BU d’Angers : et vogue le navire

DOI : 10.35562/arabesques.2549

p. 8-9

Plan

Texte

Entre pragmatisme, bon sens, anticipation et improvisation : le journal de bord de la BU d’Angers pour rester à flot pendant la crise sanitaire.

Depuis un an, nous usons et abusons de métaphores maritimes pour décrire notre manière de flotter au gré du courant d’une crise qui dure. La forte image du film de Fellini, E la nave va, montrant un petit bateau chargé d’un rhinocéros traduit fort bien notre ressenti collectif face à la situation improbable et inconfortable que nous traversons.

Voici donc un bref retour d’expérience, subjectif et singulier, sur la manière dont les bibliothèques universitaires et archives de l’université d’Angers ont essayé de tenir à flot leur barque avec le gros rhinocéros de la crise sanitaire à son bord.

Les BU d’Angers sont une flottille de deux gros vaisseaux de croisière, de 900 et 1000 places, avec un équipage de 20 personnes environ chacune et d’un petit bateau technique en charge des archives de l’université et ses 5 matelots.

Prendre la première vague, mars-mai 2020

L’annonce le 14 mars 2020 de la fermeture totale des universités a été un moment de sidération. C’est peu dire que nous n’étions pas prêts, dans un département encore peu touché par la crise sanitaire. Nous avions, en fait, un plan de navigation très différent : la semaine précédente s’était achevée sur le beau spectacle Bonhomme de Laurent Sciamma dans le cadre du Mois du genre, la programmation in situ était affichée à l’entrée de chacune des BU et les petits gadgets en forme de clitoris qui devaient être distribués en souvenir lors de certaines conférences étaient prêts à sortir des imprimantes 3D de Polytech Angers. Des séances de caresses à des chiens et chats câlins étaient programmées les mercredis et vendredis jusqu’aux vacances d’avril, le dispositif « Place à (P)rendre » incitait les étudiants à partager les places pour faire face à l’affluence et nous étions en plein dans l’écriture d’un projet de service faisant la part belle aux aspects conviviaux de la vie d’une BU.

Lors de ce premier confinement, la gouvernance de l’université d’Angers a eu une approche très restrictive de la circulation et du plan de continuité d’activité : l’accès aux bâtiments n’a été autorisé qu’à quelques agents pour des questions d’entretien du bâtiment.

Lorsque nous avons pris la première vague, seuls 19 agents sur 50 étaient équipés d’ordinateurs portables professionnels.

Les premières semaines de confinement ont été occupées à recenser les possibilités de télétravail de chacun, en fonction de sa situation familiale et de son environnement technique, à caler les questions de positions d’activité et de temps de travail « réel ». Seules deux priorités avaient été fixées à l’équipe de la BUA : se maintenir en bonne santé morale et physique et créer des conditions favorables pour pouvoir reprendre le travail rapidement à la fin du confinement.

Nous avons eu la chance de travailler avec une équipe politique tout juste réélue pour 4 ans. Expérimentée, unie et compétente, elle a fait beaucoup pour anticiper et sécuriser le cadre de travail collectif et nous a protégé, par des décisions fortes prises et votées tôt au niveau local, des va-et-vient tardifs des arbitrages nationaux. Elle a notamment évité les différences de traitement entre agents sur les sujets aussi sensibles que les congés et l’indemnitaire, et a permis un large usage du statut ASA Covid pour éviter de dévaluer la notion de télétravail.

L’occasion d’avancer sur des chantiers toujours reportés

Nous nous sommes efforcés de trouver des chantiers et activités pour les collègues en mesure de télétravailler et qui étaient en demande, sans en faire, lors de cette première vague, notre priorité.

Comme beaucoup, nous avons eu trois grands types de projets « Yoni » (Your Organisation Not In Situ). Tout d’abord le service de réponse en ligne. Ubib ne s’est pas interrompu une seule journée pendant le confinement et le réseau a continué à répondre aux horaires habituels à des questions nombreuses en chat ou par mail. Nos formulaires de réponse en ligne ont connu un succès sans précédent, notamment pour rassurer les 8 000 utilisateurs détenant 24 000 documents de la BU sur les conditions de restitution pendant et après la crise. Les rendez-vous avec un bibliothécaire ont été transposés en ligne. L’amélioration des instruments de recherche ensuite : nettoyage de données des catalogues, notamment grâce à l’ouverture de WinIBW, application de catalogage dans le Sudoc, à des ordinateurs sans VPN, travail à plusieurs mains d’unification de la grosse centaine d’inventaires à relire et à reprendre dans Calames. La crise a permis d’avancer ces chantiers importants et non urgents que nous reportions d’année en année au moment « où on aurait du temps ». Dernier grand projet : le signalement de ressources ouvertes à titre exceptionnel.

Illustration Aashti Miller

Illustration Aashti Miller

@unitednations-Unsplash

Anticiper une rentrée « pas normale »

A l’annonce du déconfinement fin avril, un des enjeux était de remettre en route une équipe atteinte du « syndrome du naufragé », fait d’une peur de sortir de chez soi, d’une attention exacerbée au « théâtre de l’hygiène » et ayant besoin d’assurance pour reprendre le chemin du travail sur site sans peur.

Là encore, une bonne organisation locale nous a protégé des flottements nationaux : nous avions un protocole, des masques, un cadre écrit le 3 mai et un calendrier. Nous n’avons jamais attendu des consignes d’en haut pour protéger notre public et notre personnel, en portant à notre échelle une attention toute particulière aux données de la recherche en train de se faire. On ne dira jamais assez ce qu’un bon bibliothécaire médical peut faire !

Dès fin avril, nous nous sommes dits que la réservation de créneau avec jauge était le meilleur moyen à notre portée de garantir l’étalement des venues. Par imitation du protocole imaginé par l’équipe d’Olivier Tacheau à Caen, nous avons opté pour un accès direct à la collection par le public et un retour des livres via les automates de prêt avec dépôt sur des étagères roulantes. Nous avons déterminé la durée de quarantaine des documents en fonction de ce que nous pouvions stocker plutôt qu’en fonction de critères sanitaires qui faisaient déjà débat au sein de la communauté scientifique. La consigne masque + lavage de mains avant et après nous a paru préférable à de nombreuses manipulations des documents pour respecter une longue quarantaine.

Dès le 27 avril, nous discutions avec Affluences, dont nous sommes l’un des clients historiques, des possibilités techniques de leur solution, que nous utilisons pour les réservations de salle de groupes depuis 2017. Moyennant un partenariat de « co-développement », nous avons pu être une BU bêta-testeuse de leurs innovations techniques.

Histoire de ne pas être surpris une fois de plus par la marée, nous avons fait le choix délibéré d’anticiper une rentrée « pas normale », à un stade ou un autre. Nous avons organisé une concertation avec l’aide des élus au conseil documentaire et de la VP étudiante avec plusieurs scénarios, validé le principe d’ajustements au fil de l’eau sur la base d’un prototype imparfait et fait plusieurs paris qui nous ont permis de prendre assez tranquillement la deuxième vague.

Prêts pour la deuxième vague, novembre 2020-février 2021

Les paris de la réservation à la place, de l’augmentation du nombre de moniteurs étudiants, celui de la préparation de plannings d’accueil permettant de passer 75% de l’équipe en télétravail chaque demi-journée si nécessaire ont montré leur utilité lors de l’arrivée de la deuxième vague.

L’équipement des 50 agents en postes « Flex » (portable + station d’accueil + écran extérieur) et dès septembre en accès VPN aux outils métiers (SIGB, Sudoc, répertoires partagés) ont été vite rentabilisés, de même que la formation et la pratique régulière de temps collectifs et de formations participatives exclusivement en ligne.

Le renforcement, grâce au passage à Libanswer via le réseau Ubib de l’infrastructure de réponse en ligne et la formation de l’ensemble des collègues répondants se sont également révélés fort précieux. Alors que nous avions fait le gros dos et « sacrifié » le travail lors de la première vague, nous avons cette fois pris la mesure de l’importance de ce dernier pour le bien-être psychologique de l’équipage et nous avons placé sa continuité pour tous comme priorité.

Anticiper plutôt que suivre, faire plutôt qu’attendre, accepter parfois une prise de risque juridique minime sans jamais transiger sur la santé des personnels et du public, considérer qu’il y a toujours à apprendre et à garder lorsqu’on surmonte un coup de tabac : ainsi va notre petit navire au fil de la houle, en attendant le retour du beau temps, belle mer et du côté « la croisière s’amuse » qui nous est si cher.

Illustrations

Illustration Aashti Miller

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Citer cet article

Référence papier

Nathalie Clot, « BU d’Angers : et vogue le navire », Arabesques, 101 | 2021, 8-9.

Référence électronique

Nathalie Clot, « BU d’Angers : et vogue le navire », Arabesques [En ligne], 101 | 2021, mis en ligne le 16 avril 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2549

Auteur

Nathalie Clot

Directrice de la Bibliothèque universitaire d’Angers

nathalie.clot@univ-angers.fr

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