C’est un petit livre au format maniable (100 pages environ) et à l’agréable couverture souple tenant parfaitement entre les mains que nous livrent les Presses Universitaires de Lyon avec ce volume de la collection « Lignes de partage », série « Essentiels ».
Les auteurs y présentent un texte peu connu du grand historien des Annales Marc Bloch, intitulé « La Vie d’outre-tombe du roi Salomon » et initialement publié en 1925.
Le livre commence par une présentation de l’enjeu du texte par Florence Hulak : si le roi Salomon fait partie des auteurs chrétiens sacrés (plusieurs des livres de la Bible lui ont été attribués), le Livre des Rois affirme en revanche que le goût de ce roi pour les femmes l’a détourné de Dieu. Pourtant, jamais dans la Bible il n’est fait mention du châtiment reçu par Salomon après sa mort.
Les chrétiens instruits du Moyen Âge ne pouvaient dès lors que se poser la question suivante : qu’est-il donc arrivé à Salomon après sa mort ? A-t-il accédé au paradis ou bien a-t-il été châtié comme le méritaient ses péchés avec les femmes ? F. Hulak montre que, pour la mentalité chrétienne médiévale, cette question est d’une importance capitale car, si le pécheur Salomon a pu échapper post-mortem à son châtiment, c’est toute la logique chrétienne qui se trouve ébranlée.
S’ensuit une très intéressante partie intitulée « Mythe et vérité » par F. Hulak, dans laquelle elle rappelle les questions cruciales posées par Marcel Detienne et Paul Veyne concernant les « régimes de vérité », idée que ces penseurs doivent eux-mêmes à Michel Foucault, nous permettant ainsi de nous émanciper d’un néo-positivisme bien trop répandu. Peut-être aurait-il fallu aller encore plus loin dans ces questions afin de parvenir à percer les mystères des textes présentés par Bloch dans son article, mais c’est déjà un tel miracle que ce genre de questionnement soit abordé dans un livre d’histoire que nous ne pouvons que féliciter F. Hulak de l’avoir fait.
Puis vient le texte de l’article de Bloch lui-même où sont présentés deux mythes médiévaux donnant chacun une version différente de la peine réservée post-mortem à Salomon. Légère dans le premier texte, cruelle dans le second, la peine de l’amoureux des femmes qu’était Salomon n’en est pas moins à chaque fois censée prendre fin au Jugement dernier, permettant ainsi à l’auteur sacré de livres de la Bible qu’était aussi Salomon de finir par accéder au paradis. Une solution « transactionnelle » (Julien Théry) est ainsi trouvée par les auteurs de ces mythes, permettant à la fois de châtier et de sauver l’ambivalent personnage qu’est le Salomon biblique. Grâce à ces mythes, la pensée médiévale retombe ainsi parfaitement sur ses pieds : le coupable d’hybris contre Dieu a bien été châtié et l’angoisse quant à l’absence de solution biblique concernant son châtiment post-mortem peut enfin prendre fin.
Le livre se termine par un texte de Julien Théry permettant de contextualiser l’article de Bloch. J. Théry y rappelle la nouveauté extrême qu’a pu présenter en 1924 le livre consacré aux rois thaumaturges de Bloch qui inaugurait « l’histoire des mentalités ». Comme l’explique J. Théry, l’histoire commençait ainsi à s’émanciper du positivisme, émancipation qui allait ensuite connaître une très riche histoire. Avec les Rois thaumaturges, c’est en effet toute la part « irrationnelle » de l’Homme, mais part ayant des effets bien réels, qui faisait son entrée dans les études historiques.
On remarquera avec admiration que J. Théry a pu, au cours de ses recherches, trouver une « troisième fable théologique » médiévale racontant une autre version du châtiment post-mortem réservé à Salomon, prolongeant ainsi le travail mené par Bloch dans son article et le prouvant même en quelque sorte en montrant que l’absence de châtiment de Salomon dans la Bible n’avait effectivement cessé de « travailler » la pensée médiévale, ainsi que Bloch en avait eu l’intuition.
Au final, un petit livre bien construit, original par son sujet, pouvant constituer aussi bien une première rencontre avec la pensée de Bloch pour un étudiant qu’une lecture agréable et utile pour tout lecteur intéressé par les études culturelles.
