30 ans d’informatique documentaire : des premiers catalogues au web de données

DOI : 10.35562/arabesques.4086

p. 6-7

Plan

Texte

D’Internet au web de données et à l’intelligence artificielle, l’informatique documentaire a intégré toutes les révolutions majeures des trente dernières années.

Pour les systèmes de gestion de bibliothèque, l’histoire démarre au début des années 1990, au moment où l’arrivée d’Internet provoque un changement essentiel dans l’histoire de l’informatique documentaire et surtout de l’informatique à destination du grand public. Les systèmes de gestion de bibliothèque locaux (SIGB), intégrant au moins le catalogue et le prêt, sont apparus dans la décennie précédente et ont déjà atteint une forme de maturité. Les catalogues locaux ont au minimum une interface MARC, qui leur permet de s’alimenter aux catalogues nationaux, et parfois un module d’acquisitions.

Années 1980-1990 : premières vagues d’informatisation et rétroconversion des catalogues

Un écosystème professionnel s’est constitué. L’équipe chargée du SIGB est formée de bibliothécaires qui ont au moins un intérêt pour l’informatique, sinon des compétences informatiques académiques. Leur culture informatique s’affine dans les échanges au sein des clubs utilisateurs. Sur cette période de l’automatisation des années 1970, puis de l’informatisation des années 1980, on lira avec profit le chapitre d’Hervé Le Crosnier « Le choc des nouvelles technologies »1. Cet historique est inévitablement très orienté vers les politiques informatiques centralisées et il n’évoque pas directement les clubs d’utilisateurs locaux d’un système de gestion ou d’un réseau de catalogage partagé, au sein desquels se forge la culture commune. La culture de l’informatique documentaire est aussi renforcée par la création d’entreprises informatiques dédiées aux systèmes de gestion pour les bibliothèques, françaises (Opsys, Tobias, PMB, Decalog) ou anglo-saxonnes (ALS, Plessey, Geac, CLSI, Bibliomondo, SirsiDynix, Ex-Libris)2.

L’objectif principal de la décennie 90 est la rétroconversion. Pour les bibliothèques universitaires, c’est la période des trois réseaux de catalogage qui vont fusionner dans le Sudoc en 2000. Pour les bibliothèques de lecture publique, c’est l’époque des chargements de notices Opale ou Électre. La Bibliothèque nationale a commencé sa rétroconversion en 1985 et l’achèvera… en 20243. Le grand chantier professionnel de l’informatisation des catalogues et la culture qui l’accompagne empêchent de voir clairement l’ampleur du développement en cours du numérique et de l’accès public à Internet, de bien comprendre que l’informatique documentaire n’est qu’un développement spécifique au sein d’un mouvement numérique beaucoup plus profond qui va envahir tous les domaines de la société. Lorsque les bibliothécaires découvrent en 1995 le moteur de recherche AltaVista, ils y voient seulement une qualité de recherche inférieure aux systèmes de recherche documentaire, alors que le moteur de Google est en gestation et va lui succéder en 2000. Les bibliothèques universitaires scientifiques pratiquent l’interrogation de bases de données, une recherche strictement professionnelle, et les bibliothèques de sciences sociales commencent à acquérir des bases de données sur cédéroms, qui proposent les premiers systèmes orientés vers le public, avec de la recherche par mots du texte.

La culture de la gestion documentaire professionnelle accorde d’abord une attention limitée aux systèmes de recherche publics (Opac). Toutefois, les bibliothèques vont ensuite vite s’adapter. Par exemple, dès 1986, la BM de Lyon met en place 7 terminaux pour le public, un accès au catalogue par minitel et la possibilité de réserver des ouvrages. L’usage du réseau Transpac et du minitel pour l’accès public expliquent aussi quelques réticences à l’arrivée d’Internet. Dans son historique officiel4, la BM de Lyon mentionne l’ouverture d’Internet au public dès 1995. La BU Lyon 3 l’ouvre en 1998. Dans les deux cas, il s’agit essentiellement d’un accès à une présentation de la bibliothèque, au catalogue et à une sélection limitée de sites web choisis par les bibliothécaires.

Archimed est l’entreprise française la plus emblématique de cette transition. Elle propose des systèmes dédiés aux bibliothèques qui complètent le SIGB : webline pour l’accès à Internet, cdline pour l’accès aux bases sur cédéroms, sim pour gérer une base multimédia, le client Z3950 bookline pour accéder au catalogue local et à des catalogues externes, le moteur de recherche AIE pour accéder à l’ensemble avec une recherche plein texte et par mots. Ces applications spécifiques, souvent lentes, seront peu à peu abandonnées au profit d’outils plus généraux, tout en ayant contribué à l’ouverture des bibliothèques à Internet, au numérique et aux moteurs de recherche.

Années 2000 : les bibliothèques deviennent productrices de contenus

Les années 2000 sont celles de la maturité des sites web des bibliothèques et du développement du numérique. Lors d’une visite des bibliothèques de New-York en 2003, des bibliothécaires rhône-alpins découvrent entre autres les services web Ask a librarian et en 2004 la BM de Lyon ouvre le Guichet du savoir. Les bibliothèques ne donnent plus seulement accès à leurs ressources documen­taires, mais deviennent productrices de contenus. Les bibliothèques de lecture publique numérisent leurs fonds patrimoniaux : Gallica démarre en 19975, passe à la vitesse supérieure en 2007 et créera un réseau national de numérisation à partir de 20136 ; la BM de Lyon passe un contrat de numérisation de 500 000 livres avec Google en 2008 et ouvrira sa bibliothèque numérique Numelyo en 2013. Les bibliothèques universitaires abandonnent l’interrogation de bases de données et de cédéroms pour s’abonner à des ressources en ligne directement accessibles de leur public. Le coût des ressources numériques va rapidement dépasser celui des systèmes de gestion. La coopération s’organise avec Couperin créé en 1999, qui comptabilise dès 2004 plus de 100 négociations en cours7.

Le SIGB, construit autour de la gestion des collections imprimées, n’est plus le système de gestion unique. S’y ajoutent au minimum le gestionnaire de contenus web (CMS) et la base de périodiques électroniques (AtoZ), voire un système de numérisation, un gestionnaire d’abonnements numériques (ERMS), un outil de découverte. Les interfaces se multiplient entre systèmes documentaires, avec l’université ou la métropole, avec les fournisseurs, avec les services nationaux. La charge des équipes d’informatique documentaire s’alourdit et leurs compétences se diversifient.

Les systèmes évoluent aussi vers les logiciels libres

La BU Lyon 2 lance un groupe d’étude des SIGB libres en 2005. Fin 2008, les BU de Lyon 2, Lyon 3 et Saint-Étienne se coordonnent pour tester et installer Koha : Lyon 2 s’occupe du catalogue, Lyon 3 du prêt et Saint-Étienne des acquisitions. Les trois BU migrent vers Koha de fin 2009 à fin 2010. En se libérant des systèmes propriétaires, les bibliothèques ne desserrent pas seulement des contraintes financières, elles entrent surtout dans un espace de développement informatique international et communautaire, basé sur des technologies ouvertes.

Années 2010-2020 : web de données et intelligence artificielle

Les années 2010 sont marquées par le développement du web de données, l’apparition des systèmes de gestion de bibliothèque dans les nuages et la robotisation complète des prêts et des retours.

Les auteurs, titres et sujets des catalogues de bibliothèques étaient définis par les règles de catalogage et les formats MARC. Désormais ils sont perçus comme des entités qui structurent la totalité du web et pas seulement les catalogues de bibliothèques. Il existe différents points de vue sur ces entités, celui des bibliothèques, celui des éditeurs, celui de chaque acteur culturel. L’important est que chaque acteur rattache ses informations précises à l’entité commune, quelle que soit sa manière propre de décrire l’entité en question, d’où le rôle croissant des identifiants uniques.

De 2012 à 2014, les bibliothèques universitaires se lancent dans l’aventure du SGBm, à l’initiative de l’Abes et de quelques BU. Il s’agit de remplacer les systèmes de gestion locaux de chaque établissement par un système commun dans les nuages. L’objectif est que chaque bibliothèque unifie la gestion des ressources imprimées et des ressources en ligne, bénéficie d’une grande masse de données communes et allège le travail local de gestion informatique, tout en s’appuyant sur l’expertise de l’Abes pour les négociations et les traitements de données. Les BU espèrent aussi maintenir une concurrence entre plusieurs prestataires et voir émerger une solution libre concurrente, ce qui ne sera finalement pas le cas.

Au début des années 2020, il y a encore de grands projets de numérisation, comme celui du dépôt légal de la Bibliothèque nationale de France, mais de nouvelles préoccupations se font jour : les conséquences du développement de l’IA, le souci de l’inclusion numérique et de la sobriété numérique.

En conclusion, les bibliothèques se sont bien adaptées à l’évolution depuis l’informatique des années 1980, spécialisée par domaine, jusqu’au tout numérique actuel. Globalement, la part des fonctions informatiques ou numériques a fortement progressé, mais les fonctions ont été profondément redistribuées. La part de la gestion informatique des systèmes (matériels et logiciels) est restée stable, voire a diminué par certains aspects (gestion des serveurs). En revanche la production de contenus, le traitement de données, la formation du public se sont fortement développés. Une culture informatique de base est aujourd’hui nécessaire à tous les bibliothécaires. Si la bibliothèque dispose de compétences informatiques plus spécialisées, tant mieux. Mais il faut surtout maintenir un travail collectif de veille pour continuer à saisir les multiples opportunités.

Notes

1 Histoire des bibliothèques françaises, tome 4 : les bibliothèques au XXe siècle 1914-1990. Pages 783-820. https://www.sudoc.fr/13926230X Retour au texte

2 https://toscaconsultants.fr/evolution-de-l-offre-des-systemes-de-gestion-de-bibliotheque Retour au texte

3 https://www.bnf.fr/fr/pres-de-4-decennies-dinformatisation-des-catalogues-de-la-bnf Retour au texte

4 https://www.bm-lyon.fr/16-bibliotheques-et-un-bibliobus/a-propos-de-la-bibliotheque-municipale-de-lyon/memoire-de-la-bml/article/historique-de-la-bml Retour au texte

5 https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2016-09-0048-005 Retour au texte

6 https://www.bnf.fr/fr/gallica-et-les-differents-dispositifs Retour au texte

7 https://www.couperin.org/le-consortium/historique Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Jean Bernon, « 30 ans d’informatique documentaire : des premiers catalogues au web de données », Arabesques, 113 | 2024, 6-7.

Référence électronique

Jean Bernon, « 30 ans d’informatique documentaire : des premiers catalogues au web de données », Arabesques [En ligne], 113 | 2024, mis en ligne le 09 avril 2024, consulté le 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4086

Auteur

Jean Bernon

Conservateur des bibliothèques retraité, ancien chargé de mission SGBm à l’Abes

jbernon@free.fr

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