Couperin et l’Abes : de la différence dans l’union libre

DOI : 10.35562/arabesques.2305

p. 12-13

Plan

Texte

Différentes par nature, les deux institutions sont alliées pour accompagner les mutations des bibliothèques dans la révolution de la science ouverte.

Couperin et l’Abes se sont associés dans l’intérêt des établissements que le consortium représente et que l’agence dessert. Cette collaboration a pris la forme d’un premier groupement de commandes en 2001 pour l’acquisition des revues de l’éditeur Elsevier. Le portage des groupements de commandes est progressivement monté en charge pour atteindre un plafond de verre déterminé par la soutenabilité financière de l’ensemble des marchés d’acquisition de ressources électroniques. Un équilibre des missions s’est établi avec le temps, les rôles ont été répartis avec des phases de convergences et d’interrogation des missions de chacun pour aboutir à un équilibre permettant à chaque opérateur de valoriser son expertise. Cette mise en cohérence a été grandement facilitée en désignant la même personne pour présider à la fois Couperin et le conseil d’administration de l’Abes. De 2009 à 2019, Jean-Pierre Finance a exercé cette double mission et à sa suite, Lise Dumasy. Les relations institutionnelles sont largement dépendantes des hommes et des femmes qui les incarnent, mais aussi de tous les collègues qui travaillent de concert, dossier par dossier.

Istex, un socle documentaire national innovant

Si l’achat de ressources électroniques fut premier, très vite d’autres centres d’intérêt communs émergèrent et se matérialisèrent par des projets. Citons en 2009 le projet de mise en place d’un système mutualisé de gestion des ressources électroniques, appelé ERMS partagé, initiative de Couperin pour doter les établissements et le consortium d’un outil partagé de gestion et de signalement, qui se solda par un échec. Ce projet était trop novateur pour l’époque et aucune solution technique n’était en mesure de répondre à nos besoins sur le marché. Néanmoins, tout le travail fourni, notamment pour les établissements impliqués dans l’élaboration du programme fonctionnel, a permis de mieux définir les besoins des établissements tant au niveau local que national. Une partie des questions soulevées sont encore sans réponse complètement opérationnelle au niveau du pays, notamment le signalement.

Le second projet d’envergure, pleinement réussi, est Istex. La collaboration débute en 2011 avec la phase d’élaboration commune. En voulant créer un socle documentaire national doté de services d’exploration des contenus, alimenté dans une première phase par des ressources documentaires rétrospectives, le pays innovait et offrait un service garantissant une égalité d’accès sans disparités territoriales et s’engageait aussi dans le développement et la maîtrise de technologies innovantes. Ce fut aussi l’occasion de construire des liens solides et fructueux avec l’Inist-CNRS. Les ponts entre l’enseignement supérieur et la recherche dans le secteur de l’IST se matérialisaient enfin autour d’un projet commun et se poursuivent toujours au travers des acquisitions de CollEx-Persée, des versements de contenus dans Panist ou encore dans le développement de solutions techniques pour l’analyse des usages.

Troisième illustration, la mise en œuvre du plan de soutien à l’édition scientifique française. Cette action s’inscrivait pas dans les compétences habituelles de négociation et d’achat de l’Abes et de Couperin mais dans le cadre d’une commande politique articulée avec la loi pour une République numérique, source de complexité et d’innovations.

Enfin, dernier jalon, la création en 2019 de la communauté française Orcid, engagement de la France dans le cadre de l’Open Government Partnership pour regrouper les établissements français et s’engager dans une démarche d’adoption généralisée de cet identifiant international des chercheurs.

Différents et complémentaires

L’Abes et Couperin sont de nature très différente : une association et un établissement public administratif. Au-delà du simple statut juridique, la nature de nos ressources humaines - s’appuyant sur les volontaires dans les établissements d’un côté, agents exerçant des missions dans un établissement de l’autre - mais aussi la forme de nos gouvernances, déterminent nos marges d’autonomie. Ces caractéristiques nous amènent à aborder les dossiers différemment. Ce sont nos différences qui font aussi notre complémentarité. Nous nous chamaillons parfois, mais tendrement, parce que nous savons que nous trouverons forcément un point d’accord, tant par nécessité que par désir de construire. Il ne peut en être autrement car nous sommes au service des mêmes établissements.

Neurones de Cajal

Neurones de Cajal

© Odra Noel

Les bibliothèques face à la révolution de la science ouverte

Ma position d’acteur engagé, membre du CA de l’Abes, et coordonnateur de Couperin depuis plus de 10 ans, me permet de percevoir le chemin parcouru mais aussi les défis qui nous attendent encore. Nous évoluons d’un paradigme de constitution de collections documentaires numériques avec une assise nationale à celui de construction d’un système de publication ouvert où la dimension internationale constitue un facteur déterminant. Nous devons répondre à plusieurs questions : qu’est-ce qu’une bibliothèque dans le monde de la science ouverte ? Les collections imprimées continueront à exister pour un certain temps encore, notamment pour répondre à une partie des besoins des étudiants. L’acquisition de documents sur support physique ne constitue plus l’essentiel des dépenses des services documentaires mais mobilise encore fortement les moyens humains. Pour les productions de niveau recherche, les bibliothèques s’orientent dans plusieurs voies : la bibliothèque en soutien à l’édition - de revues le plus souvent - la bibliothèque gestionnaire de l’activité de publication qui négocie et finance auprès des éditeurs le droit à publier, la bibliothèque qui préserve des collections publiées en accès libre, la bibliothèque gestionnaire des publications collectées directement auprès des auteurs ou des éditeurs en fonction des droits associés aux contenus et aux versions (les archives ouvertes), et des données de la recherche (les entrepôts de données), la bibliothèque comme fournisseur de services d’analyse et d’exploration des contenus. Les missions de formation aux compétences informationnelles, d’animation culturelle ou de numérisation de corpus patrimoniaux demeurent aussi des axes de développement.

Le modèle classique - sélection, acquisition, signalement, mise à disposition, évaluation des usages, conservation, est déjà fortement perturbé. Les missions demeureront mais ce ne seront pas forcément les mêmes acteurs qui agiront. Le tableau ci-dessous tente d’identifier les activités qui seront le plus atteintes par ces évolutions en faisant l’hypothèse que les bibliothèques resteront les opérateurs principaux dans ces champs d’activité.

Elaborer une vision pour le monde d’après

La principale évolution est d’une certaine façon une révolution, il n’est plus question d’acquérir des documents pour donner accès mais de financer l’activité de publication réalisée par des éditeurs ou des plateformes publics et privés, ou bien d’assurer cette fonction, la bibliothèque devenant elle-même gestionnaire de plateformes d’édition. Les enjeux d’évaluation des usages se modifient, les mesures de consultation des ressources permettent actuellement de mesurer l’adéquation de l’offre à la demande, dans un monde ouvert, il s’agira de mesurer l’audience et la pertinence des ressources que la bibliothèque soutient. Enfin, les enjeux de conservation restent identiques dans une relation différente avec les producteurs, qui passeront d’une position de monopole à une position de prestataire de services pour autant que les contenus qu’ils diffusent soient systématiquement dans des licences ouvertes et très libérales (CC-BY), rendant possible le moissonnage des productions en vue de leur conservation mais aussi de leur exploitation à des fins de fouille.

Sur de nombreux segments, l’Abes et Couperin, mais aussi d’autres acteurs de l’IST en France comme l’Inist-CNRS, Persée ou OpenEdition, ont un rôle à jouer. C’est à nous, collectivement, avec les établissements dans leur diversité, de définir les missions que nous souhaitons assumer. Faute d’avoir une vision où nous aurons un rôle à jouer, nous risquons d’être de simples figurants dans le monde d’après.

 

 

Illustrations

Neurones de Cajal

Neurones de Cajal

© Odra Noel

 

Citer cet article

Référence papier

Grégory Colcanap, « Couperin et l’Abes : de la différence dans l’union libre », Arabesques, 100 | 2021, 12-13.

Référence électronique

Grégory Colcanap, « Couperin et l’Abes : de la différence dans l’union libre », Arabesques [En ligne], 100 | 2021, mis en ligne le 13 janvier 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2305

Auteur

Grégory Colcanap

Coordonnateur du consortium Couperin.org, directeur de la BU, Université d’Evry Val d’Essonne

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