Mutualiser et décloisonner ! Rencontre avec Jérôme Kalfon, directeur de l’Abes

p. 24-25

Texte

Jérôme Kalfon a été nommé directeur de l’Abes, le 1er octobre 2013, après avoir dirigé le SCD de l’université Paris Descartes. Responsable du département Études et prospectives de Couperin de 2006 à 2012, il a animé de nombreux groupes de travail et de réflexion (Archives ouvertes, Ebooks, Archivage et accès pérenne…). Sa forte implication au sein des associations et groupements professionnels (ADBU, GFII…) lui a permis d’échanger avec de nombreux acteurs de l’information scientifique et technique (chercheurs, enseignants, fournisseurs…). Membre du conseil scientifique de l’Abes depuis sa création en 2010, il a suivi de près les derniers développements de l’agence.
Arabesques lui a posé quelques questions sur sa perception de l’Agence après ses premières semaines d’immersion.

Vous arrivez à l’Abes à un moment où celle-ci se trouve confrontée à des dossiers majeurs comme le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé (SGBM) ou l’acquisition de documentation électronique sous forme de licences nationales (Istex). Comment abordez-vous ces questions ?

Elles illustrent les mutations des rôles de l’Abes. Le Sudoc, les applications liées au dépôt des thèses au format numérique, le financement d’opérations de rétroconversion démontrent que l’Abes est montée en charge dans son rôle d’opérateur de l’État. Grâce à mes prédécesseurs et à des équipes compétentes et motivées, l’Abes a conquis la confiance des établissements. De ce fait, l’Agence a évolué, endossant aussi un rôle actif dans les actions de mutualisation. Un projet comme le SGBM en est l’illustration. Tous ces dossiers réclament une évolution dans le mode de gouvernance. Les décisions seront une émanation de la volonté des établissements. Mon expérience au sein de Couperin m’a convaincu de la force d’un réseau, surtout si les membres de ce réseau ont la profonde conviction qu’ils participent aux décisions.

Beaucoup d’établissements ont répondu positivement à l’appel à participation au projet SGBM, dès sa phase pilote. De nombreux autres nous ont encouragés et se sont dits prêts à rejoindre cette initiative dès la première phase de déploiement. C’est très motivant. Il n’en reste pas moins que, dans un contexte en rapide mutation et avec des solutions qui ne sont pas encore arrivées à maturité, il s’agit d’un lourd défi. Un défi qu’il est indispensable de relever. L’alliance de l’Abes et d’un certain nombre d’établissements me semble être la bonne échelle pour un tel projet, notamment dans sa phase pilote. Quoi qu’il en soit, proposer ne veut pas dire imposer, les établissements doivent choisir librement leur système.

Pour en venir à Istex, il convient de rappeler qu’il ne s’agit pas simplement d’un projet d’acquisitions–négociées par Couperin– sous forme de licences nationales. Certes, c’est le principal rôle qui est confié à l’Abes dans ce dispositif, mais il s’agit surtout de participer à une offre de services totalement nouveaux. En ce sens, il s’agit d’un projet de recherche-développement associant des professionnels de l’information scientifique et technique (IST),notamment à l’Inist et à l’Abes, des laboratoires de recherche et, bien entendu, des utilisateurs. Grâce à des outils de fouille dans le texte intégral, il s’agira de faire remonter des informations pertinentes pour un chercheur ou un domaine. Istex vient illustrer le fait qu’aucune agence, aucun réseau ne peut agir seul. Il est, par excellence, l’illustration d’un décloisonnement, de l’engagement d’acteurs différents dans un projet commun. Chercheurs, bibliothécaires, ingénieurs apprennent à mieux se connaître et à conduire des actions coordonnées. Quand organismes, opérateurs, universités, grandes écoles, agences rejoignent un cadre structurant tel que la Bibliothèque scientifique numérique (BSN) pour mieux travailler ensemble, on peut espérer des résultats... d’excellence.

Quel devenir pour les missions traditionnelles de l’Abes ?

Sur le fond, les missions traditionnelles de l’Abes demeurent. Je dirais même qu’elles sont le socle de confiance des établissements. Sur la forme, elles se doivent d’évoluer. Les missions traditionnelles sont celles-là mêmes qui permettent aux nouvelles missions de trouver à l’Abes un terreau propice à leur développement. Les nouvelles missions, ou plus exactement les nouvelles applications, les nouveaux développements, permettent aux services traditionnels d’être mieux assurés. De nouveaux services, comme Périscope, sont justement le résultat de l’addition des services dits traditionnels et de nouvelles applications qui peuvent être développées grâce à une base miroir. Dans cette même logique, nous allons rechercher les améliorations les plus utiles aux établissements sans exiger pour autant de lourds développements. Car l’engagement dans d’ambitieux projets ne doit pas pour autant nous faire oublier les besoins d’amélioration des services au quotidien. Bien au contraire, si l’Abes s’y montre attentive, on peut espérer, en retour, une meilleure implication dans les projets à venir.

 

Quel rôle spécifique pourrait jouer l’Abes pour renforcer la coopération entre les différents acteurs de l’IST ?

Parler de spécificités, c’est souvent chercher à se retrancher, à se distinguer, à expliquer que l’on est différent. S’il est une spécificité de l’Abes, c’est d’être un outil pour le travail en commun. Si vous me permettez de jouer sur les mots, je dirais que sa spécificité, c’est de n’être pas spécifique. L’Abes dispose d’un statut (établissement public administratif) qui permet aux établissements de conduire des actions communes.

Tout comme l’Amue, le Cines, l’Inist, les organismes de recherche, l’Abes a des caractéristiques qui découlent de ses missions. La spécificité, c’est l’île ; à l’heure où les médias et les métiers convergent, il convient surtout de jeter des ponts. Enfin, pour ne pas laisser totalement votre question sans réponse, je dirais que l’une des caractéristiques des métiers de l’Abes est de structurer des référentiels, des normes, des autorités, des langages communs. Il s’agit là d’autant de passerelles.

L’Abes souffre parfois encore d’un manque de visibilité auprès des instances universitaires et de la recherche. Par quels moyens accroître celle-ci ?

Oui, peut être justement parce que nous avons trop souvent songé à nos spécificités. Par quels moyens ? La BSN me semble être un cadre structurant pour la coopération. Mais la coopération peut s’étendre au‑delà, je songe par exemple à la Bibliothèque nationale de France, mais aussi et surtout à l’Europe.

Pensez-vous qu’en dehors du Sudoc PS qui intègre des bibliothèques du réseau de lecture publique pour la signalisation des périodiques, d’autres coopérations pourraient être nouées avec celles-ci ?

Bien entendu, l’heure est au décloisonnement. C’est déjà le cas dans d’autres domaines, je songe à l’accès aux acquisitions effectuées dans le cadre des licences nationales, accessibles via le réseau des bibliothèques publiques. Enfin, la perspective des nécessaires adaptations au nouveau schéma EAD serait l’occasion d’envisager une mutualisation des moyens en vue de développer un outil national de production EAD.

Comment dépasser la perception essentiellement technique des missions de l’Abes pour les inscrire plus largement dans la construction d’une société de la connaissance ?

L’Abes est un opérateur essentiellement technique. Il ne faut pas le nier, mais au contraire l’affirmer. Mais derrière des choix en apparence techniques se cachent des enjeux stratégiques. Ce n’est pas aux techniciens, pour aussi compétents qu’ils soient, de faire des choix stratégiques. Il faut être en mesure d’expliquer aux décideurs et à l’ensemble des acteurs concernés les enjeux de ces choix. On peut aussi imaginer qu’en faisant participer l’ensemble des acteurs à des consultations sur des choix techniques, ils seront conduits à s’interroger sur leurs enjeux. Je pense qu’il devient nécessaire d’emprunter ces nouvelles voies.

Propos recueillis par le comité de rédaction

La BDIC et la grande guerre

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Illustrations

 
 

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Référence papier

Jérôme Kalfon, « Mutualiser et décloisonner ! Rencontre avec Jérôme Kalfon, directeur de l’Abes », Arabesques, 73 | 2014, 24-25.

Référence électronique

Jérôme Kalfon, « Mutualiser et décloisonner ! Rencontre avec Jérôme Kalfon, directeur de l’Abes », Arabesques [En ligne], 73 | 2014, mis en ligne le 07 janvier 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1032

Auteur

Jérôme Kalfon

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