LIBRIS. Ou pourquoi libérer ses données bibliographiquesÀ la suédoise

DOI : 10.35562/arabesques.2030

p. 12-13

Plan

Texte

LIBRIS1 est un catalogue collectif, géré par la Bibliothèque nationale de Suède et créé par environ 300 établissements documentaires, principalement d’enseignement supérieur et de recherche. LIBRIS comprend près de 6,5 millions de notices bibliographiques qui décrivent tous types de documents, du manuscrit médiéval au périodique électronique. Les données bibliographiques de LIBRIS sont libres et peuvent être utilisées par tous, conformément au souhait de la Bibliothèque nationale que le catalogue soit considéré comme une ressource en soi, et plus seulement comme un moyen d’accéder à d’autres ressources. LIBRIS est accessible sur Internet dans différents formats et il n’existe aucune restriction quant à l’utilisation qui peut être faite de ses données. En effet, la Bibliothèque nationale considère l’accès libre aux informations bibliographiques comme une question hautement stratégique pour les bibliothèques dans les années à venir.

LIBRIS de Suède

C’est la Bibliothèque nationale qui assure la maintenance de LIBRIS et donc qui en possède les serveurs informatiques. La question de la propriété des informations contenues dans la base est arrivée assez tardivement. Des débats avaient parfois eu lieu dans les années 1980 mais aucune conclusion n’avait été trouvée. L’information était uniquement disponible pour les bibliothèques du réseau et jamais un cas de bibliothèque ayant revendu les informations ne s’était présenté. Peut-être était-ce parce que, l’intérêt pour les notices bibliographiques de LIBRIS ne s’étendant guère au-delà de la Scandinavie, leur revente ne représentait pas un réel marché. Quoiqu’il en soit, avant 1997, tant que les bibliothèques pouvaient accéder à la base, on ne s’est jamais vraiment posé la question de la propriété des notices.

La directive européenne de 1996 sur les bases de données, transposée dans le droit suédois en 1998, fournit enfin la protection juridique qui manquait.

Après 1998, il devint évident que LIBRIS devait être soumis aux droits d’auteur. Or, comme les accords passés entre LIBRIS et les bibliothèques n’abordaient nulle part la question de la propriété, personne ne pouvait vraiment réclamer celle des notices. Comme la base avait été élaborée collectivement en 1970, et que la plupart des données provenant des catalogues plus anciens avaient été réutilisées depuis, il était devenu impossible de déterminer qui avait initialement produit quelle information. LIBRIS devait alors être considéré comme une œuvre collective et c’est donc collectivement que les bibliothèques devaient être ses propriétaires. Cette solution suscita cependant d’énormes problèmes. L’un d’entre eux venait de la nature de l’administration publique suédoise.

Le gouvernement suédois est complètement décentralisé. Les différentes agences gouvernementales, parmi lesquelles de nombreux membres de LIBRIS, sont indépendantes les unes des autres. Les municipalités, qui participent souvent elles aussi au catalogue, sont indépendantes de l’État, et les universités, bien que gérées par l’État, sont considérées comme des institutions autonomes. Si LIBRIS est basé sur la coopération, il est toujours possible pour une bibliothèque de le quitter en demandant à conserver les informations obtenues durant la période d’adhésion, et à garder voix au chapitre en ce qui les concerne. Or comme une propriété collective implique forcément des prises de décisions collectives, et qu’aucun membre ne pouvait parler au nom d’un autre, ce type de propriété s’avéra impossible.

On s’arrêta donc plutôt sur une solution qui semblait parfaite compte tenu de l’administration publique suédoise. La base et ses notices devaient être la propriété de la Bibliothèque nationale mais devaient rester consultables et gratuites pour tous, membres de LIBRIS ou non.

Nœud gordien

Il s’agit en quelque sorte d’une solution comparable à celle du nœud gordien, car l’on résout ainsi d’un seul coup de nombreux problèmes très compliqués. Et comme il est désormais écrit dans les accords passés avec les membres que la Bibliothèque nationale possède la base, elle peut désormais prendre des décisions quant à la gestion de LIBRIS sans avoir à obtenir l’accord d’un quelconque conseil des membres. Parallèlement, les bibliothèques participantes peuvent toujours prendre des décisions en ce qui concerne les informations qu’elles importent de LIBRIS.

Les bibliothèques sont libres d’adhérer et de partir. Cette politique d’ouverture permet une flexibilité maximale pour une complexité minimale.

Avec LIBRIS, tout le monde profite de la réutilisation libre des informations bibliographiques. L’effort que demanderait une traque des abus serait finalement beaucoup plus important que les dommages que ces éventuels détournements pourraient nous causer. Par ailleurs, en tant qu’institutions basées sur des fonds publics, nous ne voyons pas vraiment quels dommages pourraient provenir de la réutilisation des informations bibliographiques de LIBRIS. Nous considérons plutôt les missions que le gouvernement suédois s’est fixées en termes de promotion de l’accès à la recherche scientifique suédoise et au patrimoine culturel : et quel meilleur moyen pour les remplir que de fournir gratuitement les clés de l’information ?

Tout à gagner

Aujourd’hui, les bibliothèques du monde entier n’ont rien à gagner (mais au contraire tout à perdre) à garder les données bibliographiques hors d’atteinte des internautes.

Ayant négocié de nombreux accords pour un usage illimité des informations importées dans LIBRIS, nous avons l’impression que ces négociations sont devenues de moins en moins difficiles à mener. La plupart des organismes qui nous fournissent en notices ne gagnent plus beaucoup, si tant est qu’elles soient de nature commerciale, en vendant des données bibliographiques mais plutôt en publiant des livres et des revues. Proposer leurs données à LIBRIS est considéré par les éditeurs comme un avantage, car fournir des notices bibliographiques est un bon argument de vente. Les éditeurs, comme les bibliothèques, bénéficient de la réutilisation des données, car elle leur permet de faire des économies.

La résistance à ce libre partage semble provenir des institutions et organismes qui tiraient auparavant profit de la vente de ces informations. Tout compte fait, le faible intérêt prêté aux données bibliographiques suédoises tout au long du xxe siècle a fait que nous n’en avons jamais tiré un profit financier. Nous n’avons pas fait de bénéfices en verrouillant nos informations bibliographiques et nous avons exclus dès 1997 toutes les données qui ne seraient pas disponibles librement…

Mettre en place une politique d’ouverture n’est pas si compliqué ! Cela paraît plus difficile en revanche pour les grandes bibliothèques nationales qui trouvent une partie de leurs recettes dans la vente de données bibliographiques, ainsi que pour les catalogues collectifs qui se sont constitués à partir de nombreuses sources sans vraiment savoir quel pourcentage de leurs données est soumis à conditions. Nous avons malgré tout l’impression que la plupart des bibliothèques et des institutions publiques s’oriente aujourd’hui vers des politiques d’ouverture des données. Et la meilleure façon pour les bibliothèques de lutter contre les organismes qui font des informations et des bases de données bibliographiques un commerce, c’est d’ouvrir autant que possible leurs données, car plus les informations circulent librement, plus il est difficile d’en garder verrouillées.

1 LIBRIS signifie LIBrary Information System (système d’information de bibliothèque).

Notes

1 LIBRIS signifie LIBrary Information System (système d’information de bibliothèque).

Citer cet article

Référence papier

Anders Söderbäck, « LIBRIS. Ou pourquoi libérer ses données bibliographiquesÀ la suédoise », Arabesques, 58 | 2010, 12-13.

Référence électronique

Anders Söderbäck, « LIBRIS. Ou pourquoi libérer ses données bibliographiquesÀ la suédoise », Arabesques [En ligne], 58 | 2010, mis en ligne le 30 juillet 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2030

Auteur

Anders Söderbäck

Bibliothèque nationale de Suède Biblioteksgatan 29 Box 5039 - 102 41 STOCKHOLM

anders.soderback@kb.se

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Traducteur

Laure Kerambellec

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