Un service de documentation commun à deux établissements
L'Université Grenoble I – Joseph‑Fourier est une université qui regroupe toutes les disciplines scientifiques, la médecine et la pharmacie, une école d'ingénieur, un IUT, une UFR de géographie et un secteur de sports en fort développement : au total 17 000 étudiants.
L'Institut national polytechnique de Grenoble comprend neuf écoles d'ingénieurs – un cycle préparatoire, puis trois années d'études d'ingénieur et un 3e cycle –, environ 4 000 élèves chaque année. Ces deux universités ont décidé, en 1991, de s'associer par une convention pour gérer leur documentation en commun. Non seulement le partage du bâtiment unique de la bibliothèque universitaire de sciences n'aurait pas été évident, mais de nombreux critères scientifiques poussaient au regroupement : les disciplines enseignées étaient proches et les laboratoires de recherche en grande partie communs. Créer deux fonds documentaires aurait pu se concevoir pour l'enseignement, car acheter des manuels en plus grand nombre est toujours intéressant. Pour la recherche, cette division ne pouvait s'envisager à cause du coût de la documentation scientifique. Après onze ans de fonctionnement, le bilan global est plutôt positif. La coopération entre les deux universités dans la gestion du SICD – service interétablissements de coopération documentaire – s'est passée sans crise. L'université de rattachement (l’UJF) a rempli son rôle en gérant plus directement les personnels, les locaux et les budgets. Les décisions importantes concernant les bibliothèques universitaires se prennent au conseil de coopération documentaire dans un consensus assez général. Ne pourrait‑on pas s'inquiéter cependant de ce manque de remous, signe peut-être d'un manque d'intérêt pour un enjeu considéré comme peu important ? Il est plus difficile, en effet, d'être vraiment intégré à la vie de son université dans un service interuniversitaire, toujours considéré comme « extérieur » ; plus difficile aussi à chacun des deux établissements d'avoir une véritable politique d'ensemble pour la documentation. Pas d'enjeu, pas de politique générale, d'où pas de désaccord… ou bien coopération raisonnée dans une politique bien construite à laquelle chacun adhère ?
Nous étions plutôt dans le premier schéma. Les évolutions récentes vers la documentation électronique pour la recherche sont peut‑être en train de créer une prise de conscience des responsables universitaires : tout à coup l'enjeu est là, des questions se posent, la dispersion des achats documentaires apparaît dans toute son ampleur. N'y aurait-il pas intérêt à regrouper les moyens et à avoir une politique d'ensemble ?
La documentation scientifique et son évolution vers l'électronique
Les éditeurs scientifiques, dès les années 1996-1998, ont commencé à mettre en ligne le texte intégral des articles de leurs revues : d'abord quelques années courantes, enrichies d'index rétrospectifs, puis un fonds plus intéressant de cinq à dix années. Les premières années, tous les accès étaient gratuits avec l'abonnement à la version imprimée. Il s'agissait, pour les éditeurs, de tester leur clientèle, d'évaluer les réactions des chercheurs et de leur permettre de s'adapter peu à peu à l'utilisation de la documentation en ligne. L'édition était encore à la recherche de propositions commerciales cohérentes. Nous considérions, en 1999, que près de 90 % des périodiques courants intéressants pour la recherche scientifique, étaient disponibles en version électronique. Bientôt, les éditeurs ont perfectionné leur offre ; non seulement les articles étaient disponibles plus tôt sur le réseau – deux à trois mois avant l'arrivée de la version imprimée dans les bibliothèques –, mais les moyens de recherche devenaient plus performants : liens avec les bases de données, liens avec les références citées dans les articles d'un même éditeur, systèmes automatiques d'alertes sur les thèmes définis individuellement par chaque utilisateur…
L'apport de la version électronique devenait indiscutable. Cette accélération des possibilités techniques a provoqué, dans l'édition scientifique internationale, de grands bouleversements. Dix grands éditeurs, en 1999, annonçaient la signature d'un accord entre eux : ils créeraient des liens entre toutes les références citées dans leurs articles et autoriseraient ainsi leurs clients identifiés à naviguer très rapidement d'un article à l'autre.
Si des possibilités de coopération nouvelles entre les plus grands s'ouvraient ainsi, une compétition féroce agitait également l'édition qui devenait un enjeu économique de première importance. Que d'informations, en quatre ans, nous sont parvenues sur les rachats, les prises de contrôle, les regroupements ! Les petits éditeurs, s'ils voulaient offrir les mêmes services, devaient rejoindre un serveur plus important ou être absorbés par un groupe. Enfin, les éditeurs ont perfectionné l'offre commerciale adressée à leurs abonnés. Le profil de leurs clients changeait : ceux-ci n'étaient plus une bibliothèque ou un laboratoire, propriétaire de volumes enfermés entre quatre murs. Le droit d'accès était vendu pour être diffusé dans tous les bâtiments du client. Les éditeurs risquaient de perdre les abonnements imprimés de confort pris individuellement par des équipes qui ne voulaient pas se déplacer à la bibliothèque. Ils ont alors cherché à conserver leur chiffre d’affaires en imposant dans les accords de consortium, l'obligation de maintenir les dépenses antérieures de chaque université, augmentées d'un pourcentage pour le droit d'accès à l'électronique. Il n'y avait plus de barème de vente lié à un produit, mais un barème lié à la situation des dépenses de chacun un jour « j », d'où suppression pour le client de la liberté de se désabonner partiellement. Il risquerait de tout perdre. Nous nous prenons alors à rêver de la situation idéale d'une université nouvelle, ou d'une École venant de se créer, qui pourrait, avec un budget minimal, avoir accès aux publications du monde entier. C'est un rêve auquel nous ne pourrons pas accéder : l'UJF et l'INPG cumulaient, ces dernières années, des abonnements payés sur le budget des bibliothèques universitaires de sciences et de médecine, ceux payés sur le budget du CADIST (Centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) de physique et surtout, ceux en très grand nombre payés sur les budgets divers des laboratoires – CNRS, INSERM – qui représentaient 60 % de la masse totale. Il faut donc nécessairement avoir un travail interne de réorganisation des achats de documentation pour la recherche et adopter des solutions qui ne seront pas forcément les mêmes que d'autres établissements.
La documentation devient ainsi un enjeu politique pour les responsables de nos universités. Un comité de pilotage de cinq personnes a été mis en place, depuis un an. Il suit, au plus haut niveau, les projets concernant l'accès à la documentation électronique et a suscité une enquête approfondie sur les besoins des laboratoires des deux établissements.
En janvier 2003, les chercheurs de l'UJF et de l'INPG disposent, par le biais de leur SICD et grâce à l'apport des consortiums, de l'abonnement à plus de 3 000 périodiques électroniques, pour 800 abonnements imprimés. Ces revues ne sont pas signalées dans le Sudoc et ils y accèdent par le web du SICD, la majorité n'étant pas cataloguée dans le catalogue « RUGBIS » géré par GEAC‑ADVANCE.
Les diverses coopérations nationales
En matière de coopérations nationales, deux thèmes sont « très porteurs » – mais posent un certain nombre d'interrogations – : l'évolution des services collectifs de l'ABES et les missions des CADIST.
Les CADIST
Dans cette période mouvante de l'édition vers l'électronique, l'existence des CADIST, leurs richesses accumulées depuis plus de vingt ans, l'organisation concertée de leurs collections et l'obligation de service qui leur a été assignée, sont de véritables chances pour la collectivité.
SICD 1 de Grenoble
Photo de Julien Dane
Dans les réorganisations locales indispensables de la documentation, les laboratoires ont besoin pour être convaincus d'abandonner leurs abonnements imprimés individuels, de la sécurité possible d'un recours extérieur à l'imprimé. De même, les services communs de la documentation peuvent mieux convaincre de certaines suppressions qui permettent de financer d'autres accès électroniques. Enfin, de nombreuses universités ayant accès directement au document électronique, le nombre d'échanges par le prêt entre bibliothèques diminue. Le rôle de fournisseur est considéré par certains comme une charge de travail trop lourde : rien ne les empêche alors de se désengager. Les demandes peuvent s'orienter en priorité vers les établissements ayant une mission de conservation et de diffusion, et en priorité vers les CADIST. Une évolution du rôle des CADIST est nécessaire. Elle devra se construire à partir de plusieurs pistes.
Les services de l'ABES
Pour toutes ces missions nationales, les services collectifs de l'ABES apportent déjà des outils d'information et de partage très intéressants. Le service interétablissements de coopération documentaire commun à l’Université Joseph‑Fourier et à l’Institut national polytechnique de Grenoble a quitté OCLC pour le catalogage dans le Sudoc en décembre 2001. L'opération a nécessité un fort investissement de chacun ; elle s'est globalement bien déroulée. Les premières statistiques donnent un très bon taux (95 %) pour les localisations des ouvrages achetés sur le budget de la bibliothèque universitaire. Mais en ce qui concerne les ouvrages du CADIST, ce taux tombe à 3,7 %.
Pour ces ouvrages spécialisés, nous devons dériver la notice d'une base externe ou la créer, avec tout le travail des autorités et des liens. Pour les thèses, il s'agit de créations à 100 %. Le problème le plus important est celui du catalogage des périodiques électroniques, avec la fluctuation des droits d'accès – années de départ, autorisations commerciales, adresses URL… Comment répartir le travail de catalogage ? Ce travail est-il nécessaire ? Comment signaler, pour le demandeur, les droits de transmission en prêt entre bibliothèques autorisés ou non par l'éditeur ?
Une politique collective est indispensable. Afin de mieux conduire notre politique d'acquisition, nous aurions besoin d'avoir des statistiques précises du prêt entre bibliothèques : titres des revues, années… avec les noms des éditeurs et des possibilités de les retraiter en local. L'ABES pourrait aussi développer certaines actions de mutualisation de documents électroniques, négociés avec des éditeurs ou numérisés par les établissements.
Enfin, dans les projets 2003, le SICD souhaite, à partir de la dynamique initiée en 2002 et des différents tests, transmettre tous ses documents de prêt entre bibliothèques par voie électronique ou fax, améliorant ainsi la qualité du service.
SIX PISTES POUR LES CADIST
1. Choix élargi de titres en insistant sur les publications plus rares des sociétés savantes ou sur celles dont le montant unitaire reste trop élevé
2. Réactivité plus importante pour des abonnements ou des achats de documents nouveaux
3. Rôle reconnu et consolidé en ce qui concerne l'archivage de la version imprimée et peut-être de l'électronique
4. Mission de service mieux affirmée et soutenue par des moyens en personnels
5. Rôle de spécialiste et de veille dans leur discipline
6. Sans oublier l'organisation de la coopération avec d'autres établissements