Les archives scientifiques, cet objet insaisissable pourtant si convoité…

DOI : 10.35562/arabesques.3511

p. 6-7

Plan

Texte

Relai du service interministériel des archives de France dans l’ESR, la Mission des archives et du patrimoine culturel du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche coordonne une réflexion transverse dans le but d’établir un livre blanc des archives de la recherche.

« Archives scientifiques », de quoi parle-t-on ? L’histoire de l’intérêt pour les « archives scientifiques », est peut-être, en premier lieu, une histoire des termes utilisés pour désigner cet objet aux contours labiles et des définitions qu’on a voulu lui donner, qui ne le sont pas moins. S’il apparaît que le terme « archives scientifiques » est probablement celui qui est d’usage le plus récurrent et depuis le plus longtemps, il a toujours été utilisé en contrepoint d’autres expressions qui sont censées l’expliciter, le préciser ou le compléter. La notion « d’archives scientifiques et techniques » apparaît officiellement au détour d’un rapport dans les années 19601, et se trouve reprise dans l’intitulé d’une commission spécialisée du Conseil supérieur des archives active dans les années 2000, bien que la dimension proprement technique des documents visés n’ait pas fait l’objet du principal de la réflexion. Les travaux de Thérèse Charmasson dans les années 1990 et 2000 et les efforts de conceptualisation de la notion, réalisés par cette dernière, lui ont fait préférer l’expression « d’archives des sciences », terme englobant articulé entre « archives des tutelles », « archives des établissements de recherche » et « archives des scientifiques », dans une vision très archivistique qui favorise la définition par le producteur plus que par la typologie2. En 2012, un colloque a quant à lui retenu le terme « d’archives de la recherche », comprises comme les « archives générées par l’acte de recherche dans le processus de production des connaissances et dans la mise en mémoire de la science »3. Enfin, plus récemment, la notion de « données de la recherche » s’est imposée sous l’influence des politiques d’ouverture des données publiques, et plus singulièrement de la science ouverte. Que l’on ne s’y trompe pas : toutes ces expressions et leurs définitions ne se confondent pas et rendent compte de la grande complexité d’un objet difficile à cerner et qui, partant, demande un effort de clarification dès lors qu’on veut s’y intéresser pour savoir de quoi l’on parle exactement.

 

 

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Sous la définition réglementaire, une réalité d’une grande diversité

D’un point de vue strictement archivistique, en s’appuyant sur la définition légale des archives telle que donnée par le code du patrimoine (article L. 211-1), les archives sont donc l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ; cette définition s’applique sans peine à une activité d’ordre scientifique, dans une perspective où l’on ne saurait isoler simplement l’« acte de recherche » pur de son environnement administratif, le tout constituant un continuum. La loi s’avère par ailleurs sans ambiguïté : les données et plus largement documents issus d’une activité de recherche publique sont bien des documents administratifs et donc des archives publiques, dont ni l’élimination, ni la collecte en vue d’archivage définitif ne sauraient échapper au contrôle scientifique et technique de l’État exercé par l’administration des archives. Ces dispositions légales se heurtent toutefois depuis toujours, pourrait-on dire, au fort caractère « personnel » que revêtent certaines des catégories précédemment définies, en particulier les fonds de chercheurs, ces derniers ayant souvent des difficultés à reconnaître le caractère public d’une production qui leur est intimement liée et qui, en toute rigueur, mêle très souvent des éléments publics et des éléments privés, ce qui fait généralement catégoriser ces fonds comme « mixtes ». De même, les archives proprement dites sont le plus souvent très liées à la documentation qui les accompagne, ce qui peut justifier dans certaines conditions la conservation d’archives publiques dans des bibliothèques ou des centres ad hoc.

Un objet en mutation

Les finalités de conservation de ces archives scientifiques ont par ailleurs évolué. Du côté des archivistes, la patrimonialisation de ces documents en lien avec la structuration de l’histoire des sciences comme champ de recherche a longtemps prévalu, occasionnant une attention particulière sur les fonds individuels de chercheurs4. Toutefois, depuis quelque temps, et particulièrement depuis que l’attention politique s’est portée sur la donnée publique, cette tendance s’est inversée au profit d’une considération beaucoup plus forte des usages primaires des données de la recherche comme preuves de résultat, éléments d’évaluation et objets de valorisation via leur réutilisation.

Cette évolution a eu pour corollaire la recomposition, largement en cours aujourd’hui, de l’écosystème de production, de conservation et de diffusion des données de recherche, et dans une moindre mesure, des archives scientifiques dans leur ensemble. Traditionnellement, les professionnels de la documentation et des bibliothèques et ceux des archives étaient les interlocuteurs naturels des chercheurs pour recueillir, classer et mettre à disposition les documents issus de leur activité ; l’accroissement des enjeux propres aux données de recherche a ouvert le champ à de nouvelles fonctions, sinon à de nouveaux métiers, liés à la gestion des données, dont le positionnement se situe bien en amont de la production desdites données puisqu’il s’agit désormais d’accompagner le chercheur dans sa production même.

Sensibiliser aux enjeux d’un archivage maîtrisé

Dans cet environnement mouvant, il est important qu’une réflexion soit menée afin que tous les professionnels de l’information, au sens large, puissent concourir harmonieusement à leurs objectifs respectifs qui sont complémentaires et non concurrents : assurer de bonnes conditions de production des données, leur diffusion au niveau adéquat en fonction des différents droits applicables, leur sélection et leur pérennisation dans une visée que nous pourrions qualifier de patrimoniale. Dans cette optique, la Mission des archives et du patrimoine culturel du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, relai du service interministériel des archives de France dans l’ESR et qui exerce le contrôle scientifique et technique de l’État sur les opérateurs nationaux sous tutelle du ministère, contribue à sensibiliser les gouvernances d’établissements pour la bonne prise en compte des enjeux d’un archivage maîtrisé de leur production scientifique, et à faire valoir le regard particulier de l’archiviste sur ces documents, que ce soit dans leur appréhension globale comme « production », leur évaluation, leur traitement et description, leur conservation pérenne. La Mission coordonne également une réflexion transverse sur l’ensemble de ces sujets avec des archivistes en établissements, réflexion dont le but est d’établir un livre blanc des archives de la recherche pour envisager des axes d’amélioration de la prise en charge proprement archivistique de cette production. Il se propose d’être une contribution à la réflexion globale en cours dans laquelle le croisement des différentes pratiques métiers permettra la satisfaction de l’ensemble des enjeux actuels portant sur les archives scientifiques.

Notes

1 Thérèse Charmasson, « Archives des sciences » dans Conservation et valorisation du patrimoine des organismes de recherche. FréDoc 2006, 3e formation des réseaux de la documentation, Christine Cazenave et Françoise Girard (coord.), Publications de l’université de Saint-Étienne, 2007, p. 25-36, ici p. 25. Retour au texte

2 Voir en particulier l’article précité ; elle développe déjà cette idée dans son introduction au n° 179 de la Gazette des archives, Les archives scientifiques : préservation, typologie et utilisation, 1997, p. 299. Retour au texte

3 Archives de la recherche. Problèmes et enjeux de la construction du savoir scientifique, Marie Cornu, Jérôme Fromageau et Bertrand Müller (dir.), L’Harmattan, 2014 (Droit du patrimoine culturel et naturel), expression figurant dans l’avant-propos, p. 9. Retour au texte

4 Il est symptomatique à cette enseigne qu’une des principales publications sur le sujet des archives scientifiques soit le guide dirigé par T. Charmasson : Les archives des scientifiques, XVIe-XXe siècle. Guide des fonds conservés en France, édition du CTHS, 2008. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Cyprien Henry, « Les archives scientifiques, cet objet insaisissable pourtant si convoité… », Arabesques, 110 | 2023, 6-7.

Référence électronique

Cyprien Henry, « Les archives scientifiques, cet objet insaisissable pourtant si convoité… », Arabesques [En ligne], 110 | 2023, mis en ligne le 10 juillet 2023, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3511

Auteur

Cyprien Henry

Chef de la Mission des archives et du patrimoine culturel, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

cyprien.henry@education.gouv.fr

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