Quelques catégories à l’épreuve de l’anthologie

Histoire, poésie, société dans le recueil Barbin

DOI : 10.35562/pfl.100

p. 267-284

Plan

Dédicace

Pour Alain Viala

Texte

La préface du recueil Barbin déclare vouloir donner « une Histoire de la Poésie Françoise, par les Ouvrages même des Poëtes ». Ce qui intéresse dans cette affirmation n’est pas tant l’idée qu’il y aurait là la première histoire de la poésie, ou la première anthologie – il y a en effet, dans la littérature ou effectués avec la littérature, quantité de gestes anthologiques et historiographiques antérieurs à 1692 – mais bien la désignation du geste anthologique comme geste historiographique. Le projet posé dans la préface suppose de se ressaisir de tout un ensemble d’actions d’écriture, de publication et de classement qui n’apparaissent ni nécessairement cohérents, ni simultanés, qui ont parfois en outre un caractère aléatoire – le geste anthologique englobe en effet toutes sortes d’autres gestes – pour leur donner sens et produire une histoire de la poésie : une histoire et non l’histoire.

Mais comment les notices et les pièces de vers mises en recueil dans un volume composite à plusieurs titres peuvent-elles être saisies comme réalisant une histoire ? À l’échelle du recueil dans son ensemble, ce sont d’abord les notices, « les petites vies », qui font voir dans sa continuité le geste anthologique comme geste historiographique. Le fait qu’elles aient été reprises, dès 1694, dans L’Art de la poesie française de Phérotée de La Croix, et qu’elles y figurent parmi d’autres listes1, semble montrer qu’elles ont été perçues comme ce qui faisait son originalité et son intérêt, comme un élément historiographique décisif, dans une perspective où l’histoire s’appréhende comme palmarès2, comme ce qui classe, qui garde des choses du passé et en voit disparaître d’autres. Ce même principe d’une histoire littéraire par notices et anthologie se lit en outre dans le premier livre du Recueil des plus belles épigrammes de Claude-Ignace Brugière de Barante, paru en 1698 et qui réunit une liste d’auteurs très proche de celle du recueil Barbin3, en lui empruntant le principe du classement des auteurs, présentés puis « représentés » par une série de textes. À l’échelle d’ensemble de l’ouvrage – il est clair en effet que la porte d’entrée dans le recueil Barbin est décisive quant à ce que l’on y voit ou ce que l’on n’y voit pas4 –, on peut donc affirmer que celui-ci travaille à donner une certaine idée de la poésie comme pratique d’auteurs de conditions sociales différentes, et qu’il construit aussi un temps propre de la « littérature ».

« par les Ouvrages même des Poetes »

Un fait assez remarquable est que le recueil Barbin mobilise peu de ces catégories que nous qualifierions d’« esthétiques » ou, mieux, de « poétiques ». Il y a certes la mention des genres (rondeau, chanson, sonnet, épigramme…) qui ont été pratiqués sur la longue durée, et qui ont des moments sensibles, telles les épigrammes mentionnées comme une des réussites de Passerat5, mais qui semblent avoir trouvé leurs auteurs avec Marot, dont cinquante-trois épigrammes sont reprises, puis avec Maynard (trente-deux pièces de celui-ci illustrent le genre). Les « petites vies » indiquent d’ailleurs des introducteurs de ces genres : « Saint Gelais a fait le premier des sonnets françois & […] c’est lui qui les a fait passer d’Italie en France » (t. I), Jodelle fut le « premier françois donnant une tragédie en notre langue » (t. I), Lingendes « le premier qui a fait des stances françoises » (t. III). Mais de sonnets, il n’y en a point dans la liste des pièces de Saint-Gelais, pas de tragédie bien sûr ni pour Jodelle ni pour quiconque parmi les poètes mentionnés, pas de stances pour Lingendes alors que les stances sont par ailleurs nombreuses dans tout le Recueil. Ces « hiatus » multiples entre le choix des poèmes et le discours des « petites vies », outre qu’ils laissent entrevoir la composition très probablement segmentée du recueil (les pièces de poésie d’un côté, les vies de l’autre6), rendent également perceptible la différence entre l’histoire que produit un choix de poèmes associés à des noms d’auteur et ce qui serait une histoire des formes poétiques ou d’une forme en particulier, voire une histoire de l’émergence de genres poétiques. L’organisation par auteur met en évidence des pratiques historicisées de la poésie : être le premier à avoir fait des sonnets, ce n’est au fond, selon le recueil Barbin, pas tant avoir introduit les sonnets dans l’histoire littéraire de la poésie qu’être le premier, parmi tous ceux qui écrivent des vers, à s’exercer au sonnet. En mettant l’accent sur des pratiques d’écriture, les « petites vies » se tiennent à hauteur de ces pratiques plus qu’elles n’engagent une histoire longue des formes poétiques.

On ne trouve pas par ailleurs, dans la désignation des poètes, ces catégories de groupes si puissantes dans la construction des périodisations littéraires, notamment pour le xviie siècle : pas de « libertins » – mais Regnier fut « débauché » (t. I), Saint-Amant « a vescu assez librement » (t. III), Chapelle aima « gouster en liberté tout ce qu’une vie libre & facile peut donner de plaisir d’un homme comme lui » (t. V). Autrement dit, l’absence des pièces licencieuses de certains auteurs dans le recueil Barbin, si elle obéit notamment à la nécessité de ne publier que des pièces autorisées, n’interdit pas de dire comment ont vécu des poètes plus tard classés comme « libertins », mais aussi d’autres qui n’ont pas été désignés comme tels.

Par ailleurs, on ne voit pas non plus désignés ces « précieux », ces « burlesques » qu’affectionne l’histoire littéraire, et pas non plus exactement de « galants » au sens qu’on donne aujourd’hui à ce terme, puisque la galanterie est ici attribuée à Du Bellay (« Il avoit abandonné la galanterie », c’est-à-dire les vers d’amour, t. I), à Ronsard (« Le poete de France qui a le plus fait de poesie galante », t. I), à Passerat (« La plus haute et la plus fine galanterie », t. II), avant Godeau (« On dit qu’il fit des Poesies galantes estant evesque », t. IV), Mme de La Suze (« Elle eut toute sa vie le cœur aussi galant que l’esprit », t. IV), ou Mme de Villedieu (« Le destin des femmes d’esprit de donner dans la galanterie, y entraina aussi Melle des Jardins qui n’en démentit point le caractère dans toute la conduite de sa vie », t. IV). Cette catégorie de « galanterie », très construite dans l’appréhension des pratiques littéraires du xviie siècle7, apparaît donc moins intéressante du point de vue de la désignation de groupes précis que du traitement du temps de la pratique poétique sur la longue durée. Le recueil Barbin ne définit pas à proprement parler de galants, il projette la galanterie comme valeur sociale et valeur littéraire dans une histoire de la poésie française. Cela se lit dans les notices, mais aussi dans les pièces poétiques, telle la lettre en vers dans laquelle Saint-Pavin demande à une marquise de revenir à la cour pour y rendre l’amour plus « galand qu’il n’y fut jamais » (t. IV, p. 367) ou l’extrait des Nopces de Pelée et Thétis de Bensérade où le duc de Saint-Aignan affirme qu’il a « dans un si haut point mis la galanterie / Que la cour de Neptune en est toute fleurie » (t. V, p. 158). L’emploi et la valorisation d’une catégorie opérante dans le présent de 1692 s’accompagnent en effet d’un retour sur la galanterie des années 1650 comme l’âge d’or de cette pratique sociale de la poésie. Les auteurs du volume V, Voiture, Sarrazin, Bensérade dont la notice mentionne la querelle des sonnets d’Uranie et de Job8, identifient le moment clé de la pratique des vers de ballet pour la cour. Ce cinquième livre revient en effet en arrière du point de vue de la chronologie des auteurs par rapport à ceux du volume IV – Voiture est mort en 1648, Scarron en 1660, Sarrasin en 1654 quand Saint-Pavin est mort en 1670, Charleval en 16639, Mathieu de Montreuil en 1691, M. de La Sablière en 1679, etc. –, en insistant sur l’époque où l’exercice des vers est liée aux plaisirs du roi. La plupart des ballets dont Bensérade a écrit le livret sont ainsi représentés par des pièces qui, sans se désigner explicitement comme vers de ballet, privilégient largement les rôles royaux10, et furent écrites et imprimées dans les années 1650, puis les années 1660 où s’est construite la question de la galanterie royale. De nombreuses pièces empruntent donc, sans que cela soit précisé, à dix-sept écrits de Bensérade, qui vont du Ballet royal des festes de Bacchus dansé en 1651 au Ballet de Flore de 1669, en passant par certains très fameux (le Ballet de la Nuit de 1653, les Nopces de Pelée et Thetis de 1654)11, Les Nopces de Village de 1668), d’autres moins (Ballet royal de l’Alcidiane de 1658 ou le Ballet de l’Impatience de 1661). Isaac de Bensérade est ainsi l’auteur dont le plus grand nombre de pièces poétiques se voit rassemblé dans le recueil Barbin, rendant en même temps sensible ce qui semble bien une construction après coup du cinquième volume. Par ailleurs, dans ce même volume, la partie sur Chapelle, tout de suite après Sarrazin et juste avant Bensérade, adopte une pagination nouvelle, comme si les cahiers n’avaient pas d’emblée trouvé leur place, ou avaient été déplacés pour produire un type de cohérence : ainsi, Chapelle dont la vie libre est affirmée, célèbre dans l’ode à Carré « La belle et galante maniere » et se saisit donc ici du côté d’une pratique et d’un jugement fondés sur la valeur de l’agrément, très différents de ce pour quoi il est aujourd’hui connu (le Voyage de Bachaumont, paru en imprimé en 1755, et associé au corpus « libertin »)12.

Si les catégories de l’histoire littéraire moderne ne figurent pas en tant que telles dans les « petites vies », d’autres sont donc bien présentes, qui montrent un des filtres à travers lequel est appréhendé le passé de la poésie française. Compte tenu de la centralité de la catégorie « galant », il est logique que le lieu de « la cour » soit très présent dans les « petites vies », comme un élément d’appréciation de la valeur et de la reconnaissance des auteurs sélectionnés : Saint-Gelais fut estimé « à la cour des rois François 1er et Henri II » (t. I), Du Bellay « estimé à la cour des rois de France » (t. I), Ronsard « beaucoup estimé d’Henry II, de François II, mais particulierement de Charles IX qui aimoit la Poësie » (t. I), Baïf faisait à l’académie de musique « des concerts qui y attirerent l’estime de toute la Cour » (t. I), Desportes fut « beaucoup estimé à la cour d’Henri IIII » et « vescut toûjours à la cour pendant le règne d’Henri III » (t. II), Montreuil a fait une lettre fameuse sur « le voyage de la cour de France à Fontainebleau pour le mariage du roi » (t. IV), Voiture eut des charges à la cour (t. V), etc.

Mais la projection sur la longue durée de ces catégories centrales à la fin xviie siècle (« galant », « la cour », « l’estime »), parce qu’elle est très visible, masque en partie d’autres logiques à l’œuvre dans le choix des auteurs, voire elle fait passer au second plan des modalités de regroupement d’auteurs dans le recueil Barbin. La clientèle de Gaston d’Orléans se lit par exemple à travers la présence dans le recueil d’auteurs attendus, Racan bien sûr, mais aussi Tristan, Patrix, Lingendes, Voiture, introducteur des ambassadeurs de Monsieur. Certains désordres chronologiques dans l’ordre des auteurs, comme celui qui fait finir le premier volume par Régnier et commencer le second par Desportes, pourtant oncle du précédent, laissent apercevoir des éléments d’histoire transversaux à l’ensemble du Recueil : si Desportes ouvre le volume II, c’est peut-être parce que celui-ci s’achève avec Malherbe, qui fut le commentateur de ses œuvres (et constitue de ce fait une limite chronologique au xviie siècle même), et les malherbiens.

Mais il est d’autres motifs à ces mêmes regroupements : la série Malherbe-Racan-Maynard comprend une série de pièces présente dans le Recueil Du Bray édité en 1626, puis 1627, augmenté en 1630 et reparu en 163813. L’ordre des pièces de Malherbe dans le recueil Barbin suit le volume de l’édition de 1626, la paraphrase du psaume 104 qui ouvre la liste (t. II, p. 167), les deux odes Pour le roi et Pour la reine (t. II, p. 192 et 201) et enfin le poème Pour la guérison de Chrysante, ode adressée semble-t-il au duc de Bellegarde (t. II, p. 229), exceptés. Si l’on prend l’édition Toussaint Du Bray de 1638, la paraphrase du psaume 104 ouvre le volume, et les poèmes suivants de l’anthologie de Barbin suivent l’ordre du Recueil Du Bray tout en y opérant une sélection, comme si l’on voyait l’auteur du recueil Barbin feuilleter l’anthologie de 1638 et y sélectionner, page après page, les pièces poétiques qu’il va reprendre. Après Malherbe, vient Racan, suivant le rang établi par Toussaint Du Bray, et cette fois l’ordre des pièces poétiques est exactement le même, de la première à la pénultième, la dernière étant un chœur de bergers empruntée aux Bergeries de 1625. C’est enfin le tour de Maynard dont les pièces suivent l’ordre du Recueil Du Bray « revu » par les Œuvres de 164614. Au passage, il est frappant que Maynard qui a écrit quantité de vers de ballets, d’ailleurs publiés par Toussaint Du Bray, n’apparaisse pas comme tel dans l’anthologie Barbin : l’auteur de vers de ballets, c’est principalement Bensérade, né trente ans plus tard15.

Le parallèle entre le Recueil Du Bray et le recueil Barbin confirme le statut déjà observé du volume V : l’utilisation de recueils collectifs importants au xviie siècle, notamment en ce qu’ils ont promu des auteurs et une pratique étendue de la poésie, peut ainsi aller avec la désignation de « moments » – il y a donc un « moment » du ballet de cour – en vertu de l’histoire que le geste anthologique entend proposer. La poésie imprimée aux xvie et xviie siècles participe de l’histoire de la poésie française que dessine le recueil Barbin en tant qu’il comprend une histoire des poètes comme auteurs publiant dans des recueils collectifs dont certains ont marqué leur temps et dans des ouvrages en leur nom propre. Le regroupement et la dispositio des poèmes ne sont pas nécessairement le fait de l’auteur de l’anthologie, mais en enregistrant des gestes de collection et de disposition antérieurs à celui de son propre recueil, l’auteur ou les auteurs du recueil Barbin insèrent une histoire de l’édition des vers dans l’histoire de la poésie française que celui-ci propose.

Pour les auteurs dont les pièces sont empruntées à des recueils de leurs œuvres, parfois posthumes, on observe la même pratique de feuilletage et de sélection, généralement d’une édition qui offre la plus grande variété. Les poésies de Mme de La Suze apparaissent, à une inversion près, dans l’ordre où elles figurent dans les Poesies de madame la comtesse de La Suze parues en 1666, les pièces de Voiture dans l’édition de ses Œuvres en 1650, celles de Scarron dans l’ordre de ses Œuvres de 1664, auxquelles s’ajoute le volume de la Suite des œuvres burlesques de 1648 ; tout le Sarrazin du recueil Barbin se trouve dans les Œuvres de M. Sarrazin de 1658, de même pour Mme de Villedieu, pour laquelle l’anthologie emprunte aux Œuvres mêlées de Mme de Villedieu (1674), pour Bertaut qui est représenté par des pièces reprises des Œuvres poetiques de Mr. Bertaut, evesque de Sees abbé d’Aunay, un ouvrage posthume de 1620 qui mentionne le titre d’évêque de Bertaut, obtenu quatre ans avant sa mort, en 1607, ce qui permet une certaine cohérence entre ce que dit la notice et les pièces poétiques choisies. Ce type de gestes identifiables (lecture, emprunt, mise en ordre) – quoique pas immédiatement visibles pour le lecteur d’aujourd’hui – rend compte d’une façon d’aller chercher les poètes dans leurs pratiques d’auteurs qui publient. L’histoire de l’imprimé fait à ce titre partie de cette pensée de l’histoire de la poésie produite par le recueil Barbin qui peut noter un fait apparemment anodin (« ou comment M. de Montreuil envoya ce livre-ci à une demoiselle de ses amies, avec ces cinq vers qui ne sont point imprimés ») aussi bien que la pratique du nom de femme mariée pour Mme de Villedieu qui a eu trois maris mais que la notice saisit bien, comme tous (« le Menuisier de Nevers », « Théophile »), par son nom d’auteur : « Le nom de Villedieu lui fut le plus agreable de ceux de ses trois maris ; & du vivant des deux derniers, elle n’étoit pas fachée qu’on le lui donnast : elle a même mis la plus grande partie de ses ouvrages sous ce nom » (t. IV).

Les « poètes français » et le social

Cette centralité des « auteurs » dans la construction du recueil Barbin consonne avec la manière dont s’y lit le souci de les désigner comme « poètes français ». Cette expression, qui reprend vraisemblablement l’appellation utilisée en son temps par Guillaume Colletet, et qui met l’accent sur la langue dans laquelle ont écrit les poètes bien plus que sur leur appartenance au royaume de France, permet de rassembler, sur la longue durée, des auteurs de conditions différentes : après Marot, « Poete celebre, qui a surpassé tous les Poetes françois » (t. I), viennent Saint-Gelais (« Abbé de Recluz, Celebre poete françois », t. I), Belleau (« Poete françois, natif de Nogent le Rotrou », t. I), Jodelle (« Poete latin et françois », t. I), Regnier (t. I), puis Théophile de Viau (t. III), Adam Billault (« Maître Adam […] Poète françois vivoit vers la fin du regne de Louis XIII », t. III), Saint-Amant (t. III), Le Moyne (« Pierre Le Moyne Poète françois [qui] fut admis dans la société de Jésus de Nancy, le 4 octobre 1619 », t. III), Desmarets de Saint-Sorlin (« Jean Desmarets, Parisien, Contrôlleur General de l’extraordinaire des guerres […] Poete François, & de l’Academie », t. IV), Scarron (« Poëte françois, natif de Paris, fils d’un Conseiller du Parlement de la mesme ville », t. V). L’ensemble des notices met en relief l’exercice de la poésie comme pratique de ceux qui sont ainsi qualifiés de « poètes » sans qu’ils aient exclusivement pratiqué la poésie, et tout en faisant émerger l’idée d’une prédilection pour les vers qui les relie à travers le temps. Villon avait ainsi « un genie propre pour la Poesie » (t. I), Du Bartas « toutes les qualitez d’un poete sans les defauts », sans que ces défauts soient précisés (t. I), Belleau « un genie excellent pour la poesie » (t. I), Malherbe « a conceu parfaitement l’idée de la belle Poesie Françoise » (t. II), Racan avait « un esprit tellement né pour la Poesie » (t. II).

L’auteur des notices recourt aussi à l’expression de « bel esprit », ce « superlatif de l’honnêteté » qui a connu nombre d’usages polémiques dans les années 1620-1630 – et fut notamment au cœur de la satire des poètes menée par le père Garasse, en 1623. Un emploi associé à la polémique religieuse apparaît d’ailleurs pour Marot, qui reçut congé de la duchesse de Ferrare à la demande du pape Paul III, dit sa notice, « comme tous les beaux-esprits suspects d’heresie » (t. I). Mais l’expression est devenue avec le père Bouhours « la qualité fondamentale de l’écrivain », une « valeur de distinction appliquée aux littérateurs »16. Le recueil Barbin laisse apercevoir ses enjeux sociaux du point de vue de la reconnaissance des « poètes ». Si Montreuil reçoit pour lui-même la qualité de « bel esprit » (t. IV), Baïf « fut fort consideré de ce Poete et des autres beaux esprits de ce tems-là » (t. I), comme Patrix en son temps, qui fut « beaucoup estimé des beaux esprits, et même [de] Scarron » (t. IV), tout comme M. de la Sablière, « en grande liaison avec tous les beaux-esprits de son temps » (t. IV) ou Chapelle qui eut « l’estime de tous les beaux esprits » (t. V).

Ces qualifications qui interviennent avec régularité mais non systématiquement, qui élèvent la plupart des auteurs à une identité propre de « poète » et fabriquent ainsi le sens historique du recueil Barbin en marquant le point à partir duquel se construit cette histoire, vont toujours avec la mention, voire parfois l’explicitation assez précise des origines des auteurs mentionnés. Trois rubriques figurent dans chaque « petite vie » : le lieu de naissance (l’appartenance à une ville ou à une province) ; la filiation, naturelle ou légitime, très souvent reliée à la question de l’éducation17 et, s’il y a lieu, l’ancienneté et à la distinction du lignage18 ; enfin la pratique du service qui prend, pour les auteurs du xviie siècle, la forme spécifique du clientélisme. Marot est ainsi « poète célebre », mais il fut « valet de chambre de François 1er » (t. I), Baïf fut « secrétaire de la chambre du roi, originaire d’Anjou » (t. II) ; pour Bertaut, « le Roy Henry III ayant appellé nôtre Poète auprès de luy, le fit Secretaire du Cabinet, & quelque temps apres son Lecteur […] », puis il « fut nommé à l’Evesché de Chaalons qu’on croyoit vacant » (t. II), Regnier était « fils d’un tripotier de la ville de Chartres » (t. II) ; Godeau, « prelat d’une grande vertu », ne s’est pas rendu seulement « recommandable par les ouvrages de prose qu’il a fait pour la gloire de l’Eglise mais encore par ceux de Poesies ». Montreuil « étoit d’Eglise » mais il a écrit de la poésie (t. IV), Marigny « bénéficier », c’est-à-dire qu’il possédait un bien ecclésiastique19, mais « s’est fort distingué dans ce temps-ci par la connoissance qu’il avoit des Langues Etrangères » (t. IV).

Le recueil Barbin montre la présence du social dans les vies des « poètes français », un social parfois travaillé par les pouvoirs de la poésie à travers le temps : chez Villon, le génie a balancé la mauvaise vie20 ; Malherbe se disait « descendant de la Race de ceux qui suivirent Guillaume le Conquérant, à la Conqueste de ce Royaume » et aurait refusé, pour cette raison, de « traiter d’une Charge de Conseiller au Parlement de Provence pour son fils »21 (t. II) ; la notice de Saint-Amant évoque sa noblesse « de verre » : il était « fils d’un gentilhomme Verrier, & Mainard fit cet Epigramme contre luy : Vostre noblesse est mince. Un bon mot qu’on ne sera pas faché de voir ici ». Que cette noblesse « établie » à travers un nom d’auteur – Saint-Amant, on le sait, ce fut d’abord Antoine Girard, puis Antoine Girard de Saint-Amant, puis Marc Antoine Girard sieur de Saint-Amant22 — puisse se dire à travers l’épigramme de Maynard23, montre qu’il y a, dans le recueil Barbin, en même temps qu’une réflexion sur le rôle de la poésie dans un parcours social, un savoir des pouvoirs de la poésie, ici dans la désignation et la construction du social.

Ce discours qui inscrit la différence des temps et des conditions dans le recueil Barbin met en relief par contraste la stabilité des formulations concernant la pratique poétique. L’exercice des vers apparaît parfois comme une activité dégagée de parcours sociaux qui auraient pu prendre d’autres voies : si Passerat (t. II) a un emploi (professeur royal en éloquence) qui ne l’empêche pas de se consacrer aux belles-lettres, Du Perron explique à Henri IV qu’il ne fait plus de vers depuis que « Sa Majesté luy [fait] grace de l’employer aux affaires » (t. II), mais c’est bien parce qu’il s’agit du roi ; Malleville (t. III), fils d’un officier de la maison de Retz, a pour sa part été détourné des finances par son amour pour les lettres ; L’Estoille (t. III) n’eut, lui, « pas d’autre emploi que les belles lettres et la poésie », tout comme Lalane, « fils d’un Garde Rôlle du Conseil Privé, de fort bonne famille, originaire de Bordeaux où il y a encore un Président à Mortier de son nom […] n’eut point d’autre employ que celuy des belles lettres » (t. IV) ; D’Alibray (t. IV), le troisième de la série, « fils d’un Auditeur des Comptes », « n’eut point d’autre emploi que la Poesie » lui non plus. Et Saint-Pavin, « quoiqu’il fut d’une famille dont le crédit l’eût pu élever à quelque poste fort honorable, […] se contenta de la réputation que son esprit & son savoir lui avoit acquis » (t. IV), tandis que Mme de Villedieu « avoit une telle inclination pour la Poesie que, malgré la défense de ses supérieures dans le convent où elle étoit, elle ne pouvoit s’empêcher de faire des vers » (t. IV). On lit dans ces affirmations la volonté de mesurer la pratique poétique à d’autres faits sociaux, par exemple celui de l’héritage que souligne la mention répétée des filiations. D’autres parcours s’esquissent à travers le choix de la poésie, le recueil Barbin enregistrant aussi bien la réussite d’estime de certains que les difficultés à s’enrichir ou à s’élever des autres, soit la complexité de carrières dans la littérature. C’est Voiture dont toute la notice joue sur son origine de fils de marchand de vin, rappelant qu’il s’est interdit de boire toute sa vie – ce qui ne manquerait pas d’intéresser un psychanalyste aujourd’hui ; c’est le cas remarquable de Desportes dont le paiement a fait, selon Balzac, des envieux (« le loisir de 10 000 écus que s’est fait Desportes par ses vers est un Ecueil contre lequel les esperances de 10 000 poetes se sont brisées », t. II), au nombre desquels Tristan dont est répété ce que lui-même n’a cessé d’écrire, le fait que sa carrière de poète ne lui a pas rendu le lustre perdu de son lignage (t. III) ; c’est encore Maynard dont la plupart des pièces choisies évoquent la difficulté de s’élever par les vers et qui dit adieu aux muses, car si « l’art des Vers est un Art divin », « son pris n’est qu’une guirlande / Qui vaut moins qu’un bouchon à vin » (t. II, p. 365)24.

À cet égard, le recueil Barbin me paraît fonctionner à rebours des Historiettes de Tallemant Des Réaux en ce que, si celles-ci ne cessent de mettre en évidence la présence de l’écrit, c’est pour les moquer, pour dévaluer les intentions littéraires mêmes des auteurs, et ramener ceux-ci à l’extravagance de leurs pratiques sociales (leur ambition, leurs manies en matière de religion, leurs « galanteries »), à la vérité de leur folie sociale en quelque sorte25. Le recueil Barbin mobilise le social, mais il l’organise tout autrement, non comme ce qui dirait la fin et la vanité des pratiques d’écriture, plutôt comme ce dans quoi s’inscrit un exercice ordinaire de la poésie, qui conduit à la construction de carrières pour certains, quoique avec difficulté bien souvent, et à une présence dans une histoire pour tous. Alors que les Historiettes construisent une forme d’égalité dans cette folie sociale qu’elles ne cessent de pointer, le recueil Barbin produit plutôt une sorte d’égalité dans la pratique poétique qui s’énonce sur fond du rappel de l’inégalité des conditions et des intentions des auteurs. En cette fin du xviie siècle où les barrières entre les conditions sociales ont tendance à se renforcer, quand, dans le même temps, le service du roi et la finance deviennent de puissants moyens de passer outre ces barrières, un tel dispositif historiographique n’est pas indifférent. Il l’est d’autant moins que l’adresse au roi n’apparaît pas centrale dans les poèmes que rassemblent les cinq volumes.

Ce que le recueil Barbin met en place, c’est bien une histoire de la pratique de la poésie à travers les conditions et les temps. Je reviens sur un passage de la préface déjà très commenté :

on ne pretend pas que tout ce qu’on a mis icy soit excellent, on ne le donne que pour ce qu’il y a de meilleurs dans chaque Auteur. Il y a peut-estre tel Auteur dont on n’eut rien mis, si on eust voulu exclure de ce Recueil tout ce qui eust esté mediocre. Mais outre qu’on a taché de mettre ce mediocre en petite quantité, on a crû que les lecteurs les plus delicats seroient toujours bien aisé de le voir, quand ils pourroient penser que ce seroit tout ce qu’il y a de plus raisonnable dans un Auteur de reputation. Par là ils peuvent à peu de frais connoitre le genie de cet Auteur, & en juger, & puisqu’il a eu nom, il merite du moins qu’on lise ses principaux ouvrages.

Ces lignes peuvent désormais être lues à l’aune de cette émergence de la poésie comme pratique spécifique traversant l’inégalité de la naissance, la relativité des siècles et des conditions : les traversant, soit se lisant à travers elles, et les dépassant dans une histoire propre.

Les récits de production de poèmes que relèvent certaines notices ou certaines présentations de vers sont encore une manière de documenter la façon dont la poésie est prise dans la vie des auteurs et de leurs destinataires : c’est « l’impromptu » de Théophile de Viau composé chez un « Grand Seigneur26 », ou la chanson de Jean de Lingendes qui « plût si fort à Monsieur le Cardinal de Retz, qu’il la fit repeter plusieurs fois à Lambert qui la chantoit devant luy » (t. III, « de Lingendes »). Certains poèmes sont expliqués par une circonstance27 ou par la vie des auteurs, tel Lalane qui écrit des poèmes d’amour pour sa femme, chose rare qui marque « un bel esprit, un bon naturel & un cœur tendre » (t. IV), ou Marigny (autre représentant de la ville de Nevers) à qui le « bain béni que les Marguilliers de St Paul lui voulurent faire rendre […] fit faire ce poème du Pain béni28 » qui ne figure pas dans le volume29. Toutes ces anecdotes désignent la poésie comme une pratique ancrée dans le social, au même titre que les vers de ballets de Bensérade documentent l’écriture des vers pour le roi et sa noblesse à la cour, les consolations de Malherbe un usage circonstanciel et personnel des vers de deuil30, les vers au roi du même Malherbe une pratique de la commande poétique31, et de nombreux poèmes la recherche de récompenses32. La poésie que publie ou republie le recueil Barbin s’inscrit dans des rapports de service, d’hommages, d’amitiés, de jeux et d’échanges entre gens de lettres, nobles ou non, en tous les cas dans une vie sociale – et l’on peut ainsi comprendre la présence importante du genre de l’épigramme, sorte de « genre ordinaire » d’une pratique ordinaire des vers. Le fait que le recueil Barbin publie des chansons « à boire » va dans le même sens : et il est peut-être intéressant de penser l’écart temporel entre une époque, celle de la vogue des recueils satyriques du début du siècle, où ces vers étaient difficiles à relier à un lieu réel, et ce moment de la publication de ce même genre de vers de « cabaret » dans une histoire qui semble au contraire les renvoyer à une réalité sociale, envisagée cette fois de manière positive33.

Bien sûr aussi, la poésie comme échange entre littérateurs est là : il y a l’épigramme de Saint-Amant à Adam Billault, l’ode de Racan à Balzac, les stances de Sarrasin à Charleval, celles de Charleval à Mme de La Suze… Une multiplicité de genres poétiques ordinaires – épigrammes, liées à la circonstance impromptue et à la satire, chansons, lettres adressées, vers de ballets pour la circonstance de cour – laisse de côté les grands genres, longs et solennels, qui n’ont pas la même présence sociale, pour montrer une sorte d’omniprésence de la poésie et faire du xviie siècle (qui occupe quatre des cinq volumes du recueil Barbin) le siècle de cette émergence du fait littéraire qui sert de cadre à « la naissance de l’écrivain ». Cela explique la place remarquable de la cour des années 1650-1660 dans le Recueil : cet ordinaire social de la poésie y a en effet connu son moment privilégié.

Il y a donc bien dans le recueil Barbin une histoire de la poésie comme pratique sociale, historicisée notamment en ce qu’elle s’écrit et se publie par l’imprimé dans un temps long – un peu plus de deux siècles ; il y a en outre documentation de la poésie comme pratique inscrite dans des conditions sociales différentes, mais envisagée comme un « ordinaire » de ces conditions, notamment par le choix de pièces ne relevant pas de circonstances solennelles et par le rejet des pièces les plus libertines. Cette histoire, construite on l’a vu par toutes sortes de gestes différents que la constitution du recueil invisibilise partiellement, repose sur la reconnaissance qu’il y a un passé, des choses qui disparaissent et d’autres qui restent – telle la langue de Villon éditée par Marot34. Le passé éloigné reste cependant tenable par la projection de catégories (« galant », « bel esprit », « génie ») qui sont bien sûr des « valeurs » de la fin du xviie siècle, mais qui sont en même temps ce à travers quoi le présent mesure ce qui reste du passé (s’y mesure) et ce que l’on peut encore en comprendre.

Un des effets historiens de la mise en recueil de la poésie est à cet égard de montrer la force de la littérature du point de vue de la compréhension du temps. Sans revenir ici sur l’attribution du recueil Barbin à Fontenelle, mais plutôt pour contextualiser le recueil Barbin parmi d’autres écrits qui ont fait de l’histoire par la poétique, rappelons que le Traité sur la nature de l’églogue de 1688 précède des poésies pastorales auxquelles il sert d’introduction, et que la pratique de la « poésie pastorale » y est l’occasion pour Fontenelle d’émettre « quelques idées sur la nature de cette sorte de poésie35 ». Ces idées prennent chez lui la forme d’une réflexion sur le temps comme dégradation ou polissage des mœurs – le texte semble en effet hésiter sur l’appréciation de ce qui s’est passé depuis le temps où la poésie pastorale accompagnait une condition heureuse et tranquille (« La société se perfectionna, ou peut-être se corrompit36 ») –, évolution que la poésie pastorale permet de saisir en tant qu’elle est la forme transformée à travers le temps d’une origine dégradée puis polie par les modernes à travers leurs vers d’amour pastoraux notamment, et à travers l’élaboration de la galanterie. C’est bien cette appréhension critique du temps qui intéresse Fontenelle dans l’exercice de la poésie pastorale, bien plus qu’une forme étroitement comprise comme genre.

Une perspective analogue explique sans doute qu’ait été inséré le troisième chœur des bergers des Bergeries à la fin de l’anthologie des textes de Racan, et alors que le théâtre est a priori exclu du recueil Barbin :

Que le Siecle d’or fut heureux
Où l’innocence toute pure
Ne prescrivoit aux amoureux
Que les seules loix de nature !

Combien depuis ce premier temps
La honte, l’honneur & l’envie
Ont aux esprits les plus contents
Aigry les douceurs de la vie !37

Sans doute faut-il moins souligner la nostalgie qu’expriment ces vers que reconnaître, à travers leur présence dans le recueil, le pouvoir conféré à la poésie de produire une intelligibilité du temps, un pouvoir qui se lit à travers tout le recueil Barbin en tant qu’histoire de la poésie envisagée comme pratique des poètes.

Notes

1 L’Art de la Poesie française et latine, avec une idée de la musique sous ma nouvelle methode en trois parties, par Delacroix [A. Phérotée de La Croix], Lyon, Amaubry, 1694, 662 p. : la section I du chap. vi liste les « Vingt principaux poètes anciens », puis « Les soixante-sept poètes modernes les plus celebres », et enfin « Vingt auteurs qui ont écrit sur la Poesie française ». C’est la section II qui rapporte l’« Histoire des plus celebres Poëtes » (p. 356-409). Une première édition de cet ouvrage a paru en 1675, sous le titre de L’Art de la poesie françoise. ou la methode de connoître et de faire toute sorte de vers. Avec un petit recueil des Pieces Nouvelles, qu’on donne par maniere d’Exemple, etc., Lyon, Thomas Amaulry, avec des permissions datées des 8, 9 et 10 octobre 1675 : c’est un petit volume de 120 pages, dédicacé « à Galathée » et pourvu d’une préface qui affirme les qualités de la poésie française : « des graces particulieres, une netteté et une politesse qui ne se rencontre point dans le Tasse, dans Virgile, ny dans Homere » (préface, p. 3). Il propose déjà quelques brèves listes de « poètes heroïques » – les Grecs, les Latins, les Italiens et les « Poètes françois ». Une seconde édition a paru à Lyon, toujours en 1681, de même format (120 pages) quoiqu’elle annonce une division « en trois parties ». C’est bien la troisième édition de 1694, autrement volumineuse, qui introduit de longues listes. Une nouvelle préface affirme ainsi : « Il y a quelques années que l’on m’obligea […] de metre au jour une espece d’Art Poëtique que j’avois fait pour me divertir, et suivant certaines avantures qui m’étoient arrivées : quelque imparfait que me parut ce petit Ouvrage, on ne laissa pas d’en faire quatre ou cinq editions sans me consulter. » Cet « heureux succès » a motivé l’augmentation du volume « d’environ dix-huit feuilles », avec « l’Art de la Poesie latine » et « une Idée de la Musique, qu’on peut apeller l’ame de toute sorte de Poesie ». L’ouvrage se veut « propre à toutes sortes de gens », qui y trouveront « de quoy se satisfaire, et le moien de devenir Poëte ». L’auteur se justifie aussi de ses emprunts – « il y a certains Livres dont la composition demande beaucoup de lecture ».

2 La plupart des auteurs du recueil Barbin s’y trouvent, à l’exception de Montreuil et de d’Aceilly. La notice « Habert » suit celle du recueil Barbin, à quelques variations près, et se clôt comme celle-ci sur la mention d’un poème connu de son frère, également poète, Cerisy. Il est d’ailleurs à noter que dans le recueil Barbin, la section qui suit la notice « Philippe Habert » est intitulée de manière erronée « Cerisy », mais les poèmes qui s’y trouvent sont bien de Philippe Habert. Le début de la notice le précise : « Philippe Habert et non pas de Cerizi comme on a mis au commencement de la page suivante ». Le titre de la section est au demeurant corrigé en « Habert » à la main, sous le nom de « Cerisy », dans l’exemplaire du recueil Barbin de 1692, qui se trouve à la Bibliothèque municipale de Lyon ; l’imprimé est corrigé dans l’édition de 1752 du recueil Barbin. Celui-ci comprend 52 auteurs, pour 50 dans le livre de Phérotée de La Croix, qui s’ouvre en revanche sur Alain Chartier.

3 Recueil des plus belles épigrammes des poëtes françois depuis Marot jusqu’à présent, avec des notes historiques et critiques, et un Traité de la vraye et de la fausse beauté dans les ouvrages d’esprit, traduit du latin de Mrs de Port-Royal [par Claude-Ignace Brugière de Barante], Paris, Nicolas Le Clerc, 1698, deux vol. Voici la liste des auteurs d’épigrammes, dans l’ordre où ils apparaissent dans le premier livre (j’indique par les italiques les auteurs qui ne figurent pas dans le recueil Barbin) : Marot, Saint-Gelais, Du Bellay, Passerat, Malherbe, Maynard, Malleville, Voiture, Brébeuf, Tristan, Scarron, Sarrazin, Gomberville, Gombaud, Desmarets, Gilbert, Cottin, De Cailly, M. de La Sablière, Montreuil, Mme de La Suze, Saint Pavin, Quinaut, Furetière, Mme Deshoulières, Benserade, Pélisson, Bussy Rabutin, La Fontaine. Le second livre propose une liste entièrement nouvelle d’auteurs dont certains n’étaient pas morts en 1692 (Mademoiselle de Scudéry, Segrais, Charpentier Despreaux, Richelet, Racine, Mademoiselle Bernard, Mademoiselle Descartes), le troisième une série de poèmes « anonymes ». Une différence est sensible par rapport au recueil Barbin : la fréquence et l’importance des notes explicatives des poèmes et de leur circonstance. Certaines des épigrammes de ce volume requalifient des genres de poèmes (certains sonnets de Du Bellay, par exemple).

4 On ne verra en effet pas la même chose si l’on cherche la représentation d’un genre, ou d’une période, si l’on s’intéresse à un auteur (voire un groupe d’auteurs) ou si l’on essaie de saisir l’ensemble de l’ouvrage, forcément avec des lacunes, comme ce que je me propose de faire.

5 « Ses Epigrammes latines sont fort estimées » : Recueil des plus belles pièces des poètes françois, tant Anciens que Modernes, Depuis Villon jusqu’à M. de Benserade, Paris, Claude Barbin, 1692, t. II (les notices ne sont pas paginées). Je citerai cet ouvrage sous le titre de recueil Barbin : j’utilise les volumes de l’édition originale que l’on peut trouver sur Googlebooks, pour les volumes I, II, IV, V numérisées sur les exemplaires de la bibliothèque de Lyon, consultables ici : https://books.google.fr/books?vid=BML37001102301954. Le volume III est paginé selon la contrefaçon parue à Amsterdam et figurant sur le site de Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57995p), édition pour laquelle manquent certaines des petites vies (et le privilège).

6 Un indice que les « petites vies » ont été ajoutées à un ensemble constitué par les seules pièces de poésies : leur absence de pagination.

7 Voir les travaux de D. Denis (Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au xviie siècle, Paris, Champion, 2001) et A. Viala (La France galante : essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu’à la Révolution, Paris, puf, « Les littéraires », 2008).

8 « Il partagea la Cour avec M. de Voiture, sur ces deux fameux Sonnets de Job et d’Uranie, dont M. de Benserade avoit fait le premier, et Voiture le second. Ces Sonnets exciterent dans Paris une guerre civile de bel esprit : ceux qui tenoient le party de M. de Benserade, s’appelloient les Jobelins, et ceux qui tenoient pour M. de Voiture s’appelloient les Uranins. Mons. le Prince de conty tenoit le party de Benserade contre Voiture, et Madame de Longueville celuy de Voiture contre Benserade : c’est ce qui a fait dire à une personne des plus spirituelles de ce temps-cy. Je vous le dis en verité, / Le destin de Job est étrange / D’estre toujours persecuté, / Tantost par un Demon, et tantost par un Ange. » (t. V).

9 C’est par erreur que le catalogue de la BnF indique 1693 comme date de mort pour Jean-Louis Faucon de Ris, sieur de Charleval.

10 Le roi paraît « en desbauché », en « fille de village », en « furie », en « glacé », en « coquette », en « heure » … etc.

11 Si les pièces sont regroupées par ballet (sans que le nom de ceux-ci figure dans le recueil Barbin) et, pour chaque ballet, suivant l’ordre d’entrée en scène des acteurs interprétant ces pièces de poésie, les groupes formés par ces pièces n’apparaissent pas dans l’ordre chronologique des ballets qui furent imprimés au fur et à mesure, souvent l’année même où ils furent dansés – ainsi les pièces extraites du Ballet royal des festes de Bacchus (1651) interviennent-elles après celles du Ballet royal des Muses (1666). De plus, le Ballet de la Nuit et les Nopces de Pelée et Thétis fournissent des pièces de poésie en deux endroits, d’abord dans une première série au début, puis dans une nouvelle série de pièces poétiques qui ferme l’ensemble des pièces de ballet, comme si le compositeur du Recueil, ou un de ses compositeurs, avait trouvé que manquaient trop de pièces de ces deux ballets fameux, et avait voulu combler ce manque en complétant la série (par des pièces des parties I et IV pour le Ballet de la Nuit, et des pièces de la IIIe partie pour les Nopces de Pelée et Thétis). Après cette longue série consacrée au ballet, on trouve une série de rondeaux extraits des Metamorphoses d’Ovide en Rondeaux imprimez et enrichis de figures par ordre, paru en 1676, puis une série de fables, à leur tour extraites des Fables d’Esope en quatrains, dont il y a une partie au Labyrinte de Versailles (Paris, S. Mabre-Cramoisy, 1678).

12 La plupart des pièces qui lui sont attribuées dans le recueil Barbin proviennent d’ailleurs de manuscrits, sans que cela soit mentionné.

13 Recueil des plus beaux vers de Messieurs de Malherbe. Racan. Maynard. Bois-Robert. Monfuron. Lingendes. Touvant. Motin. De Lestoille. Et autres divers Auteurs des plus fameux Esprits de la Cour. Reveuz, corrigez et augmentez, Paris, Toussaint Du Bray, 1630 : considérée comme l’édition la plus complète. Sur le Recueil du Bray, voir R. Arbour, Toussaint Du Bray : 1604-1636 : un éditeur d’œuvres littéraires au xviie siècle, Genève, Droz, « Histoire et civilisation du livre », 1992.

14 Les Œuvres de Maynard, Paris, Augustin Courbé, 1646.

15 Quelques pièces de Malherbe figurent aussi dans le volume II du recueil Barbin.

16 A. Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Les éditions de Minuit, « Le sens commun », 1985, p. 148-149 : « le “vrai” bel esprit est ainsi un homme de lettres qui n’en a pas l’air, un écrivain qui se présente sous les traits d’un honnête homme pratiquant la littérature en amateur : “Au reste, notre bel esprit n’est pas borné aux hommes de Lettres, il s’étend aussi aux gens d’épée et aux personnes de la première qualité, dont il semblait que l’ignorance fut le lot dans les siècles passés” » (citation des Entretiens d’Ariste et Eugène, 1671, p. 279).

17 « [Ronsard] fut élevé au College de Navarre : mais ayant tesmoigné du dégout pour l’estude, on le mit Page chez François, Dauphin, Fils aîné de François I » (t. I) ; « […] le jeune Du Perron devint l’admiration de tout le monde. Son pere qui estoit Ministre, et tres-sçavant, l’instruisit jusqu’à l’aage de dix ans » (t. II) ; « [Voiture] étudia au college de Boncourt avec Monsieur Davaux, qui commençoit dès lors à le connoistre et à l’estimer » (t. V).

18 Bertaut : « Jean Bertaut Eveque de Sées […] estoit d’une illustre Famille. […] Il comptoit parmi ses Ancestres Jean Bertaud Secretaire du Roy Charles VI qui fut employé par ce Prince dans les plus importantes Affaires de ce temps-là […] » (t. II) ; François Malherbe « estoit de la Maison de Malherbe de S. Agnan, qui a porté les Armes d’Angleterre. Il se disoit descendu de la Race de ceux qui suivirent Guillaume le Conquérant, à la conqueste de ce Royaume ; c’est pourquoy il ne voulut pas traiter d’une Charge de Conseiller au Parlement de Provence pour son fils ».

19 « Celui qui possède un ou plusieurs bénéfices ; Clerc à qui on a assigné un revenu en considération de l’Office » (Dictionnaire universel de Furetière).

20 Recueil Barbin, éd. 1692, t. I, « Villon » : « […] Il avoit beaucoup d’esprit, mais c’estoit, comme dit Pasquier, un Maistre passé en friponneries. […] Ses friponneries le firent condamner à estre pendu, par Sentence ; de laquelle il appella au Parlement. […] On peut dire à la louange de Villon, qu’il estoit né avec un genie propre pour la Poesie, au moins pour le stile bas et comique ».

21 Car l’épée ne se mêle pas à la robe…

22 Voir là-dessus J. Lagny, Le Poète Saint-Amant. Essai sur sa Vie et ses Œuvres, Paris, Nizet, 1964, p. 28-29 en particulier.

23 Cette épigramme de Maynard ne figure pas dans la liste de ses épigrammes dans le recueil Barbin, mais en 1698 elle compte dans celles que relève le Recueil de toutes les plus belles épigrammes (p. 123), avec une note explicative.

24 Pour Maynard, loin de contredire le choix des vers, la notice confirme l’amertume du sujet poétique à l’égard d’une pratique qui ne rapporte pas : « Parnasse ne t’enrichit point, Ta bourse n’a denier ny maille. Tu n’as sur toy qu’un vieux pourpoint ; Et ton lict n’est qu’un peu de paille. […] O qu’Apollon t’a mal-traité ! Il ne faut plus que tu l’appelles Dieu de l’Or, ou de la Clarté ! » (t. II, p. 370).

25 Je m’appuie sur le dernier chapitre de L’Expérience libertine du xviie siècle, mémoire original de mon HDR, soutenu le 1er décembre 2017 à Paris III, à paraître : « Des Historiettes mazarines après la Fronde ».

26 « On rapporte de luy, qu’estant allé chez un Grand Seigneur, il y avoit un homme qu’on disoit fou, et par consequent Poëte, et que Theophile fit cet impromptu. J’avoüeray avec vous Que tous les Poetes sont fous : Mais scachant ce que vous estes. Tous les fous ne sont pas Poëtes. » (t. III, « Théophile »).

27 C’est presque systématiquement le cas pour « Le Menuisier de Nevers » : « Apres la mort de Monsieur de Mantoue, Maistre Adam fit cet Epigramme à Monsieur de Marolles, Abbé de Villeloing, pour luy obtenir un habit de deuil de Madame la Princesse Marie » (t. III, p. 239) ; « Un certain Gentilhomme qui avoit esté beneficier, ayant esté tué à la guerre, Maistre Adam luy fist cette Epitaphe » (t. III, p. 243) ; « Maistre Adam allant voir un de ses amis qui estoit malade d’une sciatique, luy fit ce Rondeau » (t. III, p. 260). Mais cela ne lui est pas propre, loin de là : « Epistre burlesque Envoyée un jour de Caresme prenant à une demoiselle de dix ou douze ans, qui s’estoit mise à faire des Vers. » (t. III, « Tristan L’Hermite », p. 306). Ou, pour le même, cette note figurant avant le « Sujet de la Comédie des fleurs. Stances » : « L’Autheur estant prié par des belles Dames de leur faire promptement une Piece de Theatre, pour representer à la Campagne, et se voyant pressé de leur ecrire le sujet qu’il avoit choisi pour cette Comedie à laquelle il n’avoit point pensé, leur envoya les Vers qui suivent » (ibid., p. 297). Pour le père Le Moyne : « Il fait la description du lieu où il passe l’Automne et luy rend conte des divertissemens qu’il y prend » (t. III, p. 332).

28 Le Pain bénit de Monsieur l’abbé de Marigny, 1673 : « Laïques, vautours des Eglises Qui de malheureux savetiers Sans chausses, souliers ni chemises Devenez de gras Officiers […] ». Et plus loin : « […] je veux tracer dans mes vers / Toutes les honteuses pratiques » [de ces marguilliers].

29 Les notices attribuent aussi aux auteurs des textes désignés comme connus, ne relevant pas de la poésie : ainsi Montreuil est-il désigné comme « celui qui a ecrit cette lettre sur le voyage de la cour de France à Fontainebleau pour le mariage du roi où l’on remarque tant de délicatesse et tant d’esprit que l’on peut seulement lui reprocher que le style n’en est pas assez naturel » (t. IV, « Montreuil »).

30 Voir là-dessus le Recueil Faret de 1627 (Paris, T. Du Bray) qui publie un grand nombre de pièces de consolation.

31 « […] le Roy […] luy fit beaucoup de caresses et luy commanda de faire des vers sur son voyage en Limousin au sujet de quelques rebelles. Malherbe luy presenta ces Vers à son retour, dont ce Prince fut si content qu’il luy commanda de se tenir près de sa personne, et luy promit de luy faire du bien » (t. II, « Malherbe »).

32 Tel quatrain de Passerat au trésorier de l’Epargne vise une « rescription » (t. II, p. 111), telle épigramme de Maynard à Richelieu souligne qu’il ne sait quel bien le ministre lui a fait (t. II, p. 339), un poème de Boisrobert au chancelier lui demande « l’abolition pour ses neveux qui ont tué un brave » (t. III p. 176).

33 Voir l’article de Dimitri Albanese dans ce volume.

34 Les annotations de langue figurant dans les pages des poèmes de Villon sont en effet empruntées à l’édition qu’en donna Clément Marot, édition reproduite dix fois jusqu’en 1542 (Les Œuvres de François Villon de Paris, reveues et remises dans leur entier par Clement Marot valet de chambre du Roy, Paris, Galiot Du Pré, 1533). Il faut attendre 1723 pour une nouvelle édition de Marot.

35 Poésies pastorales, avec un Traité sur la nature de l’églogue, et une digression sur les anciens et les modernes, Paris, M. Guérout, 1688, p. 141.

36 Ibid., p. 144-145.

37 Recueil Barbin, t. II, p. 312.

Citer cet article

Référence papier

Laurence Giavarini, « Quelques catégories à l’épreuve de l’anthologie », Pratiques et formes littéraires, 16 | -1, 267-284.

Référence électronique

Laurence Giavarini, « Quelques catégories à l’épreuve de l’anthologie », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 16 | 2019, mis en ligne le 26 novembre 2019, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=100

Auteur

Laurence Giavarini

Université de Bourgogne – Franche Comté

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