Relire L’Isle des Hermaphrodites (1605)

DOI : 10.35562/pfl.551

Résumés

L’Isle des Hermaphrodites est un ouvrage anonyme, imprimé sans indication de lieu ni de date au début du xviie siècle. La référence à un certain « Artus Thomas », dans l’une des sources historiques qui citent l’ouvrage, a donné lieu à plusieurs propositions d’identification qui se sont révélées inconsistantes, ce nom d’auteur étant un pseudonyme qui cache un personnage aux contours flous. Le référent de la satire constitue aussi une énigme : une partie de la tradition la considère comme une caricature de la cour d’Henri III, tandis que les sources de l’époque en font une satire de celle d’Henri IV. Ce travail analysera les indices liés à la circulation et à la réception de cet ouvrage dans l’Europe des xviie et xviiie siècles, aussi bien que les données de la bibliographie matérielle, afin de réfléchir aux pistes inédites que cette nouvelle orientation de la recherche pourrait ouvrir, en permettant d’élucider l’origine auctoriale du texte, son propos, son contexte de référence et le genre auquel il appartient.

The Isle des Hermaphrodites is an anonymous work, printed at the beginning of the 17th century without indication of either place or date. The reference to a certain “Artus Thomas”, in one of the historical sources citing this work, produced multiple authorship identifications that have proved inconsistent, the author’s name being a pseudonym hiding an elusive character. The satire’s target is also problematic: part of the tradition sees it as a caricature of Henry III’s court, while the sources of the period treat it as a satire of that of Henry IV. This study will take into account the data related to the circulation and reception of this work in 17th- and 18th-century Europe, as well as the bibliographical content, in order to reflect on the new perspectives that a different research approach on this text might open up, allowing clarification of its authorial origin, aim, context and the genre to which it belongs.

Plan

Texte

L’Isle des Hermaphrodites est un texte aussi célèbre que peu fréquenté, malgré les travaux pionniers de Claude-Gilbert Dubois, qui lui a consacré plusieurs articles et une édition critique1. L’ouvrage se présente comme un livret in-12o, d’environ deux cents pages, dont le frontispice, dans la plupart des exemplaires conservés, arbore une gravure caractéristique intitulée « Les Hermaphrodites ». Une devise (« à tous accords ») surmonte l'image d’un personnage habillé comme un homme mais coiffé comme une femme, dont l’ambiguïté sexuelle est soulignée par des vers (fig. 1).

Fig. 1 : Gravure « Les Hermaphrodites. », dans Tomas Arthus, L’Isle des Hermaphrodites nouvellement descouverte […], s. l., s. n., 1605 (exemplaire REM. IV 698, Bayerische Staatsbibliothek).

Fig. 1 : Gravure « Les Hermaphrodites. », dans Tomas Arthus, L’Isle des Hermaphrodites nouvellement descouverte […], s. l., s. n., 1605 (exemplaire REM. IV 698, Bayerische Staatsbibliothek).

Source/crédit : MDZ (Centre de numérisation de Munich). Bayerische Staatsbibliothek (bibliothèque d’État de Bavière), München, Allemagne.

La structure de l’ouvrage est composite. Le texte relate en effet une réunion entre amis à la campagne, organisée par l’un des personnages qui, à peine rentré en France après une période d’exil, raconte ses aventures, en particulier la découverte d’une île connue sous le nom d’« Île des Hermaphrodites », dont il décrit le palais et les habitants. À ce récit viatique succède une longue section contenant la liste des « ordonnances » de l’île, législation paradoxale qui autorise ce qui est normalement interdit ailleurs. Trois autres éléments complètent l’ouvrage : un texte poétique intitulé Contre les Hermaphrodites et deux traités que l’on pourrait qualifier de « moraux », tous attribués à un habitant de l’île qui refuse de se conformer à ses lois.

Texte anonyme, imprimé sans indication de lieu ni de date au début du xviisiècle, L’Isle des Hermaphrodites semble circuler dans les milieux lettrés dès sa publication. L’identité de son auteur présumé suscite la curiosité, comme en témoigne une annotation du Journal de Pierre de L’Estoile, relative au mois d’avril 1605 :

Le livre des Hermaphrodites fust imprimé et publié en mesme temps, et se voiioit à Paris en ce mesme mois […]. Ce petit libelle (qui estoit assés bien fait) sous le nom de ceste isle imaginaire, descouvroit les mœurs et façons de faire impies et vicieuses de la cour, faisant voir clairement que la France est maintenant le repaire et l’azille de tout vice, volupté, et impudence, au lieu que jadis elle estoit une academie honorable et seminaire de vertu. Le Roy le voulut voir et se le fist lire, et encores qu’il le trouvast un peu libre et trop hardi, il se contenta neantmoins d’en apprendre le nom de l’aucteur qui estoit Arthus Thomas, lequel il ne voulust qu’on recherchast, faisant conscience [disoit-il] de fascher un homme pour avoir dit la verité2.

La référence à un nom d’auteur supposé (« Arthus Thomas ») a donné lieu à plusieurs propositions d’identification, toutes analysées dans une étude récente de Grégory Rabaud3 qui a non seulement corrigé la version fautive du nom donnée par l’abbé Nicolas Lenglet Du Fresnoy4, mais a également montré de façon convaincante qu’il s’agissait d’un pseudonyme, sous lequel se cache un personnage aux contours flous5. L’attribution du texte constitue une énigme d’autant plus intéressante que la critique hésite sur le référent de la satire : l’île des Hermaphrodites représente-t-elle, sous des traits caricaturaux, la cour d’Henri III, comme le suggèrent les rééditions du xviiisiècle6, ou celle de son successeur Henri IV7 ? En ce qui concerne l'interprétation de l’ouvrage et de ses visées, c’est l’hypothèse prudemment avancée par Claude-Gilbert Dubois, reprise plus récemment par Frank Lestringant8, qui prévaut : L’Isle serait un ouvrage à caractère moral, fustigeant certains comportements libertins de la jeunesse sous Henri IV9, et dont l’auteur serait catholique.

Élucider l’origine auctoriale de ce texte implique donc de statuer sur son genre (un libelle plutôt qu’une utopie ou une dystopie insulaire), son propos (politique plutôt que moral) et son contexte de référence. En l’absence de documents d’archives ou de témoignages permettant d’attribuer la rédaction de L’Isle des Hermaphrodites à un auteur précis, on peut recourir à de nouvelles méthodes d’investigation, comme les indices procurés par la circulation et la réception du texte dans l’Europe des xviie et xviiie siècles, par la bibliographie matérielle et par l’analyse rhétorique, afin d’ouvrir des pistes de réflexions inédites.

Un auteur catholique ?

La circulation du texte dans les milieux et les pays protestants

Différents témoignages attestent de la réception et de la circulation de L’Isle des Hermaphrodites dans les milieux protestants dès sa publication et tout au long des xviie et xviiie siècles. Des allusions à L’Isle apparaissent ainsi dans deux textes contemporains, sans doute rédigés par Jonathas Petit de Brétigny ou Bertigny, militaire protestant dont on ne sait presque rien en dehors des informations qu’il donne lui-même dans ses ouvrages, L’Anti-hermaphrodite10 (1606) et sa version abrégée publiée en 1607 sous le titre Extraict ou Sommaire, du secret de l’advis serieux, presenté au Roy. Dans ce dernier ouvrage, des éléments permettent de mieux comprendre le contexte politique dans lequel ces différentes publications ont vu le jour ; tout en suggérant, apparemment, l’actualité de la dénonciation satirique de L’Isle :

La raison qui a meu l’autheur d’intituler son livre et aduis l’A[n]tihermaphrodite, ç’a esté en partie, sur ce que le livre intitulé l’Hermaphrodite represente (sous le nom d’une isle imaginaire) la maladie de France, par la description et l’enumeration des vices, desordres, abbus, brutalitez, injustices, impietez, ignorances, malices, tirannies, et atheismes, qui à la longue et peu à peu y sont tellement pullulez, y ont pris un tel pied et accroissement qu’ils ont suffocqué toute vertu, justice, sagesse et bonté11.

L’Isle des Hermaphrodites apparaît ensuite sous la plume de Pierre Bayle (16471706), autre auteur protestant qui, dans le passage consacré à l’entrée Salmacis de son Dictionnaire12, en fait une représentation de la dépravation sexuelle et l’associe au règne d’Henri III13. Quelques années plus tard, l’ouvrage réapparaît dans les pages du Dictionnaire14 de Prosper Marchand (16781759), libraire et auteur protestant émigré à l’étranger, qui reprend les thèmes déjà présents chez Bayle : la dépravation sexuelle et l’identification de L’Isle à la cour d’Henri III, dont la figure est associée à deux autres souverains de la même époque, Elizabeth Ire et Jacques Ier. Les trois monarques sont satirisés à travers l’image de l’inversion sexuelle15.

Au xviiie siècle, L’Isle est rééditée à deux reprises : une première fois en 172416, dans un volume qui l’associe au Journal d’Henri III de Pierre de L’Estoile et dont les éditeurs sont deux frères protestants, Jean et Denys de Godefroy d’Aumont ; puis en 174417, grâce aux soins de Nicolas Lenglet Du Fresnoy, personnage controversé, également éditeur de la Henriade de Voltaire. Comme Bayle et Marchand, ce dernier affirme sans appel que le texte est une représentation de la cour d’Henri III et de ses abominations, bien que les sources contemporaines pointent plutôt du doigt l’entourage d’Henri IV.

Dans ce contexte incertain, un examen plus approfondi de la bibliographie matérielle nous a permis d’affiner la perspective et de disposer ainsi de données précises pour avancer des hypothèses sur l’origine et les intentions de l’ouvrage. L’édition critique de L’Isle des Hermaphrodites, publiée par Dubois en 1996, est en effet fondée sur la transcription de l’un des exemplaires conservés à la BnF18. À l’époque, seule une dizaine d’exemplaires avaient été localisés et décrits de façon sommaire. Bien que l’éditeur se réfère à une editio princeps (probablement le texte publié en 1605, pour le différencier des rééditions de la première moitié du xviiisiècle), aucune recherche systématique sur les différents exemplaires et sur les éventuelles éditions n’avait encore été menée.

L’enquête conduite sur les exemplaires localisables, à l’aide des outils numériques actuellement disponibles, a produit des découvertes intéressantes. Une cinquantaine d’exemplaires sont présents dans les bibliothèques dont les fonds sont accessibles grâce aux outils de recherche académiques. Des questionnaires ciblés ont permis d’identifier six éditions différentes et quatre versions de la gravure. Un examen encore superficiel des exemplaires semble montrer que le texte est inchangé d’une édition à l’autre, abstraction faite de la dégradation de certains termes savants, comme le néologisme Planiandrion sur lequel nous reviendrons. Ces données permettent d’avoir une idée de la diffusion de l’ouvrage et offrent aussi des informations concernant l’étendue et la durée de son succès. Un tiers des exemplaires est conservé en France, tandis que le reste se trouve essentiellement en Grande Bretagne, en Allemagne et dans d’autres pays de religion protestante, où le texte semble avoir circulé davantage.

Fondée sur quelques indices de nature exclusivement doctrinaire19, provenant d’un texte secondaire et de surcroît ambigu, l’hypothèse selon laquelle l’auteur de L’Isle serait catholique apparaît donc fragile.

Le thème iconographique de la gravure

L’analyse de l’image20 de la gravure (fig. 1) montre d’ailleurs qu’il s’agit d’un thème iconographique qui a circulé dans des contextes géographiques différents probablement même avant d’apparaître sur le frontispice de L’Isle. La dimension satirique de cette image, par rapport aux figurations courantes associant le masculin et le féminin, est représentée par l’agencement sur un axe horizontal (dessus/dessous) qui matérialise le renversement. Elle apparaît d’abord dans un texte satirique anglais (en latin) publié lui aussi en 1605, le Mundus alter et idem de Joseph Hall (1574-1656), auteur puritain, devenu ensuite évêque anglican21. Il s’agit dans ce cas-là d’un texte authentiquement dystopique, qui dessine une représentation satirique des différents pays européens en les associant à des vices stéréotypés, qui les caractérisent. Ainsi, dans le pays de Viragynia (gouverné par les femmes) il existe une île qui rappelle celle qui nous occupe, l’Insula Hermaphroditica :

Non loin de Guinée […] j’ai vu l’île des Hermaphrodites […] où je compris que la nature avait fait presque une seule chose de la forme des habitants, c’est à dire rien qui ne fut double […] Par contre la forme des vêtements est aussi faite des choses caractéristiques des deux sexes : effectivement ceux qui sont plus virils apparaissent comme des hommes, des talons jusqu'aux cuisses, et femmes dans le reste du corps, tandis que c’est le contraire pour ceux qui se caractérisent plutôt par une nature féminine22.

Le cadre narratif dans lequel le passage est inséré (une satire de l’Angleterre élisabéthaine, gouvernée par une femme) aussi bien que la situation historique dans lequel l’ouvrage a été rédigé23 (après la condamnation de Hall en 1599 et avant la mort de la reine en 1603) en font une satire de la cour. Celle-ci est considérée comme un lieu de décadence tant éthique que politique24. Duplicité morale et prostitution de soi sont les éléments saillants de cette réprobation d’un espace de pouvoir qui transforme, par son commerce, tout le monde en Hermaphrodite, comme une source Salmacis25.

Plusieurs éléments narratifs, déjà présents dans ce texte, se retrouvent dans L’Isle des Hermaphrodites, ce qui confirmerait que ce dernier texte est une condamnation du type du courtisan et des mœurs de la cour. Il est donc peu probable que la gravure brocarde un individu spécifique, ou vise, sous des traits caricaturaux, la figure d’Henri III. Il en existe d’ailleurs au moins deux autres exemples, où le même personnage apparaît inséré dans un contexte plus complexe. Il s’agit d’abord d’un dessin colorié appartenant au Liber amicorum de Franz Hartmann, conservé à la National Library de Londres26 et étudié par June Schlueter, qui le reproduit dans son ouvrage27. Le personnage, identique à celui de L’Isle, est ici entouré par deux autres figures composées à partir de deux moitiés différentes, combinées cette fois-ci sur un axe vertical et non pas horizontal. Les mêmes personnages apparaissent dans un second exemple (fig. 2), inséré dans un recueil de gravures connu sous le titre de Pugillus facetiarum, dont il reste plusieurs éditions.

Fig. 2 : Jacob van der Heyden, Pugillus facetiarum iconographicarum, 1618, gravure 33, (exemplaire 2929-791, Getty Library, Los Angeles).

Fig. 2 : Jacob van der Heyden, Pugillus facetiarum iconographicarum, 1618, gravure 33, (exemplaire 2929-791, Getty Library, Los Angeles).

Source/crédit : Internet archive. Getty/americana.

Dans l’édition de 161828 de cet ouvrage, la gravure, identique au dessin du Stammbuch de Hartmann, est accompagnée par des textes explicatifs (en latin et allemand) suggérant encore une fois la caricature de certains types sociaux29. L’analyse du thème iconographique permet de l’associer à d’autres images qui circulaient à l’époque, représentant « les trois états ou ordres de la société 30 » (fig. 3) dont nous avons beaucoup d’exemples, tant apologétiques que satiriques, dans d’autres alba amicorum de l’époque (fig. 4 et 5).

Fig. 3 : « Les Trois États du royaume. Représentation de l'ordre médiéval tardif des États », gravure sur bois par Jacob Meydenbach, dans Johannes Lichtenberger, Prognosticatio, 1488.

Fig. 3 : « Les Trois États du royaume. Représentation de l'ordre médiéval tardif des États », gravure sur bois par Jacob Meydenbach, dans Johannes Lichtenberger, Prognosticatio, 1488.

Christ sur l'arc-en-ciel bénissant les trois États du clergé (à gauche), de la noblesse (à droite) et des paysans (en bas). Inscription : « Tu supplex ora, tu protege, tuque labora » (Tu pries humblement, tu protèges et tu travailles).

Source/crédit : MDZ (Centre de numérisation de Munich). Bayerische Staatsbibliothek (bibliothèque d’État de Bavière), München, Allemagne.

Fig. 4 : Georg Bernhard, Stambog. Philoteca Geo. Bernhardi. 1565, f. 39 ro (inscrit dans une copie de l'édition externe d'Andr. Alciati, Emblemata) ; (exemplaire ms. Thott 391 oktav, Det Konelige Bibliothek, Copenhagen).

Fig. 4 : Georg Bernhard, Stambog. Philoteca Geo. Bernhardi. 1565, f. 39 ro (inscrit dans une copie de l'édition externe d'Andr. Alciati, Emblemata) ; (exemplaire ms. Thott 391 oktav, Det Konelige Bibliothek, Copenhagen).

La Justice ici préside la scène avec les représentants du clergé (tu supplex ora), de la royauté (tu protege) et du peuple (tuque labora).

Source/crédit : Det KGL. Bibliothek (Bibliothèque royale danoise), Copenhague, Pays-Bas.

Fig. 5 : Hans Ludwig Pfinzing von Henfenfeld, Stammbuch, 1580-1625, fo 144 ro (exemplaire Msc. Hist. 176, Staatsbibliothek Bamberg).

Fig. 5 : Hans Ludwig Pfinzing von Henfenfeld, Stammbuch, 1580-1625, fo 144 ro (exemplaire Msc. Hist. 176, Staatsbibliothek Bamberg).

Version satirique du thème des trois États : « je prie pour vous » dit le pape/évêque, « je vous protège tous » dit le roi, « je vous nourrit tous » dit le paysan, « je vous trompe tous » dit la femme.

Source/crédit : SBB. Collections numériques de la Staatsbibliothek Bamberg (Bibliothèque d’État de Bamberg), Bavière, Allemagne.

La gravure de L’Isle matérialiserait ainsi sans doute une représentation satirique, peutêtre déjà stéréotypée, du courtisan, et ne viserait donc pas exclusivement les « mignons » d’Henri III31. Tant du point de vue thématique qu’iconographique, elle ne serait pas non plus propre à L’Isle des Hermaphrodites32.

Dénonciation morale ou libelle anti-absolutiste ?

Une composition bigarrée et une écriture stéganographique

La réflexion sur les données de la bibliographie matérielle et sur le thème iconographique de la gravure nous a amenée à reconsidérer aussi les caractéristiques formelles de l’ouvrage, qui n’ont pas toujours été suffisamment explorées et interrogées. Il s’agit en effet d’une structure particulièrement dense et complexe. Un premier élément qui attire l’attention est la présence de plusieurs narrateurs, ce qui produit une narration emboîtée dont les différents niveaux sont parfois difficiles à distinguer. Au niveau liminaire se trouve la lettre adressée par un premier narrateur à un de ses amis. Une variation sur le thème de la folie du monde ouvre ce discours. Ce premier narrateur raconte à son destinataire les détails d’un séjour à la campagne chez un hôte récemment rentré en France après un voyage à l’étranger. Le niveau secondaire est occupé par la parole de ce second narrateur, le voyageur-narrateur. Ce dernier relate à son auditoire, constitué d’un petit groupe d’amis, ses aventures, notamment son naufrage sur l’île des Hermaphrodites et sa visite à leur palais. Dès lors, de nouveaux personnages apparaissent, dont un serviteur qui se charge d’expliquer le fonctionnement de l’île et présente au voyageur-narrateur des documents où se fait entendre la voix d’un autre personnage, qui, dans ce monde à l’envers, essaye de « dire la vérité ». À plusieurs reprises, le récit insulaire est interrompu par les conversations des amis qui écoutent le voyageur et le pressent de faire des commentaires sur ce qu’il vient de leur communiquer. Le point de vue est donc systématiquement déplacé, si bien qu’il est difficile d’attribuer certaines affirmations ou positions idéologiques à des personnages ou à des narrateurs précis.

Le récit de voyage et la description des coutumes étrangères n’occupent qu’une partie très limitée de l’ouvrage. La section la plus étendue est consacrée aux Ordonnances, qui en constituent visiblement le centre idéologique. Le style, très différent de celui de la narration insulaire qui précède, donne l’impression d’une cacophonie de voix qui apparente ces ordonnances à un cahier de doléances d’une société en souffrance. Étonnent à la fois la longueur de cette section et la minutie avec laquelle le dysfonctionnement de la société est décrit, non sans allusions concrètes à des initiatives législatives controversées et à certaines dérives du pouvoir monarchique. Il s’agit d’éléments qui plaident en faveur d’une interprétation du texte en tant que libelle visant la société contemporaine, plutôt que fiction utopique ou dystopique.

Trois autres pièces composent le volume, le poème intitulé Contre les hermaphrodites et deux textes à caractère moral33, qui en appellent à des réformes rapides et laissent pressentir une crise politique majeure34. Leur énonciation est déléguée à un dernier personnage, annoncé par le serviteur qui accompagne le voyageu-narrateur, et que l’on pourrait qualifier de « moraliste ». Ces choix rhétoriques renforcent l’efficacité satirique du texte et rappellent le style ou le fonctionnement énonciatif d’ouvrages comme le Moyen de parvenir de François Béroalde de Verville35. De surcroît, il est évident que le rapprochement intertextuel avec le Mundus de Joseph Hall révèle ce qui distingue L’Isle de la tradition dystopique. Alors que le renversement et la caricature informent entièrement le Mundus, L’Isle ne s’y réduit pas. On pressent aussi l’influence de Rabelais et, au niveau figuratif, celle de la Satire Ménippée, visible dans les descriptions de tableaux, de statues et d’autres objets, qui semblent cacher des allusions à des situations, des discours et des personnages pour la plupart encore dissimulés dans cette tapisserie flamboyante36.

Deux exemples suffiront pour montrer l’existence de ces allusions cachées et, peut-être, d’un niveau de signification accessible exclusivement par des changements du point de vue, dirigés par des dispositifs présents dans le texte et assimilables à des anamorphoses. Le premier exemple est à la fois figuratif et lexical. Quand le voyageur-narrateur décide de visiter le palais des Hermaphrodites, il est accueilli par une statue, à moitié immergée dans l’eau et surmontée de l’inscription Planiandrion37. L’édition de Dubois relaie l’explication de Lenglet Du Fresnoy dans l’édition de 1744. Celui-ci interprète cette statue comme une représentation d’Henri III mais, l’hypothèse étant peu crédible, Dubois en avance une autre, en faisant de cette statue un personnage féminin, une représentation de Vénus, figure tutélaire de l’île. Le mot de l’inscription est expliqué de manière encore plus farfelue par Lenglet qui, tout en reconnaissant l’origine grecque du terme, le traduit par « diadème de femme ». La proposition de Dubois n’est pas moins obscure : la traduction du mot serait « humanoïde errant 38 ». Aucun des deux auteurs ne dit par quels moyens il est arrivé à cette traduction, ni quelle serait sa pertinence par rapport à la scène.

Une démarche philologique permet d’aboutir à une conclusion plus satisfaisante. Ces allusions figuratives, obscures pour nous mais sans doute beaucoup moins pour les lecteurs contemporains, montrent leur signification une fois contextualisées. La consultation des recueils d’emblèmes nous aide en effet à imaginer la manière dont ces représentations étaient comprises. La figure du Planiandrion, par exemple, correspond à l’image de Protée, utilisée habituellement comme métaphore de la cour et de sa nature inconstante. Le terme grec, absent des deux dictionnaires consultables à l’époque39, s’avère un néologisme, probablement créé sur la base d’un mot présent dans le contexte littéraire de l’époque, polyandrion. Ce dernier est un lieu décrit dans Le Songe de Polyphile, dont une traduction en français avait été publiée quelques années plus tôt40. Un lecteur savant pouvait faire le lien entre les deux mots, et le terme polyandrion appartient de toute façon au patrimoine lexical classique, car il indique un monument collectif consacré à perpétuer la mémoire des héros morts sur le champ de bataille. Le suffixe -ion étant caractéristique des toponymes, la traduction de polyandrion serait alors « lieu de plusieurs hommes » ou « monument collectif ». Le terme Planiandrion suit le même modèle, tout en substituant à polys (nombreux) planí/plánios (fausseté, tromperie/faux, trompeur), des mots d’ailleurs très significatifs vu qu’ils apparaissent plusieurs fois dans l’Évangile. La traduction de Planiandrion serait alors « lieu de la tromperie/fausseté », ce qui est cohérent avec l’interprétation que nous avons suggérée pour la statue. L’auteur joue ici avec le point de vue du lecteur, qu’il semble vouloir éduquer. D’un côté, il construit un regard naïf qui observe un objet merveilleux tandis que, par le biais d’allusions dérobées, il révèle la vraie nature de ce même objet.

Un second exemple de ce type de procédé apparaît dans la description d’une toile qui représente Bacchus. La figure appartient à l’un des tableaux présentés lors de la visite d’une grande galerie :

Au bout de ceste gallerie, […] estoit le bon pere Liber, sa teste entouree de pampres de vigne, et force de raisins qui pendoient de tous costez. De ces deux mains sortoient deux rouleaux qui s´estendoient de part et d´autre et, de la bouche des Satyres, sortoient aussi deux escriteaux qui regardoient ce gros degouste ; l’un luy demandoit en ces mots : Quis liber ? Et il respondoit en son rouleau : Cui licet ut voluit ducere vitam. L’autre Satyre lui faisoit aussi une autre question en ces termes : Quæ tibi summa boni est ? Et il luy respondit comme a l’autre : Uncta vixisse patellæ nunc semper et assiduo curata cuticula Sole. Dans la frise estoient escrits ces mots : Contemptus perages si vivere cum Jove tendis41.

L’édition de Dubois présente la traduction de ces expressions latines sans se poser la question de leur présence énigmatique, de leur provenance et de leur signification éventuelle, les considérant probablement comme un élément purement décoratif. Pourtant, la digitalisation des ouvrages latins permet actuellement de mieux comprendre l’origine de ces vers et, peut-être, leur signification dans ce contexte : il s’agit en effet de citations des Satires IV et V de Perse dont la cible était Néron42. La figure du « père Liber », peutêtre déjà chargée d’une dimension allusive qui nous échappe, se transforme ultérieurement par l’association à une satire célèbre. La relation intertextuelle semble vouloir créer, encore une fois, un effet d’anamorphose tout à fait suggestif43.

De la satire des courtisans à l’anamorphose de la tyrannie

Les allusions à Néron apparaissent d’ailleurs assez tôt dans le texte et pourraient renseigner également sur la portée idéologique de l’ouvrage. Il est vrai que les parties les plus étendues de la description de l’Isle dessinent le portrait des habitants du palais en tant qu’êtres ridicules, qui s’adonnent, tout au long de la journée, à des activités futiles transformées pourtant en rituels identitaires : s’habiller, se coiffer, s'épiler, manger et même le fait de se réveiller, constituent des moments décisifs de la vie du palais. Toutefois, la représentation comique de ces occupations dérisoires glisse lentement vers la description des lieux et culmine en une visite aux appartements abritant des œuvres d’art. Le tableau de Bacchus, de même que d’autres objets dont les statues des empereurs romains sur lesquels nous reviendrons, appartient à une dimension différente, qui est introduite de façon dissimulée par des références aux « empereurs maudits » de la tradition romaine.

Après une visite à la chambre appelée « autel d’Antinous », le voyageur-narrateur s’aventure dans une autre chambre dont les tapisseries racontent l’histoire d’un autre empereur, que le serviteur-chaperon identifie avec Héliogabale :

[…] me disant en un mot que ceste chambre s’appelloit l'autel d’Heliogabale, et que c’estoit sa vie, ce qui je voyois la depeint. Je le creu aussi tost, me resouvenant de ce que j’en avois autrefois leu, joint qu’en jettant ma veue un peu plus loing, je vy quelques unes des actions les plus dissolues que ce Monstre commettoit44.

Le voyageur-narrateur se lasse pourtant d’observer les gestes de ce dernier personnage et demande à voir le reste du palais, non sans avoir commenté quelques autres images avant de partir :

[…] je luy dy que j'en avois autrefois ouy parler, et que j’aymois mieux apprendre quelque chose que je n’eusse point encore ouye, que ce que je scavois desja […] en passant je luy demanday quelle histoire estoit representee au ciel du lict… il me dit que c’estoit les espousailles de l’Empereur Neron avec son mignon Pythagoras 45.

Si l’allusion à Pythagoras46 pourrait être une référence précise à l’entourage d’Henri III (et par conséquent à la figure de ce dernier), le reste des descriptions apparaissent d’autant plus problématiques que plusieurs personnages sont associés à une même lignée de « souverains hermaphrodites ». La suite de la visite amène en effet le voyageur-narrateur devant une sorte de Sancta Sanctorum qui conserve l’identité institutionnelle du palais et de l’île :

je vy a un des costez de la chambre douze Statues d’albastre representees au naturel et quasi comme revivifiees par une trasmigration, toutes assises en des sieges faits en forme de chaise currule […] Toutes ces Statues estoient fort richement decorees, et paroissoit bien a la grande curiosite qu’on y avoit apportee qu’elles estoient fort cheries et en grand respect. Leurs accoustremens estoient entremeslez, un de l’un et de l’autre sexe, sans qu’on peust bien distinguer lequel leur estoit le mieux seant 47.

Le texte ressemble ici à une « méditation 48 » sur une forme de gouvernement. C’est en effet l’institution impériale qui semble être visée par cette parodie de galerie des Césars49. Une partie de ces personnages (huit au total) est clairement identifiée par leurs noms :

Leurs noms estoient escrits sur leurs diadesmes ; les quatre du coste droit s'appelloient Anthonius, Neron, Othon et Vitelius. A main gauche estoient ces quatre autres, Galenus, Spotus (sic), Demetrius, Apicius 50.

Des quatre personnages qui ne sont pas nommés explicitement, deux sont placés plus haut par rapport aux autres et ils portent des couronnes à la romaine :

[…] les deux qui estoient moins eslevez n'avoient point de diadesme, mais l’un avoit un Aigle aupres de luy, et estoit encore sans barbe, qui me fit juger que c’estoit Ganimede ; aussi vy-je apres son nom escrit au pied de son siege ; l’autre avoit comme deux visages en un, dont l’un des costez estoit d’homme et l’autre de femme. A ses pieds estoit Hermaphroditus genius huius insulæ ; les deux autres au dessus s’appelloient, l’un qui estoit a main gauche, Sardanapalus author Hermaphrodi, et sur l’autre estoit escrit Heliogabalus PP. restau. Ac inst. Volup51.

Ces empereurs « hermaphrodites » sont-ils autant de représentations de personnages contemporains ? On serait en effet tenté de voir Henri III se dessiner derrière la figure d’Héliogabale, d’autant plus que le volume contenant les « ordonnances » est placé près de lui52, ce qui pourrait représenter une allusion satirique au recueil d’ordonnances connu sous le nom de Code d’Henri III53. Pour les autres, en revanche, l’identification reste plus compliquée. Dans le cas de Sardanapale, plusieurs souverains sont associés à cette figure, par exemple dans les Tragiques de d’Aubigné54. Une allusion dans une lettre de Calvin55 laisserait entendre que cet appellatif était attribué aussi à François Ier 56. En ce qui concerne les deux derniers, l’allusion à Ganymède pour l’un, « encore sans barbe », et la figuration de l’autre ayant « comme deux visages en un, dont l’un des costez estoit d’homme et l’autre de femme » pourraient suggérer qu'il s’agit respectivement de Louis XIII, encore enfant en 160557, et d’Henri IV souvent représenté en « Janus François 58 » (fig. 6). Ce dernier personnage (Hermaphroditus genius huius insulæ) est autant la divinité tutélaire de l'île que, on peut le supposer, la cible du discours idéologique de L’Isle des Hermaphrodites.

Fig. 6 : Tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix, dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes (transept sud). Détail de la statue nord-ouest, « La Prudence ».

Fig. 6 : Tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix, dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes (transept sud). Détail de la statue nord-ouest, « La Prudence ».

Source/crédit : Wikimedia, domaine public. Photo Florestan.

En l’état actuel de l’investigation, l’interprétation de ces images n’est évidemment qu’une hypothèse de travail. Il faut relever pourtant que, à l’exception d’Héliogabale, pour les autres souverains, il n’y a pas d’association systématique entre « hermaphrodisme » et « homosexualité ». Cela pourrait être, à notre avis, un indice du fait que ces personnages puisent leur « hermaphrodisme » ailleurs que dans la sphère des relations privées.

Ces procédés suscitent plusieurs remarques. D'un côté, étant donné la quantité de descriptions d’objets et de situations qui sont présentées de manière énigmatique, on peut supposer l’existence d’un niveau du texte construit par anamorphose et caché aux yeux des « non-initiés ». Seule une analyse exhaustive de toutes les occurrences de ce type pourra trancher sur le sujet, mais si cela est avéré, nous serions devant un type d’écriture stéganographique, dont le but est de dérober, sans cacher, la dimension polémique du discours, tout en attribuant de nouvelles significations à des éléments du texte déjà connus, en laissant planer le doute sur leur vraie signification. Il s’agirait d’un niveau de discours parallèle à celui, plus apparent, de la satire des frivolités des courtisans. D’autre part, ces aspects de la construction narrative permettent de mieux saisir les contours de son origine auctoriale ; les références littéraires, le raffinement de la construction rhétorique, le style singulier qui rappelle les procédés utilisés par les satiristes anglais, dessinent la physionomie d’un auteur expérimenté dont les positions idéologiques montreraient une attitude critique par rapport aux dérives « impériales », considérées comme « tyranniques » de l’institution monarchique. Tous ces éléments pourraient aider ainsi à formuler, à l'avenir, des hypothèses d’attribution sinon pleinement convaincantes, du moins plausibles.

L'intérêt des érudits du xviiie siècle

La possibilité que, dans L’Isle des Hermaphrodites, cette seconde signification de l’allégorie de l’Hermaphrodite (le tyran) se superpose à la première (le courtisan opportuniste) mérite d’être prise en considération pour d’autres raisons aussi. La présence d’éléments caractéristiques d’un imaginaire potentiellement anti-absolutiste, pourrait expliquer en effet l’intérêt suscité par ce texte chez les érudits du xviiie siècle, comme les frères Godefroy ou encore l’abbé Lenglet Du Fresnoy, dont l’interprétation de L’Isle comme satire de la cour d’Henri III s'avère à tel point agressive qu’elle en devient, parfois, involontairement comique. Lenglet, qui fut aussi un militant politique, emprisonné plusieurs fois, était un personnage sulfureux, tout le contraire d’un curé érudit penché sur ses livres. Ses choix éditoriaux pourraient alors être motivés par une opération de propagande dont le but était de critiquer les abus commis en son temps par le pouvoir monarchique. L’Isle lui aurait offert un discours polémique et des allégories adaptés aux exigences de la situation contemporaine. Cette exigence d’appropriation justifierait, dans l’édition de Lenglet, la mise en valeur exclusive de la représentation du tyran efféminé associée à Henri III, au détriment de possibles allusions à la cour d’Henri IV (embarrassantes et importunes bien qu’explicitement attestées), qui seraient alors systématiquement effacées afin de laisser le champ libre à la construction implicite d’une dichotomie qui oppose Henri IV (le « bon roi ») à Henri III (le « mauvais roi »), opposition que nous retrouvons dans la Henriade59.

Ainsi, la simple évocation (ou fabrication propagandiste) de certains traits du comportement suffirait à rappeler le tyran. L’effémination dans la représentation de certains personnages historiques, évoquant Néron, le tyran par antonomase, ne serait alors qu’une métaphore politique. Cela expliquerait pourquoi elle a été utilisée aussi bien dans les contextes français qu’anglais, pour critiquer des souverains qui ont essayé de mettre en place l’absolutisme60, comme Charles Ier61, mais aussi Jacques Ier ou Elizabeth Ire, vers la fin de son règne.

***

L'étude de la circulation et de la réception de L’Isle des Hermaphrodites sur la longue durée permet d’avancer des hypothèses sur l’origine et les visées de l’ouvrage et, indirectement, sur la question auctoriale. C'est pourtant l’étude stylistique et rhétorique qui offre la perspective la plus intéressante. En définitive, tant l’étude stylistique et rhétorique du texte que le contexte de ses rééditions au xviiie siècle semblent confirmer que L’Isle des Hermaphrodites est moins une dystopie, satirisant les mœurs dépravées des cours d’Henri III ou d’Henri IV, qu’un libelle politique déplorant les nouvelles pratiques de gouvernement qui se font jour à la charnière des xvie et xviie siècles. Sous le voile banal d’une satire misaulique, dont la tradition littéraire contemporaine offre de nombreux exemples, c’est une représentation du tyran qui paraît se dessiner sur le fond. Bien que l’enquête menée jusqu’ici ne permette pas (encore) de lever l’anonymat du texte, elle en ouvre pourtant la lecture et en autorise une nouvelle édition critique.

Notes

1 L’Isle des Hermaphrodites, éd. Claude-Gilbert Dubois, Genève, Droz, 1996. En revanche, l’étude intitulée L’Isle des Hermaphrodites de Thomas Artus. Les mignons à la cour d’Henri III de Valois, œuvre baroque (Essen, Verlag die Blaue Eule, 2015) de Dalia Harnik – issue d’une thèse de doctorat – est beaucoup moins satisfaisante, du fait de l’orientation de la recherche et de la confusion dans les approches et les outils utilisés, ce qui rend l’essai presque illisible. De plus, elle semble avoir une connaissance superficielle du contexte littéraire et historique dans lequel l’ouvrage apparaît et une notion imprécise de la tradition du texte. Ana Cláudia Romano Ribeiro (« O hermaphrodita como alegoria política no século XVII francês », Anais do Seta, t. 4, 2010, p. 115) s’est aussi occupée de façon extensive de certains aspects de l’ouvrage, notamment de la valeur politique de l’image de l’hermaphrodite et ses observations sont intéressantes et pertinentes. Pour une vision d’ensemble des problèmes que présente l’ouvrage, il nous a toutefois paru plus efficace de faire référence à l’édition de Claude-Gilbert Dubois.

2 Pierre de L’Estoile, Journal du règne de Henri IV, t. V : 1604-1606, éd. Martial Martin, Genève, Droz, 2022, p. 98.

3 Grégory Rabaud, « L’énigme “Artus Thomas, sieur d’Embry, Parisien” », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 124, 2017, p. 85-112, [en ligne sur OpenEdition, DOI : 10.4000/abpo.3490].

4 Ibid, p. 86.

5 Ibid., p. 111 : « L’hypothèse du pseudonyme est plausible dans la mesure où l’on comprend mal comment un homme peut effacer toute trace de son passé et éviter la notoriété à Paris, après 1605, alors que son nom est connu de la cour et du roi. Effectuer un zoom sur la période 1590-1610, en regardant du côté des œuvres éditées par les imprimeurs-libraires dont il est proche, constitue une solution pour le repérer. »

6 C’est aussi l’hypothèse de D. Harnik : « Au détour de remarques subtiles mais évidentes et de références bien ajustées, le lecteur devine qu’il s'agit du roi Henri III de Valois et de ses compagnons les “mignons” », D. Harnik, L’Isle des Hermaphrodites de Thomas Artus, op. cit., p. 23.

7 Selon Dubois, le noyau de la satire remonterait à l’époque d’Henri III mais ces matériaux auraient été repris et publiés par la suite. Il s’agirait donc d’un « appareil métaphorique à visées littéraires et à signification générale pour dénoncer un type humain, auquel des circonstances d'actualité donnent un regain de faveur », L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 8 ; selon Frank Lestringant : « On a supposé que cette allégorie satirique s’appliquait à la cour d’Henri III, en raison de la population d’hommes-femmes que la rumeur maligne y plaçait. Mais la chronologie et surtout le succès immédiat rencontré par ce libelle anonyme invitent plutôt à y voir une satire de celle de Henri IV », F. Lestringant, Le Livre des îles. Atlas et récits insulaires, de la Genèse à Jules Verne, Genève, Droz, 2002, p. 305.

8 « D’inspiration catholique et conservatrice, s’inscrivant dans le mouvement de la Contre-Réforme et appelant à la restauration de la morale, L’Isle des Hermaphrodites […] dénonce par-delà les mœurs efféminées du courtisan, le culte des manières et le mépris de la religion. », ibid.

9 « La mode des Hermaphrodites, après celle des Mignons, apparaît comme une de ces manifestations cycliques de ces mouvements de jeunesse qui prendront le nom d’Incroyables, de Dandies ou de Zazous », L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 22.

10 Il s’agit de [Jonathas Petit de Brétigny], L’Anti-hermaphrodite ou le secret, tant desiré de beaucoup, de l’advis proposé au Roy pour reparer par un bel ordre et legitime moyen aussi facilement, qu’insensiblement, tous les desordres, impietés, iniustices, abus, meschancetez, et corruptions qui sont en ce Royaume […], par I. P. d. B. c. d. P. g. P. d. M. L. M. d. E. e. X., Paris, Jean Berjon, 1606. C.-G. Dubois fait allusion à L’Anti-hermaphrodite et à de possibles relations entre les deux ouvrages sans approfondir l’analyse.

11 [J. P. de Brétigny], Extrait ou Sommaire du secret de l’advis serieux présenté au Roy dés le mois d’octobre 1603, plus au long representé au livre intitulé l’Anti-hermaphrodite concernant le facile establissement d’un bon ordre qui se peut proprement appeller l’ordre royal et raisonnable, remede insensible ou salutaire reglement politic et civil, Paris, s. n., 1607, p. 2.

12 Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Leers, 1697.

13 Ibid., p. 999-1000, note C : « […] Platon ne dit pas que tous les hommes étoient androgynes, mais il observe que ce nom-là étoit un oprobre. Il a raison, car outre que l’on dispute si les hermaphrodites sont des monstres, on donne ce nom aux plus infames debauchez. Il y a un livre intitulé, l’isle des Hermaphrodites nouvellement descouverte, avec les mœurs, loix, coustumes et ordonnances des habitans d’icelle. C’est une satire assez ingenieuse de la Cour de Henri III. »

14 Prosper Marchand, Dictionnaire historique, ou Memoires critiques et litteraires, concernant la vie et les ouvrages de divers personnages distingues, particulierement dans la Republique des lettres, vol. 1 (AI), vol. 2 (KW), La Haye, Pierre De Hondt, 1758-1759.

15 Ibid, vol. 1, p. 305, note 24, manchette, 2e colonne : « Voilà bien en deux mots sur le seul Henri III ce qu’on a dit depuis si véritablement d’Elizabeth, Roi d’Angleterre et de la Reine Jacquette, ou Jacques I, son successeur, dans ce joli distique : Rex erat Elisabet, sed nunc Regina Jacobus/Error naturæ sic in utroque ».

16 Description de l’Isle des Hermaphrodites, nouvellement decouverte, contenant les mœurs, les coutumes et les ordonnances des habitans de celle isle, comme aussi le Discours de Jacophiles à Limne, avec quelques autres pieces curieuses. Pour servir de supplement au Journal d’Henri III, Cologne, chez les héritiers d’Herman Demen, 1724, 1726 et 1727. Édition attribuée à Jean de Godefroy d’Aumont ou son frère Denys en collaboration avec Jacob le Duchat.

17 Description de l’Isle des Hermaphrodites, nouvellement decouverte, contenant les mœurs, les coutumes et les ordonnances des habitans d´icelle, dans Journal d´Henri III, Roy de France et de Pologne ; ou Memoires pour servir à l´Histoire de France, par M. Pierre de l’Estoile. Nouvelle edition : accompagnée de Remarques historiques et des Pieces manuscrites les plus curieuses de ce Regne, t. IV, La Haye, Pierre Gosse, 1744. Édition attribuée à Nicolas Lenglet Du Fresnoy.

18 Il s’agit de l’exemplaire Lb 34 806 conservé à la BnF.

19 Il s’agit du discours intitulé « Du souverain bien ». Dubois réfute ainsi la possibilité que l’auteur soit un protestant : « Par ailleurs, plusieurs indices vont à l’encontre de cette hypothèse, notamment le choix nettement catholique de l’auteur lorsqu’il présente sa conception du “souverain bien” et sa réaction en faveur des “œuvres” pour l’édification du salut personnel », L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 14.

20 Dans un article consacré au sujet, Dubois en fait une représentation caricaturale des excès de « jeunes libertins » : C.-G. Dubois, « “Ni masle ni femelle” : l’altérité au miroir, l’ambiguïté au pouvoir », dans Évelyne BerriotSavadore (dir.), Les Représentations de l’Autre. Du Moyen Âge au xiie siècle. Mélanges en l’honneur de Kazimierz Kupiesz, Publications de l’université de Saint-Étienne, 1995, p. 161-174.

21 Joseph Hall, Mundus alter et idem sive Terra australis antehac semper incognita longis itineribus peregrini academici nuperrime lustrata. Auth. Mercurio Britannico, Francfort, apud hæredes Ascanii de Renialme. s. d. [ca. 1605/1607].

22 « Cap. 6. Insula Hermaphroditica. Non procul a Guaone […] insulam vidi Hermaphroditicam […] ubi quasi solum ipsum formæ incolarum aptasset natura, nihil non geminum animadverti. […] Sed et forma vestium composita ex utrique sexui propriis, nam qui plus habent virilitatis, a talis ad coxas usque viros referunt, reliquo corpore fœminas, contra vero que natura muliebri insignores », J. Hall, Mundus, op. cit., p. 102-103, notre traduction.

23 John Millar Wands (dir.), Another world and yet the same: Mundus alter et idem. Bishop Joseph Hall’s Mundus alter et idem, translated and edited by John Millar Wands, New Haven, Yale University Press, 1981.

24 En 1597, Ben Jonson et Thomas Nash réalisent une comédie satirique intitulée The Isle of dogs qui met en scène une île comme métaphore de la cour. L’île des chiens était apparemment le surnom d’un palais dans les environs de Londres, connu sous le nom de Placentia, consacré au repos de la souveraine mais connu aussi pour être le lieu où se réunissait le Privy Council, le conseil privé de la reine, à l’abri des regards des autres acteurs politiques. La légende veut que c’était le lieu où la reine faisait de ses chiens des chevaliers, d’où le surnom satirique. Une reconstruction de ce contexte historique et littéraire a été faite par Misha Teramura, « Richard Topcliffe’s Informant : New Light on The Isle of Dogs. », The Review of English Studies, 68, 2017, p. 44-59.

25 Hester LeesJeffries analyse une pièce théâtrale de Ben Jonson, publiée en 1600 et intitulée Cynthia’s Revels (The Fountaine of self-love), où apparaît une représentation satirique de la cour en tant que « source Salmacis », capable de transformer les personnages en une version dégradée d’eux-mêmes : « […] the court has been compared to the infamous fountain of Salmacis, which is notorious for weakening virility. […] This obscure poetic fiction represents the likeness of the frivolities of the courtiers, which weaken men by the debasement of their virility or pervert a retained likeness of virility », H. LeesJeffries, Engand’s Elicon: Fountains in Early Modern Literature, Oxford University Press, 2007, p. 244.

26 Il s’agit du manuscrit Egerton ms. 1222.

27 June Schlueter, The Album Amicorum and The London of Shakespeare’s Times, London, University Chicago Press, 2011, p. 17. L’image a été peinte dans cet album entre 1597 et 1617.

28 Jacob Van der Heyden, Pugillus facetiarum iconographicarum, Strasbourg, s. n., 1618, gravure 33. Il existe une édition antérieure, de 1608, que nous n’avons toutefois pas réussi à localiser.

29 Il s’agit très probablement d’une variation satirique de ce thème iconographique. Les trois personnages représenteraient le clergé, la noblesse et le peuple. Bien que les visées satiriques soient difficiles à saisir, le message semble être celui de la duplicité et de la tromperie. À chaque personnage est associée une devise et des légendes qui renvoient en quelque sorte à la duplicité : « Dominus et servus » pour le clergé (Sæpe latet Mavors sub Sancto Syrmate Cleri) ; « In Litteris et Armis » pour la figure d'un religieux/soldat (le peuple ?) dont la légende (Insula Tonsorem cingit, sic luditur Orbis, « la tonsure entoure [les tempes de] celui qui vous tond ; ainsi le monde est trompé ») fait apparemment référence à la mauvaise foi des religieux ; « In utrumque paratus » (« prêt à tout »), pour le personnage central représentant la noblesse rappelle la devise « à tous accords » de la gravure de L’Isle. La légende renvoie à une comédie de Plaute, où un homme se déguise en femme (Et Casinam vultu mentitur et ore Chasil[us]). Les textes allemands précisent l’idée pour le clergé (Ich dien fur Meister und fur Knecht, « je sers de maître et de serviteur »), pour la noblesse (So bin ich Mann und Frauw gerecht, « moi, je conviens à l’homme et à la femme ») et pour le religieux/soldat (und ich ein Pfaff der gerne fecht, « et moi, je suis un religieux/clerc qui volontiers se bat »). En ce qui concerne ce dernier personnage, la dimension satirique est probablement liée à l’utilisation du terme « Pfaff » qui, après la Réforme luthérienne, désignait de façon méprisante un religieux devenu laïc, et devient synonyme de « moine défroqué », selon Friedrich Ludwig Karl Weigand, Deutsches Wörterbuch, vol. 2 : M-Z, Griessen, Ricker, 1876, p. 402. L’image pourrait faire référence aussi au proverbe latin « monachum aut militem facit desperatio ».

30 Tomislav Vignjević, Depictions of the Three Orders and Estates around the Year 1500. Triplex Status Mundi, Cambridge Scholars Publishing, 2019.

31 C’est l’idée implicitement suggérée par Bettina Uppenkampf, qui compare cette image à une représentation satirique du duc d’Épernon, présente dans le recueil des Drolleries de Pierre de L’Estoile. Cette image, où il apparaît comme un être masculin pourvu de seins, semble pourtant une figuration traditionnelle (depuis le Moyen Âge) du diable et non pas une représentation du « mignonhermaphrodite ». Voir B. Uppenkampf, « Insel des Hermaphrodites. Bildpolitik im Umkreis des Hofes von Heinrich III. Von Frankreich », Zeitsprünge. Forschungen zur Frühen Neuzeit, 21 (1-2), 2017, p. 98-136.

32 Les origines et l'évolution de cette représentation stéréotypée, du Moyen Âge à la Renaissance, ont été étudiées par Pauline Smith dans The Anti-courtier Trend in Sixteenth Century French Literature, Genève, Droz, 1966.

33 Il s’agit des discours intitulés respectivement « Du souverain bien de l’Homme » et « Que l’Ame de l’Homme doit avoir le soing des choses corporelles ».

34 « Pourquoy trouvez vous mauvais si, voyant ces hommes affligez, le pays ruiné, et les loix renversées, je discours, je me plains, et je medite sur le moyens du retablissement. […] Mes sens qui, par quelque espece de providence, jugent de ma misere future, en ont une apprehension d'autant plus grande qu'ils voyent de loin le malheur arriver à grands pas. », L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 180.

35 « Si une voix d’auteur semble émerger, elle disparaît aussitôt dans la rumeur ambiante, non sans nous avoir au préalable embrouillés un peu plus » (Jean-Raymond Fanlo, « L’anonymat dans Le Moyen de parvenir de Béroalde de Verville », Littératures classiques, 80, 2013/1, p. 297-307, citation p. 298, [en ligne sur Cairn, DOI : 10.3917/licla.080.0297]).

36 Les mêmes procédés (descriptions allusives ou cryptiques d’objets et d’œuvres d’art) sont utilisés dans le Fæneste d’Aubigné. Il s’agit de dispositifs satiriques déjà utilisés et perfectionnés par les satiristes élisabéthains, dont par exemple Edmund Spencer ou John Donne. Ce dernier, dont les ouvrages satiriques ont souvent circulé en forme manuscrite, illustre dans la Satyre IV sa vision sarcastique des vices curiaux à travers la description de tapisseries qui représentent les sept péchés capitaux et qui seraient une allusion à une scène du défilé du Faerie Queene de Spencer, où la reine Lucifera est représentée à la tête d’une procession. La description d’une telle tapisserie aurait été suggérée par la présence effective dans le palais de Hampton Court d’une tapisserie de ce type. Le jeu intertextuel s’élargit, donc, par l’inclusion d’indices parsemés à différents niveaux. Voir Theresa Maria DiPasquale, « Anti-court satire, religious polemic and the many faces of Antichrist: an intertextual reading of Donne’s “Satyre 4and Spenser’s Faerie Queene », Studies in Philology, 112/2, 2015, p. 264-302.

37 L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 58 : « […] au dessus de l’architrave duquel se voyoit une statue d’albastre, sortant le corps a demy hors d´une mer, […] ceste statue estoit autant bien proportionee qu’il se pouvoit, laquelle tenoit en l’une de ses mains un rouleau ou estoit escrit ce mot Planiandrion. »

38 Ibid., p. 58, note 10 : « Terme hermaphrodite : “diadème de femme porté par un homme”, selon Lenglet Dufresnoy ; nous préférons “humanoïde errant” (le genre neutre utilisé par la langue grecque rend compte du statut indéfinissable de l’hermaphrodite). ». L’idée est répétée dans l’article que l´auteur a consacré aux citations classiques dans L’Isle, « Références culturelles antiques dans l’Isle des Hermaphrodites (ca. 1605) », Euphrosyne. Revista de philologia clássica. Nova serie, t. XXVI, 1998, p. 137-147. Il remarque (p. 140) : « On relève l’usage d’un mot grec, néologisme fabriqué par agglutination (p. 9) : Planiandrion (approximativement “humanoïde errant”). »

39 Il s’agit du Thesaurus Graecæ Linguæ d’Henri Estienne (1572) et de sa version abrégée, le Lexicon græco-latinum de Johannes Scapula (1579).

40 Il s’agit de l’édition de François Béroalde de Verville publiée en 1600. Ce détail est à retenir, à notre avis, dans le cadre d’une hypothèse d’attribution, vu que cet auteur est connu pour laisser ce type de « pistes auctoriales ». Cette démarche est analysée par J.-R. Fanlo, « L’anonymat. », art. cité.

41 L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 76.

42 Les vers 17-18 de la Satire IV (« Quæ tibi summa boni est ? uncta uixisse patella/ Semper et adsiduo curata cuticula sole ? Ton souverain bien, quel est-il ? Vivre grassement, toujours, et prendre assidument tes bains de soleil ? », Perse, Satires, trad. Henri Thomas, Cognac, Le Temps qu'il fait, 1999, p. 45.) sont particulièrement frappants : le poète latin prend le rôle de Socrate qui critique Alcibiade, indigne, à cause de son libertinage, de s’occuper de la République.

43 En 1605, une édition des Satires de Perse venait de voir le jour à Paris, avec privilège, aux soins d’Isaac Casaubon (1559-1614), érudit genevois d’origine française. Le livre est imprimé par les frères Ambroise et Jérôme Drouart, et le dédicataire est Achille de Harlay (1536-1616), premier président du parlement de Paris.

44 L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 75.

45 Ibid.

46 Dans le Tragiques, Agrippa d’Aubigné cite ce personnage (v. 820-824) : « Un Neron marié avec son Pythagore,/ Lequel aiant fini ses faveurs et ses jours,/ Traine encor au tombeau le cœur et les amours/ De nostre roy en dueil, qui, de ses aigres plaintes,/ Tesmoigne ses ardeurs n’avoir pas este feintes ». Fanlo soutient l’identification avec Caylus, le mignon mort lors d’un duel en 1578. Agrippa d'Aubigné, « Princes. Livre second », Les Tragiques, éd. J.-R. Fanlo, dans Œuvres, vol. V, t. I, Paris, Classiques Garnier, 1995, p. 395.

47 L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 77.

48 Lina Bolzoni, « Théâtre de mémoire à la Renaissance : poèmes et galeries de peintures », dans Alain Berthoz et John Scheid (dir.), Les Arts de la mémoire et les images mentales. Paris, Collège de France, 2018, p. 61-74, [en ligne sur OpenEdition, DOI : 10.4000/books.cdf.5504].

49 Jeremie Koering, « Le prince et ses modèles : le gabinetto dei Cesari au palais ducal de Mantoue », dans Philippe Morel (dir.) Le Miroir et l’espace du prince dans l’art italien de la Renaissance, Tours, PUFR, 2012, p. 165-194, [en ligne sur OpenEdition, DOI : 10.4000/books.pufr.7864].

50 L’Isle des Hermaphrodites, éd. cit., p. 77-78.

51 Ibid., p. 77.

52 Ibid., p. 78 : « Et comme j'estois en ceste meditation, celui qui me conduisoit me monstra à costé dudit Heliogabale un grand livre fort proprement relié […] Il me dit que c’estoit le livre des loix et coustumes des habitans de l’Isle que cet Empereur avoit instituez ».

53 « Ce texte décisif, avec des additions de moindre importance, des rois postérieurs, réglera pour plus d’un siècle, au moins jusqu’à Louis XIV, le fonctionnement monarchique. », André Stegman, « Le code Henri III (1587). Aspects sociaux. », Il Pensiero politico, t. 24, 3, 1991, p. 293.

54 Les Tragiques présentent trois fois la figure de Sardanapale (dans « Princes. Livre second » et « Fers. Livre cinquième », Les Tragiques, éd. cit., vol. V) : dans un cas (« Le geste effeminé, l’œil d’un Sardanapale », t. I, p. 389, v. 776) il s'agit d’une allusion à Henri III, mais dans un autre cas (« Quand il peint en Cæsar, un ord Sardanapale », ibid., p. 347, v. 90) il est possible qu’une autre figure soit évoquée, car Henri III n’est pas couramment associé à César. Sardanapale apparaît encore dans les Tragiques, cette fois-ci associé à Charles IX (« Le cœur bien esperant. Nostre Sardanapale », ibid., vol. V, t. II, p. 624, v. 945).

55 « Curia Parisiensis nunc incendiis bellum cum Christo gerit, quantum audio. Certum quidem est ingentem piorum turbam in vinculis passim teneri. Sardanapalus interea inter scorta victorias sibi fingit. Dominus ecclesiam suam respiciat ! », Edouard Cunitz, Johann-Wilhelm Baum et Eduard Wilhelm Eugen Ress (éd.), Joannis Calvini opera quæ supersunt omnia, t. XII, Brunswick, C. A. Schwetschke, 1863, p. 295.

56 Effectivement, l'attribut de « author Hermaphrodi », dénotant le personnage à l’origine de cette forme de pouvoir, pourrait convenir parfaitement à ce dernier.

57 Pour l’association entre Louis XIII et Ganymède, voir Françoise Bardon, Le Portrait mythologique à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII : mythologie et politique, Paris, Picard, 1974, p. 44-45 et p. 58.

58 Cette figuration au double visage masculin et féminin est présente dans les représentations de la Prudence, dont un exemple célèbre est le tombeau de François II dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Nantes. La prudence, qualité de l’homme politique ou du stratège militaire avisé, était traditionnellement reconnue à Henri IV. L’association du Béarnais à la figure mythologique de Janus est reconnaissable sur les jetons commémoratifs, sous la forme des portes fermées du temple de Janus, suggérant le thème de la paix retrouvée ; cette figure apparaît aussi dans la propagande à caractère prophétique qui fait d'Henri IV le Janus Gallicus, comme par exemple l’ouvrage intitulé La Premiere Face du Janus francois, publié par Jean-Aimé de Chavigny en 1594.

59 La même opposition entre les bons rois d’autrefois et les mauvais rois (hermaphrodites) apparaît dans les Tragiques d'Aubigné (v. 661-670), « Princes. Livre second », t. V, I, éd. cit., p. 388.

60 John Miller (dir.), Absolutism in Seventeenth Century Europe, Londres, Mcmillan, 1990, analyse tant la théorie de la monarchie « absolue » que la pratique dans ses déclinaisons européennes ; James Daly, « The idea of absolute monarchy in seventeenth century England », The Historical Journal, t. 21, 2, 1978, p. 227250, approfondit la situation dans les îles britanniques.

61 Kathleen Long, « Hermaphrodite as Image and Idea », dans Diana Robin, Anne R. Larsen, Carole Levin (dir.), Encyclopedia of Women in The Renaissance. Italy, France and England, Santa Barbara, ABCClio, 2007, p. 182184: « systematic use of the hermaphrodite for political purpose in England is not adopted until the period preceding the English Revolution. This material follows the same strange trajectory as that directed against Henri III: images of Charles and Henriette Maria as the perfect spiritual hermaphrodite degenerate into accusations of hermaphroditic bisexuality ».

Illustrations

  • Fig. 1 : Gravure « Les Hermaphrodites. », dans Tomas Arthus, L’Isle des Hermaphrodites nouvellement descouverte […], s. l., s. n., 1605 (exemplaire REM. IV 698, Bayerische Staatsbibliothek).

    Fig. 1 : Gravure « Les Hermaphrodites. », dans Tomas Arthus, L’Isle des Hermaphrodites nouvellement descouverte […], s. l., s. n., 1605 (exemplaire REM. IV 698, Bayerische Staatsbibliothek).

    Source/crédit : MDZ (Centre de numérisation de Munich). Bayerische Staatsbibliothek (bibliothèque d’État de Bavière), München, Allemagne.

  • Fig. 2 : Jacob van der Heyden, Pugillus facetiarum iconographicarum, 1618, gravure 33, (exemplaire 2929-791, Getty Library, Los Angeles).

    Fig. 2 : Jacob van der Heyden, Pugillus facetiarum iconographicarum, 1618, gravure 33, (exemplaire 2929-791, Getty Library, Los Angeles).

    Source/crédit : Internet archive. Getty/americana.

  • Fig. 3 : « Les Trois États du royaume. Représentation de l'ordre médiéval tardif des États », gravure sur bois par Jacob Meydenbach, dans Johannes Lichtenberger, Prognosticatio, 1488.

    Fig. 3 : « Les Trois États du royaume. Représentation de l'ordre médiéval tardif des États », gravure sur bois par Jacob Meydenbach, dans Johannes Lichtenberger, Prognosticatio, 1488.

    Christ sur l'arc-en-ciel bénissant les trois États du clergé (à gauche), de la noblesse (à droite) et des paysans (en bas). Inscription : « Tu supplex ora, tu protege, tuque labora » (Tu pries humblement, tu protèges et tu travailles).

    Source/crédit : MDZ (Centre de numérisation de Munich). Bayerische Staatsbibliothek (bibliothèque d’État de Bavière), München, Allemagne.

  • Fig. 4 : Georg Bernhard, Stambog. Philoteca Geo. Bernhardi. 1565, f. 39 ro (inscrit dans une copie de l'édition externe d'Andr. Alciati, Emblemata) ; (exemplaire ms. Thott 391 oktav, Det Konelige Bibliothek, Copenhagen).

    Fig. 4 : Georg Bernhard, Stambog. Philoteca Geo. Bernhardi. 1565, f. 39 ro (inscrit dans une copie de l'édition externe d'Andr. Alciati, Emblemata) ; (exemplaire ms. Thott 391 oktav, Det Konelige Bibliothek, Copenhagen).

    La Justice ici préside la scène avec les représentants du clergé (tu supplex ora), de la royauté (tu protege) et du peuple (tuque labora).

    Source/crédit : Det KGL. Bibliothek (Bibliothèque royale danoise), Copenhague, Pays-Bas.

  • Fig. 5 : Hans Ludwig Pfinzing von Henfenfeld, Stammbuch, 1580-1625, fo 144 ro (exemplaire Msc. Hist. 176, Staatsbibliothek Bamberg).

    Fig. 5 : Hans Ludwig Pfinzing von Henfenfeld, Stammbuch, 1580-1625, fo 144 ro (exemplaire Msc. Hist. 176, Staatsbibliothek Bamberg).

    Version satirique du thème des trois États : « je prie pour vous » dit le pape/évêque, « je vous protège tous » dit le roi, « je vous nourrit tous » dit le paysan, « je vous trompe tous » dit la femme.

    Source/crédit : SBB. Collections numériques de la Staatsbibliothek Bamberg (Bibliothèque d’État de Bamberg), Bavière, Allemagne.

  • Fig. 6 : Tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix, dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes (transept sud). Détail de la statue nord-ouest, « La Prudence ».

    Fig. 6 : Tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix, dans la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes (transept sud). Détail de la statue nord-ouest, « La Prudence ».

    Source/crédit : Wikimedia, domaine public. Photo Florestan.

Citer cet article

Référence électronique

Annarita Palumu, « Relire L’Isle des Hermaphrodites (1605) », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 20 | 2023, mis en ligne le 08 décembre 2023, consulté le 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=551

Auteur

Annarita Palumu

Sorbonne Université – CELLF UMR 8599

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