Service public et “Business Model” des PIDs

DOI : 10.35562/arabesques.4436

p. 18-19

Plan

Texte

Le pilotage des données et des identifiants pérennes (PIDs) constitue un défi aussi technique qu’organisationnel. Pour penser ces mutations, dans sa conclusion des Journées d’étude, Nicolas Morin s’est appuyé sur des approches venues du secteur public américain et de l’économie numérique, croisant ainsi transformation digitale, modèles économiques et gouvernance publique.

Le pilotage de la recherche à l'ère numérique est un défi complexe, particulièrement en ce qui concerne les identifiants pérennes (PIDs) et la circulation des données de recherche. C’est tout le sujet du dossier de ce numéro.

J’ai trouvé intéressant d’explorer cette problématique en m'appuyant sur deux ouvrages issus d’autres secteurs que le nôtre : Recoding America1 de Jennifer Pahlka et Business Model Generation2 d'Alex Osterwalder et Yves Pigneur.

Des PIDs aux flux : penser la transformation numérique avant l’outil

Jennifer Pahlka, qui analyse la transformation numérique du gouvernement américain, met en évidence le "déficit de livraison" dans le numérique public, où les objectifs politiques peinent à se concrétiser en services effectifs. Cette lacune est souvent exacerbée par une tendance à privilégier l'outil technologique avant même une définition claire des besoins. Pour le sujet qui nous concerne, les PIDs, la valeur réelle réside dans leur intégration fluide au sein des flux de travail existants, plutôt que dans le développement d'un nouveau logiciel. L'objectif principal ici, dans le projet RNeST, est la capacité de circulation des données, ce qui évite toute obsession prématurée de l'outil.

Un obstacle majeur à cette "livraison" identifié par Jennifer Palkha, c’est la "dette organisationnelle". Les silos, les habitudes ancrées et le manque de compétences au sein des structures peuvent freiner l'efficacité plus que les défis technologiques. La collaboration transversale entre les acteurs est essentielle pour pouvoir contourner cet obstacle.

Si la "dette technique" due à des systèmes d'information anciens et complexes est un problème réel, il est primordial de chercher d’abord à simplifier les processus avant toute automatisation, car la valeur intrinsèque réside dans cette simplification.

La mise en œuvre réussie d’un projet de transformation numérique, ici les PIDs et leurs données associées, est un "marathon", pas un "sprint". Le travail "invisible" de maintenance, d'assurance qualité des données et de coordination des acteurs est souvent sous-estimé, alors qu'il constitue la fondation essentielle d’un service fiable et durable. Les PIDs et des systèmes comme RNeST, IdRef, HAL, ROR et Orcid forment l'infrastructure de base indispensable pour construire progressivement la confiance dans l'ensemble du système. Il est crucial de bâtir des "ponts" pour l'interopérabilité entre les données centrales, les outils locaux et les systèmes internationaux. L'objectif n'est pas de créer une solution isolée, mais un "écosystème interconnecté". Bien que coûteux sur le long terme et peu visibles politiquement, ces efforts sont la condition de la pérennité des résultats.

En résumé, comprendre l’analyse de Jennifer Palkha aide à identifier et contourner les obstacles structurels à la réalisation de projets de ce type.

Maintenant, que faire ? Il me semble qu’on peut, même en étant fermement ancré dans le service public, tirer profit de la grille proposée par Alex Osterwalder pour analyser divers modèles économiques d’entreprises et tenter de les appliquer à notre sujet.

Qui sont les utilisateurs de ces PIDs ? Que leur propose-t-on ? Comment ? Avec quelles ressources ?

 

 

Adobe Stock - juliars, identité numérique, généré à l’aide de l’IA.

Vers un modèle de plateforme : chercheurs, institutions et effet de réseau

Le projet que nous essayons collectivement de mener correspond assez nettement à un modèle standard identifié par Alex Osterwalder. Il s’agit d’une plateforme multi-segments où deux segments d’utilisateurs sont identifiés, les chercheurs individuels (dans une logique de Business to Customer) et les organisations de l’ESR (dans une logique de Business to Business). Ces deux segments sont interdépendants : le dispositif ne fonctionne que si les deux segments adhèrent au projet et l’utilisent. On peut penser à une analogie avec les app stores par exemple : il faut des développeurs qui fournissent des applications pour votre système (Android ou iOS par exemple) dans l’espoir d’y trouver des acheteurs ; il faut des particuliers qui utilisent votre store parce qu’ils ont l’espoir d’y trouver un nombre suffisant d’applications. Et il faut donc une masse critique suffisante pour que ce système d’interdépendance fonctionne.

L’offre principale consiste ici à mettre en relation ces segments : offrir aux organisations une visibilité sur les chercheurs et une meilleure compréhension de leur activité ; offrir aux chercheurs une simplification des relations qu’ils entretiennent avec les organisations, qu’il s’agisse des financeurs de projets, de leur employeur, de leur laboratoire, etc.

Le succès dépend de l'effet de réseau, où l'attractivité d'un segment est liée à la présence de l'autre. Comment peut-on aider le système à atteindre la masse critique nécessaire ? Traditionnellement, dans un modèle de plateforme multi-segment, la solution consiste à subventionner fortement l’un des segments afin d'attirer un nombre suffisant d'utilisateurs.

Un modèle économique potentiel se profile, articulant les segments (chercheurs et organisations) à une offre de services (simplification des processus individuels, gains de temps, réduction des coûts pour les organisations).

Reste à gérer les relations avec les utilisateurs des deux types (interfaces, communication, accompagnement), les outils de diffusion des services (flux de données, visualisations), les activités nécessaires à leur mise en œuvre (gestion et promotion de la plateforme, gestion des données).

Je prends ces analogies avec le monde de l’industrie volontairement : les acteurs publics que nous sommes sont bien positionnés pour réussir des projets de ce type. Mais nous n’en avons pas le monopole. Il est crucial de reconnaître que l'écosystème de la donnée est de facto co-géré avec des acteurs privés majeurs, en particulier en raison de leur lien avec l'écosystème de la publication scientifique.

Ces prestataires, qui sont aussi des partenaires, sont parfois également des concurrents. L'enjeu ici n'est pas en soi la circulation de données de qualité au sein de notre écosystème de l’ESR, ce n’est pas seulement la simplification de la vie des chercheurs et des organisations. L’enjeu véritable, c’est la maîtrise de l'information pour orienter la politique publique de recherche à long terme.

Nicolas Morin, directeur de l’Abes, Clôture des Journées d’étude Abes 2025

Nicolas Morin, directeur de l’Abes, Clôture des Journées d’étude Abes 2025

Conclusion des Journées d’étude : « Recoder » le pilotage de la recherche

• Consulter la présentation : https://doi.org/10.5281/zenodo.15704377
• Consulter la vidéo de l’intervention : https://vimeo.com/1092728586

Notes

1 Pahlka, Jennifer. Recoding America : Why Government Is Failing in the Digital Age and How We Can Do Better. First edition, Metropolitan Books, Henry Holt and Company, 2023. Retour au texte

2 Osterwalder A, Pigneur Y, Borgeaud E. Business Model Nouvelle GéNéRation : Un Guide Pour Visionnaires, RéVolutionnaires et Challengers. Pearson; 2011. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Nicolas Morin, « Service public et “Business Model” des PIDs », Arabesques, 118 | 2025, 18-19.

Référence électronique

Nicolas Morin, « Service public et “Business Model” des PIDs », Arabesques [En ligne], 118 | 2025, mis en ligne le 13 octobre 2025, consulté le 31 octobre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4436

Auteur

Nicolas Morin

directeur de l’Abes

nicolas.morin@abes.fr

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