SGBM : quel impact sur les métiers ?

DOI : 10.35562/arabesques.1081

p. 15-16

Plan

Texte

Plus la réflexion avance, plus le projet SGB mutualisé (SGBM) de l’ABES donne le vertige. L’ampleur des aspects à instruire, nombreux, complexes, parfois inédits, du moins pour les bibliothèques, est considérable. Parmi eux, celui de l’impact du projet sur les métiers n’est pas le moins sensible. D’autant que – c’est un invariant anthropologique – les esprits sont toujours plus lents à changer que la réalité qui les entoure. On ne saurait donc, sur ce plan, marcher plus vite que la musique : c’est toujours contreproductif.

Pourtant, si l’on se rappelle sa genèse, la complexité du projet SGBM, à défaut de se dissiper complètement, se trouve nettement réduite. À l’origine, la demande faite à l’ABES consistait à mettre en œuvre un SIGB mutualisé. C’était déjà ambitieux, mais à portée de neurone. Comment se fait-il dès lors que le projet ait crû et se soit complexifié au point que, aujourd’hui, tenter d’en saisir tous les tenants et aboutissants exige un important effort intellectuel ? C’est qu’au cours de la réflexion, il a croisé à la fois des évolutions en cours (qu’il contribuera, s’il aboutit, à précipiter, mais dont il n’est pas la cause) et des problèmes en suspens depuis longtemps (et pour lesquels il propose une solution qui n’est certes pas la seule, mais, probablement, la plus élégante et la plus intégrée).

Quand le SGBM croise les évolutions en cours

Ces évolutions, qui touchent à l’organisation du travail et aux métiers de nos bibliothèques, et dont me semble-t-il le dernier congrès de l’ADBU à Toulouse a donné un panorama assez complet1, ne trouvent pas leur origine dans le projet de SGBM de l’ABES, mais bien plutôt dans les évolutions impliquées par le succès de notre cher et désormais familier Sudoc, ainsi que dans les contraintes budgétaires des établissements et les possibilités offertes par la technique. Si l’on excepte certaines bibliothèques de référence et notamment celles du réseau des Cadist, l’essentiel des tâches dites de catalogage consiste, désormais, majoritairement en un travail de récupération, d’exemplarisation et de localisation de notices : les créations sont marginales (5 % à peine par exemple à l’université de Versailles Saint- Quentin-en-Yvelines).

Parallèlement, grâce à la technologie RFID, la circulation des documents physiques peut être presque entièrement automatisée ; le rangement, pour sa part, être en grande partie confié aux étudiants vacataires qui permettent par ailleurs l’extension des horaires d’ouverture des BU ; quant à l’équipement, son externalisation être poussée au maximum, comme par exemple au SCD de l’université Paris-Descartes, où les prestataires retenus à l’issue de la procédure d’appel d’offres2 fournissent des livres pour la plupart tout équipés, ready on shelves.

La tentation est alors grande de repenser la répartition traditionnelle des tâches : pourquoi ne pas confier aux magasiniers l’exemplarisation et la localisation des notices ? Et aux bibliothécaires assistants spécialisés, bien souvent détenteurs d’un diplôme universitaire Bac + 3, 4, ou 5, l’ensemble des acquisitions d’ouvrages, sous la houlette d’un conservateur en charge de la coordination de la politique documentaire ? On dégagerait alors un temps précieux aux cadres du service, qui pourrait être réinvesti dans des activités managériales – conduite du changement, gestion de projets – ainsi que dans des activités à valeur ajoutée au contact direct des usagers : formation à la maîtrise de l’information, services personnalisés aux laboratoires, aux enseignants, médiation plus active auprès des étudiants, etc.

Plusieurs bibliothèques universitaires travaillent déjà dans une ou plusieurs de ces directions. Elles ne constituent pas un modèle unique, transposable partout : ces nouvelles organisations, du catalogage et des acquisitions notamment, sont moins adaptées aux missions de Cadist ou de bibliothèques de référence de certains établissements. Mais l’on voit bien que là où elles ont lieu, ces évolutions ont peu à voir avec le projet SGBM de l’ABES en tant que tel, même s’il est évident que la logique intrinsèque à ce type d’outil pousse dans ces directions, notamment du fait de la suppression des transferts entre bases locales et base nationale.

Quand le SGBM croise des questions depuis longtemps en suspens

Réduction de la charge de création de notices grâce au Sudoc, suppression des tâches liées aux transferts entre bases locales et base nationale grâce au SGBM, automatisation de la circulation des documents physiques grâce à la technologie RFID, externalisation de leur équipement, voilà beaucoup de temps de travail économisé qui peut être réinvesti dans d’autres missions. Locales, mais aussi nationales. Trois d’entre elles me semblent particulièrement stratégiques.

  • La première s’inscrit dans le prolongement des missions traditionnelles de catalogage : il s’agit de se concentrer davantage sur ce qui apporte, indéniablement, une de ses principales plus-values à toute base catalographique : le lien entre notices bibliographiques et notices d’autorités (ces dernières s’exprimant de plus en plus en RDF, comme, pour s’en tenir au niveau national, la base IdRef de l’ABES ou data.bnf.fr).
  • La deuxième répond à un problème déjà ancien, à l’aune du numérique : celui d’une base de connaissance nationale mutualisée pour le signalement, notamment, des périodiques électroniques, voire des ebooks ou d’autres types de documents disponibles en ligne (par exemple, blogs académiques). La mise en œuvre d’un tel projet, via le hub de métadonnées de l’ABES, garantirait aux bibliothèques (pas seulement universitaires d’ailleurs, si le réseau du Sudoc‑PS s’en saisissait aussi) une indépendance précieuse vis-à-vis des différents fournisseurs de SGB. La difficulté d’un tel projet ne réside pas dans la création de la base (il devrait être relativement aisé d’obtenir des éditeurs les éléments nécessaires dans le cadre des négociations nationales de ressources en ligne), mais dans sa maintenance (semi automatisable, et que l’on pourrait pour le reste aisément confier à des magasiniers). Avec un gain non négligeable pour l’usager final : une plus grande réactivité dans la mise à jour (pas toujours au rendez-vous avec les fournisseurs privés, malgré les promesses commerciales) et une coïncidence parfaite avec le périmètre réel des bouquets négociés au plan national (alors qu’actuellement, ce périmètre correspond trop souvent à celui des négociations nord-américaines, avec les refus d’accès afférents pour l’usager final lorsque le titre qu’il souhaite consulter est signalé, mais que les droits pour y accéder en ligne n’ont pas été acquis dans le cadre du périmètre du bouquet négocié pour la France).
  • La dernière a trait au besoin criant, notamment dans une perspective d’évaluation et de pilotage de la recherche, d’une base décrivant les affiliations des auteurs académiques : ces derniers, en effet, au cours de leur carrière, peuvent changer d’affectation administrative ; par ailleurs, les laboratoires dans lesquels ils exercent ont souvent une vie très mouvementée. Restructuration des équipes, scissions, fusions, disparitions... : techniquement, décrire cela n’est pas très éloigné de la description d’un titre de périodique, domaine dans lequel les bibliothécaires ont une expertise affirmée.

On disposerait alors, via le hub de métadonnées de l’Abes, de ce qu’aucun des outils bibliométriques du marché, malgré leur coût, ne proposera jamais de manière fiable, et on pourrait alimenter aisément en référentiels les Current Research Information System (CRIS) dont cherchent à se doter les opérateurs français de la recherche.

Quand le SGBM pose avant tout des questions politiques

Si ces pistes de travail impliquent de profondes restructurations du travail des bibliothécaires, dans le sens d’une professionnalisation et d’une diversification accrue des missions liées à la gestion des données et métadonnées des publications académiques, elles ne découlent pas directement du projet de SGBM, mais ne font que le croiser : SGBM ou pas, les questions auxquelles elles tentent d’apporter une réponse existent.

Pour cerner les effets en propre du projet SGBM sur le travail des bibliothécaires, ce sont d’autres enjeux qu’il faut examiner, plus politiques, et encore largement à débattre : celui de la transposition du modèle FRBR au niveau des règles de catalogage (RDA, ou pas RDA ?) déjà bien avancé ; celui surtout, largement à instruire, de la maîtrise des données disponibles via le SGBM.

Actuellement, ces données sont loin d’être toutes produites par le réseau de l’ABES. Mais quelles possibilités demain pour les manipuler, les enrichir, les diffuser, les réexploiter ? Selon quelles modalités (traitements de masse ou à la pièce, plus ou moins automatisés, etc.) ? Et quel contrôle sur leurs usages ?

La question de la migration des données du Sudoc dans le cloud, celle des licences relatives à l’usage des données, celle enfin du degré d’intégration des différents services proposés (au niveau matériel, logiciel, des données) sont des points-clés de la réflexion à conduire à ce sujet, et les options qui seront retenues auront des effets marqués sur le travail et les missions des bibliothécaires. En ces matières, cruciales, le mot d’ordre de l’empereur Auguste s’impose plus que jamais : Festina lente ! [Hâte-toi lentement !]. Sur l’ensemble de ces questions, les commissions Évolution des métiers et des compétences et Signalement et système d’information de l’ADBU apporteront leur pierre au débat. N’hésitez pas à participer à leurs travaux !

Les métiers dans les bibliothèques universitaires, thème du congrès 2012 de l’ADBU. Visuel extrait du catalogue du Congrès

Les métiers dans les bibliothèques universitaires, thème du congrès 2012 de l’ADBU. Visuel extrait du catalogue du Congrès

Conception : Virgile Laguin

1 http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=11433&voir=non&mac=yes&btRechercher=&mots=&idfiche

2 La prestation d’équipement des ouvrages constitue une option d’un marché d’achat d’ouvrages, que les candidats peuvent ou non retenir.

Notes

1 http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=11433&voir=non&mac=yes&btRechercher=&mots=&idfiche

2 La prestation d’équipement des ouvrages constitue une option d’un marché d’achat d’ouvrages, que les candidats peuvent ou non retenir.

Illustrations

Les métiers dans les bibliothèques universitaires, thème du congrès 2012 de l’ADBU. Visuel extrait du catalogue du Congrès

Les métiers dans les bibliothèques universitaires, thème du congrès 2012 de l’ADBU. Visuel extrait du catalogue du Congrès

Conception : Virgile Laguin

Citer cet article

Référence papier

Christophe Péralès, « SGBM : quel impact sur les métiers ? », Arabesques, 70 | 2013, 15-16.

Référence électronique

Christophe Péralès, « SGBM : quel impact sur les métiers ? », Arabesques [En ligne], 70 | 2013, mis en ligne le 06 janvier 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1081

Auteur

Christophe Péralès

Président de l’ADBU

president@adbu.fr

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