité. Retour au texte

33 Disponible sur <https://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de-francois-jacob>. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Philippe Walter, « Les fantômes du cerveau. Le cortex et l’imaginaire », IRIS [En ligne], 44 | 2024, mis en ligne le 09 février 2024, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3632

Auteur

Philippe Walter

CRI2i

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY‑SA 4.0