Le point de vue de Couperin

DOI : 10.35562/arabesques.1361

p. 10-11

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Texte

L'ABES est sans doute à la croisée des chemins, elle fournit des services dont la qualité et l’utilité sont reconnus mais va devoir s’adapter à un univers en pleine mutation. Les différents acteurs publics et privés voient leurs activités converger : les agences d’abonnement proposent des solutions logicielles hébergées associant gestion et métadonnées et pénètrent le marché des fournisseurs de logiciels de bibliothèques, alors que certains fournisseurs de logiciels produisent des métadonnées... La grille de lecture locale, nationale, globale n’est plus opérationnelle. D’une certaine façon, l’écosystème de la bibliothèque qui se pensait essentiellement à l’échelle de l’établissement doit laisser la place à un système plus complexe d’interdépendances de niveau mondial, basé de plus en plus sur une gestion de flux de données.

L’équilibre établi depuis des années se modifie : la phase de transition actuelle aboutira certainement à un repositionnement des acteurs. Jusqu’à ces dernières années, les fonctions étaient clairement séparées et les acteurs identifiés : aux sociétés informatiques incombait la mission de fournir des solutions de gestion, aux éditeurs des contenus et aux bibliothèques de produire et gérer les métadonnées et les documents.

À partir de ce rapide et schématique constat, je m’arrêterai sur quelques points du projet de l’ABES, qui constituent à mes yeux des enjeux majeurs pour le réseau des bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche dont la dimension stratégique devrait encore être davantage soulignée.

La création d’un hub de métadonnées

Ce point du projet d’établissement peut paraître au premier abord complexe à appréhender, il constitue pourtant un élément essentiel pour l’avenir. Les métadonnées ont longtemps été délaissées par le secteur privé comme un élément à faible valeur ajoutée (en dehors bien entendu des producteurs de bases de données dont c’est le cœur de métier), l’essentiel de la production basé sur la description et l’indexation de ressources majoritairement imprimées était du ressort des bibliothécaires et des documentalistes, la phase d’identification étant asservie à celle de la localisation. L’essor de la documentation électronique a modifié les rôles, les métadonnées bibliographiques se sont enrichies de métadonnées techniques, avec pour finalité ultime l’accès au document. Autant la localisation du document et son accessibilité physique étaient du ressort de la bibliothèque, autant l’accès au document électronique est essentiellement du ressort de l’éditeur, de l’agrégateur. La production des métadonnées a changé de mains avec l’électronique. Cette modification des rôles explique la situation actuelle des bibliothèques et de l’ABES qui ne sont pas en mesure de fournir un service totalement adapté de signalement des ressources électroniques. Les tentatives partielles de production de ce type de métadonnées par les bibliothèques n’ont pas été concluantes pour plusieurs raisons : le caractère mouvant d’une partie des métadonnées (exemple : les changements d’URL de liens), la modification continue du périmètre à couvrir (exemple : l’évolution du contenu des bouquets de périodiques), le caractère temporaire de l’accès à certaines ressources (en cas d’abonnement à une ressource sans cession des droits) et la granularité des ressources à décrire (l’unité signifiante pour le chercheur est l’article dans une revue mais ce n’est pas l’unité courante de description du bibliothécaire) et enfin la mise en œuvre d’une organisation supra-établissement pour gérer le système.

Le besoin étant réel, un marché nouveau est apparu et des sociétés l’ont investi en proposant des solutions intégrées : service logiciel + métadonnées des ressources électroniques. Faut-il pour autant renoncer à reconquérir ce terrain pour redevenir maître de nos métadonnées ? Certainement non, le réseau ABES est encore producteur de métadonnées originales sur certains segments de la production documentaire électronique (une grande partie de la littérature grise), la BNF produit la bibliographie nationale (y compris électronique) et l’INIST produit des bases comme Pascal et Francis. Ces métadonnées ont une plus-value : leur qualité et leur cohérence qui reposent notamment sur des autorités.

Une mise en cohérence du système devra être envisagée pour que la production publique de métadonnées profite à tous les acteurs de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture. Pourquoi l’enseignement supérieur n’utilise-t-il pas gratuitement les métadonnées produites par le CNRS-INIST ? Certainement que la question n’a pas encore été posée et les enjeux clairement identifiés. L’issue réside dans la mutualisation de ces métadonnées au sein d’un hub pensé comme un espace permettant leur réutilisation, une liaison entre elles et vers d’autres métadonnées, leur enrichissement... La guerre pour le contrôle des métadonnées est commencée, elle ne doit pas aboutir à une confiscation au profit des seuls intérêts commerciaux. L’ABES, comme la plupart des agences bibliographiques de même nature, achète l’essentiel des métadonnées à d’autres producteurs institutionnels publics (d’autres réseaux, des bibliothèques nationales) alors que les sociétés commerciales qui proposent des solutions intégrées de découverte ou de résolution de liens se fournissent auprès des éditeurs. Il faut absolument diversifier les sources d’approvisionnement de l’ABES et Couperin agira pour que les ressources acquises par les établissements soient livrées avec les métadonnées et la liberté pour l’acquéreur d’en déléguer l’exploitation à un tiers public ou privé. L’ABES est bien évidemment l’opérateur naturel pour les gérer, mais surtout pour les enrichir. Les procédures d’alimentation des catalogues (au sens large) de demain reposeront en grande partie sur du traitement de masse de métadonnées pour les doter d’une indexation en français et plus généralement multilingue. La production actuelle de notices à l’unité, mobilisatrice de nombreuses ressources humaines, devrait se réduire au profit d’une activité davantage orientée sur le contrôle qualité. La production automatique d’une indexation à partir du texte intégral d’un document est une voie qui a aussi certainement un avenir.

Laboratoire de l’université Paris Descartes

Laboratoire de l’université Paris Descartes

© com. Paris Descartes

L’autre élément propre aux ressources électroniques est leur exploitation par le fournisseur contrairement au document imprimé. L’enjeu de l’infrastructure ISTEX est bien entendu d’acquérir des contenus pour la recherche mais aussi de les exploiter à l’échelon le plus efficient, c’est-à-dire l’échelon national, puisque la politique d’acquisition se situe à ce niveau. Rien n’empêche d’envisager, dans un second temps, l’exploitation des données électroniques acquises par des établissements au niveau de ce type de plate-forme. Le projet ISTEX associera les principaux acteurs que sont l’ABES, Couperin et le CNRS-INIST.

La préfiguration d’une offre de service de système de gestion de bibliothèque partagé

Les fonctionnalités utiles des systèmes locaux de gestion de bibliothèque se réduisent, le catalogage est extérieur au système, le catalogue classique peut difficilement gérer la documentation électronique, le bulletinage et la gestion des périodiques imprimés diminuent avec la réduction du papier et l’interface publique du catalogue s’efface derrière des outils de découverte : les Discovery Tool. En poussant ce raisonnement, le SIGB ne servirait en fait qu’à gérer le prêt et les acquisitions imprimées : Mobibop comme forme ultime du SIGB local !

Il est nécessaire d’explorer, dès à présent, des solutions dépassant l’échelon local pour envisager une mutualisation des fonctions déjà gérées hors de l’établissement et ne traiter en local que ce qui est pertinent à ce niveau. Il s’agit de passer de la mutualisation des données (en grande partie déjà effective) à la mutualisation des fonctions par l’adoption d’un système de gestion commun. Cette approche ne relève pas du pari, elle est déjà à l’œuvre de façon parcellaire, morcelée, des applications communes existent avec STAR, CALAMES, HAL... Centrées autour des métadonnées (voire des données) et de leur gestion, elles incorporent des fonctionnalités déclinables à l’échelon local. Penser un SGB commun, c’est bien entendu penser un système plus complexe qu’un SIGB d’établissement, mais c’est aussi s’inscrire dans cette logique.

La conservation partagée des ressources documentaires

Le projet d’établissement de l’ABES prévoit de fournir les moyens pour organiser la conservation partagée des périodiques imprimés. Cet objectif est aujourd’hui essentiel puisque la grande partie des bibliothèques passent leurs abonnements en tout électronique. Couperin considère que la réflexion doit aussi porter sur la conservation partagée des ressources électroniques. Cette dimension est prise en compte pour les ressources acquises au niveau national ou faisant l’objet de groupement de commandes de grande ampleur, mais rien n’est fait pour les ressources acquises isolément par un ou plusieurs établissements. Ces derniers sont souvent détenteurs des sources avec un droit d’exploitation mais n’en font aucun usage, utilisant la ressource sur le site de l’éditeur. Le recensement de ces ressources, la récupération des fichiers sources, l’archivage pérenne et le cas échéant son exploitation sur ISTEX (dans le respect des droits acquis) devront rapidement faire l’objet d’un plan. Des recommandations sur les supports, les formats de données, la structuration... peuvent déjà être élaborées.

Une indispensable coopération entre les acteurs publics

Coopération, mutualisation sont des idées qui me sont chères, de longue date, et dont la pertinence et l’efficacité m’apparaissent indéniables. L’ABES comme Couperin – bien qu’étant des structures dont les statuts, la gouvernance, les missions, les moyens, l’histoire... sont forts différents – ont un point commun essentiel : celui de ne trouver la légitimité de leur action que dans le réseau d’établissements qu’elles desservent. L’articulation des projets, le dialogue permanent entre les opérateurs sont aussi des facteurs essentiels pour que le rôle et l’efficience des bibliothèques soient renforcés.

Illustrations

Laboratoire de l’université Paris Descartes

Laboratoire de l’université Paris Descartes

© com. Paris Descartes

Citer cet article

Référence papier

Grégory Colcanap, « Le point de vue de Couperin », Arabesques, 65 | 2012, 10-11.

Référence électronique

Grégory Colcanap, « Le point de vue de Couperin », Arabesques [En ligne], 65 | 2012, mis en ligne le 20 décembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1361

Auteur

Grégory Colcanap

Directeur du SCD de l’université d’Évry-Val d’Essonne, est le coordonnateur du bureau professionnel de Couperin - Consortium Couperin http://www.couperin.org

gregory.colcanap@univ-evry.fr

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