Le patrimoine de l’Observatoire de Paris : chantier ou laboratoire ?

DOI : 10.35562/arabesques.1144

p. 14-15

Plan

Texte

Le patrimoine de l’Observatoire de Paris couvre un large éventail de documents : imprimés, archives, collections muséales composées d’instruments, peintures, sculptures, pastels, dessins, meubles, éléments de décor, etc. S’il est aujourd’hui conservé et valorisé par la bibliothèque, c’est l’aboutissement d’une histoire complexe et non linéaire.

Fondée en 1785, la bibliothèque se voit aussitôt rattaché le cœur des archives de l’Observatoire, les journaux des observations conduites depuis 1671. Quand l’Observatoire passe en 1795 sous la tutelle du Bureau des longitudes, la Bibliothèque astronomique prend de l’ampleur et reçoit par décret d’importantes collections prélevées sur les « dépôts de livres appartenant à la Nation, et les doubles de la Bibliothèque nationale ». Non mentionnées, les archives sont cependant concernées : on transfère alors à l’Observatoire les très riches collections astronomiques du dépôt de la Marine, constituées par Joseph‑Nicolas Delisle, tandis que les membres du Bureau des longitudes font don des manuscrits en leur possession. Le Bureau, conscient de la lourdeur de la tâche, demande bientôt de l’aide et obtient en 1801 la création d’un poste de secrétaire‑bibliothécaire confié à des astronomes. François Arago sera son plus illustre titulaire.

Les instruments sont moins bien traités : à la différence des archives qui contiennent des données d’usage pérenne, ils sont amenés à être modifiés au cours de leur vie scientifique et éliminés lorsqu’ils sont techniquement dépassés. De façon générale, le patrimoine scientifique et technique a été en France, au contraire des pays anglo‑saxons, passablement négligé. À l’Observatoire, il connaîtra de ce fait bien des vicissitudes. Ainsi, le projet de musée qui naît à la fin du XVIIIe siècle vise surtout à éloigner les importuns des instruments en activité et des astronomes.

Les riches heures du musée

À son arrivée à la tête de l’Observatoire, le contre-amiral Mouchez a une autre vision : créer le musée français de l’astronomie. Déplorant que l’Observatoire « n’ait gardé que des traces relativement récentes de son passé scientifique et presque pas de l’époque de sa fondation », il obtient des crédits, collecte photographies et instruments auprès des observatoires étrangers, sollicite consulats et ambassades, descendants des astronomes illustres ou fabricants. Il envisage même d’enrichir ses collections par des prélèvements sur d’autres établissements espérant que « l’intérêt général d’une répartition plus méthodique et plus scientifique de ces richesses nationales » finira par prévaloir… Le musée incite aussi à un travail de collecte qui amènera des « trouvailles » inespérées, comme celle d’instruments du XVIe siècle oubliés dans un placard ; ou encore le rappel d’instruments prêtés dans des observatoires en province au cours des années 1830.

Les rapports annuels, inaugurés par Mouchez en 1878, égrènent fièrement au même titre que les travaux scientifiques les enrichissements du Musée astronomique. Alors que la bibliothèque peine à réaliser son catalogue, le musée prend son essor et occupe bientôt les plus belles salles du bâtiment historique construit par Claude Perrault. On y admire entre autres les étalons du système métrique, les appareils d’optique de Fresnel, d’Arago et de Fizeau, ou les merveilleux instruments d’Erasmus Habermel. Au deuxième étage, la salle du méridien, toujours aménagée pour les visites, abrite des bustes et des instruments de grande dimension.

Restauration du tableau noir de François Arago, 2003

Restauration du tableau noir de François Arago, 2003

© Dominique Monseigny/Observatoire de Paris

La bibliothèque au centre des collections

La tendance va rapidement s’inverser : la bibliothèque rend un service incontournable aux astronomes quand les pressions sur les locaux imposent de réduire l’emprise du musée. Au début du XXe siècle, ce dernier finit par se volatiliser littéralement et le déplacement des collections pour les greniers ou les caves n’est pas même jugé digne d’être signalé. Pénurie de locaux oblige, ces zones délaissées, et au demeurant mal adaptées, sont attribuées à la bibliothèque au cours du siècle. Cela permettra paradoxalement de sauver des documents exceptionnels, photographies scientifiques, plans, dessins, archives, exhumés peu à peu dans les années 2000, quand d’autres, dispersés dans les services, ont été égarés.

La mission patrimoniale, sans jamais disparaître, se maintient dans les marges de la fonction documentaire avec une activité très irrégulière d’expositions et de collecte, souvent dans l’urgence. Dans les années 80 et 90, on relève cependant d’importants versements d’archives institutionnelles et scientifiques (fonds de la Présidence, du Bureau international de l’heure, etc.) à la bibliothèque tandis que la fermeture du laboratoire d’optique, installé dans la salle de la méridienne, y ramène de nombreux instruments anciens. Au cours de la même période, la bibliothèque intègre des archives photographiques provenant de laboratoires ainsi que les collections collectées à l’Observatoire de Meudon par un groupe de chercheurs.

Portion de la Voie lactée, pastel de Étienne - Léopold Trouvelot, vers 1880

Portion de la Voie lactée, pastel de Étienne - Léopold Trouvelot, vers 1880

© J.-M. Kollar / Observatoire de Paris

Une démarche active de valorisation…

Une politique volontariste est mise en place en 2001 pour mettre en valeur ce patrimoine considérable, jusque-là montré lors d’événements mémoriels ponctuels comme le tricentenaire de l’Observatoire en 1967. Elle prend d’abord la forme d’expositions (Léon Foucault : le miroir et le pendule (2002), François Arago et l’Observatoire (2003), « c » à Paris en 2005).

Cette valorisation n’est pas sans impact sur les collections car elle s’accompagne d’un travail de recherche qui permet de signaler des manuscrits et des instruments oubliés et de conduire des restaurations parfois spectaculaires, comme celle du tableau noir de François Arago, abandonné et abîmé à la suite de nombreux déplacements au sein du bâtiment. Elle aura aussi des prolongements virtuels grâce à la mise en ligne d’expositions sur le portail www.science.gouv.fr. Cette valorisation entraînera une augmentation de moyens encore insuffisante mais néanmoins significative : une ligne budgétaire est ouverte à compter de 2006, qui chute cependant quatre ans plus tard, tandis que l’équivalent d’un ETP est dégagé en 2010 pour les missions liées au patrimoine. Cela permettra notamment la rénovation des espaces muséaux (2010) et le lancement de chantiers inédits (récolement des instruments du site de Paris, signalement et conservation du patrimoine audiovisuel, des fonds photographiques…) à côté des activités classiques comme la réalisation d’expositions annuelles ou les prêts d’œuvre.

…Au service d’une politique patrimoniale globale

L’effort a porté également sur la mise en ligne des catalogues anciens, avec l’ouverture en 2007 de la plateforme Alidade1 (basée sur Pleade) qui donne accès au noyau dur des collections d’archives et de manuscrits et à une partie des instruments et des fonds iconographiques encodés selon la DTD/EAD. Le point dur reste le signalement rétrospectif et le développement de nouveaux outils : ce travail de longue haleine tend en effet à être rejeté au second plan faute de moyens. Bien des fonds sont en attente de traitement, une version enrichie d’Alidade est en suspens depuis 2011, de même que la base de données de gestion des collections ou un projet de photothèque.

Parallèlement, une politique d’acquisition a permis des accroissements modestes et réguliers voire des enrichissements majeurs comme la Mesure de la Terre ou les cartes de la Lune de Claude Mellan. Les dons restent un apport important, attirés par le prestige de l’établissement et de ses collections. Face à l’impossibilité d’ouvrir le chantier des locaux, la politique de conservation s’est concentrée sur le reconditionnement des collections, ainsi que le contrôle et l’amélioration marginale des conditions climatiques. Cependant, des financements divers, notamment extérieurs, ont permis de mener à bien plus de 200 restaurations depuis 2003. Enfin la bibliothèque peine à faire émerger des projets qu’elle aurait matière à conduire comme celui d’une plateforme de signalement des fonds astronomiques français voire européens.

Le patrimoine scientifique et technique met en jeu, du point de vue de la valorisation, du traitement et de la conservation, les mêmes processus que les collections muséales classiques, mais ses modes de constitution sont fort différents. Il émerge de l’activité scientifique même de l’institution et sa valeur patrimoniale n’est pas un a priori. Patrimoine en chantier, il est en cela plus proche de l’archive que de la collection muséale, la collecte et la sélection primant sur l’acquisition. À l’Observatoire, la bibliothèque est un laboratoire qui définit comme patrimonial ce qu’elle décide de conserver. C’est une responsabilité qui doit être partagée : en témoigne le projet de création d’un Conseil du patrimoine.

En dépit d’une forte centralisation due à la perception de la bibliothèque comme structure fondamentale de conservation, une partie du patrimoine se trouve encore dans les laboratoires répartis sur trois sites (Paris, Meudon et Nançay). Un des enjeux d’avenir est précisément l’identification et la mise en valeur de l’ensemble du patrimoine de l’Observatoire et, au-delà, l’exploration de champs à peine effleurés, comme les archives orales, ou nouveaux, comme le patrimoine immatériel.

1 https://alidade.obspm.fr

Notes

1 https://alidade.obspm.fr

Illustrations

Restauration du tableau noir de François Arago, 2003

Restauration du tableau noir de François Arago, 2003

© Dominique Monseigny/Observatoire de Paris

Portion de la Voie lactée, pastel de Étienne - Léopold Trouvelot, vers 1880

Portion de la Voie lactée, pastel de Étienne - Léopold Trouvelot, vers 1880

© J.-M. Kollar / Observatoire de Paris

Citer cet article

Référence papier

Laurence Bobis, « Le patrimoine de l’Observatoire de Paris : chantier ou laboratoire ? », Arabesques, 69 | 2013, 14-15.

Référence électronique

Laurence Bobis, « Le patrimoine de l’Observatoire de Paris : chantier ou laboratoire ? », Arabesques [En ligne], 69 | 2013, mis en ligne le 29 août 2019, consulté le 16 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1144

Auteur

Laurence Bobis

Directrice de la Bibliothèque de l’Observatoire

laurence.bobis@obspm.fr

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