Lorsque theses.fr a été mis en ligne en 2011, l’un des objectifs fixés par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) était de valoriser la recherche doctorale française, passée et présente, en offrant un panorama le plus exhaustif possible des thèses soutenues ou en préparation en France depuis 1985. Après plus de 10 ans d’existence, on peut estimer cet objectif atteint compte tenu du nombre important de visiteurs enregistrés chaque année (11 millions en 2022), mais aussi des réutilisations qui sont faites des données exposées.

Les thèses et leurs métadonnées sont aujourd’hui étudiées par la communauté scientifique comme un jeu de données à part entière. Les angles d’analyse sont multiples : histoire de la recherche menée dans une discipline ; étude des liens entre chercheurs vus à travers les directions et la composition des jurys de thèses ; impact du genre et de la nationalité des docteurs sur leur carrière1 ; impact des financements sur la durée des thèses ou sur les abandons, etc. Par ailleurs, d’autres institutions et organismes nationaux s’intéressent à ces données, dans un but non pas de recherche scientifique mais de pilotage. L’Abes a ainsi été sollicitée plusieurs fois par le MESR pour obtenir des listes de thèses soutenues ou en cours sur des thématiques intéressant les politiques publiques (par exemple France 2030), mais aussi par la Cour des Comptes dans le cadre d’un rapport sur le rayonnement international de la recherche française. Theses.fr devient en quelque sorte un miroir dans lequel l’enseignement supérieur peut s’observer, s’étudier, se questionner. Derrière les thèses et projets qui s’égrènent dans le catalogue se donnent à voir la science en construction, des tendances, nouvelles ou disparues, et, à grands traits, l’évolution de la recherche en France.

La version bêta de theses.fr

Theses.fr : une autorité académique conviée dans le débat public

Mais theses.fr n’est pas utilisé seulement par les chercheurs. Depuis quelques années, on constate que l’outil est également prisé par le grand public et les médias. Sur les réseaux sociaux, les blogs, certaines chaînes d’information, voilà que l’on brandit theses.fr, qui pour appuyer son argumentaire sur le contenu d’une thèse en ligne ; qui pour prouver que tel expert n’en est pas un car non titulaire d’un doctorat ; qui pour pourfendre les médecins de plateaux télévisés, confondant docteur (médecin) et docteur (titulaire d’un doctorat) ; qui pour critiquer le « financement systématique » des thèses en sciences sociales (alors que moins de 50 % des thèses en LSHS sont financées, contre plus de 90 % en STM)2 ; qui pour affirmer à tort, après avoir lancé une recherche très approximative, que les travaux sur les études de genre représentent 15 % ( !) des thèses en préparation ; qui pour débusquer les « islamogauchistes » de l’enseignement supérieur, etc.

Santé publique, racisme, religion, questions sur le genre et la sexualité, nucléaire, réchauffement climatique : theses.fr s’invite à petits pas dans les débats de société. Si certaines analyses sont justes, beaucoup sont erronées, démontrant un manque de compétences en matière de recherche documentaire. L’outil est mal utilisé. On peut le déplorer. Mais puisque theses.fr, du fait de sa visibilité sur internet, a été adopté par un large public et qu’il est déployé comme argument d’autorité en raison de sa nature académique, il revient à l’Abes d’améliorer ses performances pour éliminer le maximum de bruit dans les résultats de recherche, et aux catalogueurs de veiller à la qualité des données exposées. Les bibliothécaires qui œuvrent au signalement des thèses participent ainsi activement à la construction d’un savoir scientifique qui se diffuse et se vulgarise au sein de la société.

 

Afin de faciliter le travail des chercheurs, l’Abes met à disposition depuis janvier 2022 sur data.gouv.fr, un dump complet, mis à jour annuellement, des données relatives aux thèses soutenues depuis 1985 : www.data.gouv.fr/fr/datasets/theses-soutenues-en-france-depuis-1985