La Nordique

Le fonds fenno-scandinave de Ste-Geneviève

DOI : 10.35562/arabesques.4078

p. 7-9

Texte

On situe actuellement l’origine de la Bibliothèque Sainte-Geneviève en 1624, date à laquelle le cardinal de La Rochefoucauld, nommé abbé de Sainte‑Geneviève pour réformer l’abbaye, fit don de 600 volumes de sa bibliothèque aux chanoines. Ce n’est pas le lieu ici de rappeler, même brièvement, l’histoire des collections dont on connaît la richesse exceptionnelle déjà mises à la disposition du public savant au XVIIIe siècle. On sait aussi qu’en 1790 l’abbaye est supprimée, ses biens confisqués. Quelques chanoines dont le Père Pingré, chargé de la bibliothèque depuis 1753, assurent la continuité et évitent les dispersions.

Aujourd’hui, la bibliothèque Sainte-Geneviève, rattachée à Paris 3, doit son originalité à son statut à la fois public et interuniversitaire mais aussi à son caractère encyclopédique, qui confèrent à ses fonds, riches de l’héritage du passé, une pluridisciplinarité précieuse à une époque d’étroite spécialisation.

Des trois ensembles, la Réserve, le Fonds général, le Fonds nordique, le dernier est probablement le moins connu. Le département fenno‑scandinave ou Bibliothèque nordique conserve en effet les plus importantes collections relatives à la Scandinavie (Suède, Norvège, Danemark), à la Finlande, à l’Islande et à l’Estonie. Elle constitue en ces domaines un centre de ressource incomparable, une référence internationalement reconnue.

Les liens étroits qui unissent la bibliothèque Sainte‑Geneviève aux pays nordiques ne datent pas d’hier et ce n’est pas tout à fait par hasard que la Bibliothèque nordique se trouve située sur la montagne Sainte-Geneviève. En effet, bien des « escoliers » scandinaves et finlandais sont venus étudier à Paris au Moyen Age et, dès le XIIe siècle, des rapports étroits se sont noués entre le Danemark et l’Abbaye Sainte‑Geneviève. C’est là qu’Absalon, le célèbre archevêque de Lund, le fondateur de Copenhague, passa ses années d’étudiant. C’est là qu’il se noua d’amitié avec le chanoine Guillaume qu’il fit venir pour organiser, selon la règle de Saint-Augustin, le monastère du Paraclet dans l’île d’Eskil. Un neveu d’Absalon, Pierre Suneson, venu faire ses études à Paris, fut un temps chanoine de Sainte-Geneviève avant de devenir évêque d’Eskil. C’est à Sainte‑Geneviève que les Danois achetèrent contre une redevance annuelle une maison pour accueillir leurs étudiants. Enfin un chanoine génovéfain, Geoffroy, fut chargé d’aller solliciter la générosité scandinave pour reconstruire la chapelle de l’Abbaye ruinée par les invasions normandes et ceci avec un succès qui dépassa ses espérances. Rien n’est resté des fonds scandinaves que ces relations anciennes avaient sans doute apportés à l’Abbaye, puisque les ouvrages les plus anciens des XVIe et XVIIe siècles, en latin ou en français, nous viennent du don fait, en 1710, par Charles‑Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, frère de Louvois. Dans cette superbe bibliothèque, 500 volumes environ concernaient les pays scandinaves. Ce fonds, régulièrement alimenté par les chanoines génovéfains, échappa comme le reste de la bibliothèque aux dispersions de la Révolution et les acquisitions se sont poursuivies après 1790. En 1868, grâce au legs exceptionnellement riche d’Alexandre Dezos de La Roquette, ancien consul de France au Danemark et en Norvège de 1831 à 1836, de plus de 1 500 ouvrages, se constitua la « Collection scandinave ». Sa mise en valeur continuera à susciter de nombreux dons. Mais il fallait nourrir cette collection née il y a deux siècles : aussi plus de 600 ans après le chanoine Geoffroy il fut décidé de solliciter la générosité scandinave. Henri Lavoix, administrateur de la bibliothèque Sainte‑Geneviève, fut chargé par le Ministre de l’Instruction publique, en 1885, d’une mission en Suède, Norvège et Danemark, pour resserrer les liens anciens et augmenter les collections. Il fut très bien reçu et revint avec 800 volumes environ suivis, peu après, de dons généreux de la Finlande.

Les États scandinaves ont toujours marqué leur attachement à la Bibliothèque nordique, même et surtout dans les moments difficiles. Après la guerre, alors qu’ils avaient été sollicités par les États‑Unis et la Grande‑Bretagne pour créer des bibliothèques scandinaves à Washington et à Londres, ils préférèrent maintenir la collaboration avec Sainte‑Geneviève, collaboration qui ne s’est jamais démentie. La collection fenno-scandinave comprend plus de 160 000 ouvrages et 1 200 publications en séries. Elle constitue un patrimoine culturel unique sur le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et, depuis 1986, sur l’Estonie. Grâce à leurs dons et subventions réguliers, la Nordique est devenue un des deux pôles d’excellence de la bibliothèque Sainte‑Geneviève, l’autre étant, bien entendu, le département de la Réserve. Elle doit aussi cette excellence au fait que, depuis plus d’un siècle, les pays du Nord envoient tour à tour un « bibliothécaire délégué », dont le premier en 1896 fut Erik Lie, fils du grand écrivain norvégien Jonas Lie, qui contribua, ainsi que Fritjof Palmer après lui, à la publication du catalogue du fonds de la Nordique. Ces bibliothécaires forment un solide réseau d’amitiés autour de la bibliothèque Sainte-Geneviève. En retour elle diffuse leur culture et sert de support aux études scandinaves en France depuis la création d’une chaire de langues et littératures scandinaves à la Sorbonne en 1912.

Quelques dates importantes jalonnent l’histoire de la Nordique et retracent les évènements qui ont fait d’elle un centre incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à la « res nordica ».

• 1710 - Don Le Tellier, archevêque de Reims : les 500 volumes concernant les pays du Nord forment le cœur historique du fonds fenno-scandinave de la bibliothèque Sainte‑Geneviève.
• 1868 - Don Alexandre Dezos de La Roquette (1 500 ouvrages sur le Danemark et la Norvège).
• 1873 - Catalogue de la Collection scandinave par Mongin et Xavier Marmier, tous deux bibliothécaires à Sainte-Geneviève.
• 1885 - Mission de Henri Lavoix, administrateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève, en Scandinavie afin d’obtenir des dons : 800 volumes entrent ainsi dans la collection.
• 1903 - Le fonds possède près de 40 000 volumes, d’où l’attribution d’une petite salle de lecture au 8 place du Panthéon.
• 1908 - Publication du Catalogue de la Section scandinave par Eugène Capet en collaboration avec le Norvégien Erik Lie, puis avec le Suédois Frithiof Palmer. Ils seront les premiers Scandinaves à exploiter cette collection.
• 1912 - Création d’une chaire de langues et littératures scandinaves à la Sorbonne qui donne une impulsion accrue au fonds scandinave.
• 1920 - Création du Comité de patronage de la Section scandinave de la bibliothèque Sainte-Geneviève par arrêté du 5 novembre 1920 avec le Danemark, la Norvège et la Suède.
• 1921 - Nouvel arrêté du 9 août 1921 incluant la Finlande qui avait déjà fait de nombreux dons. La Section scandinave prend alors le nom de Section finno‑scandinave de la Bibliothèque Sainte‑Geneviève.
• 1925 - Le Comité de patronage règle définitivement la situation du bibliothécaire délégué qui sera nommé pour une durée de 3 ans (puis 2 ans) à la section fenno‑scandinave et rétribué par son pays d’origine.
• 1946 - Les membres du Comité de patronage obtiennent qu’une subvention régulière soit attribuée par les pays nordiques à la section scandinave.
• 1950 - Le fonds scandinave, par décision du Comité de patronage, devient la Bibliothèque nordique - Fonds finno‑scandinave (ou fenno‑scandinave) de la bibliothèque Sainte-Geneviève.
• 1961 - Elle est transférée dans une extension de Sainte‑Geneviève (réalisée sur le Collège Sainte‑Barbe) au 6 rue Valette.

Aujourd’hui, elle continue à recevoir en dons la plus grande partie de ses ouvrages et de ses périodiques (évalués à 1MF par an) et achète (près de 300 KF par an) toutes les publications françaises, l’essentiel des contributions étrangères les concernant (traductions, ouvrages d’art, d’histoire, de littérature, etc.). Autant que faire se peut, elle acquiert aussi des ouvrages rares ou précieux sur l’histoire des pays nordiques ainsi que des récits de voyage, dans la tradition des génovéfains sans lesquels la Nordique n’existerait sans doute pas.

L’accessibilité du fonds fenno‑scandinave est maintenant chose faite : depuis janvier 1999 l’ensemble de son catalogue est informatisé et s’est accompagné de l’ouverture d’un site internet, qui en permet la consultation sur le web et offre une large information sur les pays nordiques, en particulier l’accès aux bases bibliographiques nationales.

Modèle d’une coopération réussie, la Nordique est et doit rester une fenêtre ouverte sur les pays de ses généreux donateurs en maintenant les liens qui existent depuis toujours entre Sainte‑Geneviève et le Nord.

Carte de la Scandinavie
Historia de gentibus septentrionalibus, earumque diversis statibus …. Autore Olao Magno Gotho Archiepiscopo Upsalensi ….. – Romae [ apud Ioannem Mariam De Viottis ], 1555. 2°. FOL SC 1759

Carte de la ScandinavieHistoria de gentibus septentrionalibus, earumque diversis statibus …. Autore Olao Magno Gotho Archiepiscopo Upsalensi ….. – Romae [ apud Ioannem Mariam De Viottis ], 1555. 2°. FOL SC 1759

Illustrations

  • Carte de la Scandinavie Historia de gentibus septentrionalibus, earumque diversis statibus …. Autore Olao Magno Gotho Archiepiscopo Upsalensi ….. – Romae [ apud Ioannem Mariam De Viottis ], 1555. 2°. FOL SC 1759

    Carte de la Scandinavie
    Historia de gentibus septentrionalibus, earumque diversis statibus …. Autore Olao Magno Gotho Archiepiscopo Upsalensi ….. – Romae [ apud Ioannem Mariam De Viottis ], 1555. 2°. FOL SC 1759

Citer cet article

Référence papier

Nathalie Jullian et Hedvig Vincenot, « La Nordique », Arabesques, 21 | 2001, 7-9.

Référence électronique

Nathalie Jullian et Hedvig Vincenot, « La Nordique », Arabesques [En ligne], 21 | 2001, mis en ligne le 02 avril 2024, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4078

Auteurs

Nathalie Jullian

Directrice de la bibliothèque Sainte‑Geneviève

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