Les mathématiciens sont très attachés à leur documentation qui est leur principal outil de travail. Ils y consacrent beaucoup d’efforts ainsi qu’une part importante de leur budget de recherche et ils ont développé depuis de nombreuses années des outils spécifiques comme le langage TeX ou les bases de références bibliographiques. Conçu pour éditer les textes mathématiques, TeX est un véritable langage de programmation qui est utilisé assez largement dans d’autres contextes.
Il permet de construire les formules mathématiques les plus compliquées mais également, au travers de ses extensions comme LaTeX, de gérer entièrement l’édition d’un article (mise en page, sommaire, bibliographie, numérotation automatique des théorèmes…).
Un autre de ses atouts est sa capacité à créer des impressions (sur papier ou électroniques) à des résolutions variables. À l’heure où l’on s’inquiète beaucoup de l’archivage des documents électroniques, TeX garantit la possibilité de recréer des documents complexes dans n’importe quel format et donc de préserver leur avenir. L’utilisation de TeX reste cependant assez complexe et l’archivage d’un document TeX doit être accompagné de tout son environnement pour être réutilisable. C’est pourquoi d’autres formats mieux structurés comme MathML ont été proposés mais actuellement ils n’autorisent qu’une faible partie des possibilités de TeX et celui-ci restera probablement encore longtemps la référence. Pour leurs recherches bibliographiques, les chercheurs en mathématiques utilisent presque exclusivement les deux bases de données que sont MathSciNet et Zentralblatt.
La première est éditée par l’AMS (American Mathematical Society) et la seconde par un organisme allemand (le FIZ Karlsruhe) avec le soutien de la Société mathématique européenne. Les institutions françaises soutiennent également le Zentralblatt par l’intermédiaire de la Cellule MathDoc. Créées comme des revues d’analyses des articles de mathématiques, elles sont devenues des bases de données incontournables à l’ère des publications électroniques. Zentralblatt a eu un précurseur, le « Jahrbuch über die Fortschritte der Mathematik » qui, intégré récemment dans la base du Zentralblatt, permet de faire des recherches bibliographiques remontant jusqu’en 1868.
Mais l’outil de travail principal du chercheur en mathématiques reste sa bibliothèque. Dans son travail quotidien, il a souvent besoin de consulter simultanément un grand nombre de revues ou de livres. Cela tient à la nature de ses recherches, à la nature des revues qui en mathématiques sont souvent généralistes et aussi au fait, assez remarquable, qu’une publication mathématique garde son intérêt (autre que historique) pendant très longtemps. C’est pourquoi un centre de mathématiques vit autour de sa bibliothèque et d’ailleurs les centres de mathématiques importants sont, partout dans le monde, associés à une grande bibliothèque de mathématiques. Très attaché à sa bibliothèque, le mathématicien veut aussi un droit de regard sur son fonds. Les augmentations très importantes du prix des revues qui ont eu lieu ces dernières années obligent la plupart des centres à faire des choix difficiles. Les chercheurs sont intéressés au premier chef à ce que ces choix soient scientifiques et non pas dictés par la politique commerciale des grands éditeurs. Si l’entretien d’une bibliothèque de qualité est coûteux pour un grand centre, il est tout simplement hors de portée d’une petite unité. Les échanges entre bibliothèques sont utiles mais entraînent des délais très pénalisants. La solution naturelle est un développement de la documentation électronique. Encore faut-il que cette voie soit réellement moins chère ce qui, malheureusement, n’est pas vraiment le cas actuellement.
Le système que développent les grands éditeurs, la vente de « packages » mélangeant bonnes et moins bonnes revues, publications pertinentes et hors sujet, vise en réalité à augmenter le coût global de leur catalogue. Si les bibliothèques se laissent enfermer dans cette logique, non seulement elles dépenseront de plus en plus pour ces publications mais, ce qui est plus grave, elles devront se désabonner des autres, c’est-à-dire des revues académiques. Ce phénomène est aggravé par une concentration rapide des maisons d’édition commerciales. Il n’est pas particulier aux mathématiques mais, étant donné que la documentation est le premier équipement des laboratoires de mathématiques, ils le ressentent de manière plus aiguë que les laboratoires des disciplines expérimentales.
Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de développer plusieurs stratégies. Il faut se protéger de la politique des éditeurs en privilégiant des achats ciblés reposant sur des évaluations scientifiques et dans le même temps développer les méthodes d’éditions alternatives. Une première voie repose sur la mise à disposition des prépublications, leur recensement et leur conservation. C’est ce qu’a entrepris le CCSD pour l’ensemble des disciplines scientifiques en collaboration avec le célèbre site ArXiv qui est la référence dans ce domaine. Il est envisagé la création de revues virtuelles qui recensent et évaluent les meilleurs articles dans ces prépublications. On a également proposé la création de revues financées par les auteurs (ou plutôt leurs laboratoires) mais se pose le problème du maintien d’un haut niveau de qualité pour ce type de publications. La priorité est plutôt au soutien des revues académiques afin qu’elles concurrencent en qualité et évidemment en prix les revues commerciales. Les mathématiques françaises ont la chance de posséder plusieurs revues de niveau international et le CNRS est décidé à les soutenir par la création d’un pôle d’édition sous la responsabilité de MathDoc. Ce pôle complétera le programme NUMDAM – Cf. ci-dessous É. Cherhal.
Comme dans d’autres domaines, la documentation mathématique est à un tournant. La documentation imprimée est remplacée partiellement par la documentation électronique et les problèmes que cela pose sont loin d’être résolus, concernant notamment la consultation et surtout l’archivage. Par ailleurs, l’espoir de diminution des coûts que font naître ces nouvelles techniques est encore trop souvent illusoire. Cependant cette évolution, pour lente qu’elle soit, est inéluctable. Le plus important est de ne perdre ni les documents, faute d’archivage à long terme, ni l’indépendance des structures universitaires face aux grands éditeurs.
Yves Laurent
La Cellule MathDoc
L’existence même de l’unité mixte de service « Cellule MathDoc » témoigne de l’intérêt particulier que portent les mathématiciens à la documentation. Créée par les professeurs Pierre Bérard et Laurent Guillopé, en 1995, avec le soutien du CNRS (département SPM), du ministère de la Recherche et de l’université Grenoble-I, la Cellule MathDoc, équipe à vocation nationale, a été lancée à une époque où l’informatique documentaire prenait une place de plus en plus importante dans les bibliothèques (gestion, consultation de catalogues ou de bases de données via le réseau, revues de sommaires, journaux électroniques…), et où très peu de laboratoires de mathématiques disposaient d’un ingénieur informaticien. À l’époque de sa création, elle était chargée des missions suivantes :
- établir une carte des ressources documentaires en mathématiques, la maintenir et la rendre accessible à tous les laboratoires et bibliothèques de mathématiques ;
- mettre en place et maintenir des outils informatiques facilitant l’accès à l’information et la diffusion de la documentation et de l’information ;
- jouer un rôle de soutien technique et de veille technologique auprès des bibliothèques de mathématiques.
Par ailleurs, elle avait la mission de piloter la participation française à la coopération franco-allemande sur le Zentralblatt für Mathematik – premier pas vers une extension européenne du Zentralblatt. Cette coopération portait sur le développement, la maintenance et l’installation d’une interface web et sur l’alimentation électronique de la base par les producteurs de littérature, assurant ainsi une couverture plus rapide de la littérature mathématique éditée en France. Tout en continuant d’assurer ces premières missions, comme en témoignent le portail documentaire mathématique et l’extension de l’outil EDBM, largement utilisé non seulement pour la base Zentralblatt–MATH, mais pour de nombreuses autres bases de données (CompuScience, EULER…), les activités de la Cellule MathDoc se sont orientées vers la documentation numérique en ligne. Ainsi, les index nationaux des prépublications et thèses de mathématiques en ligne ont vu le jour en 1998 et le programme NUMDAM a présenté en ligne ses premières collections numérisées en décembre 2002. Le programme NUMDAM, lancé en 2000, constitue une archive numérique en accès libre et gratuit (passé un créneau mobile, en général, de cinq ans) des revues mathématiques françaises. Actuellement les collections de neuf revues mathématiques françaises (la plus ancienne remonte à 1864) sont disponibles. La numérisation d’autres revues est en cours et se poursuivra par la numérisation de séminaires et d’ouvrages de référence, voire de revues européennes. Ayant pris une avance certaine dans le domaine de la numérisation et de la mise en ligne de documents numériques, la Cellule MathDoc est régulièrement consultée par d’autres projets qui se mettent en place dans l’Union européenne (y compris des nouveaux membres comme la Bulgarie), mais aussi par des projets américains. Avec le programme NUMDAM, la Cellule MathDoc est devenue un pôle associé à la BNF, pour la numérisation concertée des documents mathématiques, et une collaboration fructueuse avec la bibliothèque numérique « Gallica » s’est mise en place. Dans cette même optique, la Cellule MathDoc lancera prochainement le pôle d’édition numérique des revues mathématiques – Cf. ci-dessus Y. Laurent.
La Cellule MathDoc souhaite promouvoir un accès unifié à la documentation mathématique en ligne par des coopérations internationales (plusieurs projets en cours : DML, EMANI) et valoriser les collections existantes. Le projet MINIDML qui a pour but de proposer un guichet unique d’accès à toute ressource mathématique numérique, se base sur des standards ouverts, en particulier OAI.
L’équipe de la Cellule MathDoc, assez unique en France, est actuellement composée de deux mathématiciens, Yves Laurent et Thierry Bouche, qui en assurent la direction, d’une assistante de direction, de deux ingénieurs informaticiens, de deux ingénieurs documentalistes et d’une documentaliste – en CDD. Ainsi, les connaissances et compétences des uns et des autres se complètent et permettent de fournir des services réellement utiles aux utilisateurs.
Élizabeth Cherhal