Le projet d’établissement 2024-2028 de l’Abes1, dont j’ai déjà parlé ici plusieurs fois, met nettement l’accent sur l’objectif de renouveler le système d’information métier de l’Abes. Cet objectif n’est pas uniquement dicté par un souci de résorption d’une dette technique accumulée au fil des 20 dernières années. Il vise également et avant tout à nous donner une base technique solide sur laquelle appuyer de nouveaux services : changer d’outil n’est pas une fin en soi et il s’agit, in fine, de vous proposer des métadonnées en plus grand nombre, qui puissent circuler dans les systèmes d’information de l’ESR, y compris les logiciels documentaires, avec le moins de « frictions » possible.
Ce projet date de novembre 2023. Depuis, nous avons commencé à travailler au sujet et, au premier semestre 2024, mis en place une démarche dite de « sourcing ». L’anglicisme peut laisser penser que la démarche n’est pas formalisée au sein de l’administration française, mais en réalité cette notion de sourcing est prévue et encadrée par le code de la commande publique depuis 2016, qui le définit comme la possibilité pour un acheteur « d’effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, de solliciter des avis ou d’informer les opérateurs économiques du projet et de ses exigences » afin de préparer la passation d’un marché public (article 4 du décret du 25 mars 2016).
Sur un plan plus opérationnel, le sourcing a une liste d’objectifs précis : motiver les prestataires à répondre à une future consultation ; solliciter les prestataires pour vérifier la faisabilité du projet ; identifier les prestataires, leurs solutions et leur feuille de route ; identifier les facteurs de coûts et le modèle économique des fournisseurs ; adapter le montage contractuel et la procédure de passation ; réduire les facteurs de risques identifiables.
Notre analyse, qui s’appuie aussi sur une démarche de benchmark auprès de collègues ayant mené des projets similaires ces dernières années, en France et à l’étranger, nous a permis de faire quelques constats. D’une part, que le marché s’est concentré ces 15 dernières années et est aujourd’hui réparti entre peu d’acteurs, dont les tailles et le chiffre d’affaires sont très variables, avec des facteurs de 1 à 100 et plus, sans qu’il existe beaucoup de fournisseurs de taille intermédiaire. Différents en taille, les acteurs diffèrent aussi dans leurs stratégies. C’est en particulier le cas pour ce qui concerne l’arbitrage entre normalisation et fonctionnalités offertes par le système. Nous voyons en effet d’un côté des prestataires impliqués dans les évolutions des formats (et BibFrame semble, aujourd’hui en tout cas, dominer le marché), qui tendent à proposer des systèmes mettant fortement l’accent sur les fonctions catalographiques. Nous voyons de l’autre côté des logiciels qui cherchent à proposer un éventail plus large de fonctionnalités, en particulier consortiales et utiles pour de grands réseaux de bibliothèques, avec des prestataires qui estiment que les évolutions de formats ne sont pas un besoin absolument prioritaire de leurs clients.
Dans les deux cas, une forme de consensus se dégage : une importance nouvelle est apportée aux questions d’imports, d’exports et de transformations de données par rapport au format de travail interne du système.
Les bibliothèques ou consortia avec lesquels nous avons échangé ces derniers mois nous ont aussi donné un certain nombre d’informations sur leur propre stratégie : certains ont choisi des solutions de remplacement pur et simple de l’existant, qui prennent souvent de 18 à 24 mois, d’autres des projets au très long cours, une dizaine d’années parfois, de transition progressive d’un système vers un autre. La relation avec le prestataire est évidemment assez différente selon qu’on fait l’un ou l’autre choix, d’une gestion de projet très cadrée à un partenariat évolutif sur une décennie. Tous soulignent en revanche, quel que soit le choix stratégique, l’effet bénéfique pour l’établissement de rejoindre une communauté d’usage dynamique et un produit en évolution.
Deux derniers points à signaler : les offres hébergées de Software as a Service (SaaS) sont très majoritaires sur le marché et si tous ne sont pas au même niveau d’avancement, tous les produits et tous les prestataires ont conscience de l’importance, présence et future, d’APIs dans leurs systèmes. Ce second point tend à nous rassurer sur la capacité de l’Abes, à terme, à travailler avec un logiciel qui nous permette une certaine autonomie. La présence confirmée sur le marché de solutions Open Source est un autre facteur poussant généralement à l’ouverture des solutions.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer à ce stade de notre démarche de sourcing ? Elle suscite l’intérêt du marché, qu’on pense capable de répondre à nos demandes, à condition de les exprimer de façon réaliste. Ce qui ne nous empêche en rien d’avoir un projet ambitieux, en particulier en termes de calendrier, mais aussi en termes de renouvellement des pratiques professionnelles et des environnements techniques proposés aux réseaux.