Rire en 1572 ? Les hu-guenons de Saconay

DOI : 10.35562/pfl.500

Résumés

La Généalogie et la fin des Huguenaux a été publiée durant l’automne 1572 par Gabriel de Saconay, chanoine-comte de la ville de Lyon. Cet ouvrage pamphlétaire enjoint le roi à ne pas s’adoucir face aux réformés, accusés de comploter contre la monarchie depuis la conjuration d’Amboise (1560). Cette admonestation inquiète ne prête guère au rire. Pourtant, le titre affiche un jeu de mots, lui-même annonciateur d’une comparaison entre les huguenots et des « guenaux », ou « guenons ». Parmi les images zoologiques que l’on rencontre dans la satire religieuse, l’image du singe se distingue par sa singulière polyvalence. Elle se développe dans cet ouvrage suivant une orientation avant tout agressive. Mais le texte suit également une logique de caricature, qui se manifeste par des figurations comiques, des jeux de mots, des échos aux adages érasmiens, et se prolonge dans trois images gravées. Cette insertion du rire en territoire hostile incite à examiner son statut dans cet ouvrage. On s’interrogera notamment sur ses liens avec l’appel à la violence et sur le type d’adhésion que la comparaison simiesque sollicite de la part du lecteur.

La Généalogie et la fin des Huguenaux was published in the autumn of 1572 by Gabriel de Saconay, a canon of the city of Lyon. This satirical work enjoins the king not to soften his stance towards the Reformed, who had been accused of plotting against the monarchy since the Amboise Conjuring (1560). This anxious admonition is hardly a laughing matter. Yet the title displays a pun, transforming the orignal word 'Huguenots' into 'Huguenaux', after the term 'guenaux', 'guenon', which compares the Reformed to monkeys ; a comparison which is then developed throughout the text. Among the zoological images found in religious satire, that of the monkey is remarkably multifonctionnal. In this work, agressivity is what stands out. But at times the text follows the logic of caricature, which manifests itself in comic analogies, puns, references to Erasmian adages, and finds an echo in three engravings. The insertion of laughter into such a hostile territory prompts to examine its status in this work. Its links with violence and the belief the simian comparison implies on the part of the reader will also be further investigated.

Plan

Texte

Lorsque l’on s’interroge sur les rapports entre le rire et l’actualité, la Généalogie et la fin des Huguenaux, du chanoine et comte de Lyon Gabriel de Saconay1, se présente comme un cas limite, en premier lieu du fait de sa date de publication, l’automne de la Saint-Barthélemy2. En cette période de crise majeure, l’usage du rire ne va pas de soi, y compris dans le camp des ultras catholiques. De fait, la Généalogie se présente avant tout comme un ouvrage polémique, dont on a souligné l’expression virulente, et la tonalité apocalyptique3. Le propos général de cet ouvrage de plus de 300 pages est clairement annoncé par son épître au roi : il s’agit d’une admonestation, d’une remontrance implorant le jeune monarque de ne pas faiblir face à l’ennemi, et préconisant la répression sans pitié des réformés, sans égard pour les édits de pacification, estimés traîtres à la religion autant qu’à la nation4. Cette « généalogie » est avant tout un appel à l’extermination. Le programme, annoncé par le titre, est bien que cette remontée aux origines prescrive le mot de la « fin ».

Tout commence pourtant par un calembour, le mot-valise « hu-guenaux » affiché par le titre, réinterprétant cette désignation des réformés en la mêlant au mot guenon, sous sa variante guenau5. Au début de l’ouvrage, Saconay explique cet amalgame, complétant les étymologies plus ou moins facétieuses et polémiques proposées depuis l’apparition du terme huguenot par des auteurs des deux camps6. Pour lui7, ce terme rappelle que les réformés sont des héritiers de Jean Hus (ce qu’ils revendiquent volontiers8) ; ils en sont les imitateurs, donc des hus-guenons. L’élasticité du moyen français termine le bricolage lexical, et permet à Saconay de conclure :

[…] par voix corrompue du langage François, qui nomme un guenau ce qu’on appelle une guenon, espece de singe […] transmuant une seule lettre nous dirons Huguenau, estre un guenau et un singe9.

L’analogie ainsi mise en place se prolonge dans le texte, suivant un principe allégorique sur lequel nous reviendrons. L’assimilation des huguenots à des singes n’est pas un simple affichage liminaire, elle nourrit le propos, lui donne son élan, et trouve un prolongement spectaculaire dans trois images gravées, représentant les huguenots sous la forme de singes turbulents (fig. 1 à 3). Ces procédés rapprochent la Généalogie des discours satiriques construits autour d’une image centrale, développés essentiellement par le camp adverse – les Satyres chrestiennes de la cuisine papale10, la Mappe-Monde nouvelle papistique11, ou dans le domaine zoologique, les dialogues de Pierre Viret12. L’orientation polémique de ces ouvrages n’est pas en doute, mais ils attaquent en riant, par le biais de l’amalgame, de la caricature ou de la fiction. Saconay, connu pour ses écrits intransigeants contre la Réforme, et pour son action en faveur de son éradication à Lyon, ne recourt pas fréquemment à ce mode d’écriture imagée. S’il le fait, n’est-ce pas pour retourner contre les rieurs huguenots, ces singes moqueurs, une arme qu’ils utilisent plus volontiers que le clergé romain ? Encore faut-il y parvenir, malgré le zèle partisan et la pression de l’actualité brûlante. C’est cet équilibre entre polémique rageuse et promesse d’une satire plus moqueuse que nous examinerons, en nous demandant où l’on rit dans ce traité, et autant que possible, comment l’on rit, car il est bien entendu que ce que nous appelons par commodité le rire correspond à un spectre de postures variées.

Fig. 1. Gabriel de Saconay, Genealogie et la fin des Huguenaux, Lyon, Benoît Rigaud, 1572, ill. gr.s.b.. 16 cm, Bibl. du Centre Sèvres-Paris - Facultés jésuites, cote 47949, f. [*] vo.

Fig. 1. Gabriel de Saconay, Genealogie et la fin des Huguenaux, Lyon, Benoît Rigaud, 1572, ill. gr.s.b.. 16 cm, Bibl. du Centre Sèvres-Paris - Facultés jésuites, cote 47949, f. [*] vo.

Fig. 2. Ibid., f. [*7] vo et f. [***4] vo.

Fig. 2. Ibid., f. [*7] vo et f. [***4] vo.

Fig. 3. Ibid., f. [*7] vo et f. [***4] vo.

Fig. 3. Ibid., f. [*7] vo et f. [***4] vo.

La peur plutôt que le rire. Un appel à l’extermination

Plusieurs facteurs limitent la place du rire dans la Généalogie. Le premier est sans doute le tempérament de son auteur. Au sein de l’écriture satirique du xvie siècle, certains textes privilégient la moquerie et la caricature ; c’est le cas des ouvrages réformés évoqués plus haut, dont M. Bakhtine a souligné la tonalité rabelaisienne, quitte à sous-estimer quelque peu leur inventivité propre et ce que Rabelais doit à certains d’entre eux13. Saconay ne fait pas partie de cette catégorie de controversistes. Titulaire d’une charge ecclésiastique, et nourri d’une doctrine plutôt méfiante vis-à-vis du rire, considéré comme l’un des attributs du diable14, il manie plus la réprimande que la moquerie. Son traitement de la comparaison simiesque renvoie en premier lieu à cette conception : elle désigne les huguenots comme des rieurs incontrôlables, des hommes-enfants d’inspiration satanique, incapables de maîtriser leurs pulsions. La dénonciation est claire :

Il semble que nos guenaux ne se font que gaudir et jouer, selon le naturel de la beste, quand ils seduisent avec leurs douces paroles […], promettant le royaume des cieux […], sans jeusner ni faire austerité, en croyant seulement que Christ a tout satisfait, et chantant en sa louange une chanson marotine […]. Pourrait il estre un jeu plus plaisant et joyeux, qu’en se jouant et plaisantant […], gaigner paradis ? Au reste en leurs predications pour rejouyr et provoquer à rire la devote assistance, ils estiment grande vertu et savoir d’user de brocars et plaisans sonnets contre le sainct sacrement du corps de Jesus Christ, le nommant Dieu de paste, Jean blanc […] : mais sur tout c’est une plaisante farce que leurs mocqueries contre les cerimonies de la messe et administration des autres sacremens15.

Saconay compare plus loin les réformés à Ismaël, le demi-frère d’Isaac, qui tente de gagner sa confiance en l’amusant, mais ne pourra le conduire qu’à sa perte, et sera exclu de l’Alliance ; il conclut avec un jeu de mot de saint Augustin suggérant que le rire est intrinsèquement trompeur : « Sed illa lusio, illusio erat16 ». Cette réprobation de Saconay contre le rire pourrait suffire à en exclure tout usage de sa part ; à ceci près qu’il entre déjà une part de moquerie dans ces attaques, qui condamnent le divertissement en recourant à des jeux de mots, et dépeignent le singe comme un rieur ridicule.

Nous reviendrons sur cette ambivalence de l’image simiesque. Remarquons pour l’instant que cette condamnation est dans l’ensemble confirmée par la production de Saconay. Il débute sa carrière de polémiste en 1561, par la préface d’une réédition lyonnaise de l’ouvrage signé d’Henri VIII contre Luther17, laquelle déclenche un incident diplomatique, et suscite la réaction de Calvin en personne. Celle-ci prend la forme d’un éloge joco-serius d’une mordacité cinglante, dont le titre donne une bonne idée : Congratulation à vénérable prêtre messire Gabriel de Saconay […] touchant la belle Préface et mignonne, dont il a remparé le livre du Roi d’Angleterre18. Un tel assaut équivaut sans doute à un adoubement de premier plan, même si Saconay s’y voit accusé de fréquenter lieux de prostitution et maisons de jeux. Il ne craint pas d’y opposer une réponse, restée manuscrite et aujourd’hui perdue, mais à laquelle il renvoie dans la Généalogie, comme pour rappeler incidemment cette intronisation19. Ses écrits suivants sont centrés sur le développement du calvinisme en France, et les menaces qu’il fait peser sur la couronne, à partir de l’exemple lyonnais. Dans le sillon de la prise de pouvoir des réformés, de 1562 à 1563, la ville et ses alentours connaissent des épisodes violents, avec les manœuvres du baron des Adrets, et une vague iconoclaste20. Saconay dénonce ces exactions dans des écrits qui doivent circuler, mais ne sont publiés qu’un peu plus tard – peut-être à cause des remous provoqués par sa préface de 1561. Ils paraissent lorsque les tensions reprennent, à partir de 156721.

La Généalogie des huguenaux apparaît comme une exception au sein de cette production, qui n’affiche jamais aussi clairement le recours au langage imagé. Il faut néanmoins remarquer que certains de ces écrits s’y ouvrent en partie. En particulier, la métaphore simiesque apparaît dans le Discours des premiers troubles advenus à Lyon, et plus encore dans le traité De La Providence de Dieu ; cet ouvrage évoque notamment le culte rendu par les Grecs d’Alexandrie à un « singe ou Guenau », relaté par Nicéphore22, et explique ailleurs que sous l’action des « Guenaux mal-faisans » et des « singes et marmotz rioteux », la « generosité leonine » du roi risquerait de se muer en « singerie ridicule »23. Cette image du lion royal est au demeurant beaucoup plus fréquente dans ce traité que celle du singe. Celle-ci n’est donc pas une innovation de la Généalogie ; mais dans ces textes, elle n’apparaît que sporadiquement, et se révèle être une émanation, par contraste, de l’image centrale du lion royal. Le regard zoologique fait son entrée dans les productions de Saconay par le biais de cette image topique, relevant plus de l’emblématique que de l’histoire naturelle, et ne suscitant pas de distanciation burlesque. C’est aussi dans ces traités que deux des trois gravures présentes dans la Généalogie paraissent une première fois24. La zoologie et son potentiel comique y figurent en somme, sous une forme encore adventice, largement dominée par une rhétorique comminatoire sur laquelle nous allons revenir.

Un autre facteur défavorable à l’utilisation du rire est l’ancrage de cette prise de parole dans une actualité brûlante. Peut-on rire en 1572 ? Si certaines pièces suggèrent que c’est le cas, pour Saconay, la question est assez complexe, car la Généalogie semble avoir été écrite pour l’essentiel avant les événements de l’été, et en quelque sorte rattrapée par eux. Ils ne sont pas entièrement passés sous silence ; Saconay fait allusion aux « vêpres lyonnaises », c’est-à-dire au massacre des réformés lyonnais le 31 août, dans une prison qui devait les protéger25. Mais il se limite à quelques rattrapages sporadiques, comme s’il manquait de la distance nécessaire pour prendre en considération cette actualité incontournable. Si certaines pages mentionnent les massacres, d’autres continuent d’appeler au châtiment des réformés, comme s’il n’avait pas eu lieu26. Peut-être s’agit-il de minimiser la violence catholique, en insistant sur les précédents huguenots27. En tout état de cause, si l’argumentaire repose sur un récit des affaires du temps, la durée à laquelle il se réfère ne se compte pas en mois, elle relève plutôt de la décennie. Saconay renvoie à un présent étendu, qui remonte à la veille de la conjuration d’Amboise28, et s’attarde sur les événements de 1562 et sur quelques épisodes marquants tels que la « Michelade » de Nîmes en 1567 ; il évoque les prises de villes et les mouvements de troupes en France, ainsi que leur gestion par Henri II, François II puis Catherine de Médicis qu’il félicite d’avoir limité les négociations avec les hérétiques29. C’est à la monarchie affaiblie par la mort des rois adultes que s’adresse le chanoine de Lyon.

On décèle donc dans cet ouvrage une double perspective rhétorique. Le discours est d’abord judiciaire : la Généalogie relate les faits écoulés, mais sans chercher à en établir la chronique. Saconay s’en défend, renvoyant aux ouvrages où il entre plus dans le détail des événements, ou suggérant aux lecteurs de s’en remettre aux « historiens » s’ils veulent en savoir plus, ce qui a pour effet premier de sous-entendre qu’il n’en fait pas partie30. Il s’agit d’accumuler les charges, suivant une méthode presque quantitative ; de peser la malice et la férocité des huguenots, afin de démontrer que la punition royale doit être d’une lourdeur proportionnée. C’est dans ce cadre que se développe l’image simiesque, qui n’aurait pas sa place dans un récit historique, mais se présente dans ce réquisitoire comme une transcription symbolique de la sauvagerie des réformés. Il ne s’agit pas de parcourir en ordre les treize années écoulées depuis la mort d’Henri II, mais plutôt de remplir le présent du poids des crimes accumulés par les huguenots durant cette période ; l’angle de vue est résultatif31, et recourt volontiers aux petits faits vrais. Après avoir évoqué les 4 000 personnes brûlées par les huguenots en Languedoc après la bataille de Moncontour, Saconay détaille les crimes sous la forme de choses vues : prêtre attaché à des porcs puis dévoré par leurs congénères, entrailles sorties de corps encore vivants et mêlées à l’avoine des chevaux, défécation dans les églises, viols commis sur les autels, tombes profanées, prêtre de Bellegarde pendu par les pieds puis roué de coups qui lui sauvent la vie en le faisant tomber à terre32… Anecdotes tragiques et tableaux de souffrance s’accumulent pour contrer le martyrologe protestant, ainsi que l’image des huguenots plaisantins.

À cette perspective judiciaire s’adjoint une seconde dynamique, liée au point de vue avant tout politique de Saconay. Il n’insiste guère sur les blasphèmes et errances théologiques des réformés ; son intérêt se focalise sur le trouble à l’ordre public, la menace exercée sur la couronne de France. À partir de là, c’est avant tout vers l’avenir qu’il se tourne. Le judiciaire s’attèle donc au délibératif ; il ne s’agit pas tant de conduire à une sentence, évidente aux yeux du chanoine de Lyon, que de définir une politique pour le futur. Le martèlement des faits vise à établir que la magnanimité ne fait qu’encourager les barbares à poursuivre leur travail de sape face à une monarchie affaiblie. En réalité, la délibération est elle aussi entendue : il faut passer de la clémence à la répression. Le lion a fait la preuve de sa magnanimité, il doit désormais montrer ses griffes.

Le présent de la Saint-Barthélemy est venu télescoper cet argumentaire qui s’appuyait sur le passé pour préparer le futur. Pour Saconay, le miracle politique a quelque chose d’une petite catastrophe éditoriale. La fureur parisienne et ses échos régionaux pourraient avoir rendu son admonestation caduque. Le déploiement de l’allégorie simiesque, pivot rhétorique mis en place pour donner force et vigueur à la demande, risquait de tourner à vide après le massacre de ces ennemis diaboliques. Dans ces conditions, on pourrait même se demander pourquoi Saconay a publié son ouvrage. Outre l’impondérable difficulté de renoncer à la publication d’un écrit plus élaboré que les précédents, et les enjeux économiques, l’explication la plus probable est que ce qui était incitation peut a posteriori faire office de justification, et d’encouragement à poursuivre la répression. Il se peut que Saconay n’ait pas eu le temps de remanier plus profondément son propos, ni même d’évacuer réellement l’expression d’un vœu en grande partie exaucé. Paradoxalement, si la demande était obsolète, la justification était urgente, et l’essentiel était le rappel de la sauvagerie huguenote, qu’elle soit versée au compte d’un appel à la répression ou de la justification de son exécution d’une dureté inattendue. Il y a quelque ironie à ce que l’ouvrage où Saconay a pris le plus de distance par rapport aux événements ait subi cette intrusion du présent.

Indépendamment de cette contingence, il faut ajouter que si ce dispositif est en étroite relation avec le développement de l’image simiesque, il est aussi sans doute responsable du fait que cette image finisse par se distendre, sous la pression du réquisitoire. Au cœur de l’ouvrage, l’énumération des crimes de guerre s’emballe progressivement, tandis que les allusions à la nature simiesque des accusés se raréfient. Cette inflexion n’est pas favorable au rire : le récit des crimes est désigné comme une « tragedie », c'est-à-dire comme une histoire lamentable dont il faut tirer une leçon33. Un régime discursif supplante l’autre : le discours zoologique, exposé sous une forme encyclopédique, explicative, cède du terrain au flux narratif de la chronique, qui tout en se défendant d’entrer dans les détails semble succomber progressivement à la pulsion testimoniale, retrouvant l’inspiration des autres ouvrages de Saconay. Comme souvent, l’urgence de la condamnation finit par l’emporter sur le détour esthétique. Mais on peut estimer avec M.-M. Fragonard que sa résistance est sans commune mesure avec ce que nous trouvons dans d’autres ouvrages, comme la Singerie des huguenots d’Artus Désiré, où la métaphore ne dépasse guère le titre et quelques sobriquets34.

Le singe, figure polyvalente

Dans la Généalogie, l’image du singe connaît des limites, mais a le temps de se développer de manière significative. Est-ce favorable au développement d’effets comiques ? Cette interrogation est à situer en premier lieu dans le cadre plus large de l’emploi des images zoologiques au sein de la controverse religieuse. On sait qu’elles en constituent l’un des principaux champs métaphoriques. Dans les ouvrages où l’analogie occupe une place centrale, cela va souvent de pair avec un esprit ludique. Dans les années 1550-1560, cette orientation concerne surtout des œuvres réformées, parmi celles que nous évoquions plus haut : les dialogues du pasteur et polémiste Pierre Viret, dont c’est véritablement la spécialité, la Mappe-Monde papistique de Jean-Baptiste Trento (1566), où l’analogie géographique est complétée par de nombreuses figurations animalières, ou encore la Ruche de l’Église romaine de Marnix de Sainte-Aldegonde (1569), qui développe une allégorie entomologique en partie comparable à celle que l’on trouve dans la Généalogie. À ces productions textuelles s’ajoutent bien entendu la chanson et la gravure, qui exploitent largement ce procédé – parfois en accompagnement des textes.

En revanche, dans leurs usages plus courants et ponctuels, les images zoologiques sont loin d’être toujours favorables au rire. Il faudrait bien sûr faire des relevés précis35, mais on peut sans risque suggérer que les deux animaux les plus fréquents, le loup « ravissant » et la brebis, dessinent deux pôles antagonistes, figurant d’un côté la férocité cruelle (celle des clercs ou des pasteurs et réformateurs genevois, selon l’obédience du texte), et de l’autre la faiblesse des victimes innocentes (fidèles abusés par l’Église romaine, ou en miroir ouailles détournées par les luthériens). Autour du pôle de la férocité gravitent également l’ours, le tigre, le taureau, et non loin de ces espèces, le renard et le serpent, chez qui la cruauté est précédée par la ruse. Un troisième groupe est représenté par les animaux ridicules, âne, chèvre, volailles, près desquels se tiennent les animaux laids ou dégoûtants, tels que le porc et la vermine. Le pôle inverse est celui des animaux respectables, que les hommes devraient prendre pour modèles, dominé par les insectes sociaux, abeilles et fourmis. Entre le pôle de la férocité et celui de la vertu se tient un animal important pour Saconay, le lion, joignant les deux attributs de la royauté, force et magnanimité. Le choix des espèces est souvent lié au ton des discours – même si une fois encore, un auteur aussi spécialisé que Pierre Viret est capable d’inverser ces valorisations topiques, louant l’aptitude des loups ou des tigres à observer une diète sans succomber à leur appétit36, ou rapportant la ruse d’un mulet37.

Ce très sommaire parcours des usages de l’image zoologique dans la controverse religieuse vise essentiellement à souligner le fait que si l’on voulait y situer l’image du singe, elle se distinguerait par une extrême polyvalence. Il représente l’imitateur qui ne comprend pas ce qu’il fait, ce qui prête au rire mais peut aussi le conduire à se couper la gorge par imitation, comme dans la nouvelle xix de Des Périers38. Animal moqueur, il est également une créature grimaçante, laide, provoquant le rire à ses dépens ; un moqueur moqué, entrant souvent dans les figurations du monde inversé39. Bien loin de notre valorisation admirative de son anthropomorphie, la culture ancienne considère souvent cette spécificité comme un trait inquiétant. Mais il faut modérer cette appréciation. Amandine Gaudron suggère ainsi que la crainte de l’anachronisme nous pousse parfois à noircir l’image du singe dans la chrétienté médiévale, où il était, du fait des foires et autres spectacles vivants, un animal assez familier, pouvant aussi amuser par ses mines et acrobaties40. À la fin du Moyen Âge, il peut ainsi occuper presque toutes les places du schéma que nous esquissions, de la férocité au comique, en passant par la ruse et la laideur.

La satire réformée a plutôt exploité ses traits comiques41. Chez Viret, il prend la place du prêtre en mangeant une hostie consacrée, ce qui suggère que la messe est « une vraye singerie42 ». Plus couramment, les réformés appellent les statues des saints des « marmousets », mot dérivé de « marmot » qui désigne une sorte de babouin. Dans sa Congratulation à Saconay, Calvin ironise sur le fait que le chanoine de Lyon lui ait reproché de comparer la messe à une « singerie et batelerie43 ». Le sommet est atteint à la fin du siècle chez Marnix, auteur enclin à la mise en scène d’un bestiaire joyeux, qui dans un passage particulièrement enjoué met le singe au service de la critique réformée des gestes de l’officiant célébrant la messe :

[…] il vous fait une triste mine de guenon chiquenaudée, dodelinant de la teste, monochordisant des doigts […] il vous dorlotte ainsi mignardement ce cher gobelet, et le caresse comme un singe ses singetaux, en branlant tousjours les baulures […], remuant les babines comme un singe qui cherche poulx en teste […]44.

À ces échos textuels s’ajoutent des reflets en images. On rencontre ainsi plusieurs singes (à côté d’autres animaux) dans la carte allégorique de Rome qui illustre la Mappe-Monde papistique de Trento, réalisée par Pierre Eskrich [fig. 4]45.

Fig. 4. Jean-Baptiste Trento et Pierre Eskrich, La Mappe-Monde nouvelle papistique, s. l., s. n., 1566, « L’origine et commencement de ceste mappe-monde nouvelle papistique et comment elle a esté trouvee », f. 9 ro (détail).

Fig. 4. Jean-Baptiste Trento et Pierre Eskrich, La Mappe-Monde nouvelle papistique, s. l., s. n., 1566, « L’origine et commencement de ceste mappe-monde nouvelle papistique et comment elle a esté trouvee », f. 9 ro (détail).

Source gallica.bnf.fr/ BnF, RES-H-344.

Reprenant cette image, Saconay retourne contre les réformés un motif dont ils ont fait un abondant usage46. Il s’approprie notamment les armes de Pierre Viret, acteur important de la réforme lyonnaise, qu’il affuble de sobriquets tels que « Virulentus » ou « Virolet » dans le Discours des premiers troubles advenus à Lyon47. Mais comme nous l’avons vu, il infléchit la valeur de cette analogie48. Chez lui, le singe apparaît en premier lieu comme une créature satanique, menaçant d’envahir la France. Il qualifie inlassablement ses guenaux de « sataniens » et plusieurs passages exposent leurs affinités avec le diable49. Cependant cette inflexion s’adjoint d’une insistance sur la diversité de l’espèce, qui est une caractéristique frappante de cet ouvrage. Saconay exploite ainsi un trait du singe ordinairement lié à sa polyvalence axiologique : s’il n’est pas le seul animal dont la zoologie ancienne identifie plusieurs variantes, sa diversification, encore élargie par la découverte du continent américain, est singulièrement étendue. Elle a en outre pour particularité d’entretenir un lien fort avec la question de la frontière entre l’humain et l’animal, certaines sous-espèces se hissant de manière troublante du côté anthropomorphique, tandis que d’autres portent les traits d’une brutale bestialité. C’est sans doute ce qui explique que cette subdivision de l’espèce sorte couramment des traités savants, depuis l’Antiquité. C’est indéniablement le cas dans la polémique religieuse du xvie siècle, qui évoque régulièrement marmots, babouins, et autres cynocéphales. La particularité de Saconay est que ne se contentant pas de choisir quelques sous-espèces, il les mentionne toutes, jusqu’aux plus confidentielles, donnant à voir une typologie proche de celles que l’on rencontre dans les traités naturalistes.

À côté du ton belliqueux se dresse ainsi un second pôle a priori opposé au rire, celui du sérieux. Cette inspiration est revendiquée en manchette, sous la forme de renvois aux grands naturalistes antiques, Pline et Aristote en tête. Mais l’érudition de Saconay paraît nourrie de références moins lointaines, prenant en compte notamment les récits des voyages en Amérique. En particulier, comme cela a été remarqué par Ruxandra Vulcan, ses informations coïncident singulièrement avec les articles de Conrad Gesner, auteur d’une très fameuse Historia animalium, laquelle propose un inventaire détaillé des sous-espèces de singes et de leurs caractéristiques50. Ainsi son insistance sur les mamelles des singes « sphinge » paraît redevable au traitement de cette espèce par Gesner, et plus encore à la gravure haute en couleur qui l’accompagne, représentant un singe doté de multiples mamelles [fig. 5]51. Il en va de même de la barbe et de la longue queue arborées par les callitriches52 ou de l’anecdote des singes qui cueillent du poivre en imitant les gestes des hommes53. Dans bien des cas, la reprise se révèle être un calque traduisant mot pour mot une description de Gesner54, ou reprenant plusieurs références, dans le même ordre55. En outre, si les illustrations fameuses qui ornent l’Historia animalium56 semblent jouer un rôle dans ces jeux intertextuels, elles paraissent avoir également exercé une influence plus directe sur la troisième image gravée de la Généalogie, celle qui n’apparaissait pas dans des traités antérieurs de Saconay. Celle-ci représente en particulier un singe satyre sous des traits extrêmement similaires à la figuration de cette espèce dans l’Historia animalium [fig. 5]57.

Fig. 5. Conrad Gesner, Icones animalium quadrupedum viviparorum et oviparorum [1553], Zurich, C. Froschauer, 1560, vol. 1, p. 95.

Fig. 5. Conrad Gesner, Icones animalium quadrupedum viviparorum et oviparorum… [1553], Zurich, C. Froschauer, 1560, vol. 1, p. 95.

Ill. du haut : cercopitheci (lat.) [Satyre] ; ill. du bas : monstrum satyricum

Source gallica.bnf.fr/ BnF, 12454.

On peut voir un indice net de cette utilisation de l’Historia animalium dans l’emploi fait par Saconay des adages érasmiens. Il mobilise à peu près tous ceux qui mentionnent des singes, autour des lieux « Forma, deformitas » (beauté et laideur), « Simulatio, dissimulatio » (hypocrisie et feinte), ou encore « Dissimilitudinis et incongruentiæ » (Dissemblance et différence). Mais tous sont présents dans l’article « De Simia » du livre I de l’Historia animalium de Gesner. Ces emprunts sont le plus souvent cités en latin, traduits en français, et accompagnés d’une glose plus ou moins étendue. Asinius inter simias58 est ainsi glosé par : « L’on peut bien dire qu’un pauvre asne hebeté, tombant és mains des singes, ne peut faillir d’estre bien traité59 » ; Hercules et simia60 donne lieu à une explication plus étendue, adaptée au discours politique de Saconay : « le singe ne s’aide que de tromperie, Hercules use de force. Ne seroit il bon voir un petit singe se presenter au combat contre un Hercules61… ». Il ne fait guère de doute que ce n’est pas directement l’érudition érasmienne qui s’invite ainsi dans la Généalogie, même si les manchettes revendiquent cette référence, mais plutôt son écho gesnerien. On y relève des proverbes n’évoquant pas le singe, mais relevant d’un lieu ou d’un thème similaire, également présents dans l’article « De Simia » de l’Historia. Ainsi Saconay propose d’adapter au singe l’adage Asinus in pelle leonis62, qui n’apparaît chez Érasme que dans le commentaire de l’adage 226, Induitis me leonis exuvium63, mais est disponible sous une forme simple chez Gesner, dans la section « Proverbia » de l’article « De Simia64 ». Il arrive aussi que Saconay regroupe deux adages érasmiens, déjà mis en relation par Gesner, comme celui qui évoque la laideur du singe et celui qui traite du rire mégarien65. Certains adages apparaissent sous la forme que leur a donnée Gesner : ainsi l’adage Pulchra semper apud pueros est simia, cité par Saconay66, apparaît sous cette forme dans la section « Proverbia » de Gesner, avec la même valeur de mise en garde des enfants séduits par les jeux du singe, importante dans cette adresse au jeune roi ; chez Érasme elle apparaît sous une forme différente, et dans une perspective inverse, visant à dénoncer la philautie du singe, heureux de divertir les ignorants67. On ne sera pas surpris de trouver également dans la Généalogie des proverbes présents chez Gesner, mais pas chez Érasme68. A contrario, nous ne relevons pas chez Saconay de nombreux adages érasmiens fonctionnant en doublon avec les adages simiesques, tels que Asinus inter apes (442) qui double Asinus inter simias (441), ou participant du même lieu comme Melle litus gladius69, qui aurait parfaitement servi son propos.

Bien sûr, adages, gravures et descriptions circulent, et Gesner est un naturaliste bibliophile, recourant largement à la compilation70. Mais la précision de ces échos donne à penser que Saconay a exploité cette ressource bien connue, pour la richesse de ses références. Le savant zurichois semble ainsi être la principale figure qui se cache derrière « les historiographes » auxquels renvoie Saconay lorsqu’il fournit des détails précis sur une sous-espèce71. Il ne faut certes pas s’attendre à ce que Saconay cite une telle source : Gesner, de confession réformée, est proche de Pierre Viret, lequel s’inspire lui aussi largement de ses classifications, mais en privilégiant la variété des espèces envisagées72. Au demeurant, il n’est pas usuel de citer les sources contemporaines ; Viret lui-même ne renvoie guère qu’aux savants antiques. En 1566, lorsque la Mappe-Monde papistique de Trento contrevient à ce principe en revendiquant hautement l’autorité de Gesner, il s’agit d’un acte militant, revendiquant le détournement satirique de l’écriture savante73.

En utilisant les données fournies par Gesner, Saconay fait en somme d’une pierre deux coups, exploitant les vertus satiriques du détournement de l’écriture savante, et employant ainsi un grand savant réformé aux dépens des huguenots français. Cette utilisation de l’histoire naturelle lui offre les effets habituels de la métaphore zoologique : elle lui permet d’affubler ses adversaires d’attributs dégradants – poils, queue, grimace, mœurs extravagantes – et d’ancrer leur malignité dans leur nature (nous dirions aujourd’hui dans leurs gènes). La fiction zoologique confère au déroulement aléatoire de l’histoire la nécessité des processus observés par l’histoire naturelle. Mais Saconay en tire surtout une typologie de sous-espèces particulièrement riche, qui lui fournit des dénominations aux consonances inquiétantes ou bigarrées. Il y adjoint deux espèces empreintes de mythologie, les satyres et les sphinges, à propos desquelles Gesner ne se fait pas faute de relater toutes les legenda, c’est-à-dire tout ce qui a été écrit sur leur compte74. Au motif de l’invasion barbare, ces deux catégories ajoutent les idées de lubricité et d’action secrète. Saconay ajoute encore à cette typologie des espèces hybrides, résultant de la rencontre entre des singes et des animaux appartenant aux pôles de la férocité, de la ruse ou du dégoût, qu’il désigne à l’aide de mots composés. On rencontre ainsi dans la Généalogie des « loups guenaux75 », « guenaux canins76 » ou « chiens guenaux77 », des « guenaux regnardiers78 », des « chats guenaux79 » ou encore des « gueneaux pourceaux80 ». Ce faisant, Saconay ne s’émancipe pas comme on pourrait le croire de la zoologie savante. C’est encore elle qui lui offre le modèle de ces hybridations, en premier lieu à travers l’exemple bien connu du singe à tête de chien, ou cynocéphale, souvent cité comme l’espèce la plus féroce. Ces rapprochements exploitent la flexibilité d’une zoologie qui procède couramment par comparaisons, pour identifier l’inconnu d’après le connu81. Éventuellement, il peut s’agir d’identifier des filiations, en l’absence bien entendu de toute considération évolutionniste ; chez les humanistes, la pensée des contaminations entre espèces est nourrie par l’expérience des hybridations liées à l’élevage, et par la tératologie, qui est fondamentalement une pensée sur les échanges interspécifiques. Dans la Généalogie, les variétés hybrides sont de fait présentées comme le fruit d’unions monstrueuses. Le lien avec l’allégorie politico-religieuse se fait de lui-même : les huguenaux seraient ainsi nés de la rencontre et de l’accouplement entre une troupe de guenons ordinaires et deux animaux plus redoutables, le loup Luther et le tigre Zwingli82.

Au demeurant l’histoire naturelle ne présente pas seulement le principe de l’hybridation : elle fournit à Saconay la plupart des espèces mixtes qu’il mentionne, même lorsqu’elles semblent inventées pour les besoins de la cause. C’est en particulier le cas du singe-renard, qui dans la Généalogie renvoie de manière très précise aux conjurés d’Amboise, non seulement à cause de leur ruse, mais aussi parce qu’ils avaient pour meneur Jean du Barry, seigneur de La Renaudie, rebaptisé « La Renardie » pour l’occasion83. L’espèce peut paraître inventée à la faveur du calembour, mais Gesner propose une description de ce singe, Simia Vulpina ou Simivulpa, s’appuyant sur les récits de Vicente Yáñez Pinzón et de Pierre Martyr d’Anghiera à propos des espèces du Nouveau Monde [fig. 6]84. Ces derniers s’inscrivent dans une chaîne de descriptions et de figures évoquant un animal arboricole doté d’un museau de renard, d’oreilles de chauve-souris, de pieds de singe, de mains humaines et d’une queue de cercopithèque, portant ses petits dans une poche ventrale, lequel correspond à l’espèce qui prendra le nom d’opossum. Gesner reprend cette description, et nous la retrouvons telle quelle dans la Généalogie85. Le singe-porc quant à lui, simia porcaria ou choeropithèque, fait une apparition un peu allusive chez Aristote, qui compare sa truffe à celle du caméléon86. Seuls les chats guenaux et les loups guenaux semblent en définitive forgés par Saconay.

Fig. 6. Conrad Gesner, Icones animalium quadrupedum viviparorum et oviparorum op. cit., vol. 1, p. 90.

Fig. 6. Conrad Gesner, Icones animalium quadrupedum viviparorum et oviparorum… op. cit., vol. 1, p. 90.

Source gallica.bnf.fr/ BnF.

Cette exploitation des données encyclopédiques permet à Saconay de développer une allégorie par embranchements, dont chaque constituant est détaillé, et associé (de manière plus ou moins probante) à un référent dans le domaine du comparé – comme l’ont fait dans le camp adverse Les Satyres chrestiennes de la cuisine papale, la Mappe-Monde nouvelle papistique, ou encore La Ruche de l’Église romaine87. Chaque sous-espèce est associée de manière plus ou moins nettement motivée à une catégorie de huguenots, moyennant une brève explication. Certaines de ces caractérisations rattachent les espèces concernées au principe satanique d’une humanité défigurée, féroce ou inquiétante. C’est le cas des satyres qui se réunissent la nuit en mystérieux conciliabules, comme le font les huguenots qui semblent paisibles mais complotent pendant les périodes de pacification88. De manière moins attendue, les singes-chats dissimulent leurs excréments, à l’instar des nobles qui utilisent la cause religieuse pour cacher leurs méfaits89. Les cynocephali, ou babouins, sont plus ambivalents. Leur morsure est féroce et ils sont sujets au courroux, à l’image des huguenots qui passent leur temps à s’entremordre90. Mais ils aiment la luxure et le vin, imitent volontiers les hommes, et certains affectent même d’avoir des lettres, ce qui les fait basculer du côté du ridicule91. Ils y rejoignent plusieurs espèces dont c’est l’aspect dominant. Les singes-pourceaux figurent les mœurs dépravées prêtées aux réformés, qui récusent le jeûne92. Le cepus (ou « cepy »), singe chamarré qui ressemble à un jardin selon Pythagore, est rapproché de Luther à cause de ses opinions changeantes, flamboyantes, et de ses chamailleries avec les autres réformateurs93. Les callitriches, qui se déplacent debout comme des hommes, sont rapprochés des convertis, qui veulent avoir l’air dignes mais ne parviennent pas à cacher leur nature ridicule. Saconay les apparente aux « Mediastins », accusés d’avoir assisté aux prises d’armes des réformés sans avoir réagi94 – et va jusqu’à citer Viret et Calvin contre toutes les espèces de « Nicodémistes95 », explicitant l’entente des partisans contre les chrétiens « sans étiquette » de manière particulièrement provocatrice.

Les noces du rire et de la violence

Cette typologie allégorique exploite pleinement la polyvalence du singe, alliant ses traits monstrueux et sataniques à ses attributs grotesques, et au sourire des adages érasmiens ; ces derniers sont majoritairement centrés autour d’un anthropomorphisme burlesque, où domine le motif du déguisement inefficace. Le comique n’adoucit pas nécessairement la condamnation ; il apparaît comme un masque plaisant dissimulant la cruauté. Mais au lieu d’insister sur la férocité des adversaires, cette représentation souligne leurs affinités avec la comédie. Le temps de dénoncer le rire huguenot, Saconay s’efforce de retourner leur arme contre eux. Il explique ainsi que les réformés « ne furent au commencement recogneus que pour petits guenaux plaisans, d’esprit gaillard marotans, avec leur Marot96 ». L’ambivalence du terme « plaisant », signifiant à la fois « qui plaisante » et « qui divertit », résume l’image du rieur ridicule. Le mot forgé « marotant », suivi de la répétition de sa racine (Marot) suscite une cacophonie burlesque, non sans rappeler d’autres désignations du singe (marmot, ou magot). La détermination du nom propre (« leur Marot »), crée une appropriation cocasse. Saconay adopte le ton des moqueries huguenotes pour suggérer aux lecteurs dont elles pourraient émousser le jugement de ne pas se laisser abuser par leur rire grimaçant.

Il insinue ailleurs que cette hypocrisie initiale s’est poursuivie, exerçant son emprise sur les esprits faibles. Il compare notamment les manœuvres politico-militaires des huguenots depuis 1562 à un jeu de « remue ménage », sorte de jeu de chaise musicale, consistant à accourir pour occuper les villes de France lorsque le maître du jeu en donne le signal, en faisant croire à une occupation temporaire97. Lorsque le roi demande à leurs troupes de quitter les places investies, « au lieu d’obeir et jouer le vray jeu, ces guenaux monstr[ent] et grinc[ent] les dents, et torn[ent] par moquerie le dos au lion royal, avec le petit soubresaut98 ». L’anecdote plaisante tourne au vinaigre : elle suggère que les huguenots sont toujours ceux qui rient en dernier. Ce message est notamment adressé au roi, destinataire explicite de cette admonestation. La conclusion « Pensez comme fut esmeu le cœur magnanime de ce jeune prince moqué et deceu par singes ses propres sujets », confirme le lien établi entre l’image du jeu et l’esprit encore immature du monarque. C’est sans doute une explication essentielle de la présence du rire et de l’imagerie animalière dans ce traité. Ces procédés renvoient à l’image d’un roi à l’esprit juvénile, exposé aux manigances et faux-semblants des huguenots, et plus occupé à ses passe-temps qu’à la reprise en main du royaume. Le cri « à la chasse » lancé à la fin du traité99 l’incite à se détourner de ses divertissements, ou du moins à changer de cible.

Dans le fil du propos, un élément important du regard moqueur ainsi porté sur le singe est l’invention verbale, fondée sur un principe de déformation à la fois monstrueuse et comique. Ce procédé ne s’arrête pas au calembour éponyme, il se poursuit à travers plusieurs dérivations lexicales dans le corps du texte. Le terme guenaux, couramment employé pour désigner les réformés, peut s’agglomérer à diverses particules. Saconay évoque ainsi la « guenauderie100 », la « guenotte101 », ou encore les « guenaudiers102 », et même le terme « archiguenaux103 », qui détourne un préfixe utilisé pour distinguer des rangs au sein de la hiérarchie ecclésiastique, ordinairement détourné par les réformés104. Ces transformations verbales interfèrent en partie avec l’allégorie ; ainsi la désignation des espèces composites connaît des variantes, telles que « Hugues regnardiers105 » pour désigner les singes-renards. Ces glissements verbaux se transmettent comme par contamination au mot réformés, régulièrement remplacé par l’adjectif transformés, qui substitue à l’idée d’amendement celle d’une détérioration, et établit un lien entre la réformation et la métamorphose des humains en animaux106. La logique générale est la même que celle qui a poussé les catholiques à extrapoler sur l’étymologie du mot « huguenot », à appliquer à leurs adversaires l’étiquette dépréciative de « calviniste », ou plus tard, à parler de la Religion Prétendument Réformée : la fragilisation des dénominations tente d’empêcher la langue de valider ce qu’elle nomme. On sait qu’elle le fait avec un succès variable, car la stigmatisation est souvent retournée et revendiquée par le camp adverse. C’est ce qui s’est produit avec les termes « huguenot » et « calviniste », tandis que l’acronyme R. P. R. a réussi à produire son effet dépréciateur durant plusieurs décennies. On rencontre plus sporadiquement l’adjectif difformé107, plus négatif encore ; il semble assez directement issu de la Métamorphose chrestienne de Pierre Viret, dont les grandes articulations s’attachent à montrer comment l’homme s’est « difformé », modifiant son être à l’image des animaux féroces et vicieux, et doit se « reformer », c’est-à-dire revenir à sa nature première, d’inspiration divine, en prenant modèle sur les animaux vertueux. Saconay affirme en écho qu’il faut désormais « reformer les pauvres transformez108 », comme pour proposer une réforme qui soit un vrai retour à la forme première de l’homme créé par Dieu.

Les images gravées mêlent également rire et férocité, suivant des modalités un peu différentes. La comparaison du singe avec l’homme induit un effet de déformation physique qui n’intervient pas avec les autres espèces. Lorsque l’on compare des hommes cruels à des loups, l’analogie est purement morale ; tout le monde comprend que les crocs et les griffes de l’animal renvoient aux traits de caractère de l’adversaire. L’image simiesque quant à elle engage intrinsèquement une double analogie, physique et morale. Ce principe de déformation à la fois burlesque et agressive s’affiche très clairement dans les trois gravures qui accompagnent le texte. Les singes qui assaillent le lion royal sont irrévérencieux ; équipés d’armes et d’outils, ils sont destructeurs, iconoclastes, et leur agglutinement est menaçant. Mais ces animaux hirsutes qui lisent, lèvent la queue du lion tout en le chevauchant, ou prétendent commenter des textes en tirant la langue, sont aussi ridicules [fig. 1]. Nous signalions plus haut que deux de ces images gravées figuraient dans des ouvrages antérieurs. Elles n’ont donc pas été produites comme une illustration du propos109. C’est plutôt l’inverse : l’allégorie simiesque peut apparaître comme une extrapolation de l’analogie gravée qui ornait deux des précédents traités de Saconay (elle-même sans doute inspirée par le motif du lion tourmenté par des guenaux développé dans les textes110). Comme les caricatures dans nos journaux satiriques, ces images agrémentent la lecture d’une figuration burlesque, proposant une radicalisation divertissante du propos. Dans la Généalogie, le développement de l’allégorie simiesque rend le lien entre les images et le texte beaucoup plus évident. Mais l’adéquation n’est pas complète. Si la désinvolture vis-à-vis du lion royal (qui est aussi l’emblème de la ville de Lyon111) apparaît clairement dans les images, l’attention aux questions politiques et guerrières y est plus faible que dans le texte, au profit d’une insistance sur des aspects qui y restent secondaires, tels que la variété des attitudes anthropomorphiques, et la profanation des objets liturgiques.

Il est vrai que la troisième gravure renforce le lien entre texte et image, ce qui permet de supposer qu’elle a été réalisée à destination de la Généalogie. Une certaine évolution se fait ainsi sentir d’une image à l’autre. La première gravure, qui ornait en 1568 le traité De la providence de Dieu sur les roys de France, représente des singes très animalisés, évoluant en partie à quatre pattes ou dans un arbre, dont l’un se fait dévorer par un lion vigoureux. Un autre se tient sur une chaise et tient une baguette, comme pour admonester un comparse qui a laissé tomber un livre dont il ne sait visiblement que faire, tournant la tête en arrière. L’anthropomorphisme est mis en scène comme une anomalie vouée à l’échec, sur un mode comique. Dans la deuxième gravure, qui ornait le Discours des premiers troubles advenuz à Lyon de 1569, un singe prêche en chaire, plusieurs tiennent des armes et outils humains, et tous se tiennent debout. L’anthropomorphisme se double d’une plus grande agressivité : les singes s’attaquent à la sainte croix et dégradent la liturgie. Leurs attaques contre le lion se sont multipliées ; loin d’en tenir un dans sa gueule, celui-ci s’apprête à recevoir sans riposte un coup de hallebarde, la tête baissée. Il a disparu de la troisième image, qui semble figurer la victoire des hu-guenaux, envisageant la destinée de la France si son monarque ne réagit pas. Les scènes anthropomorphiques se sont multipliées : au premier plan, un singe tient un livre bien en main et en discute avec un comparse qui semble déblatérer, la langue bien pendue ; au second plan, un autre écrit, sans doute sous la dictée d’un quatrième congénère. Le décor s’est complété de cités, d’un chapiteau (qui rappellent les gravures de la Mappe-Monde papistique, faut-il remarquer), et au centre figure un trône fastueux où siège un singe portant plusieurs attributs sataniques – cornes, barbe et queue pointue, qui ne sont pas sans rappeler les figurations du diable de Calicut112. Cette figuration introduit deux éléments essentiels de la Généalogie : le premier est l’assimilation au diable, également soulignée par la présence d’autres singes cornus, et d’un singe en posture d’adoration. Le second est la représentation de la diversité des espèces, absente des deux gravures précédentes, et illustrée ici par la présence d’une sphinge et d’un cynocéphale. D’une image à l’autre, l’anthropomorphisme semble ainsi se renforcer, en faveur d’une rhétorique moins moqueuse, et plus menaçante113. Mais il reste que les deux premières images ne sont pas évacuées de la Généalogie. La fonction de ces gravures est sans doute à placer en regard du titre accrocheur, du développement de l’allégorie, mais aussi de procédés plus techniques comme la pagination élaborée, les manchettes, et la table analytique de 24 pages : tous ces éléments témoignent d’un effort fourni pour donner toute sa lisibilité au propos que tient Saconay depuis une décennie. Les images favorisent la lecture de ce traité assez volumineux, quitte à en détourner quelque peu l’orientation première, en mêlant le rire à l’effroi.

Moqueur moqué, humanoïde sans âme, le singe est une figure circulaire et carnavalesque, propice à la caricature, qu’elle soit gravée, décrite, ou proverbiale. Il est toujours délicat de dire si telle ou telle représentation est faite pour susciter le rire. On peut du moins identifier les procédés relevant de la figuration comique, déformation, caricature, hyperbole, assimilation, rabaissement concret, mise en scène ludique, sans nécessairement statuer sur l’effet réellement attendu. C’est en tout état de cause à un rire mêlé que nous confronte la Généalogie de Saconay. Il reste à émettre quelques hypothèses sur les fonctions de ce rire singulier. La plus évidente est celle de la vulgarisation évoquée plus haut : faire rire est un moyen de faire lire. Lorsqu’il critique le rire des singes huguenots, Saconay se plaint de ses effets séducteurs sur les esprits fragiles. Autant en tirer parti : un lecteur informé des dangers du rire peut s’y adonner avec mesure, et pour la bonne cause. L’allégorie par embranchements est par ailleurs un procédé didactique, qui présente une typologie mémorisable des adversaires, tout en conduisant le lecteur dans un dispositif énigmatique, jouant sur un principe de dévoilement. Comme le remarque M.-M. Fragonard, Saconay recourt à un procédé de registre plutôt élevé, pour proposer une analogie dévalorisante114. Simia in purpura : l’invective se pare de beaux atours. Nous avons vu en outre que ce discours polémique affichait des connaissances zoologiques élaborées. Suivant les promesses du titre, il joint ainsi l’élévation érudite, la clarté didactique de l’allégorie, et le rire que peut susciter le dévoiement burlesque de ces nobles procédés.

Il reste que tout cela se développe au bénéfice d’un appel au massacre – et factuellement, sur fond du massacre effectivement perpétré. Le rire n’allège pas cette injonction, il en est plutôt un accompagnement (comme il est, chez les réformés, écho ou amorce des profanations). Rire, figuration symbolique et déshumanisation font partie des conditions de réalisation de la violence de masse, telles qu’elles ont pu être analysées par plusieurs historiens et anthropologues115. Dans les moments de grande tension collective il peut arriver que les formulations imagées, prises à la lettre, suscitent une radicalisation des actes116 ; et les récits de scènes de brisement ou de torture évoquent parfois le rôle joué par le rire, car l’image, le jeu et la dérision font sauter des barrières. Le rire n’est pas nécessairement la face positive d’un discours qui aurait par ailleurs ses zones d’ombre, et n’est pas toujours déconnecté de l’appel à la violence ; à rebours cette dernière n’exclut pas le recours à la représentation symbolique. Elle est dotée d’une certaine théâtralité, comme le suggère le sidérant Théâtre des cruautez de Verstegan117. On aura noté au demeurant que dans les scènes de martyre évoquées plus haut, l’animalité occupait une place importante (porcs et chevaux ingurgitant de la chair humaine…). Le va-et-vient est constant entre les images et les actes, dont la violence a tendance à s’intensifier lorsqu’ils sont investis d’une dimension symbolique.

Ces interférences entre les figurations et les actes posent une question particulièrement prégnante dans l’ouvrage de Saconay, celle de l’adhésion prêtée par l’auteur à son image. Le malaise moral que l’on peut éprouver à la lecture de ce traité, en raison du contexte violent auquel il est lié, se double d’un inconfort plus esthétique. S’il paraît impossible de considérer que l’analogie simiesque n’est qu’un ornement rhétorique, on ne peut supposer que Saconay estime réellement que les huguenots sont des singes118. Entre ces deux pôles du détachement ludique et de la pensée magique, son propos semble relever de la logique de l’insulte. Certains spécialistes ont montré en quoi cette dernière pouvait renouer avec une confiance dans l’aptitude de la parole à modifier le réel, même si elle ne lui prête qu’une adhésion temporaire et partielle119. C’est sur ce principe que fonctionne l’insulte imagée, et notamment celle qui emploie le registre zoologique. Traiter son prochain de chien, de porc ou d’âne ne suppose pas que l’on pense vraiment qu’il partage des gènes avec ces espèces. Mais le temps de sa profération, l’insulte n’est pas une simple image ; son auteur (et éventuellement son destinataire) y adhère un peu plus qu’il ne le devrait.

Au demeurant, Saconay fournit quelques explications sur cette croyance attendue. Au début de son traité, il explique qu’il se doute que l’on aura du mal à croire à de « telles transmutations d’hommes en bestes », mais enjoint son lecteur à les prendre au sérieux. Il invoque notamment le fait que le Christ lui-même a donné des noms d’animaux à certaines catégories d’humains, disant par exemple « Ne donnés point la chose sainte aux chiens, et ne jettez point vos perles devant les pourceaux ». À sa suite saint Paul évoque un homme fait à l’image non de Dieu mais des bêtes, et lui permet de conclure :

nous ne chercherons autre tesmoignage pour demonstrer ceux estre bestes, n’ayans rien plus de l’homme que la semblance exterieure […], ceux qui par conformité de mœurs et complexions se sont transmuez en icelle120.

Une fois encore, cet emploi des Évangiles revient à retourner contre les réformés un procédé qu’ils ont souvent utilisé ; leurs attaques contre la doctrine de la transsubstantiation ont souvent consisté à relever tous les passages où le Christ utilise des métaphores, en expliquant que ces dernières ne supposaient pas de transformation réelle121. On ne peut certes pas entièrement rapprocher les métaphores insultantes des paroles sacramentelles. L’assertion importante ici est que les réformés n’ont plus que la « semblance exterieure » de l’homme, suggérant qu’ils conservent un corps d’homme, mais ont une âme d’animaux. Une fois faite la part de l’outrance, le propos semble être que si ces dévoyés méritent d’être affublés de noms d’oiseaux, c’est parce qu’ils ont renoncé à une part de leur humanité. C’est aussi ce que communique réellement celui qui traite son adversaire de chien ; il ne suppose pas de métamorphose réelle, mais accuse son interlocuteur d’indignité par rapport à sa conception des valeurs humaines. On pourrait estimer que c’est plutôt aux valeurs chrétiennes que se réfère Saconay. Mais nous avons vu que dans ce traité, son point de vue était avant tout politique, et c’est bien leur « inhumanité » qu’il reproche aux huguenots, dans les passages où l’on peut estimer qu’il renonce au détour par l’image, pour formuler plus directement sa signification rationnelle122.

L’image répond à un principe d’hyperbole : elle a vocation à en dire trop, pour qu’il en reste quelque chose. Ce qui doit rester dans ce discours, ce qui doit marquer la conscience du jeune roi et des lecteurs qui se laisseront accrocher par quelques illustrations parlantes, c’est cette déchéance d’humanité dont les huguenots se sont rendus coupables. Le discours métamorphique n’implique pas de transformation réelle, mais plutôt une déchéance morale, répondant en miroir à la difformation viretienne. Cela n’enlève rien à sa violence. L’inhumanité prêtée aux huguenots est à la fois le péché dont ils sont accusés, une trahison de la Création divine, et la condition qui rend leur massacre légitime, car en les châtiant on ne s’en prendra pas tout à fait à des hommes – ou plutôt, on ne s’en est pas pris à des hommes, faut-il dire au moment où l’ouvrage passe sous les presses.

Notes

1 Gabriel de Saconay, Genealogie et la fin des Huguenaux, & descouverte du calvinisme : où est sommairement descrite l’histoire des troubles excitez en France par lesdits Huguenaux, jusques à present, Lyon, Benoist Rigaud, 1572 (156 f., pièces limin. et table ; 3 gravures, 16 cm) ; rééd. 1573, Lyon, B. Rigaud. Dorénavant, toute référence à cet ouvrage sera abrégée GFH suivie du numéro de feuillet.

2 Selon la formule fameuse de Michelet, « la Saint-Barthélemy n’est pas une journée ; c’est une saison » (Jules Michelet, Histoire de France au seizième siècle, vol. IX : Guerres de religion, éd. Chamerot, 1856, p. 476). À Lyon, le massacre des réformés, désigné par l’expression de « vêpres lyonnaises », a lieu le 31 août.

3 Voir Marie-Madeleine Fragonard, « Les Tricheurs de la métaphore : polémique du mixte et de l’ennoblissement des coups bas », dans Variations sur la Grâce et l’impuissance de la parole [2001], Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2011, t. 1, p. 151-165 ; Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu : la violence au temps des troubles de religion vers 1525-vers 1610 [1990], éd. 2005, Seyssel, Champ Vallon, L. I, p. 134 et 293 ; Anaïs Joyeux, Gabriel de Saconay. Une rhétorique guerrière au service de la religion (1562-1572), mémoire de master 1, dir. Olivier Christin, Lyon, université Lumière-Lyon 2, 2006. Cette orientation s’amplifie dans l’ouvrage manuscrit en vers, achevé vers 1584 et orné de 39 gravures, désigné sous le titre (tardif) De Tristibus Galliæ, qui reprend l’une des trois gravures présentes dans la Généalogie (De Tristibus Galliæ carmen, in quatuor libros, bibliothèque municipale de Lyon, ms. 156, v. 1584-1585 ; édité par L. Cailhava, Lyon, 1840, 117 p.). Son attribution à Saconay est en discussion ; quoi qu’il en soit, la proximité de cet opuscule avec la Généalogie est forte. Voir Sara Petrella, « Les guerres de religion en images : le De tristibus Galliæ et Jean Perrissin », dans Frédéric Elsig (dir.), Peindre à Lyon au xvie siècle, Milano, Silvana Editoriale, 2014, p. 119-146 ; Olivier Christin, « Le sac de Lyon (1562) et l’iconoclasme lyonnais », dans L’Art et les révolutions, XXVIIe congrès international d’histoire de l’art (Strasbourg, 1989), vol. 4, Sergiusz Michalski (dir.), Les Iconoclasmes, Strasbourg, Société alsacienne pour le développement de l’histoire de l’art, 1992 ; Géraldine Lavieille, Les Illustrations du De Tristibus Galliæ : la construction d’une mémoire ligueuse, mémoire de master 1, dir. O. Christin, ENS Lyon, 2006 ; Charlène Petitgenet, L’Offensive catholique à Lyon dans le dernier quart du xvie siècle, mémoire de master 1, dir. O. Christin, université Lumière-Lyon 2, 2007.

4 La remontrance, mode de communication institutionalisé entre les parlements et la monarchie, n’est pas vouée a priori à l’impression, mais y accède régulièrement, et peut alors admettre des tonalités variées (voir Paul-Alexis Mellet, Les Remontrances : discours de paix et de justice en temps de guerre, Genève, Droz, 2022).

5 Ce terme désigne au départ un singe à longue queue. On ne rencontre guère la graphie guenau, si ce n’est dans les ouvrages précédents de Saconay (voir la n. 26). On trouve le terme à plusieurs reprises chez Rabelais pour désigner non pas des singes, mais sous une forme dialectale, les gueux du cimetière des Saints-Innocents (Pantagruel, chap. 7, 16, et Gargantua, chap. 35).

6 Voir D. Crouzet, Les Guerriers de Dieu, op. cit., L. I, n. 153, p. 632.

7 Antoine du Verdier attribue la paternité de cette plaisanterie à « un predicateur parisien », dans La Prosopographie ou Description des personnages insignes, Lyon, Antoine Gryphius, 1573, p. 512 (Patrice Guinard : « Une prédiction de Nostradamus attestée par Gabriel de Saconay », URL : http://cura.free.fr/dico4ti/605A-sac.html, 03-05-2006, mise à jour : 31-03-2018).

8 Voir Yves Krumenacker, « La généalogie imaginaire de la Réforme protestante », Revue historique, 2006/2, no 638, p. 259-289 ; URL : https://www.cairn.info/revue-historique-2006-2-page-259.htm

9 GFH, f. 8 vo-9ro.

10 Théodore de Bèze [att. à], Satyres chrestiennes de la cuisine papale [1560], éd. Ch.-A. Chamay, Genève, Droz, 2005.

11 Jean-Baptiste Trento et Pierre Eskrich, Mappe-Monde nouvelle papistique [1566], éd. F. Lestringant et A. Preda, Genève, Droz, 2009.

12 Notamment la Métamorphose chrestienne, Genève, J. Brès, 1561.

13 Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, trad. A. Robel, Gallimard, 1970, p. 72 sq.

14 Voir Natalie Zemon Davis, « The Sacred and the Body Social in Sixteenth-Century Lyon », Past & Present, no 90, 1981, p. 40-70, URL : http://www.jstor.org/stable/650716 ; Daniel Ménager, La Renaissance et le rire, Paris, PUF, 1995.

15 GFH, f. 151 ro-vo.

16 GHF, f. 150 vo (sermon sur l’Épître aux Galates, 4).

17 Henri VIII, Assertio septem sacramentorum adversus Martinum Lutherum, s. l., s. n., 1521 ; rééd. Lyon, Guillaume Roville, 1561.

18 Jean Calvin, Congratulation à Gabriel de Saconay, dans Œuvres, éd. F. Higman et B. Roussel, Gallimard, « Pléiade », 2009, p. 461-503. Le texte est d’abord écrit en latin, mais la liberté de la traduction française suggère qu’elle est sans doute de Calvin (ibid., notice p. 1262).

19 GFH, f. 87 vo. Dans une ancienne édition des œuvres de Louise Labé, Charles Boy, évoquant l’accusation de liaison avec la Belle Cordière formulée par Calvin, signale que Saconay cite le titre de cette réponse dans son testament, demandant qu’elle soit imprimée : Réfutations des blasphèmes contre J C. contenus au livre de M. Jehan Calvin, intitulé Congratulation à messire Gabriel de Saconay, précenteur de Lion (Louise Labé, Œuvres, éd. Ch. Boy, Paris, A. Lemerre, 1887, vol. II, p. 127).

20 Yves Krumenacker (dir.), Lyon 1562, capitale protestante. Une Histoire religieuse de Lyon à la Renaissance, Lyon, Olivétan, 2009.

21 G. de Saconay, Du Vray corps de Jesu Christ au S. Sacrement de l’autel, par les propres paroles d’iceluy, contenues au sixième chapitre de l'Evangile de S. Jean, Lyon, Guillaume Roville, 1567 ; De La Providence de Dieu sur les roys de France tres-chrestiens…, Lyon, Michel Jove, 1568 ; De la Vraye idolatrie de nostre temps, Lyon, M. Jove, 1568 ; Discours catholique sur les causes et remedes des malheurs intentés au Roy et escheus à son peuple, par les rebelles Calvinistes…, Lyon, M. Jove, 1568 ; Discours des premiers troubles advenus à Lyon…, Lyon, M. Jove, 1569 (dont l’épître est datée d’août 1563). Par la suite, il publie Du principal et presque seul different, qui est à present en la religion Chrestienne…, Lyon, Benoît Rigaud, 1575 ; Traité très utile demonstrant si l’église qu’on dit Calviniste, peut estre la vraye église de Dieu, par le jugement de Calvin mesme, Lyon, B. Rigaud, 1577.

22 G. de Saconay, De la providence…, f. 31 vo.

23 Ibid., f. 151 vo.

24 Ibid., f. A4 vo de la 1re pagination ; Discours des premiers troubles…, f. *8.

25 Il estime que le roi a répondu adéquatement à la « Michelade » de 1567, en célébrant les « matines Parisiennes, et complies Lionnoises » (f. 105 ro) ; il ajoute f. 106 vo : « Mais voyez au contraire comme a procedé la providence divine, qu’en mesme annee qui est ceste cy 1572. et quasi en mesme moys les forces turquesques et huguenottes auroyent esté surmontees et vaincues, par nostre Roy treschrestien, et par l’armee catholique ». Par une autre application de la loi du Talion, il affirme ailleurs qu’à Lyon le 31 août 1572 est une juste réponse au désastre du dernier jour d’avril 1562 (f. 34 vo).

26 Ainsi après avoir relaté diverses atrocités commises par les protestants, Saconay explique que le roi « pour les remettre en l’union de l’eglise de Dieu et reduire en son obeissance leur remit et pardonna toutes offenses passees », et comparant cette situation à celle du fils prodigue, conclut : « Reste à voir ce qu’il en adviendra, et si cest enfant reconcilié usera bien, ou se rendra ingrat de ceste douceur et clemence paternelle » (f. 128 vo).

27 Son insistance sur la Michelade de 1567, les suites de la bataille de Moncontour en 1569 ou le « carnage de la journee S. Laurent » (f. 76 vo) peut être interprétée comme un remaniement visant à faire apparaître la Saint-Barthélemy comme une simple réponse à ces événements (mais elle pouvait faire partie de l’argumentaire en faveur de la répression).

28 Celle-ci apparaît comme un point de départ des conflits moins défavorable aux catholiques que le massacre de Wassy. De même S. Petrella remarque que dans le De Tristibus Galliæ les troubles religieux débutent par la prise de Lyon par le baron des Adrets en 1562 et non par le massacre de Wassy (« Les guerres de religion en images… », art. cité, p. 124).

29 GFH, f. 93 vo, 111 ro.

30 GFH, f. 93 ro : « Mon intention n’est pas d’escrire en ce discours l’histoire ou plutost tragedie jouee durant ces troubles et remuements : cecy servira seulement de preambule aux historiens pour les rendre croyables à la posterité… » ; f. 95 vo : « Je lairray aux historiens à descrire les mesnages qu’ils remuerent […] : renvoyant le lecteur à ce que j’en ai escrit au discours des premiers troubles… » ; f. 105 vo. Le complément du titre, « ou est sommairement descrite l’histoire des troupes excitez en France par les dits Huguenaux jusques à présent », est sur ce point ambivalent, puisqu’il revendique de retracer « l’histoire » des troubles, mais déclare le faire « sommairement ».

31 Cette temporalité tend à confirmer la vision soutenue récemment par Jérémie Foa, celle d’un enchaînement presque mécanique entre les habitudes de violence accumulées durant cette décennie et son aboutissement de 1572 (J. Foa, Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Paris, La Découverte, 2021). Mais elle le fait en sens inverse, du point de vue catholique, considérant le massacre non comme l’avènement des pratiques violentes accumulées par les catholiques depuis Wassy, mais comme une légitime sanction des crimes perpétrés dans la même période par les huguenots, décrits assez exactement comme un habitus en passe de s’installer face à l’indulgence royale.

32 GFH, f. 125 ro-126 ro. L’une des plus terribles gravures du Théâtre des cruautez publié en 1588 par R. Verstegan représente ces anecdotes sous une forme condensée : un cheval dévore les entrailles ouvertes d’un catholique martyr, tandis qu’à l’arrière-plan se déroule la Michelade (voir Frank Lestringant, Une sainte horreur ou le voyage en Eucharistie, xvie-xviiie siècle, Paris, PUF, 1996, p. 177).

33 GFH, f. 93 ro (voir la note 30).

34 M.-M. Fragonard, « Les Tricheurs de la métaphore », art. cité, p. 159.

35 La « zoohistoire » s’occupe de ces valorisations, notamment dans le domaine de l’histoire de l’art, largement inspiré par les métaphores bibliques. Voir le point bibliographique proposé par Benoît Lafleur, « Je monstre un singe acoustré en damoiselle » : représentations et identités simiesques dans les polémiques religieuses en France (1542-1584), mémoire de maîtrise en histoire, univ. du Québec, Montréal, 2013, p. 7 sq. Saconay expose assez clairement les valeurs qu’il attribue à chaque animal, expliquant par exemple au début de son traité que le lion déteste les malices des singes du fait de sa vertu et magnanimité, si bien que ce dernier ne trouve alliance qu’auprès des corbeaux et serpents (GFH, f. 28 vo-29 vo).

36 P. Viret, Métamorphose chrestienne, op. cit. p. 357.

37 Ibid., p. 318.

38 Bonaventure Des Périers, « Du savetier Blondeau… », nouvelle xix, dans Nouvelles récréations et joyeux devis, éd. K. Kasprzyck, Paris, Champion, 1980, p. 96-98.

39 M.-M. Fragonard passe en revue quelques ouvrages de controverse utilisant cette image dans les années suivantes, jusqu’en 1620 (« Les Tricheurs de la métaphore », art. cité, p. 153, n. 6). Sur l’image du singe voir notamment Amandine Gaudron, Le Singe médiéval : histoire d’un animal ambigu : savoirs, symboles et représentations, thèse d’archiviste-paléographe, Paris, École nationale des chartes, 2014 ; B. Lafleur, « Je monstre un singe… », op. cit. ; Irène Salas (dir.), actes de la journée d’étude Singes et singeries à la Renaissance (Chantilly, 15 mars 2014), Paris, Champion, à paraître en 2022. Sur l’évolution de cette figure jusqu’au xviiie siècle, voir Florence Boulerie et Katalin Bartha-Kovács (dir.), Le Singe aux xviie et xviiie siècles. Figure de l’art, personnage littéraire et curiosité scientifique, Paris, Hermann, 2019.

40 A. Goudron, Le Singe médiéval, op. cit. ; voir aussi ead., « Du singe médiéval au singe de la Renaissance : permanences et évolutions symboliques », dans I. Salas (dir.), Singes et singeries à la Renaissance, op. cit.

41 Voir le point proposé par B. Lafleur sur ces emplois entre 1540 et 1585, op. cit., p. 4.

42 P. Viret, Dialogues du désordre qui est à présent au monde, éd. R. I. Vulcan, Genève, Labor et Fides, 2017, p. 308.

43 J. Calvin, Congratulation…, éd. cit., note 75, p. 1268.

44 Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, Tableau des différends de la religion, 1599-1605, Genève, Slatkine reprints, 1971, fac-similé de l’éd. Van Meenen (1857-1860), 4 vol. , vol. III, p. 198-201. L’ouvrage est publié tardivement, mais il est une traduction amplifiée de La Ruche de l’Église romaine (De Biënkorf Der H. Roomsche Kercke, s. l. [Emden ?], s. n. [Willem Gailliart], s. a. [1569]) évoquée plus haut, elle-même précédée d’une première version en français (perdue) ; en outre il fait écho à des écrits antérieurs (telle que l’Anatomie de la messe de Mainardo (1555 pour la version francophone, Genève, Jean Crespin). On pense aussi bien sûr à Panurge « remuant les babines, comme un Cinge qui cherche poulz en teste, tremblant, & clacquetant des dens », à la fin du Quart livre (F. Rabelais, chap. lxvii).

45 Notons au passage que ce dernier ne s’interdit pas d’intervenir dans des ouvrages catholiques, dans le cadre de sa collaboration lyonnaise avec Guillaume Roville ; voir Vanessa Selbach, « Artisan ou artiste ? La carrière de Pierre Eskrich, brodeur, peintre et graveur, dans les milieux humanistes de Lyon et Genève (ca 1550-1580) », Chrétiens et sociétés, no spéc. I : Le calivinisme et les arts, 2011, DOI : https://doi.org/10.4000/chretienssocietes.2726, § 10, consulté le 15 mars 2022.

46 Suivant cette logique de retour à l’envoyeur, il prétendra en 1577 que l’Église calviniste n’est pas l’Église de Dieu, « par le jugement de Calvin mesme », retournant ainsi un reproche adressé par J. Calvin, qui affirmait en 1561 qu’il suffisait de lire ses mensonges pour les combattre (Congratulation…, éd. cit. p. 502).

47 G. de Saconay, Discours…, op. cit. p. 145, 156. Rappelons que Viret est mort en mai 1571, après avoir été emprisonné durant deux ans par le duc d’Anjou.

48 Ce point a été noté par Ruxana Vulcan, « Succès théologique de Conrad Gessner », dans Urs Leu, Peter Opitz (dir.), Conrad Gessner (1516-1565) : die Renaissance der Wissenschaften : the renaissance of learning, Berlin/Boston, de Gruyter, 2019, p. 486-495.

49 Par exemple GFH, f. 3, 13 ro, 16 ro, 77, 87 vo, 106, 123 vo, etc.

50 Conrad Gesner, Historiæ animalium lib. I, De quadrupedibus viviparis, Zurich, C. Froschover, 1551, p. 957-982 [Nous indiquons dorénavant la principale mention dans les citations sous l’abréviation HA, I.] ; voir notamment p. 966, « De simiis diversis ». Voir aussi l’appendice du Liber II. De quadrupedibus oviparis, qui revient sur certaines sous-espèces, p. 15 ; R. Vulcan, « Succès théologique… », art. cité.

51 GFH, f. 14 ro, 41 vo, 61 vo ; HA, I, p. 978-979.

52 Elles sont mentionnées par Pline, mais surtout affichées dans le titre de la rubrique de l’Historia animalium consacrée à cette espèce (GFH, f. 13 ro, 70 ro ; HA, I, p. 969). Sur le sens de ces attributs, voir Anne-Pascale Pouey-Mounou « Philologie du singe et figures du singe-moine : Érasme, Textor, Gesner et Rabelais (1526-1552) », dans I. Salas (dir.), Singes et singeries à la Renaissance, op. cit.

53 Saconay cite en manchette Philostrate et Apollonius, mais ces références figurent aussi chez Gesner (GFH, f. 73 ro ; HA, I, p. 961).

54 GFH, f. 19 vo.

55 Expliquant par exemple que les singes cepi multicolores « ressemblent de la face au satire, et du reste du corps au chien et à l’ours », Saconay reprend l’Historia animalium, I, p. 969 : « Cepus faciem habet satyro similem, cætera inter canem atque ursum, in Aethiopia nascitur, Strabo libro 17 ». On pourrait certes considérer qu’il puise comme Gesner cette information chez Strabon ; mais il la prête à Pythagore, lequel est cité par Gesner, mais dans la phrase suivante, ce qui fait penser à une erreur de Saconay. Dans cet autre passage, on retrouve plusieurs références, dans le même ordre : G. de Saconay, GFH, f. 9 vo : « Car le nom de singe signifie aussi imitateur, si que les Latins appellent un singe, celuy qui imite les autres, et Simiolum, qui utcumque alterum imitatur. Cicero en use, Hic simiolus animi causa me, in quem inveheretur, delegerat. Et fut à l’orateur Tacianus attribué le nom de singe, quòd omnia ingeniosius imitando exprimeret » ; C. Gesner, HA, I, p. 964, l. 10 : « Simia, per translationem, qui alium imitatur. […] Horatius 1. Serm. Simiolus diminutiuum, qui utcunque alterum imitatur. Hic simiolus animi causa me, in quem inveheretur, delegerat, Cic. ad Marium lib. 7. epist. Tatianus orator simiæ cognomentum indeptus est, quòd omnia ingeniosius imitando exprimeret, Cælius. »

56 Elles ont rapidement été recueillies dans un opuscule séparé, les Icones animalium quadrupedum viviparorum et oviparorum, Zurich, C. Froschauer, 1553.

57 GFH, p. 978.

58 Adage 441 ; HA, I, p. 965, l. 26.

59 GFH, f. 70 vo.

60 Adage 2409 ; HA, I, p. 965, l. 44.

61 GFH, f. 121 ro. Voir aussi Simiarum pulcherrima deformis est (adage 1454 ; HA, I, p. 965, l. 48 ; GFH, f. 14 vo) ; Simia simia est, etiam si aurea gestet insignia (adage 611 ; HA, I, p. 966, l. 8 ; GFH, f. 89 ro) ; Simia in purpura (adage 610 ; HA, I, p. 965, l. 55 ; GFH, f. 32 ro) ; Simia fucata, vel potius cerussata (adage 2662 ; HA, I, p. 966, l. 4 ; GFH, f. 55 vo) ; Simia barbata (adage 2479 ; HA, I, p. 966, l. 33 ; GFH, f. 70 ro) ; Tragica simia (adage 1795 ; HA, I, p. 964, l. 10 ; GFH, f. 73 ro) ; Anus simia fero quidem capitur, sed tamen aliquando capitur (adage 1414 ; HA, I, p. 966, l. 20 ; GFH, f. 120 vo) ; Cercopum coetus (adage 1635 ; HA, I, p. 963, l. 58 ; GFH, f. 122 ro).

62 GFH, f. 88 vo. Il glose ainsi : « […] aux guenaux qui ont meilleur esprit et plus subtil que l’asne stupide, la peau du lion seroit plus convenante […] et seroit plus duisante pour leur jeu » (ibid.).

63 À la fin de l’article, une autre citation de Lucien évoque un singe caché sous la peau d’un lion (Érasme, Adages, éd. C. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2011, t. 1, p. 256). Il est également signalé dans le lieu « Dissimilitudinis et incongruentiæ ».

64 HA, I, p. 961 l. 52.

65 Au f. 14 vo, il cite ensemble Simiarum pulcherrima deformis est et Per risum seu jocum Megaricum, intelligi molliciem Megarensium (d’après Risus Megaricus, adage 470), à propos des prostituées que l’on aurait appelées « Megaricas sphinges » (expression qui renvoie à un autre adage, Megaricæ sphinges, 1618). Or ces deux adages érasmiens sont également cités par l’article « De Simia » de Gesner, dans la section consacrée aux sphinges, en des termes identiques (HA, I, p. 980-981).

66 GFH, f. 14 vo.

67 HA, I, p. 961 l. 17 ; Érasme, Adages, éd. cit., t. 3, p. 243. Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Philologie du singe… », art. cité. Dans les différentes éditions érasmiennes des Adages, on ne rencontre que la forme Formosus pithon semper apud pueros formosus, dans le commentaire de l’adage Pithon formosus (2489). On rencontre ensuite cette formulation dans des recueils comme celui de Victor Giselin, Epitomes adagiorum omnium…, Anvers, C. Plantin, 1566, p. 183, qui l’attribue à Galien.

68 Par exemple « le singe se souvient un fort long temps de l’outrage qu’on luy a fait, et simultatem diu exercet in cum à quo læsa fuerit (GFH, f. 141 vo ; HA, I, p. 961, l. 14 : » Injuriæ longo tempore meminit, et simultatem… »). Gesner renvoie notamment au De Animalibus d’Albert le Grand. En élargissant cette enquête, on constaterait certainement qu’une grande partie des citations latines de la Généalogie proviennent de l’article « De Simia ».

69 Adage 757, lieu « Simulatio, dissimulatio ».

70 Arnaud Zucker, « Zoologie et philologie dans les grands traités ichtyologiques renaissants », Kentron, no 29, 2013, DOI : https://doi.org/10.4000/kentron.702, consulté le 15-03-2022.

71 GFH, f. 11 vo : « les historiographes […] ont appellé singes proprement ceux camus qui n’ont point de queuë : les autres sont nommez cercopitheci, guenons & marmots à grande queuë. » Une fois encore, la manchette cite Aristote et Pline, mais cette description reprend exactement un passage de l’Historia animalium citant elle-même Hesychius et Varinus (HA, I, p. 963 l. 49-50), puis cite deux vers de Martial qui figurent dans la rubrique « De Cercopitheco » de l’Historia (HA, I, p. 967, l. 53). Voir aussi GFH, f. 30 vo.

72 R. Vulcan, « Succès théologique… », art. cité, p. 485. Les articles encyclopédiques de Gesner n’observent au demeurant eux-mêmes pas tout à fait la neutralité scientifique à laquelle on pourrait s’attendre, en particulier dans l’étude des proverbes et leçons morales liées à chaque espèce. Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Philologie du singe… », art. cité ; Urs B. Leu, Conrad Gesner als Theologe. Ein Beitrag zur Zürcher Geistesgeschichte des 16. Jahrhundert, Berne-Francfort-New York-Paris, P. Lang, 1990. Dans les Icones animalium, Gesner va jusqu’à indiquer qu’il tient l’une de ses gravures de Théodore de Bèze (Icones animalium quadrupedum…, op. cit., p. 92 ; voir aussi p. 39).

73 J.-B. Trento, Mappe-Monde papistique, éd. cit. p. 57-58.

74 Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, [1966], éd. Paris, Gallimard, 1982, p. 140-141.

75 GFH, f. 138 ro.

76 GFH, f. 26 ro.

77 GFH, f. 27 vo.

78 GFH, f. 30 ro.

79 GFH, f. 65 vo.

80 GFH, f. 66 vo.

81 Mémorable de ce point de vue est la description du tapir par Pierre Martyr d’Anghiera, qui est l’une des sources régulières de Gesner : « Son corps ressemble à celui du bœuf ; il est muni d’une trompe d’éléphant, mais ce n’est pas un éléphant, il a la robe du bœuf, mais ce n’est pas un bœuf » (cit. et trad. de Brigitte Gauvin, « De l’animal sauvage à l’animal fantastique : les créatures du Nouveau Monde dans les huit Décades de Pierre Martyr d’Anghiera », dans Caroline Février (dir.), Images de l’animal dans l’Antiquité, des figures de l’animal au bestiaire figuré, Presses universitaires de Caen, 2009, p. 58).

82 GFH, f. 10 vo.

83 GFH, f. 30 vo

84 HA, I, p. 981-982. Selon Nelson Papavero, Abner Chiquieri et Dante Martins Teixeira, Gesner est l’inventeur de ce terme, ce qui est important pour l’hypothèse de son utilisation par Saconay (A Viagem de Francisco Xavier Ribeiro de Sampaio na Capitania de S. José do Rio Negro (1774-1775) (Ms do Arquivo Ultramarino de Lisboa, Nehilp, univ. de Sao Paulo, 2015, p. 309). En revanche la description et la gravure viennent de traités plus anciens, dont ces auteurs retracent le cheminement.

85 GFH, f. 29 vo : « […] ceux que nous avons dit estre nommez semi vulpæ ou simiæ vulpinæ, qui ont le devant du corps d’un regnard, et la derniere partie d’un singe, et au-dessous du ventre comme une gibeciere, dans laquelle leurs petis se retirent jusques à ce qu’ils veulent prendre leur repas, et qu’ils soyent assez grands pour se garder et se nourrir eux mesmes » ; HA, I, p. 981 (d’après P. Martyr) : « Inter eas arbores monstrosum illud animal vulpino rostro, cercopitheci cauda, vespertilionis auribus, manibus humanis, pedibus simiam æmulans : quod natos jam filios alios gestat, quocumque proficiscatur, utero exteriore in modum magnæ crumenæ, repertum est ».

86 HA, I, p. 966. Dans les Icones animalium, il le nomme en français « magot » ou « tartarin », suivant Belon, et le rapproche du cynocéphale (op. cit. p. 93).

87 Voir les notes 10, 11, 44. Ce procédé est analysé par Armand Strubel à propos d’allégories médiévales telles que le Char d’Orgueil de Nicole Bozon ou les Horloges (d’amour, de sagesse) de Froissart (« Grant senefiance a » : Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Champion, 2002, p. 129 sq.).

88 GFH, f. 13 ro.

89 GFH, f. 63 vo.

90 GFH, f. 23 ro.

91 GFH, f. 12 ro.

92 GFH, f. 66 vo.

93 GFH, f. 19 vo. Il entre ainsi dans la catégorie des animaux qui représentent les hypocrites, par une interprétation morale de leur camouflage, tels que le poulpe, le caméléon, le lycaon ou encore le fabuleux tarande, que l’on rencontre chez P. Viret (Dialogues du désordre, éd. cit., p. 391) mais aussi au début du Quart livre (F. Rabelais, chap. ii).

94 GFH, f. 70 vo.

95 GFH, f. 72 ro.

96 GFH, f. 11 ro.

97 Saconay affirme que ce jeu plaît aux jeunes gens, mais on peine à en trouver des mentions ; on rencontre un usage proche, mais plus tardif, dans L’Isle des hermaphrodites (1605) : « Leurs exercices continuels seront de plumer la poulle, […] battre le tambour à coups d’osselets, […] joüer à remüer mesnage si tost que ils seront entrez dans un logis, et autres plaisans exercices pour passer joyeusement le temps » (éd. Claude-Gilbert Dubois, Genève, Droz, 1996, p. 129). L’expression, généralement employée dans le sens de « déménager », apparaît dans un sens figuré dans les Satyres chrestiennes de la cuisine papale (1560) : « Or ayant […] remué tout le mesnage de cest antechrist le Pape, je me suis rué de droite cholere en sa cuisine » (éd. cit., p. 6) ; pour désigner un tumulte politique, elle est particulièrement fréquente dans le 5e tome des Histoires tragiques de Belleforest (1570), mais sans l’image du jeu (éd. Hervé-Thomas Campangne, Genève, Droz, 2013, p. 355, 551, 683).

98 GFH, f. 93 vo.

99 GFH, f. 138 vo : « C’est donc à ceste chasse qu’il faut que Lyon royal treschrestien s’exerce principallement […]. A la chasse, François catholiques, à la chasse, suivant votre roi pour prendre ces bêtes feroces, chiens enragez, et singes mal faisants transformés. »

100 GFH, f. 112 vo.

101 GFH, f. 32 ro.

102 GFH, f. 105 vo.

103 Ce terme désigne les grands réformateurs dans la table analytique, GFH, f. ** vo et **5 vo.

104 Dans l’Apologie pour Hérodote (Genève, 1566), Henri Estienne, évoquant la donation de Constantin, qualifie le pape d’« archilarron » (éd. Bénédicte Boudou, Genève, Droz, 2007, t. I, chap. xxiii, p. 580).

105 GFH, f. 31 ro.

106 Voir par exemple le cas du cepy que nous citions plus haut (nous soulignons) : « Aucuns transformez en l’espece des singes que l’on appelle Cepy […] lesquels ressemblent de la face au satire, et du reste du corps au chien et à l’ours » (« Table », GFH, f. ** ro).

107 GFH, f. 3 vo « Ainsi le diable demontre asses sa haine conceue contre le Createur, assaillant & difformant […] en tant de sortes l’homme, image de Dieu » ; f. 39 ro : « ceste religion […] establie […] pour transformer et difformer tout ce que Jesus Christ a fait et ordonné » ; voir aussi f. ** 3 ro : « Quelle reformation on peut esperer de ceux qui ne sont divagans par le monde, sinon pour crainte d’estre eux-mesmes reformez et renfermez […] par les lois divines. »

108 GFH, f. 140 ro ; voir aussi f. 147 vo, et passim pour les emplois du verbe « transformer ».

109 Elles sont accompagnées de citations bibliques, mais leurs liens avec le contexte politico-religieux débordent largement cette inscription morale. Rappelons que l’une d’elles est reproduite dans le Tristibus galliæ de 1584, avec un déplacement du curseur anthropomorphique, car les singes y sont vêtus.

110 Ce questionnement reste à poursuivre. Ainsi l’attitude obscène des singes soulevant la queue du lion fait écho à un commentaire de l’adage Asinus inter simias relevé par A.-P. Pouey-Mounou (« Philologie du singe… », art. cité), suivant lequel le singe s’amuse à se coller aux fesses du lion (Érasme, Adages, éd. cit., t. I, p. 368 ; HA, I, p. 965, l. 30).

111 GFH, f. 32 vo-33 ro : « Voyons [sic] donc ces guenaux avoir failly leur entreprinse contre la Majesté, pour ne demourer oysifs attendant meilleur oportunité, firent effort de surprendre le petit Lyon : sachans bien qu’ils ne pourroyent plus nuire […] au Lyon Royal, que luy ravir la ville de Lyon. »

112 Lodovico de Varthema, Voyage de Ludovico di Varthema en Arabie et aux Indes orientales (1503-1508), trad. P. Teyssier, Paris, Chandeigne / Fondation Calouste Gulbenkian, 2004 (ill. p. 146) ; je remercie mes relecteurs de ce rapprochement très probant.

113 Cette vision négative de l’anthropomorphisme est prolongée par le texte ; les anecdotes qui fascinent les naturalistes, comme celles des singes jouant aux échecs ou de la flûte, sont dénoncées comme un indice de la fausseté des guenaux (GFH, f. 74 vo).

114 M.-M. Fragonard, « Les Tricheurs de la métaphore », art. cité, p. 165.

115 Voir Natalie Zemon Davis, Les Cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au xvie siècle, trad. M.‑N. Bourguet, Aubier-Montaigne, 1979 ; Olivier Christin, Une Révolution symbolique. L’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, éd. de Minuit, 1991 ; D. Crouzet, Les Guerriers de Dieu, op. cit. Ces éléments ont été développés une première fois dans Une rhétorique iconoclaste. Ordre et désordre dans le Tableau des differens de la religion de Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde (1540-1598), thèse dactyl., dir. F. Lecercle, univ. Paris 7 Denis-Diderot, 2004, p. 510 sq.

116 F. Lestringant, dans « Le Cannibale et ses paradoxes. Images du cannibalisme au temps des guerres de religion », identifie des cas d’actes monstrueux réalisant une expression injurieuse, comme si « une sorte d’abus de langage » poussait le « fait de parole » à se réaliser « dans sa plus stricte littéralité » (Mentalités / Mentalities no 2, Hamilton, New Zealand, Outrigger Publishers, 1983, p. 4-19).

117 Richard Verstegan, Theatre des cruautez des hereticques de nostre temps, Anvers, Adrien Hubert, 1588 ; voir F. Lestringant, Une sainte horreur, op. cit., p. 174 sq.

118 Au début de l’ouvrage il évoque les « vrais singes et guenons » des historiographes (GFH, f. 11 vo).

119 Évelyne Larguèche, L’Effet injure. De la pragmatique à la psychanalyse, Paris, PUF, 1983.

120 GFH, f. 6 vo-8 vo.

121 Voir F. Lestringant, Une sainte horreur, op. cit., p. 17.

122 « [L]eur sont […] tolerees et permises toutes inhumanitez » (GFH, f. 69 vo) ; « ils ont és environs de Tholose […] exercé toutes sortes de cruautez et inhumanitez » (f. 124 ro) ; « furent pas les sataniens privez d’humanité, lesquels […] executerent si grandes inhumanitez és environs de Tholose » (f. 125 vo) ; « qui plus pourroit raconter ni ouyr si grandes inhumanitez ? » (f. 127 ro) ; « avec tant de cruautez et inhumanitez que commettez journellement » (f. 154 vo).

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Citer cet article

Référence électronique

Mathieu de La Gorce, « Rire en 1572 ? Les hu-guenons de Saconay », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 19 | 2022, mis en ligne le 30 janvier 2023, consulté le 16 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=500

Auteur

Mathieu de La Gorce

Université Paris Nanterre – CSLF EA 1586

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