Le cahier d’un kami : Death Note et l’influence du Shintô
Le manga Death Note est un thriller à connotation fantastique. Si son action se situe principalement dans un référentiel humain — celui du Japon du début des années 2000 — il raconte aussi qu’il existe dans les cieux un monde peuplé de « dieux de la mort1 ». Leur quasi-éternité est principalement occupée par la contemplation de la lande noire et désertique qui les entoure, les paris ou les jeux de dés et enfin par l’activité qui justifie leur raison d’être et leur survie. Chacun de ces dieux peut observer le monde des humains depuis son poste céleste, et se faisant, peut écrire les noms des mortels dans son carnet de la mort. En agissant ainsi, le dieu met un terme à la vie humaine et récupère pour son propre usage quelques années d’existence supplémentaires. Ces conditions favorisent une profonde oisiveté chez la grande majorité de ces entités qui peuvent négliger leur travail des années durant avant d’être réellement inquiétés de ce qui leur reste des années de vie qu’ils ont glanées pour eux. Au point que l’un d’entre eux, Ryûk, finisse par s’ennuyer. Il décide pour se distraire de laisser tomber sur terre son carnet surnaturel afin de voir ce que les humains feraient d’une pareille trouvaille. Il a pris soin auparavant d’écrire en anglais le mode d’emploi du Death Note dans ses pages. Les premières des nombreuses règles qui régissent le cahier divin sont on ne peut plus simples : si le nom d’une personne est consigné dans le cahier, la mort est inévitable. Elle advient à conditions d’avoir en écrivant le nom exact ainsi que le visage concerné en tête.
Au fur et à mesure de la progression du récit, les règles d’utilisation du Death Note sont consignées entre chaque chapitre. Toutes ne sont pas nécessairement appliquées ou évoquées dans l’histoire, mais elles sont à considérer comme partie intégrante du texte. Le dieu en mal de sensations fortes va être rapidement comblé. Il s’attache aux pas de Light Yagami, un étudiant japonais brillant qui, lui aussi, s’ennuie profondément. En trouvant le Death Note de Ryûk, il se lance dans une quête éperdue contre les criminels du monde, espérant pouvoir éradiquer le Mal dans une ère nouvelle placée sous sa juridiction et celle du funeste cahier.
Dans l’intense bras de fer qui va opposer Light Yagami — qui prendra le pseudonyme de Kira, prononciation japonaise de l’anglais killer (« le tueur ») —, aux forces de l’ordre, ce manga propose de très nombreux angles d’analyse. La philosophie, l’idée de Justice, les craintes et espoirs du Japon contemporain et de sa jeunesse, ou encore la place du genre policier dans le récit sont autant d’éléments majeurs qui contribuent au succès populaire de l’œuvre2. Il ne faut pas négliger parmi eux la présence des dieux de la mort et de leur monde, ni l’impact du mystique qu’elle suppose dans le récit. D’une part, parce que le carnet surnaturel qui justifie toute l’aventure appartient à ce monde céleste, d’autre part parce que la présence de ce dernier permet de commenter une création originale et signifiante des mangakas Tsugumi Ohba et Takeshi Obata. Les créatures divines qui nous occupent ainsi que leur univers sont effectivement propres à ce récit, mais leurs origines se situent sans aucun doute bien au-delà de l’œuvre, dans une propagation de l’imaginaire beaucoup plus ancienne. Pour le comprendre, il faut commencer par souligner que les dieux de la mort de Death Note sont des kamis, des entités fondamentales dans l’histoire de la spiritualité japonaise. Plus encore, ce sont dans le récit des entités mortuaires et psychopompes, puisqu’elles passent aisément de leur monde à celui des humains. Le terme original désignant les dieux de notre récit, que l’on trouve dans le doublage japonais de l’adaptation animée du manga (Araki, 2006) est celui de shinigami. Le kanji3 死に se prononce [shini] et désigne la mort, le fait de mourir. Quant au terme kami, qui peut signifier « dieu », on l’écrit 神. Le mot shinigami (死に神) peut donc être traduit par « dieu de la mort » ; kami devenant gami pour le confort de la lecture et de la prononciation orale.
La figure du shinigami est relativement contemporaine au Japon, mais pour l’étudier il faut d’abord comprendre que la seule notion de kami est particulièrement complexe. Une traduction satisfaisante est difficile, puisque le terme renvoie à une conception spirituelle très éloignée de celles que l’on peut trouver en Occident. En réalité, il n’existe pas de traduction officielle ou unanime de ce terme. Les Japonais eux-mêmes ne cherchent pas nécessairement à apposer une signification unique aux kamis. Si le terme de « dieu » renvoie à une idée relativement confortable pour l’Occident, elle ne suffit pourtant pas à décrire avec justesse la forte présence et la grande pluralité de sens données à ces entités surnaturelles en Asie. Elles sont par ailleurs associées à la spiritualité du Shintô, dont Jean Herbert a souligné l’importance dans la spiritualité nipponne :
Qu’est-ce donc que le Shintô ? On pourrait dire que c’est actuellement une conception précise, solidement enracinée, mais à peu près impossible à définir pour une mentalité occidentale, des rapports entre l’individu humain et le milieu supra-naturel, naturel et humain dans lequel il évolue. Pour les Japonais, cette conception était si vaste et allait tellement de soi que jusqu’à l’arrivée d’une religion étrangère, le Bouddhisme, ils n’avaient jamais pensé à lui donner un nom. Lorsqu’ils se trouvèrent en face d’une autre vision du monde qui, elle, avait un nom, ils la baptisèrent Shintô ou Kannagara-no-michi, que nous traduisons généralement « la Voie des Dieux », mais que certains shintoïstes préféreraient voir traduire « la Voie de Dieu » ou « la Voie divine ». Il est difficile de savoir exactement ce qu’était le Shintô à l’origine avant l’arrivée du Bouddhisme. (Herbert, 2015, p. 9-10)
En effet, les premiers rites shintoïstes datent de l’ère Yayoi, située périodiquement entre 800 et 400 av. J.‑C. Cette spiritualité est si ancienne qu’elle intègre l’identité mythique et historique du Japon, comme faisant partie de la création de cet archipel. On trouve des traces écrites plus tardives de pratiques du Shintô, qui correspondent à l’arrivée de l’écriture venue de Chine à partir du ve siècle apr. J.‑C. Comme le mentionne Jean Herbert, c’est surtout l’arrivée du Bouddhisme au vie siècle qui va définir des frontières plus nettes entre différents courants et pratiques. Les croyances les plus traditionnellement ancrées deviennent celles du shintoïsme pour que la « Voie des dieux » se distingue alors de la « Voie du Bouddha ». Ainsi les entités spirituelles du shintoïsme apparaissent comme des principes fondateurs à la source de toute vie et de toute chose. On préfèrera les termes de « rites » ou de « spiritualité » à celui de « religion » pour désigner la vénération des kamis. L’idée de religion est tardive au Japon, car elle émerge surtout d’une volonté de rapprochement avec les modèles occidentaux au xixe siècle. De plus, le terme reste assez inadéquat puisque le shintoïsme ne possède pas vraiment de dogme officiel, mais plutôt de nombreux rites pratiqués dans autant de temples, dont les pratiques varient fréquemment.
Deux grands textes sont néanmoins considérés comme fondateurs quant à l’importance des kamis. Le Kojiki « Chronique des faits anciens » et le Nihon shoki « Chronique du Japon » furent respectivement rédigés en 712 et en 720 apr. J.‑C. Les Japonais rejettent souvent toute interprétation intellectualisée de ces textes, puisque le shintoïsme et les kamis constituent avant tout un état d’esprit inscrit en chacun. La dimension politique de ces écrits reste importante, car ils découlèrent de la commande de deux impératrices, Genmei et Gensho, demandant que les chroniques servent à formuler les principes spirituels majeurs du shintoïsme. L’autorité impériale assurait ainsi son pouvoir au Japon, et se dotant d’une littérature raffinée, pouvait être respectée par la Chine.
Les textes narrent que la lignée impériale du Japon ainsi que le peuple qu’elle gouverne sont les descendants directs de kamis fondateurs. L’empereur est vu comme l’héritier d’Amaterasu, la déesse du soleil et le kami le plus important de cette spiritualité. L’archipel du Japon est par ailleurs dépeint comme le résultat topographique de l’accouplement d’Izanagi et Izanami, frère et sœur. Après avoir fait naître les îles, ils engendrèrent d’autres kamis, dont celui du feu : Kagutsuchi. Sa naissance brûla terriblement sa mère Izanami, et malgré les efforts d’Izanagi pour la ramener du territoire des morts — le Yomi — la déesse pourrissait sous les asticots qui grouillaient et huit dieux du tonnerre étaient nés et demeuraient sur le cadavre. Épouvanté, Izanagi se sauva à toutes jambes alors qu’Izanami se lança éperdument à sa poursuite. En revenant dans le monde des vivants, Izanagi réussit à refermer l’entrée de l’au-delà avec un rocher. Ils se tiennent alors face à face, séparés par ce rocher, pour prononcer le serment du divorce : Izanami promet à son mari d’étrangler chaque jour mille personnes venant de son pays, et Izanagi lui réplique qu’il bâtira chaque jour cinq cents huttes d’accouchement.
Izanagi fit aussi naître sur terre, en plus d’Amaterasu, Tsukuyomi, le kami de la lune et Susanoo, celui des tempêtes et des océans.
Les kamis sont parfois des messagers et des entités psychopompes, comme c’est le cas pour les divinités de Death Note. Le rôle de la pensée animiste est également fondamental dans le shintoïsme, puisque les kamis sont présents partout : dans les ruisseaux, les arbres, comme dans les rochers ; et tout individu est par ailleurs appelé à devenir kami. Une relation harmonieuse avec ces entités est donc essentielle car elles participent du quotidien et du bien-être des humains. Un kami n’est pas intrinsèquement bon ou mauvais mais peut révéler deux visages en fonction du respect ou du mépris qu’on lui témoigne. C’est ce que souligne Ludovic Castro quand il explicite davantage la spiritualité shintoïste pour commenter le jeu vidéo Sekiro et son univers baigné de telles références :
Pour les Japonais, chaque kami possède une âme constituée de deux énergies contraires : l’une bienfaisante, l’autre malfaisante. L’exécution rigoureuse de certains cultes rituels permet d’amadouer les kamis afin d’en obtenir des faveurs et d’éviter qu’il se manifestent sous leur aspect négatif. Dans la pratique, il convient de flatter les kamis à l’aide d’offrandes et de récitations de prières. (Castro, 2019, p. 52)
Dans un article consacré aux kamis, David Maingot a également mentionné le concept d’âmes et d’énergies doubles de ces entités :
Traditionnellement, les Kamis possèdent non pas une mais deux âmes […] La première partie de l’âme est appelée aramitama, 荒御霊 ou 荒御魂 « l’âme brute, sauvage et enragée » et la seconde partie nigimitama, 和御霊 ou 和御魂 soit « l’âme douce et paisible ». L’une n’existe pas sans l’autre : cela se rapprocherait de la philosophie chinoise du Yin et du Yang. (Maingot, 2018)
Dans le cas de Death Note la réaction bien spécifique de Light Yagami quand il est visité par le dieu de la mort Ryûk dans sa chambre est assez significative au regard de tout cela. Il ne tardera guère à découvrir qu’il est, selon les lois qui régissent le carnet, lié à l’entité dont il s’est approprié l’outil de travail. Il est par ailleurs le seul à pouvoir voir et entendre le dieu. Ryûk se présente à lui ; et cette apparition aux membres démesurés et au sourire carnassier fait tomber le jeune homme de sa chaise. Pourtant, Light Yagami est aussi calculateur que pragmatique et il a tôt fait de se remettre de sa première frayeur une fois que le shinigami s’est introduit :
— Ryûk : Pourquoi es-tu si surpris ? Je suis Ryûk, dieu de la mort, propriétaire de ce Death Note. Si j’en juge par ton attitude, tu as compris qu’il ne s’agit pas d’un simple cahier ordinaire, hein ?
— Light : La… la mort… […] Je ne suis pas surpris, Ryûk. Non. Je t’attendais. Un dieu de la mort en personne qui vient à moi, c’est très gentil. Je n’avais pas vraiment de doute sur le fait que le cahier de la mort était une réalité. Maintenant que j’ai pu en avoir la confirmation visuelle, je vais pouvoir agir avec encore plus de conviction. (Ohba & Obata, 2019, t. 1, p. 16-18)
Pour l’utilisateur du Death Note et du pouvoir si puissant qu’il renferme, il est assez facilement admissible qu’il appartienne à un kami mortuaire. De la même façon, plus tard dans le récit d’autres personnages seront amenés à voir et entendre les dieux de la mort sans manifester autre chose qu’une surprise finalement très éphémère. Il est possible que Death Note rappelle ainsi que la culture japonaise entrelace volontiers, dans le quotidien, les rapports aux mondes humains et spirituels. Dans le comportement et les propos de Ryûk, on peut aussi retrouver des aspects des kamis tels que nous les avons décrits. Il rappelle par exemple à Light qu’il est une entité supérieure et qu’il le laisse utiliser son carnet pour son seul divertissement. Il prévient pourtant que le fin mot de cette histoire lui reviendra :
— Light : Alors, je n’ai pas de punition pour m’être servi du Death Note ?
— Ryûk : Disons qu’il y a des peurs et des angoisses que seul l’humain qui l’utilise peut connaître. De plus, lorsque tu mourras, j’écrirai ton nom dans mon livre. (Ibid., p. 22)
Le kami souligne aussi à quelques reprises qu’il se veut impartial dans la quête de Light Yagami. Selon la loi de son monde et des carnets de la mort, il est tenu de rester sur terre tant que son cahier se trouve entre les mains d’un humain. Pourtant il n’a pas forcément l’intention d’aider Light à éliminer le crime avec les pouvoirs du Death Note. Quand débute l’enquête du détective Ryûzaki, dissimulé sous la lettre « L », pour tenter de stopper Light/Kira et ses meurtres, la posture de Ryûk est claire :
— Ryûk : Je ne déteste pas, Light. Au contraire, d’une certaine façon je pense que je ne pouvais pas trouver meilleure personne pour utiliser le Death Note. C’est bien pour moi qui doit rester là jusqu’à ce que toi ou le cahier disparaisse. Mais je ne suis pas pour autant de ton côté ni de celui de L. […] C’est pour ça que je ne n’ai jamais dit et ne dirai jamais si je pense que ce que tu fais est bien ou mal. (Ibid., p. 132-133)
En réalité, l’impartialité du dieu est plus relative que lui-même ne l’affirme. Comme le soulignait Ludovic Castro, il est tout à fait possible de contrarier les kamis s’ils estiment qu’ils ne reçoivent pas les offrandes et les rites demandés. Light Yagami n’est guère un homme de prières et il n’est pas fait mention dans le récit de Death Note de rituels qui pourraient évoquer le shintoïsme. Néanmoins, la relation du jeune homme avec le dieu de la mort se voit bel et bien entretenue par un système d’offrandes. Créature anthropomorphe, Ryûk a pris sur terre des travers propres aux humains. Il a ainsi développé une dépendance… aux pommes. Friand à l’excès des fruits rouges et juteux, il peut manifester des symptômes de manque s’il n’en consomme pas à sa guise — plaisir qui n’est que pur caprice puisque les dieux de la mort n’ont bien sûr aucune nécessité « vitale » de se nourrir. Au nom de son péché mignon, Ryûk peut se voir forcer d’aider Light plus qu’il ne voudrait le faire. En effet, au cours du récit le jeune homme comme le kami vont se trouver confrontés à un problème de taille. Le détective L soupçonne Light d’être d’une façon ou d’une autre impliqué dans les meurtres de masse des criminels à travers le monde — sans avoir connaissance bien sûr de l’existence du Death Note au départ. Ses soupçons vont l’amener à placer toute la maison de l’étudiant sous surveillance électronique. Light doit donc redoubler de prudence quand il se sert du carnet mortuaire et l’aide de Ryûk lui est absolument indispensable s’il veut débusquer les caméras et les micros. Le dieu doit obéir, car s’il s’avisait de dévorer une pomme dans l’axe des caméras, même sans pouvoir être vu, le fruit serait pris sur le fait en train de flotter et d’être croqué dans le néant. Pour éviter cette situation, Light promet à Ryûk l’offrande des précieuses pommes à l’extérieur de la maison en échange de son aide pour repérer les angles morts des dispositifs. Or, le dieu est loin d’être enchanté par cette situation et il le fait savoir :
— Ryûk : Tu me traites quand même durement, moi, un dieu de la mort. Tu me fais chercher toutes les caméras, et ensuite tu m’empêches de manger des pommes dans la maison. Toi, pour te calmer un peu, j’écrirai ton nom dans mon Death Note et je te tuerai. (Ohba & Obata, 2019, t. II, p. 31)
Bien entendu, le statut particulier de ce fruit dans notre récit et sa présence récurrente dans les dessins participent pleinement à entrelacer les représentations culturelles dans Death Note. En Occident, la pomme est par exemple un objet de passions — à l’origine de la discorde pour que soit désignée la plus belle des déesses et qui conduira à la Guerre de Troie ; ou bien elle est le présent d’amour de Dionysos à Aphrodite. Il semble significatif que la pomme intervienne justement dans un récit où l’épique et la démesure soit au cœur du projet de Light Yagami. Pourtant, il faut aussi envisager sa présence dans une œuvre se déroulant au Japon, imaginée par des auteurs japonais. Les pommes, et les fruits de manière générale, y ont une signification sociale particulière. En offrir est une marque d’estime car ce sont des mets raffinés et souvent très onéreux. À ce titre, la pomme rouge d’Aomori ou « pomme fuji » est considérée comme particulièrement prestigieuse. Il n’est pas certain que les auteurs de Death Note aient explicitement cité cette réalité, mais il est au moins amusant de voir une entité céleste se pâmer pour les pommes !
Par ailleurs Ryûk ne peut pas vraiment être qualifié de kami « bienveillant ». Il est bel et bien ambivalent. Le monde des humains le fascine et il est bien heureux d’y tromper son ennui, surtout avec un jeune homme aussi prometteur que Light Yagami. En revanche il peut tout à fait rappeler sa nature surnaturelle et sa puissance quand il ne s’estime pas respecté — bien que ses menaces restent sans effet sur Light tant il est sûr de lui. Il n’en reste pas moins que c’est Ryûk qui mettra fin à la vie de Light en inscrivant son nom dans son cahier au moment de son arrestation à la fin du récit. Le statut et la puissance du kami mortuaire sont donc intacts.
Anthropomorphes, surnaturelles, passeuses de mondes, gourmandes, amusées et susceptibles à la fois, les créatures de Death Note semblent bien avoir hérité de quelques traits des entités si fondamentales du shintoïsme. Pourtant, la stature particulière des shinigamis, tant de ce manga que dans la culture nipponne au sens large, montre qu’une alchimie de représentations et de perspectives culturelles est à l’œuvre.
Syncrétisme culturel et spirituel : l’exemple des shinigamis
Comme nous l’avons précédemment écrit, le shinigami n’est pas une figure de folklore très ancienne du Japon. D’autres entités mortuaires l’ont largement précédé, telle que la déesse Izanami pour le shintoïsme ou le démon Māra dans le Bouddhisme. De nombreux esprits et engeances fantomatiques autres que les kamis traversent également les frontières troubles entre le monde des esprits et celui des humains. On peut songer aux yokaï, dont on rapporte les récits dès le Haut Moyen Âge à l’époque Heian (viiie-xiie siècle). Satoko Fujimoto et Patrick Honnoré (2015, p. 4), traducteurs de l’imposant Dictionnaire des Yôkai de Shigeru Mizuki, rappellent que ces entités désignent étymologiquement « des phénomènes étranges, équivoques, ou plus spécifiquement des créatures effrayantes ou séduisantes, souvent les deux. Au sens large, ce mot regroupe tout ce qui semble présent sans appartenir à notre monde : esprits, fantômes, monstres, démons familiers, divinités locales ou mineures, vieux objets doués d’une âme, animaux fabuleux ou à métamorphose, obsessions et idées fixes incarnées, etc. Bref, toutes les créatures fantastiques et mystérieuses des traditions populaires japonaises ».
Les fantômes sont également très nombreux, notamment lorsque l’on pense aux entités maternelles dont Izanami serait la première représentante parmi les kamis, dans la fondation mythique de l’archipel du Japon. Ainsi, l’idée de la femme fantôme, de la mère mortuaire essaime dans l’imaginaire, comme en atteste la présence de Kuchisake-onna ou femme à la bouche fendue. Kôji Watanabe et Olivier Lorrillard ont proposé une interprétation mythologique de la permanence de cette légende urbaine, depuis la terreur imposée par la mère jusqu’aux images archétypales de la femme japonaise. Ambivalente, la femme japonaise serait à la fois terrifiante et bienfaisante (Watanabe & Lorrilard, 2022). Kôji Watanabe a également rapproché la forte présence des fantômes dans les contes du Japon à la vénération antique rituelle des ancêtres, soulignant la porosité des frontières entre le monde des vivants et celui des morts (Watanabe, 2006).
Les shinigamis sont donc eux aussi psychopompes et liés au monde des morts, mais il faut attendre la période Edo (1603-1868) pour que la littérature commence à les évoquer, et plus particulièrement le théâtre, quand est jouée pour la première fois la pièce Suicides d’amour à Amijima de Chikamatsu Monzaemon (1721). Deux amants de conditions sociales trop éloignées commettent un double suicide, accusant un shinigami d’avoir causé leurs tourments. La période Édo est notamment marquée par un syncrétisme, c’est-à-dire le rapprochement de différentes spiritualités et de leurs rites, favorisé par l’ouverture du Japon aux spiritualités occidentales, conjointement aux pratiques bouddhistes, taoïstes ou encore shintoïstes. Les représentations de la Faucheuse comme personnification de la mort elle-même en Europe ont pu influencer l’image donnée de certains shinigamis au Japon. Par exemple, le shinigami est un intercesseur entre la vie et la mort des humains et il peut venir s’assurer du passage de l’une à l’autre. En revanche, si la Faucheuse est perçue comme une allégorie de la fin de vie et de la fatalité, le shinigami est plutôt un passeur garantissant que les cycles naturels et perpétuels s’accomplissent pour les humains. L’idée d’un déroulement cyclique de la vie est par ailleurs très répandue en Asie, notamment dans le bouddhisme. Julien Rousseau en a rappelé les principaux fondements et leurs importances dans les imaginaires mortuaires qui y sont associés :
La philosophie bouddhique n’a pas la notion d’être permanent, mais plutôt celle d’un perpétuel devenir. Tout existence est provisoire, pour les dieux autant que pour les hommes, les animaux ou les damnés. […] La vision des Enfers est pédagogique et libératrice, elle enseigne la voix du karma, selon laquelle la condition de chaque être, dans cette vie et les suivantes, résulte de ses actes passés. (Rousseau, 2018, p. 36)
L’entité s’assure donc que la mort advienne au moment prévu et propose souvent de guider l’âme du défunt et éventuellement de lui garantir ne nouvelle incarnation. Le shinigami n’est donc pas nécessairement effrayant ou impitoyable. Il n’est pas dans sa fonction d’appliquer une sentence. Wu Mingren (2019) a rapporté un conte traditionnel qui traduit bien cet aspect4 :
Un homme en difficulté décide un jour de mettre fin à sa vie. Il reçoit la visite d’un shinigami, qui le persuade de ne pas commettre l’irréparable. Il explique à l’homme que la vie humaine se mesure en fonction du temps que met une mèche de bougie à se consumer et lui dit que la sienne est toujours allumée. Le shinigami se dit le garant du temps de la vie des humains et il ne souhaite aucunement voir celle de l’homme écourtée sous l’impulsion du désespoir. Il propose alors un marché pour que les affaires de l’humain soient prospères. Il lui conseille de se faire médecin de campagne, avec son aide divine. Il lui apprend un mot magique pour que l’humain puisse révoquer le shinigami s’il apparaît au pied du lit d’un malade. Dans ce cas, le médecin sauverait le mourant. En revanche, si l’entité se trouve près de la tête de lit, cela signifierait que son heure est venue quoi que puisse tenter le praticien. Il serait alors de son devoir de laisser le dieu de la mort accomplir sa fonction. À compter de ce jour, les diagnostics du médecin deviennent infaillibles et sa réputation grandit. L’accord surnaturel tient jusqu’au moment où une famille désespérée promet une grande quantité d’argent à l’homme s’il parvient à sauver leur proche. Le patient est condamné car le shinigami se tient à la tête du lit. Cupide, le médecin décide de berner le dieu de la mort. Il profite que l’entité se soit endormie pour inverser la position du lit. Puisqu’il se trouve désormais au pied de la couche, le médecin peut le révoquer à l’aide du mot magique et sauver le mourant. Le shinigami reproche à l’homme son acte, mais propose néanmoins d’aller boire un verre avec lui. Ils arrivent alors dans une pièce où brûlent des centaines de bougies. Le shinigami indique à l’homme une mèche presque consumée et lui explique qu’il s’agit de celle de sa propre vie, et qu’on le condamne à la voir s’éteindre en raison de sa trahison. Il n’existe qu’une seule façon pour lui de s’en sortir : parvenir à rallumer à temps sa bougie avec une des autres flammes de la pièce. Paniqué, l’homme se précipite et fait une chute mortelle. On retrouve cette idée toujours très importante que les entités divines peuvent être très généreuses et mêmes bienfaisantes, mais que l’humain qui tente de les abuser connaîtra un sort funeste.
La culture populaire et les mangas contemporains en dehors de Death Note ont fréquemment cité des figures de shinigamis. Ils ont souvent gardé de leurs ancêtres littéraires leur fonctions d’émissaire mortuaire, mais selon l’œuvre ils bénéficient de plus de compétences et de pouvoirs fantastiques. Parmi eux on peut évoquer la purification des esprits corrompus — dits « Hollows » — à l’aide d’un sabre manié par Ichigo Kurosaki, le héros shinigami de Bleach (Kubo, 2001).
Dans notre récit de Death Note, on peut souligner que les plumes ou stylos qui rédigent les noms des humains dans les lignes du carnet ne sont pas sans rappeler une faux qui moissonnerait la vie, ou bien encore la lame des Moires européennes qui tranche le fil de l’essence vitale avant de précipiter les mortels dans le fleuve du Styx. Ce « couperet » est avant tout le privilège des shnigamis, mais les humains qui récupèrent le carnet et ses pouvoirs pour leur compte deviennent alors à leur tour des émissaires de Faucheuses. Il n’est d’ailleurs pas rare que le dessinateur du manga, Takeshi Obata, choisisse entre les chapitres ou sur les couvertures des volumes de représenter Light Yagami avec une grande faux dans les mains, à commencer par celle du premier tome. Bien que le pouvoir de décider de la vie ou de la mort de ses semblables grâce au Death Note soit aussi tentant que puissant pour les humains, les capacités des shinigamis restent de loin supérieures : ils peuvent se rendre intangibles à la manière des fantômes, sont dispensés des besoins vitaux des humains, sont presque éternels et surtout possèdent des yeux très particuliers. Au sein du récit, ces organes permettent d’évoquer le thème du pacte, comme on le trouve dans le conte précédemment cité.
Sur simple demande de l’utilisateur humain du Death Note, le dieu de la mort qui l’accompagne peut lui faire partager ses yeux. Une fois doté des pupilles divines, le mortel acquiert leur pouvoir : les noms et prénoms de chaque humain qu’il regarde lui sont révélés — rendant inefficace tout usage de pseudonyme ou de fausse identité — ainsi que son espérance de vie exacte. On comprend aisément pourquoi un tel don facilite grandement l’usage du carnet et ne peut le rendre que plus redoutable pour les humains. En revanche, le prix à payer n’est pas négligeable : le mortel qui contracte cet accord doit céder au shinigami la moitié du temps qu’il lui reste à vivre. Cette perte est impossible à récupérer, même si le cahier concerné pendant l’échange devait être perdu ou détruit. Dans de tels cas, le mortel ne conserve pas les pouvoirs de ses yeux. Il s’agit bien d’un pacte avec une puissance supérieure, qui peut évoquer pour le lecteur un certain nombre d’accords passés avec différents démons chez des mortels avides ou désespérés, notamment en Occident — le mythe de Faust demeure un exemple très célèbre. Il faut noter toutefois que chez les shinigamis de Death Note, le pacte est tout à fait optionnel et que le dieu de la mort ne doit pas forcer la décision du mortel. Par ailleurs, s’interposer ouvertement dans la destinée d’un humain est un tabou dans leur monde, et constitue un des très rares cas où ils peuvent disparaître à jamais, tombant en poussière. Même informé des avantages, Light Yagami refuse de conclure cet accord avec Ryûk, se contentant simplement de regretter qu’on ne lui propose pas plutôt des ailes, dans un probable hommage au mythe d’Icare et son désir de fendre les cieux.
La variété des représentations et des influences de Death Note peut encore s’observer dans l’organisation du monde des morts. Cette dernière est relativement peu décrite, mais quand Ryûk en témoigne ou quand le récit nous la montre directement, ce sont des moments significatifs. Ils montrent qu’une fois encore l’imaginaire relatif à la mort dans ce récit puise à plusieurs sources.
La hiérarchie du monde des morts : un royaume céleste réglementé
On apprend par exemple au cours de l’aventure que le monde des dieux est un royaume. C’est auprès du roi — qui ne sera jamais montré durant le récit — que les sujets obtiennent leur Death Note. Ils sont censés en prendre soin et pour espérer en obtenir un autre, il faut demander audience. Un shinigami du nom d’Armonia Justin Beyondormason siège sur un trône et l’on apprend qu’il est très proche du roi des dieux de la mort, probablement son premier conseiller. Il est chargé d’expliciter les règles du cahier aux autres dieux et de leur faire appliquer. Il existe de très nombreux interdits quant au lien qui peut unir un dieu à un humain ou à l’utilisation du Death Note. Parmi eux figure le fait que le dieu qui reste avec un individu possédant son carnet n’est pas tenu de lui expliquer son fonctionnement. Il est par ailleurs interdit d’en écrire le mode d’emploi, le cahier de la mort étant considéré comme trop puissant pour tomber entre les mains de créatures aussi avides que les humains. Ryûk est donc parmi ses semblables un dissident, qui transgresse les règlements d’une façon très ironique puisqu’il rédige lui-même les interdits pour les dieux à l’intention des humains.
On apprend aussi que la transgression des lois du Death Note et du royaume des dieux de la mort sont passibles de châtiments, sans que la nature n’en soit toutefois précisée. De plus, même après la fin du récit, on ignore si Ryûk a réellement été châtié. Dans la seconde moitié de l’aventure on apprend que le carnet original du dieu de la mort a été volé par ce dernier à un congénère du nom de Sidho. Celui-ci s’en plaint au conseiller du roi. Armonia légifère pour que l’affaire se règle à l’amiable et que le cahier volé soit simplement restitué à Sidho, tandis que Ryûk en utilisera un autre. Si le juge de l’affaire apparaît très débonnaire, un récit plus récent des mêmes auteurs (2021) montre que le roi des shinigamis n’apprécie guère que l’on détourne le Death Note de son usage premier. Dans cette histoire mettant en scène Minoru Tanaka, nouvel utilisateur du carnet surnaturel de Ryûk en 2019, le cahier de la mort n’est plus utilisé comme tel. Minoru décide en effet de vendre le pouvoir de Kira aux enchères afin d’assurer la prospérité financière du Japon — les autorités connaissent l’existence du Death Note depuis l’époque où Light Yagami en faisait usage, mais la population n’a pas cette information. Alors que les États-Unis et leur président remportent l’enchère, Ryûk est convoqué par son roi — que l’on ne verra toujours pas, mais l’ordre demeure relayé par le conseiller Armonia. Ryûk va ensuite donner le cahier à la Maison-Blanche mais apporte aussi un avertissement :
— Ryûk : En fait, avant de venir ici, je me suis fait engueuler par le roi des dieux de la mort. Il m’a dit « Depuis quand on laisse les humains faire commerce du Death Note !? » Et il m’a fait ajouter une nouvelle règle : « Un humain qui vend ou achète un Death Note mourra. Ceux qui l’ont vendu meurent lorsqu’ils reçoivent l’argent et ceux qui l’ont acheté, lorsqu’ils prennent le cahier. » (Ohba & Obata, 2021, p. 132)
En conséquence de ces nouvelles règles, Ryûk se voit donc obligé d’écrire le nom de Minoru pour le punir de son usage du Death Note, et le président des États-Unis renonce à s’emparer du cahier, préférant faire croire au monde qu’il a acquis cette puissance, se servant de la crainte suscitée par cette possibilité comme principe de dissuasion. On constate bien que le roi des dieux de la mort, ici plus actif que dans le récit original, reste l’autorité supérieure habilitée à rendre un verdict. Dans le récit principal qui nous occupe, Light Yagami ne semble pas avoir contrarié le roi, mais le prix à payer pour avoir fait usage du Death Note en tant qu’humain suppose que l’utilisateur ne sera jamais en paix. C’est surtout envers les shinigamis eux-mêmes que le souverain et son conseiller semblent appliquer la juridiction du monde des dieux de la mort. C’est l’idée de royauté et d’administration qui, même évoquée discrètement, nous semble intéressante dans Death Note. Cette organisation n’est pas sans rappeler celle que l’on retrouve dans certains imaginaires mortuaires en Asie, comme le rappelle Julien Rousseau :
Dans la cosmologie chinoise, le monde humain reflète le monde céleste divin et son administration impériale. Selon le même principe d’analogie, les enfers souterrains reproduisent le système judiciaire médiéval. Les dix enfers de textes bouddhiques s’organisent en dix cours pénales présidés par des rois-juges, assistés de clercs tortionnaires […]. Cette image bureaucratique de l’au-delà s’est diffusée de la Chine à la Corée, au Japon et au Viêt Nam. (Rousseau, 2018)
Le séjour de nos dieux de la mort est bien un monde céleste, administré par un roi seul. Cette structure évoque donc une adaptation de la cosmologie chinoise, de même que le côté aride, noir et parsemé de crânes de ce royaume peut aussi rappeler le Yomi japonais, dont Izanami est la reine. On se trouve donc bien dans un syncrétisme utile au fonctionnement du monde propre au manga Death Note. Le paysage du monde divin comporte aussi un certain nombre de croix gothiques — objet que Ryûk arbore en permanence à sa ceinture. Enfin, Takeshi Obata cite très souvent des scènes religieuses occidentales en y transposant les personnages dans les fresques entre les chapitres L’adaptation animée de Tetsuro Araki (2006) permet d’autant plus la mise en avant d’une telle iconographie, puisque des images du premier générique d’ouverture — opening — pastichent clairement la Création d’Adam, de Michel Ange (1511), en plaçant Light et Ryuk en lieux et places de Dieu et du Premier Homme.
Il n’est pas explicitement fait mention de tortures dans le récit, et si l’on sait que les dieux peuvent subir des châtiments plus ou moins sévères, jamais le lecteur n’en sera le témoin. On peut supposer que, du côté des humains, l’usage du Death Note constitue en soi une torture puisque les pouvoirs du carnet ne lui apporteront aucune paix, qu’elle soit psychique ou spirituelle. De plus, la mort de Minoru Tanaka peut bien être considérée comme un châtiment par décret royal. La défaite de Light Yagami et la fin du manga apportent par ailleurs une dernière révélation. Tandis que le jeune homme cerné par la police est sur le point d’être éliminé par Ryûk et son Death Note, le shinigami lui apprend le devenir des défunts : « Il n’y a ni paradis, ni enfer. Quoi qu’ils aient fait de leur vivant, tous les morts vont au même endroit. La mort est la même pour tous. » (Ohba & Obata, 2019, t. VI, p 384) La dernière règle du Death Note se trouve alors dévoilée : « Tous les humains finissent par mourir, sans exception. Mû (le néant) est l’endroit où ils vont après leur mort. Une fois mort, ils ne reviennent jamais à la vie. » (Ibid., p. 418)
Cette ultime précision constitue le dernier mélange d’influences des mangakas dans le récit. Le séjour des humains défunts est un non-lieu qui semble séparé du royaume céleste des dieux de la mort. En japonais, Mû (無) désigne en effet le néant, l’absence. Si la présence de kamis mortuaires et d’une organisation en cour royale évoque dans Death Note la spiritualité du shintoïsme et certaines représentations bouddhiques, le devenir des hommes dans ce manga ne laisse aucune place ni à une perspective cyclique qui évoquerait un devenir perpétuel, ni même à l’idée d’une vie éternelle ou d’une damnation. Il n’y a ni salut, ni châtiment après la mort — qui sont des conceptions également souvent dépeintes dans les monothéismes — ni retour à espérer, ni incarnation sous quelque forme que ce soit. Décrite ainsi, la mort est une disparition définitive que les auteurs semblent avoir choisi de rationnaliser complètement : après la mort, tout individu et toute pensée disparaissent.
Conclusion
Death Note est donc une œuvre intéressante en bien des points. Sur la question du folklore en particulier, ce manga nous rappelle que les thèmes de la mort et de la spiritualité entraînent un florilège d’imaginaires et de représentations, aussi bien en Asie que dans le reste du monde. Par ailleurs, les créations japonaises, dont les mangas sont sans doute parmi les œuvres les plus répandues aujourd’hui, expriment un réel attrait de leurs auteurs pour les références, les images et les représentations venues de cultures très diversifiées. La mort constitue le motif principal de Death Note et les auteurs ont choisi d’en parler et de la représenter selon le même principe de syncrétisme culturel. Les dieux de la mort en présence dans ce récit nous rappellent que ces shinigamis sont récents dans l’imaginaire collectif, mais que leurs racines plongent néanmoins dans un ensemble de spiritualités très ancien, identitaire du Japon, tout en prenant des nuances issues de son ouverture à l’Occident. Le monde habité par ces entités est lui-même au carrefour des traditions de l’Asie : monde tout à la fois céleste et ressemblant à plusieurs enfers souterrains, un royaume traditionnellement réglementé… mais qui révèle pourtant, bien loin de l’idée d’un karma et de ces cycles d’incarnation, que la mort des humains est un voyage sans retour possible, dans la plus stricte fatalité.