Chronique administrative des assemblées parlementaires françaises : l’année 1993

DOI : 10.35562/recp.166

Résumés

Manifestation parmi d’autres des progrès de la transparence de la vie publique, la publicité des comptes rendus des réunions des Bureaux des assemblées parlementaires contribue à faire connaître l’administration parlementaire. Cependant, un tel phénomène ne peut s’apprécier que dans le temps long. D’où cette étude portant sur les archives administratives des assemblées revenant sur l’année 1993, marquée notamment par la réunion du Parlement en Congrès à deux reprises, par l’accueil du roi d’Espagne dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et du chancelier allemand dans celui du Sénat ou encore par la restitution au budget de l’État des réserves financières constituées par les assemblées parlementaires au moyen de l’excédent annuel de dotation.

The publication of the minutes of the meetings of the Bureaux, main administrative bodies of French parliamentary assemblies, is an instance of the progress being achieved towards transparency in public life. Even though it helped in raising the profile of parliamentary administration, it remains that such a phenomenon can only be assessed through careful consultation of parliamentary archives. Hence this study which looks back at the year 1993, marked notably by a parliamentary reunion in Versailles on two occasions, by the reception of the King of Spain in the National Assembly chamber and of the German chancellor in the Senate chamber and by the return to the State budget of financial reserves built up from annual endowment surplus in parliamentary assemblies.

Plan

Texte

« La société a droit de demander compte à tout agent de son administration. » Les termes de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen conduisent les administrations publiques à communiquer sur l’emploi des deniers publics. Les assemblées parlementaires n’échappent pas à cette obligation, cependant que ces dernières ont la liberté d’en définir les modalités, conformément au principe d’autonomie parlementaire. Aujourd’hui, elles publient une partie de leurs documents budgétaires et comptables et surtout rendent accessibles, par un compte rendu disponible en ligne, le contenu des décisions prises par les organes délibérants tranchant d’ordinaire les questions administratives fondamentales, à savoir, principalement, le Bureau et, dans une moindre mesure, le collège des questeurs de chaque assemblée parlementaire.

Pour saisir l’administration des assemblées parlementaires dans l’épaisseur du temps révolu, et ainsi mettre au jour le processus de sédimentation de la norme administrative, il importe de dépasser la seule lecture des comptes rendus numérisés1, certes roborative pour qui veut étudier les aspérités de la vie administrative au Parlement, mais cryptique aux yeux du profane. En effet, ces comptes rendus traduisent une économie du propos réduit à l’essentiel. Du reste, ils ne renseignent le phénomène administratif des assemblées que depuis le début des années 2000. Le recours aux entretiens auprès d’anciens acteurs de l’administration des assemblées parlementaires ne peut être qu’une méthode accessoire ici, du fait de la difficile réfutabilité du propos tenu et donc de la portée scientifique réduite d’une telle démarche au sens de Popper2. En revanche, le regard porté sur la production archivée des assemblées parlementaires permettrait de tenir compte de l’exigence de scientificité tout en réglant du même coup les deux écueils dont les comptes rendus numériques sont affligés. L’approche fait écho à l’intérêt proprement contemporain que la doctrine juridique voue au document d’archives. Ainsi, la doctrine constitutionnelle scrute à présent, en début d’année, le site du Conseil constitutionnel afin d’y trouver les procès-verbaux nouvellement ouverts à la consultation en ligne3.

Pour autant, l’analyse des archives administratives des assemblées parlementaires n’est pas sans poser de difficultés. En premier lieu, ces archives, foisonnantes et constamment enrichies, s’étendent sur un nombre de mètres linéaires qu’il est impossible de parcourir dans le modeste cadre d’une recherche individuelle. Par la force des choses, l’analyse est donc circonscrite à celle de ces archives qui contribuent au premier chef à forger la doctrine administrative. Il a paru suffisant de porter le regard sur les archives des réunions des Bureaux, qui comprennent un procès-verbal, sorte de résumé des décisions prises, un compte rendu sommaire, document proche du verbatim, et éventuellement quelques annexes telles que l’exposé liminaire d’un questeur, la note d’un fonctionnaire, une lettre adressée à un membre du Bureau, soit une vingtaine de pages par réunion du Bureau, à raison de cinq à dix réunions par an en moyenne dans chaque assemblée. Il fut donc nécessaire au réalisme de l’entreprise scientifique de délaisser le reste de l’iceberg de la production administrative des assemblées, que celle-ci procède de l’activité des questeurs ou de celle des directions.

En deuxième lieu, il fut impératif, dans chaque assemblée parlementaire et une fois apprivoisés les instruments de recherche et le système évolutif des cotes, de solliciter l’autorisation dérogatoire de consultation des archives retenues pour l’analyse. Cette demande est formulée auprès des divisions des archives et transmise pour accord à l’autorité hiérarchique, c’est-à-dire aux directeurs et aux secrétaires généraux. Il est fréquent au regard d’archives administratives, à plus forte raison lorsqu’elles sont relativement récentes, qu’une telle étape soit fatale au travail empirique du chercheur, pour des motifs tenant à la sécurité des lieux, aux données personnelles des parlementaires et des fonctionnaires ou, plus étonnant du fait que les services apprécient là l’opportunité scientifique de la demande, au caractère redondant, selon eux, de certains documents sollicités vis-à-vis de documents déjà consultés.

En dernier lieu, le chercheur est traversé d’une série de considérations éthiques qui le poursuivent sans relâche. D’une part, il ne peut faire abstraction des caractères partiel et partial de la présentation des événements dont il prend connaissance. En effet, certains documents ont pu être exfiltrés des cartons par les archivistes et les documents restants témoignent du récit administratif que les fonctionnaires tenant la plume content4. D’autre part, le chercheur se doit de préserver l’anonymat, éventuellement par des « fictions vraisemblables5 », tout en restituant les compromis politiques atteints sur des questions juridiques.

Une chronique annuelle fait sens pour l’étude des archives des réunions des Bureaux nouvellement communicables par glissement du délai d’incommunicabilité de vingt-cinq ans. Elle aurait pu porter sur l’année 1999. Cela dit, les publications institutionnelles étant quasiment dépourvues de développements sur les questions administratives ayant agité les assemblées parlementaires dans les années 19906 et les archives des réunions des Bureaux de 1958 à 1992 ayant déjà fait l’objet d’une recherche7, il parut utile de se consacrer à l’année 19938.

Certaines lacunes de la présente chronique sont intentionnelles, pour trois raisons. D’abord, certains sujets font l’objet d’une recherche spécifique9. Ensuite, il arrive que des difficultés ne soient évoquées par les autorités des assemblées parlementaires qu’en fin d’année, ce qui renvoie souvent leur pleine résolution à l’exercice suivant et donc leur commentaire éventuel à la prochaine livraison annuelle10. Enfin, les contraintes de l’édition imposent une sélection des cas commentés.

En effet, il a fallu renoncer au commentaire de certains débats. Rien qu’au titre de l’année 1993, au-delà de ceux, usuels, relatifs aux groupes d’amitié ou d’études ou aux missions d’observation électorale, se distinguaient dans les deux assemblées les discussions portant sur leur production audiovisuelle ou sur la petite révolution du format des publications parlementaires. Plus particulièrement, il fut question au Bureau de l’Assemblée, relativement à la séance, de la durée du scrutin public à la tribune, de la présentation des résultats de scrutin ou encore d’incidents portant sur l’enregistrement de votes de députés absents, à leur insu et donc au-delà des possibilités de délégations de vote. Hors séance à l’Assemblée, le Bureau eut à connaître de l’ouverture du bar de la résidence hôtelière du 32, rue Saint-Dominique, de l’organisation de la finale des « Dicos d’or » de Bernard Pivot dans l’hémicycle, de l’établissement d’une direction générale des Services administratifs en lieu de la direction générale du Secrétariat général de la questure, de la création du corps des techniciens de réseau, du renouvellement des dispositions relatives au congé spécial et à la bonification des annuités au titre d’une retraite anticipée du fonctionnaire, d’hypothétiques contrats de recrutement « emploi-solidarité » ou encore du lancement de la réforme du règlement comptable. Au Sénat, la séance n’occupa pas les débats du Bureau de manière très originale, s’il est fait exception du trouble qui résulta d’applaudissements venant des tribunes ou de la crainte, largement partagée au sein du Bureau, de voir les indemnités de séances de nuit des fonctionnaires fiscalisées11. Hors séance au Sénat, outre la création d’un comité d’hygiène et de sécurité sept ans après que l’Assemblée s’en fut dotée et l’établissement de services de l’informatique et de relations internationales, il peut être noté le fait que les vice-présidents se plaignirent de l’emploi récurrent de leur antichambre aux fins de réception ou le fait que les questeurs suggéraient qu’une réflexion soit menée, déjà, sur la déontologie du fonctionnaire parlementaire, ce qui traduit une préoccupation tout à fait actuelle.

I. Les droits et obligations statutaires des membres des assemblées

A. Le droit à indemnité des parlementaires en cas de dissolution

Il fut décidé par le Bureau de l’Assemblée nationale le 12 mai 1993, par modification du deuxième alinéa de l’article 30 du Règlement intérieur sur la comptabilité des recettes et des dépenses de l’Assemblée nationale, de pérenniser le principe décidé en 1988 de la prolongation, en cas de dissolution, d’un mois de service de l’indemnité parlementaire aux députés non réélus ou à ceux qui ne se sont pas représentés, sauf démission ou décès des intéressés et pour autant que la prolongation n’ouvre pas droit au titre du calcul de la pension.

Avant 1988, le paiement de l’indemnité parlementaire cessait à la fin du mois civil en cours dans le cas d’une fin de législature, et à la fin du mois suivant celui au cours duquel le décret mettant fin aux pouvoirs de l’assemblée intervenait, dans l’hypothèse donc d’une dissolution. En 1988, lors de la dissolution, le Bureau avait approuvé la proposition des questeurs portant à deux mois le paiement de l’indemnité parlementaire en cas de non-réélection et souhaité que cette mesure fût pérennisée.

La pérennisation de ce principe avait été envisagée dès mars 1993, mais la prochaine échéance de la fin de la législature découragea l’initiative, qui aurait pu alimenter l’antiparlementarisme. Dans l’attente de cette décision de principe, les questeurs avaient pris, le 14 avril 1993, une décision portant versement exceptionnel d’un mois supplémentaire aux députés sortants qui ne se seraient pas représentés ou qui n’auraient pas été élus.

En mai 1993, le Bureau modifiait également le premier alinéa de l’article 30 pour y consacrer un supplément d’indemnité d’un mois en cas de fin de législature.

Les suppléments ainsi prévus en fin de législature et en cas de dissolution furent soumis à la contribution sociale généralisée, à l’exclusion de toute autre cotisation, et imposés dans les mêmes conditions que l’indemnité parlementaire.

La question n’est pas demeurée figée, loin de là. Ainsi, le principe de la prolongation a disparu à la fin des années 1990, probablement lors de la réunion du 29 janvier 1997 lors de laquelle il fut question du versement des indemnités parlementaires12. Aujourd’hui, sous l’effet de l’arrêté 45/XVI du 8 novembre 2023 du Bureau, l’article 42 du Règlement budgétaire, comptable et financier de l’Assemblée nationale reprend en partie le dispositif d’avant 1988. Il prévoit, d’une part en son § 1, les conditions de service de l’indemnité parlementaire en fin de législature : le droit à indemnité des députés ne s’étant pas représentés cesse à l’expiration des pouvoirs de l’assemblée précédente, tandis que celui des députés battus aux élections s’éteint au terme du mois en cours. D’autre part, en son nouveau § 1 bis, l’article 42 du Règlement comptable et financier de l’Assemblée nationale prévoit qu’en cas de dissolution, le député perd son droit à indemnité au terme du mois suivant celui au cours duquel le décret de dissolution est intervenu.

B. La disparition de déclarations de patrimoine des parlementaires

À l’Assemblée nationale, le 27 février 1993, alors que s’achevait la période de dépôt des déclarations de patrimoine de fin de mandat, la collaboratrice de Pierre Hontebeyrie, secrétaire général de l’Assemblée et de la présidence depuis le 1er janvier 1992, constatait la disparition, au sein d’un coffre conservé de manière peu accessible dans un bureau voisin de celui du secrétaire général, d’un carton contenant 24 déclarations de patrimoine des membres du deuxième gouvernement Rocard devenus ministres en 1988. Si les intéressés accomplissaient une démarche analogue auprès de la Commission de la transparence financière alors installée au Conseil d’État dans les quinze jours suivant leur nomination en tant que ministre, il reste que ces déclarations n’étaient pas stricto sensu des doubles des documents volés. Ces derniers avaient été archivés dès lors qu’ils avaient servi au rapport publié par le président Laurent Fabius au Journal officiel du 3 octobre 1991 et il n’était pas certain, selon le secrétaire général, que ces déclarations fussent étudiées depuis la publication du rapport. Le mystère restait entier, dans la mesure où le secrétaire général était le seul détenteur de la clé et qu’il partageait uniquement avec le conseiller du secrétariat général la connaissance de la combinaison du coffre. Le vol n’était pas nécessairement récent. Tout au plus sait-on que le coffre contenait lesdits documents à l’été 1992. Avec l’accord du président Henri Emmanuelli, Pierre Hontebeyrie décida de porter plainte le 27 février 199313. Son homologue de la Questure fut prévenu en tant que responsable de la sécurité de l’Assemblée. Durant la réunion du Bureau de mars 1993, le président fit savoir sa désapprobation à l’égard de ce vice-président de l’Assemblée nationale, absent de la réunion, qui avait laissé croire, sur France Inter, au coup monté et avait ainsi injustement mis en cause les fonctionnaires de l’Assemblée.

De manière remarquable ici, après un premier refus au nom de l’autonomie de l’Assemblée, Pierre Hontebeyrie autorisa, par délégation du pouvoir de police, les commissaires chargés de l’enquête à visiter les lieux et à l’entendre en même temps que trois de ses secrétaires. Si elle reste exceptionnelle dans son principe, une telle autorisation au titre d’investigations de police judiciaire n’avait rien de nouveau. En effet, l’histoire retient que, dans l’enceinte parlementaire, des scellés ont pu être posés14, des constats effectués15, des enquêtes menées16, des perquisitions conduites et des fonctionnaires interrogés17. Certains parlementaires proposèrent il y a quelques années, et en vain à notre connaissance, que les perquisitions « dans les locaux liés aux fonctions parlementaires [fussent] mieux encadrées sur le modèle du régime applicable aux avocats : réalisation par un magistrat, présence d’un membre du Bureau de l’assemblée concernée, possibilité de s’opposer à la saisie d’un document le temps qu’un juge des libertés et de la détention statue sur la régularité de celle-ci18 ».

C. Un nouvel âge dans le détournement des fonds des groupes parlementaires

Le Bureau de l’Assemblée nationale du 7 juillet 1993 décidait l’amélioration des moyens mis à la disposition des groupes parlementaires et s’accorda sur une majoration des crédits de participation aux frais de secrétariat des groupes, par modification de l’arrêté no 120/VII du 12 décembre 1984. La révision de la partie variable de cette participation devait aboutir à une augmentation de 26 % à compter de l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions en janvier 1994.

À cette occasion et de manière notable, le groupe socialiste, minoritaire depuis avril 1993 et craignant à ce titre pour les finances du groupe, demanda, en s’appropriant une solution sénatoriale datant du 13 décembre 1988, que les députés puissent céder à leur groupe la moitié du crédit collaborateur aux fins d’en rémunérer le secrétariat. Jusqu’alors, en application de l’arrêté du 20 décembre 1984, la part des crédits cédés à un groupe ne pouvait excéder 5 % des sommes allouées à l’ensemble des députés membres dudit groupe pour la rémunération de leurs collaborateurs. La solution était tentante, d’autant qu’il n’en résultait aucune charge supplémentaire pour l’Assemblée, qui continuait de supporter de la même façon les charges patronales correspondantes. Il fut proposé par les questeurs que les députés puissent ponctuellement déroger à la règle nouvelle pour céder davantage encore, notamment en fin d’année pour épuiser le reliquat du crédit.

La seule réserve formulée à l’instauration de la pratique fut à l’initiative du questeur Bernard Derosier, lequel indiqua que les députés ne devaient pas trouver dans cette nouvelle réglementation motif à solliciter l’augmentation du crédit collaborateur. Ainsi, les membres du Bureau n’avaient pas perçu le risque du détournement de fonds publics et de rétrocession des fonds, ou du moins n’en avaient pas fait état. Ce risque se concrétisa notoirement, bien plus tard, par le recel des fonds du groupe sénatorial UMP au moyen d’associations telles que l’Union républicaine du Sénat et le Cercle de réflexion et d’études sur les problèmes internationaux. Le Bureau du Sénat revint sur le principe même du reversement dans sa réunion du 12 décembre 2019, après avoir tenté d’en garantir l’affectation aux dépenses salariales des groupes à compter de 2015.

II. La planification des activités de l’assemblée

A. Les assemblées parlementaires régulatrices de l’audiovisuel

Dans leur réunion de mai 1993, les membres du Bureau de l’Assemblée nationale s’exprimèrent au sujet du film Monsieur le Député et de l’image risible du parlementaire qui était colportée par le jeu d’acteur d’Eddie Murphy, d’autant plus irritante que la traduction française du titre visait spécifiquement l’Assemblée nationale. Peu armés pour réagir à Hollywood, ils avaient en revanche la prérogative d’influer sur la programmation audiovisuelle française dans une certaine mesure, ce au titre des pouvoirs conférés aux Bureaux par l’article 55 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ainsi, en décembre 1993, le président de la délégation du Bureau chargé de la communication proposait que le Bureau de l’Assemblée nationale demandât d’une part à France 2 la retransmission en direct du débat annoncé, d’importance nationale, sur l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), et qu’il s’opposât d’autre part à la demande de retransmission en direct du débat sur la levée de l’immunité parlementaire de Bernard Tapie, prévue le 7 décembre. En ce dernier cas, les chaînes de télévision seraient empêchées de produire leurs propres images et devraient se contenter d’utiliser les images diffusées par l’Assemblée.

B. L’organisation de deux Congrès du Parlement

Le Parlement fut réuni en Congrès à Versailles à deux reprises en 1993, le 19 juillet et le 19 novembre. Dans l’un et l’autre cas, les services de la Questure de l’Assemblée nationale se tenaient prêts. Interrogé durant la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale du 7 juillet à propos des obligations qui pesaient sur les membres du Bureau, le secrétaire général prit la parole pour indiquer que les vice-présidents étaient tenus de relever le président durant les opérations de vote, longues et fastidieuses, et que les secrétaires assisteraient à la séance en alternance. Le Bureau du Congrès s’étant réuni le 16 juin, aucune nouvelle réunion ne fut prévue par le Bureau de l’Assemblée nationale avant le Congrès du 19 juillet. Il se réunit à nouveau le 3 novembre, avant que les modalités de la réunion à Versailles du 19 ne soient étudiées par le Bureau de l’Assemblée le 17 novembre. Le procès-verbal de la réunion du Bureau du Congrès du 16 juin indique que ce Bureau approuvait alors la proposition du président de maintenir le Règlement du Congrès adoptée en la forme en 1963 et confirmée en 1974, 1976 et 1992. Le compte rendu sommaire de la réunion nous apprend que depuis la réunion préparatoire du congrès du 23 juin 1992 et faisant ainsi suite à une proposition déjà formulée par Étienne Dailly en 1976, le Bureau avait décidé que le Règlement serait interprété libéralement pour autoriser les explications de vote non plus de cinq minutes, mais bien plutôt de dix minutes par orateur de chaque groupe. Ceci fit dire, ainsi qu’il est rapporté dans le compte rendu sommaire, au président Philippe Séguin, choisissant en juin 1993 de poursuivre la pratique, « qu’il s’agit en quelque sorte de “violer” le Règlement pour ne pas le modifier ». En juin 1993, le Bureau du Congrès donna également son accord quant au déroulement de la séance. Celle-ci devait s’ouvrir ainsi à 10 h 30, comme en 1992, après une réunion des présidents de groupe sous la présidence du président du Congrès à 10 h. Une suspension de séance permettrait aux groupes de se réunir en vue de désigner leur orateur après les premières annonces. Un scrutin d’une durée d’1 h 45 serait ouvert vers 13 h, avant que la séance ne reprenne vers 16 h pour la proclamation des résultats avant la clôture. Le président Séguin interrogeait le secrétariat général sur son obligation éventuelle de présider la séance, lequel précisait fort logiquement que des vice-présidents pouvaient le remplacer. Par ailleurs, le Bureau s’accorda à aménager des places supplémentaires dans les travées latérales d’accès à l’hémicycle, la numérotation de celles-ci étant intégrée dans l’ordre alphabétique général adopté pour la salle, de telle sorte que les nouvelles places ne soient pas attribuées aux seuls premiers ou derniers. Le Bureau confirmait la stricte réglementation de police de l’hémicycle. Hors les fonctionnaires de l’Assemblée nationale et du Sénat nommément requis, les membres du personnel des groupes désignés par leur président et les journalistes accrédités pour le Congrès, l’accès ne serait possible qu’aux détenteurs de macarons d’entrée, qui ne seraient fournis, comme en 1992, qu’à un représentant par groupe parlementaire à l’Assemblée nationale et au Sénat et à deux collaborateurs par cabinet au titre des services de la présidence de la République, ceux du Premier ministre et ceux des trois ministres concernés.

D’ailleurs, l’organisation du Congrès du Parlement souleva notamment la question de la télévision des débats, qui ne fut pas entièrement réglée par le Bureau du Congrès en juin, ce qui obligea le Bureau de l’Assemblée nationale à préciser la norme administrative, voire à la réviser. La configuration de l’hémicycle à Versailles et des considérations de sécurité conduisirent le Bureau de l’Assemblée nationale, dans sa réunion du 17 novembre 1993, à refuser l’admission d’équipes de télévision. Ainsi, comme pour les Congrès précédents, l’image fut produite par l’Assemblée nationale, gratuite, non siglée et ainsi mise à disposition. Les prises de vues résultaient de trois caméras installées dans l’hémicycle, dont deux dans les loges faisant face et ’une troisième sur le podium à droite de la tribune. Le rôle de télédiffuseur hôte fut confié, après mise en concurrence, à TDF, au détriment de FR3, qui avait assuré les deux Congrès précédents. L’image finale était retransmise via le relais hertzien de Meudon au Palais Bourbon où elle fut diffusée par fibres optiques instantanément, en direct et acheminée aux chaînes nationales et au Service d’exploitation radio télévision extérieur (SERTE) pour les besoins des chaînes étrangères.

C. La réception de chefs d’État ou de gouvernement dans l’hémicycle

Le Bureau de l’Assemblée nationale prenait, dans sa réunion du 16 juin 1993, la décision de principe de réserver l’expression de personnalités étrangères dans l’hémicycle aux chefs d’État ou de gouvernement19. Il s’agissait d’une première sous la Ve République, non pas de l’histoire républicaine, dès lors que le président Woodrow Wilson s’était exprimé à la tribune de la Chambre des députés en février 1919. Un tel honneur rendu aux chefs d’État ou de gouvernement étrangers s’imposait d’autant plus que la France était reçue dans les hémicycles étrangers, à l’instar de l’accueil du général de Gaulle et de Valéry Giscard d’Estaing au Congrès des États-Unis ou de François Mitterrand au Bundestag et à la Knesset.

La réception de la personnalité étrangère se ferait en France sur suggestion du président de la République et du Premier ministre : cette nécessaire concordance de vues rappelle qu’aucune suite favorable n’avait pu être donnée en 1988, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du traité de l’Élysée, au souhait exprimé par Helmut Kohl de s’adresser aux députés français, ce en raison des aléas de la cohabitation. La prise de parole des chefs d’État et de gouvernement devait se distinguer nettement de la séance publique, en ce sens qu’elle serait mentionnée à part dans l’ordre du jour et donnerait lieu à un compte rendu particulier, que le public ne serait pas admis dans les conditions usuelles, que la salle des séances serait disposée pour l’occasion, que la personnalité étrangère prendrait place sur le siège installé dans la partie basse de l’hémicycle et serait conduite à la tribune par les huissiers après une brève allocution du président. L’événement revêtirait un caractère exceptionnel, dès lors qu’une seule personnalité pourrait en bénéficier par session, comme l’avait suggéré le président Giscard d’Estaing, sans qu’une liste d’attente se constitue pour autant. Pour s’en assurer, le Bureau se reconnaissait la prérogative d’autoriser l’organisation de la réception, notamment en lien avec la Conférence des présidents, pour assurer la cohérence de la programmation avec l’ordre du jour. Il fut remarquable que le président Séguin s’interrogeât alors sur la possibilité pour la Conférence des présidents de s’opposer en la matière à la décision du Bureau. Un secrétaire du Bureau et un vice-président n’étaient pas convaincus par cette éventualité et énoncèrent qu’il fallait s’en tenir à l’avis simple de la Conférence.

Durant la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale du 15 septembre, le président indiqua que l’occasion se présentait d’accueillir le roi et la reine d’Espagne le 7 octobre. Le Bureau donna son accord et invita le président à saisir la Conférence des présidents du 21 septembre.

Le Bureau du Sénat décida le 8 juillet 1993 de recevoir solennellement le chancelier Kohl le 13 octobre et se prononça sur les modalités envisagées lors de ses débats du 30 septembre. Les débats y étaient originaux à plus d’un titre. D’abord, un vice-président suggéra que les chefs d’État et de gouvernement soient reçus à Versailles afin d’éviter toute escalade entre les deux assemblées, cependant qu’il se heurta à l’argumentaire du coût et à l’attachement à l’initiative propre de chaque assemblée en la matière. Ensuite, sur proposition du vice-président Dailly, la séance fit l’objet d’un compte rendu au Journal officiel20. Enfin, le déroulement précis de la réception est documenté dans une note du service du secrétariat général de la Questure du 28 septembre 1993, qui fut amendée au vu des débats du 30 septembre, lesquels abordèrent l’éventualité que les présidents de groupe et de commission puissent échanger plus librement que dans la salle des séances avec l’invité vers 16 h 15, dans le salon Victor-Hugo, après l’allocution de bienvenue de dix minutes et le discours du chancelier Kohl d’une demi-heure. Cette note nous apprend que le Sénat n’était pas impliqué dans l’accueil à l’aérodrome de Villacoublay vers 14 h 30, que l’invité devait, entre 15 h 15 et 15 h 30, être reçu sans les honneurs militaires par le président René Monory dans la cour d’honneur, faire connaissance d’abord dans la salle du bureau de tabac avec les membres du Bureau présentés par le secrétaire général et ensuite dans le salon des messagers d’État avec les présidents de groupe et de commission, avant de rejoindre le cabinet de départ où le Premier ministre devait se rendre et de signer le livre d’or. Le choix du cheminement retenu entre le cabinet de départ et l’hémicycle serait effectué à la lumière de celui opéré par l’Assemblée nationale. Enfin, la note renseigne les modalités d’installation de deux cabines d’interprétation insonorisées dans les tribunes, la répartition des places au sein de ces dernières, notamment s’agissant des invités des groupes, la restriction d’accès aux couloirs et tribunes aux habitués, le concours de la préfecture de police aux abords du Jardin du Luxembourg et aux conditions d’organisation du cocktail offert en l’honneur du chancelier.

III. La gestion et le financement des activités de l’assemblée

A. Les visites collectives dans l’enceinte parlementaire

Au Sénat, le régime des visites collectives du Palais prévu par l’arrêté du Bureau du 13 novembre 1986 fut modifié en 1993. La possibilité de dérogations au profit de groupes d’élus locaux au principe de l’interdiction de visites collectives du Palais du mardi au vendredi pendant la session était trop fortement sollicitée. En effet, du 1er janvier au 18 octobre 1993, les questeurs avaient accordé 69 dérogations, la présidence faisant visiter le Palais en outre à 122 groupes, étant entendu qu’il était fréquent que l’organisation de plus de dix visites par jour fût demandée, cela pour des groupes comportant parfois une soixantaine de visiteurs, que les groupes se fussent chevauchés, qu’il y eût des inscriptions de dernière minute et que les visites eussent dépassé, à la demande des sénateurs, la durée de 45 minutes pour atteindre en moyenne l’heure et demie21. Sur proposition des questeurs, le Bureau décida de supprimer les dérogations, de conforter la priorité aux groupes d’élus locaux, d’admettre en session le principe de trois visites par demi-journée, en expérimentant un circuit de visites évitant les lieux sensibles, et de porter en intersession le quota du nombre de visites par demi-journée de deux à quatre22.

B. L’encadrement de l’usage du tabac dans l’enceinte parlementaire

Il fut un temps où l’on pouvait fumer dans l’enceinte parlementaire. En 1993, les fumeurs voyaient le champ de leur plaisir se réduire, du fait des termes de l’article 9 de la loi no 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme, créant un livre VIII du Code de la santé publique et en particulier l’article L. 355-28, qui interdit l’usage de la cigarette dans les lieux affectés à un usage collectif. Le président indiquait dans la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale du 7 juillet 1993 qu’il restait la possibilité de fumer dans la moitié de la salle des Conférences à titre expérimental, dans la Rotonde, au sein de la Salle des pas perdus, dans le Salon des quatre colonnes, dans les salons Casimir-Perier et Mazeppa, ainsi que dans les couloirs les desservant et aux abords du bureau de poste et du guichet de la distribution. Une discussion s’engagea sur le caractère impérativement discret de la signalétique. Aux protestations d’un membre s’agissant de l’interdiction couvrant les salons Pujol et Delacroix, le questeur Jacques Godfrain répondit que des travaux de rénovation à hauteur de 600 000 francs avaient été rendus nécessaires dans ces deux salons du fait de la dégradation des peintures non seulement par la fumée des chandeliers les éclairant au début du siècle, mais également par la consommation de tabac. Du reste, le couloir desservant l’hémicycle demeurait hors de toute interdiction à l’époque. Le président ironisa sur le fait que l’Assemblée nationale, à la différence d’autres lieux affectés à l’usage collectif, pouvait s’assurer de l’application de la loi en faisant appel à des gendarmes.

C. La préférence nationale dans la commande publique

On pourrait croire que l’Assemblée nationale avait été gagnée d’une fièvre obsidionale en 1993. Si le président faisait part au Bureau en juillet 1993 de son souhait que tous les matériels achetés par l’Assemblée soient d’origine nationale, il faut y voir le relais d’une plainte d’un député qui, en amenant un visiteur au kiosque, avait constaté que l’une des montres en vente avait été fabriquée à Taïwan. Le questeur Godfrain indiqua que, hors des pin’s « Assemblée nationale » fabriqués en France, aucun producteur français ne répondait aux appels d’offres en matière de mobilier, ce qui obligeait l’Assemblée à acheter des meubles fabriqués en Italie. Le président Séguin estimait qu’il fallait s’en tenir aux autres modèles de montre mis en vente, qui étaient français. Ces considérations firent écho au souverainisme du président, mais également au fait que l’Assemblée créait le 18 juin 1993 une commission d’enquête sur les délocalisations. Le Bureau fournit son assentiment à cette proposition.

D. La restitution au Trésor des réserves financières de l’Assemblée nationale

Historiquement, les assemblées parlementaires ne disposaient pas d’autres recettes que leurs dotations23 et il leur appartenait de restituer en principe toute somme étrangère à celles-ci, notamment le montant de la vente d’objets mobiliers hors de service, étant entendu que ces crédits relevaient du budget de l’État et devaient être affectés dans ce cadre. Au moyen d’une interprétation souple de l’interdiction, le trésorier d’une assemblée parlementaire fut autorisé à inscrire en ressource propre diverses sommes provenant, par exemple, des versements faits par les compagnies d’assurances contre l’incendie, des recettes à destination de comptes spéciaux, à l’instar des retenues sur l’indemnité parlementaire en vue du compte spécial de la buvette, des revenus de domaines nationaux ou encore des recettes tirées des assurances-vie remboursant les prêts consentis à des parlementaires décédés avant le terme du prêt. Surtout, dans les premiers mois de l’année 1993, fut révélée au grand public la pratique des assemblées parlementaires consistant à ne pas reverser l’excédent annuel de dotation, lequel était conservé en banque pour l’Assemblée nationale et investi dans l’immobilier pour le Sénat24.

Philippe Séguin confirma l’existence de telles réserves financières pour indiquer que l’Assemblée nationale les restituait25. Cette position fut rappelée lors de la réunion du Bureau du 12 mai 1993, au cours de laquelle celui-ci approuva la décision de mettre à la disposition du Trésor deux milliards de francs résultant de dotations excédentaires et du produit de leur placement. Selon le questeur Ladislas Poniatowski, « la vocation de l’Assemblée n’est pas de constituer des réserves puisque ses demandes de crédit seront toujours satisfaites26 ». Cette restitution n’était pas la première, ce dont les lois de finances témoignent, étant donné que 500 millions de francs avaient été reversés en 1991, un milliard le 30 décembre 1992 et un autre milliard le 27 mars 1993.

Le président Séguin promit lors de cette réunion du Bureau d’obtenir du gouvernement l’assurance que l’autonomie de l’Assemblée, dans sa composante financière, serait respectée. Il faisait valoir qu’« il ne faudrait pas que sa vertu d’aujourd’hui puisse un jour se retourner contre l’Assemblée27 », d’autant que le Sénat n’a pas suivi cette dernière. Un membre considérait même que le manquement du gouvernement à l’obligation d’inscrire les crédits demandés par les assemblées serait un motif à la censure. Cette forme de confiance dans la cordialité des rapports entre pouvoirs publics permit de calmer l’inquiétude, partagée au sein du Bureau, du risque d’une politique d’acquisition immobilière timorée de l’Assemblée nationale, faute de moyens, ce qui aurait tranché avec l’audacieuse opération immobilière d’acquisition de l’hôtel Sofitel rue Saint-Dominique en 1990. Le président Séguin estima en outre, lors de cette réunion du Bureau du 12 mai 1993, qu’il n’était pas interdit de suggérer au Gouvernement que

[les sommes restituées] soient affectées à des programmes d’investissements publics, dans le logement par exemple, et de dire que l’Assemblée s’est ainsi associée à l’effort national afin de prévenir les critiques contre les rémunérations des députés28.

Selon le président, il importait de faire savoir au gouvernement qu’il s’agirait de l’ultime versement et que le solde du fonds de réserve, difficile à estimer au vu des fluctuations en bourse, serait affecté à un compte d’investissement géré comme tel par l’Assemblée29. Le fait qu’un autre membre se demandât si le Sénat n’allait pas rembourser 4 des 7 milliards apparemment réservés par cette assemblée grâce à l’excédent de dotation et ainsi surpasser la vertu de l’Assemblée nationale fut révélateur de l’émulation entre assemblées, qui vire parfois à la rivalité acharnée de voisinage. Il parut utile enfin au questeur Godfrain de rassurer les personnels de l’Assemblée qui paraissaient craindre pour leurs pensions.

E. La consolidation de l’autonomie du Sénat sur le plan financier

Le Sénat n’était pas indifférent aux rétrocessions de l’Assemblée nationale, mais hésitait à franchir le pas pour une série de raisons évoquées durant la réunion du Bureau du 27 avril. La première tenait à cette crainte que le Sénat ne soit pas autant assuré de sa pérennité que l’Assemblée nationale, la deuxième au fait que la liquidation des actifs des caisses entraînerait la disparition d’un « précieux amortisseur financier30 » et surtout, la dernière, à la perspective redoutée de devoir faire appel à la dotation pour équilibrer les comptes des caisses de retraites, ce qui pourrait d’ailleurs être bientôt le cas à l’Assemblée nationale, dès lors que l’Assemblée verse encore aujourd’hui une subvention d’équilibre aux caisses, par prélèvement de son fonds de roulement qui s’épuise d’année en année. En outre, les rétrocessions de l’Assemblée nationale inspirèrent dans l’opinion jalousie et suspicion quant à la gestion financière du Sénat. Ainsi, un vice-président de la majorité sénatoriale demanda durant la réunion du 4 novembre 1993 que le budget du Sénat soit présenté aux membres du Bureau. Le président répliqua en invitant les questeurs à rappeler lors d’une prochaine réunion les grandes masses budgétaires dont les membres du Bureau ont habituellement connaissance en mai et en balayant l’éventualité qu’aucun autre document écrit que le rapport public annexé à la loi de finances ne soit diffusé aux membres du Bureau. Lors de la réunion du Bureau du 27 avril, un secrétaire demandait une copie de l’exposé du questeur délégué relatif à la situation financière des caisses, de sorte à le transmettre à d’anciens collègues de la Cour des comptes qui avaient manifesté un intérêt. Le questeur indiquait qu’il répondrait à la Cour dans le cadre de la Commission commune tandis que le président s’opposait déjà à la diffusion d’un document écrit en la matière. Un vice-président de la majorité sénatoriale rappelait, pour la condamner, la prise de position du premier président Pierre Arpaillange en faveur d’un contrôle plus étroit de l’exécution du budget des assemblées.

Il reste qu’au Sénat, les caisses de retraite connaissaient en 1993 une situation florissante. Ainsi, au sujet de la caisse de retraite du personnel et tout en demeurant prudent du fait d’une évolution défavorable de la structure démographique de cette caisse, le trésorier du Sénat indiquait que « le montant total du portefeuille [était] 20 fois supérieur à celui des pensions servies et cela bien que depuis 1985 le montant des pensions payées se [fût] accru de 78 %31 ». Cette confortable situation était due à la persistance de taux d’intérêt à court terme élevés, qui avait entraîné un rendement important des revenus des placements de trésorerie. Jusqu’en 1993, les revenus de ces fonds placés étaient versés en recettes des comptes des caisses, surtout du fait qu’avant 1987, il n’était pas possible d’effectuer des placements sur le marché monétaire sans recourir au truchement des caisses. Là se dévoile l’art financier du Sénat. Du fait de leur volume, le Bureau de cette assemblée décidait de ne plus affecter les revenus des placements de trésorerie en comptes de recettes des caisses de retraite et choisissait de les inscrire à partir du 1er janvier 1994 dans une section particulière du compte d’attente créé dans les écritures du Sénat en mai 1973, afin que ces revenus permettent de faire face à des dépenses exceptionnelles, non envisagées lors de l’élaboration du budget du Sénat32.

Par ailleurs et de manière tout aussi significative, le Bureau décidait en avril 1993 de diminuer la part de la dotation affectée aux caisses de retraite des sénateurs et des fonctionnaires du Sénat, portant cette réduction à 20 millions de francs pour chaque caisse lors de sa réunion de novembre 1993. Cette réduction ne portait que sur le financement des mécanismes de péréquation des caisses. Dès lors, la dotation continua de financer de manière inchangée, d’une part, les accessoires de pensions, c’est-à-dire les sommes ne résultant d’aucun versement particulier des titulaires de droits, tels que la part de la pension liquidée avant la limite d’âge, les majorations pour enfants, les gratifications, les bonifications spécifiques aux mères de famille ou au titre de services militaires et, d’autre part, les parts contributives, c’est-à-dire l’équivalent de la part « patronale » des cotisations, s’élevant au triple de ces dernières depuis les arrêtés du Bureau du 28 novembre 1973. Ces mécanismes de péréquation intégraient à la pension toutes les augmentations intervenues depuis la liquidation, soit à la suite du relèvement des traitements de la fonction publique, soit à la suite d’une modification du mode de calcul des émoluments de base. La masse des péréquations s’établissait pour 1994, lors de la préparation de la dotation, à 41 millions de francs pour la caisse de retraite des anciens sénateurs et 45 millions pour celle du personnel. Par la réduction de la dotation aux caisses, les mécanismes de péréquations seraient financés par les caisses. Cette réforme donnerait lieu à un bilan après deux ans de fonctionnement, soit avant le 31 décembre 1995.

Enfin, de manière remarquable, les caisses de retraite du Sénat comptaient en recettes les revenus issus du placement de l’excédent des fonds de sécurité sociale, qui s’élevait en 1993 à 70 millions de francs côté sénateurs et à 20 millions côté personnel du Sénat. Il se trouvait justement que ces fonds étaient dépendants de la dotation pour leur équilibre. Dès lors, il parut curieux de les priver de leur excédent pour alimenter les caisses de retraites, ce qui d’ailleurs correspondait à la proposition d’un directeur33.

IV. La contestation d’une nomination de directeurs adjoints

En juin 1993, le Bureau de l’Assemblée nationale connaissait d’un recours à l’encontre de l’arrêté du président et des questeurs du 22 mars 1993 procédant à la nomination de directeurs adjoints. Le Bureau constata qu’une voie de recours devant lui n’était ouverte qu’en matière disciplinaire, d’où le fait que l’Association des administrateurs de l’Assemblée nationale devait se satisfaire du recours gracieux devant le président et les questeurs. Les divergences répétées entre les secrétaires généraux et la Questure sur l’interprétation à retenir de l’expression « proposition des secrétaires généraux » figurant au Règlement incitaient le Bureau à envisager une modification de la procédure de désignation des directeurs adjoints. En effet, aucun consensus n’émergea au sein du Bureau sur le point de savoir si la proposition devait être conjointe et donc manifester un accord entre secrétaires généraux sur les candidats ou si ces mêmes secrétaires généraux pouvaient chacun proposer leurs propres candidats. Le président et les questeurs semblaient, selon le président Séguin, en situation de compétence liée une fois que les secrétaires généraux avaient fait connaître l’identité des candidats qu’ils soutenaient. Des membres suggérèrent que la nomination se fasse en Bureau, ce en vain si l’on considère que les dispositions de l’article 102 § 2 du Règlement intérieur sont encore en vigueur et y figurent, depuis l’arrêté 91/XII du Bureau du 15 juin 2005, à l’article 140 bis § 1. En 1993, le président Séguin proposait cependant qu’une modification réglementaire soit mise à l’étude, le temps que le juge administratif se prononce sur le potentiel recours de l’Association.

Notes

1 Les comptes rendus des réunions des Bureaux disponibles en ligne se lisent sur les sites des assemblées parlementaires (URL : https://www2.assemblee-nationale.fr/17/le-bureau-de-l-assemblee-nationale/(block)/189246 ; https://www.senat.fr/vos-senateurs/organisation-interne/bureau/comptes-rendus-des-reunions-du-bureau-du-senat.html [consulté le 11 juillet 2025]). Retour au texte

2 « Ceux parmi nous qui refusent d’exposer leurs idées au risque de la réfutation ne prennent pas part au jeu scientifique. » K. R. Popper, La logique de la découverte scientifique (1934), J. Monod (préf.), N. Thyssen-Rutten et Ph. Devaux (trad.), Paris, Payot, 1973, p. 286.  Retour au texte

3 B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Mélin-Soucramanien, D. Rousseau et X. Philippe, Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel (1958-1986), 2e édition, Paris, Dalloz, 2014. Voir plus récemment M. Koskas, Le Conseil constitutionnel par lui-même : contribution à une analyse par la production du droit, thèse, université Paris 10, 2022, p. 56 et s. Retour au texte

4 J. Ollé-Laprune, Quarante ans au service du Sénat de la République, s. l., Impr. atelier Gilles Carmine, s. l., 2001, p. 230 : « La langue française est riche en formules apaisantes ; mais pour qui sait déchiffrer le style administratif, la lecture de ces procès-verbaux permet de détecter les temps forts et les zones de calme. » Il ne s’agira pas pour nous de « trop bien corriger les fautes de français » des parlementaires, selon le mot d’Yves Guéna commentant le travail des sténographes lors d’une réunion du Bureau du Sénat en 1993. Retour au texte

5 B. Latour, La fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2002, p. 9. Retour au texte

6 Quelques comptes rendus de réunions des Bureaux figurent au sein du Bulletin de l’Assemblée nationale (BAN) ou du Bulletin d’informations rapides du Sénat (BIRS), devenu Info Sénat au début des années 2000. Retour au texte

7 M. Balnath, L’administration des assemblées parlementaires sous la Cinquième République, thèse, université Jean Moulin Lyon 3, 2022. Retour au texte

8 Les réunions du Bureau du Sénat de l’année 1993 (19 janvier, 9 mars, 27 avril, 8 juin, 8 juillet, 30 septembre, 4 novembre et 21 décembre) ne font pas l’objet d’un compte rendu dans le BIRS. À l’Assemblée nationale, seules les réunions du Bureau du 3 novembre et du 1er décembre 1993 sont rapportées sommairement au BAN (respectivement BAN no 19 du 9 novembre 1993, p. 45 et BAN no 22 du 7 décembre 1993, p. 68-69). Or le Bureau de l’Assemblée nationale s’était également réuni les 21 janvier, 10 mars, 14 avril, 12 mai, 16 juin, 7 juillet, 15 septembre, 13 octobre et le 17 novembre (Congrès). Nous remercions les divisions des archives de chacune des assemblées de nous avoir communiqué les archives des réunions des Bureaux de 1993. Retour au texte

9 Le Bureau du Sénat aborde durant sa réunion de novembre 1993 la situation réservée aux sénateurs n’appartenant à aucun groupe et en particulier le temps de parole et les moyens dont ces derniers peuvent se prévaloir. Voir notre contribution aux actes, à paraître, du colloque du 17 novembre 2023 consacré aux non inscrits et organisé par Damien Connil, Priscilla Jensel-Monge et Audrey de Montis au Sénat. Retour au texte

10 Pour exemple au titre de la première livraison de la chronique, ce n’est que lors de sa réunion du 17 mai 1994 que le Bureau du Sénat se prononce sur la demande de modification de dénomination de salles pour faire honneur au président Monnerville et au sénateur Vigier, déjà étudiée le 19 janvier 1993. Retour au texte

11 Si, selon un vice-président, « la situation du personnel [n’appelait] pas la pitié », les fonctionnaires risquaient tout de même de perdre 10 à 12 % de leur revenu, certes à une époque où de nombreux avantages, tels que les prêts au logement, avaient encore cours. L’Assemblée nationale était allée au terme du processus de fiscalisation des indemnités de séances de nuit mais versait aux fonctionnaires une compensation. En outre, un autre vice-président du Sénat déclara que « la fiscalisation progressive, en sifflet, c’est en quelque sorte l’art de plumer l’oie sans la faire crier ». En creux se jouait l’inquiétude liée à la fiscalisation de l’indemnité parlementaire, le ministre du Budget Nicolas Sarkozy ayant refusé tout report de la réforme. Retour au texte

12 À la suite de la dissolution annoncée le 21 avril 1997, les députés n’ont perçu l’indemnité parlementaire que jusqu’au 31 mai (H. Paillard, « Sans hémicycle fixe », Le Figaro, 24 avril 1997, p. 11), ce qui constitue l’application de la règle antérieure à 1988. Sans autorisation dérogatoire de consultation des procès-verbaux des réunions du Bureau de l’Assemblée nationale postérieures à 1993, seules les publications institutionnelles peuvent fournir un indice quant à la date de la modification du régime de versement de l’indemnité parlementaire. Or les comptes rendus de ces réunions figurant au Bulletin de l’Assemblée nationale de 1993 à 1997 ne mentionnent un tel sujet qu’à l’occasion de la réunion du 29 janvier 1997. Voir BAN, no 109, 5 février 1997, p. 35 : « Modalités de versement des indemnités parlementaires : le Bureau, saisi d’une communication de M. Henri Cuq, questeur, a examiné les règles appliquées à certains versements aux groupes et aux députés à la lumière de la législation régissant le financement de la vie politique. Il a été informé à cette occasion de la création d’un groupe de travail sur le financement des campagnes électorales. » Retour au texte

13 J.-Fr. Biège, « Fantômas à l’Assemblée », Sud Ouest, Bordeaux, 10 mars 1993, p. 4. Retour au texte

14 Des scellés furent posés dans le logement d’un garçon de caisse en mai 1901 à la suite du décès d’un membre de sa famille. Retour au texte

15 Il est revenu à un commissaire de police de constater le suicide d’un membre du personnel en avril 1912 (Arch. AN, « Personnel : Généralités », 13P 17, 1913). Retour au texte

16 Le président Herriot sollicitait le concours d’inspecteurs de police judiciaire afin que la lumière soit faite sur une série de vols à l’hôtel de la présidence et que l’agent en cause puisse être révoqué (lettre du président aux questeurs du 22 mai 1926, Arch. AN, « Radiation », 14 P 625, 1926). Retour au texte

17 Le bureau de François Fillon et de son secrétariat à l’Assemblée nationale fut perquisitionné le 31 janvier 2017 durant l’enquête préliminaire puis le 10 mars de la même année durant l’information judiciaire, tandis que le secrétaire général de la Questure du Sénat, Jean-Charles André, fut entendu entre le 26 janvier et le 14 février dans le cadre de cette même enquête préliminaire, pour éclairer les enquêteurs sur l’usage du crédit collaborateur par François Fillon (Trib. Jud. Paris, 32e ch. correc., 29 juin 2020, François Fillon, Penelope Fillon et Marc Joulaud, req. no 17025000146 et en particulier les minutes du jugement, p. 15-17 et p. 107). Plus loin de nous, des fonctionnaires parlementaires furent interrogés lors de l’explosion d’une bombe dans les toilettes de la garde républicaine le 5 février 1958 (« Attentat au Palais Bourbon », La Liberté du Morbihan, 7 février 1958, p. 1 et 12). Retour au texte

18 S. Huyghe et A. Tourret, Rapport d’information déposé en application de l’art. 145 RAN en conclusion des travaux d’une mission d’information relative à l’immunité parlementaire, Doc. AN, no 2685, 12 fév. 2020, p. 6. Retour au texte

19 Pierre Avril et Jean Gicquel (« Chronique constitutionnelle française », Pouvoirs, vol. 67, 1993, p. 169, DOI : 10.3917/pouv.177.0163) virent dans cette décision « une manière d’ostracisme » à l’endroit du président français, lequel ne peut à ce jour s’exprimer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Retour au texte

20 Supplément au JO Débats Sénat, 21 octobre 1993. Tant l’allocution de bienvenue que l’allocution du chancelier sont publiées dans les deux langues. Retour au texte

21 Note du 18 octobre 1993 du directeur du service du cabinet des Questeurs et de la Sécurité Pascal Baërd et du directeur du service du Secrétariat général de la Questure Georges-Éric Touchard au secrétaire général de la Questure Jean-Claude Bécane relative aux dispositions applicables aux visites collectives du Palais, p. 2. Retour au texte

22 Arrêté 93-141 du Bureau du Sénat du 4 novembre 1993 relatif aux visites collectives du Palais. Voir aujourd’hui l’arrêté du Bureau du Sénat n° 2010-82 du 31 mars 2010 relatif aux conditions d’accès et de circulation dans le Palais du Luxembourg ainsi qu’aux conditions d’utilisation de certains locaux du Sénat, dont la rédaction actuelle résulte de la réunion du Bureau du 24 octobre 2024. Cet arrêté prévoit un quota de 4 groupes d’au plus 40 personnes par demi-journée lorsque le Sénat tient séance et de 6 sinon. Si le sénateur se charge de la visite, le groupe est limité à 25 personnes. Retour au texte

23 Art. 2 du règlement comptable de l’Assemblée nationale, dans sa rédaction du 14 octobre 1877 et art. 4 du règlement comptable du Sénat, dans sa rédaction du 9 décembre 1880. Retour au texte

24 T. Bréhier, « Les “fonds secrets” du législatif », Le Monde, 23 décembre 1992, p. 1 et 8, URL : https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/12/23/les-reserves-financieres-du-parlement-l-assemblee-rembourse-a-l-etat-2-milliards-de-francs-les-fonds-secrets-du-legislatif_3931810_1819218.html [consulté le 11 juillet 2025]. Retour au texte

25 A. Fulda, « L’initiative de Séguin », Le Figaro, 13 mai 1993, p. 6. Retour au texte

26 Compte rendu sommaire de la réunion du Bureau de l'Assemblée nationale du 12 mai 1993. Retour au texte

27 Ibid. Retour au texte

28 Ibid. Retour au texte

29 Il n’empêche que des réserves demeurent aujourd’hui à l’Assemblée nationale et qu’elles s’élèvent à 121 millions d’euros, soit 106 millions au titre des immobilisations financières et 15 millions de disponibilités (États financiers au 31 décembre 2023, Assemblée nationale, 24 avril 2024, p. 6). Il y a dix ans, ce fonds de roulement se montait à 287 millions d’euros (États financiers au 31 décembre 2013, Assemblée nationale, 16 avril 2014, p. 4). Retour au texte

30 Exposé du questeur délégué relatif au fonctionnement des caisses de retraite du Sénat lors de la réunion du Bureau du Sénat du 27 avril 1993. Retour au texte

31 Procès-verbal de la réunion du 14 octobre 1993 du comité consultatif de gestion de la caisse des retraites du personnel du Sénat. Retour au texte

32 Note BC.93.17 du 6 octobre 1993 des directeurs du service du Budget, de la Comptabilité et de la Sécurité sociale et du service de la Trésorerie relative à l’aménagement des modalités de financement des caisses autonomes des retraites du Sénat, p. 3. Retour au texte

33 Sur ce point, voir la note du directeur du service du Budget du 16 avril 1993. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Mohesh Balnath, « Chronique administrative des assemblées parlementaires françaises : l’année 1993 », Revue d'étude et de culture parlementaires [En ligne], 1 | 2025, mis en ligne le 24 juillet 2025, consulté le 19 septembre 2025. URL : http://publications-prairial.fr/recp/index.php?id=166

Auteur

Mohesh Balnath

Docteur en droit public qualifié aux fonctions de maître de conférences, enseignant-chercheur contractuel – CRJ université Grenoble Alpes