Faire, être, apprendre : quelles compétences au service de la recherche ?

DOI : 10.35562/arabesques.4306

p. 16-17

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Les relations des bibliothèques avec le monde de la recherche ont longtemps été centrées sur les activités de recherche d’informations et de fourniture de documents. La transition vers le numérique et la désaffection concomitante des espaces physiques par les chercheurs ont contribué à invisibiliser les bibliothèques. En revanche, le développement de l’accompagnement à la gestion et à la diffusion des résultats de la recherche et l’importance croissante de la médiation et de la science pour la société permettent de mettre en lumière leur importance pour la recherche. 

Si les compétences du cœur de métier restent indispensables, elles sont à enrichir pour dialoguer avec cette communauté. Elles sont aussi complémentaires de nouvelles compétences à faire grandir au sein des équipes. 

 Au cœur des compétences des bibliothèques, le signalement et la gestion des métadonnées restent aujourd’hui indispensables pour l’appui à la recherche. Cette activité a gagné en visibilité ces dernières années, avec le développement de services d’accompagnement au dépôt dans HAL. À l'approche des évaluations HCERES ou des rapports CNRS, CRAC et Ribac, les bibliothécaires et documentalistes contribuent à faciliter la complétude des productions scientifiques et la qualité des métadonnées dans l’archive ouverte. Des compétences dérivées du signalement se développent dans de nombreux champs de la recherche : gestion des métadonnées pour de nouveaux objets, comme les référentiels et les données de la recherche, nouvelles formes d’exploitation des métadonnées et des corpus en texte intégral. Ces activités impliquent d’élargir les approches métier : autres formes de normes, interventions sur des corpus non ou peu normés, contribution ou gestion d’outils alimentés par des acteurs non formés à la pratique documentaire, diversification des métadonnées utilisées, mobilisation des compétences de signalement dans des projets de fouille ou de visualisation des métadonnées… 

Ces nouvelles applications d’une compétence documentaire demandent aux équipes agilité et curiosité intellectuelle, compréhension des modes de production de la recherche et acquisition de savoirs transversaux. Cette combinaison de compétences a été mise en avant par le dictionnaire des compétences1 mis en ligne par la commission Métiers de l’ADBU. Sur les abonnements par exemple, avec des modèles qui se diversifient (lecture et publication, green open access immédiat…), il ne faut plus simplement gérer un portefeuille, il faut en maîtriser les nouvelles règles et en assurer la médiation : informer des offres et possibilités de publication, relayer les modèles alternatifs… Savoir communiquer et être pédagogue est ainsi indispensable pour accompagner les équipes mais aussi pour faire connaître nos services ou informer sur la science ouverte.

Tisseuse et tisseur de soie, gouache attribuée à un artiste de Tanjore (Thanjavur) - Inde, ca. 1840

Tisseuse et tisseur de soie, gouache attribuée à un artiste de Tanjore (Thanjavur) - Inde, ca. 1840

Crédit illustrations Wellcome collection

Focus sur “Ouvrez-là ! L’UT3 pour une science ouverte.”

Sous forme de stands d’informations avec tracts, “goodies” et quiz en ligne, l’équipe du département appui à la recherche et science ouverte de l’université Toulouse 3 est allée à la rencontre des chercheurs à la sortie de la cafétéria et dans les laboratoires. Le bilan fut extrêmement positif tant pour les usagers touchés que pour les agents impliqués. 

Les bibliothèques deviennent des partenaires impliqués aux différents niveaux de la communauté de recherche : l’accompagnement de la gestion des données de recherche d’un projet suppose d’eux une grande réactivité et des relations suivies avec les acteurs de la donnée. Le soutien du pilotage de la recherche par la bibliométrie et l’analyse des résultats de la recherche les conduisent à s’impliquer dans des projets de gouvernance de la donnée et dans la définition de politiques d’établissement. Leur habitude du travail transversal et en réseau constitue un atout fort dans ces nouveaux contextes.

Nos bibliothèques sont aussi des lieux de croisement entre le grand public et le monde de la recherche, ce qui devrait les positionner comme des lieux de référence pour le lien entre sciences et société. Cela nécessite des compétences en termes d’action culturelle, d’organisation d’événements, d’accueil d’expositions, autant de domaines qui relèvent du quotidien dans les médiathèques territoriales mais qui sont, à l’heure actuelle, moins développées dans les bibliothèques universitaires. 

En accueillant une conférence et en l’environnant par des services documentaires, la bibliothèque gagne en visibilité et contribue au dialogue avec le monde de la recherche. L’aménagement des espaces est ainsi un levier pour faire revenir les chercheurs et chercheuses dans des lieux qu’ils ne fréquentaient plus. Fin 2024 à Toulouse, l’ancienne salle informatique de la BU sciences a été réaménagée en espace polyvalent à même d’accueillir des conférences et autres manifestations. À l’université de Lille, la combinaison au sein de Lilliad de la bibliothèque, du dispositif de médiation et de valorisation Xperium et d’un pôle événementiel permet d’envisager de nouvelles formes de relations avec la recherche. Ces approches impliquent de la coconstruction avec le public, une capacité à partager un projet et un lieu avec les équipes de recherche, des compétences sur l’événementiel, la médiation et l’aménagement.

Comment déployer ces compétences ? Les leviers sont multiples : recrutements externes dans le meilleur des cas, redéploiements internes le plus souvent. Ces redéploiements impliquent d’identifier en quoi les compétences mobilisées dans les services à la recherche relèvent de l’ordre documentaire et en quoi elles s’en distinguent. Par exemple, là où le champ documentaire classique implique une compétence dans le domaine du droit à l’information, les services à la recherche impliquent l’approfondissement et l’extension de la compétence juridique pour répondre à des questions parfois complexes. Comprendre où se situe le pas à franchir permet ensuite d’évaluer le potentiel d’évolution de chacun, tant sur le cœur de métier que sur ces compétences complémentaires.

Ce potentiel d’évolution s’appuie sur 4 éléments principaux : une compétence initiale dans le domaine du signalement et une aisance numérique associée, une expérience préalable dans le domaine de la pédagogie, une curiosité intellectuelle et une capacité à développer la confiance nécessaire dans l’interaction avec les communautés de recherche. 

Sur le signalement par exemple, la prise en charge de la saisie des métadonnées dans HAL peut être confiée à des magasiniers bien ancrés dans le numérique et la pratique documentaire. Cette évolution en cours est mise en évidence par les résultats de l’enquête sur les services à la recherche menée en 2023 par l’ADBU : 33 % des effectifs consacrés à ces services relèvent de la catégorie C.

Recrutement 

Les profils de postes pour les recrutements externes doivent combiner ces compétences plurielles. Pour pourvoir un poste sur l’accompagnement à la gestion des données et au dépôt dans HAL, le SCD de Toulouse 3 a récemment recruté un médiateur en musée qui n’avait pour seule expérience en bibliothèque qu’une année de monitorat. Sa capacité à communiquer et à être pédagogue ont convaincu le jury. Il a commencé par être formé en interne par les collègues déjà aguerris et en externe par l’Urfist et Médiad’Oc.

À l’université de Lille, plusieurs recrutements dans le cadre de projets financés ont conduit à l’intégration dans l’équipe de profils de docteurs issus de disciplines variées. Ces jeunes docteurs disposent de nombreux atouts pour développer des compétences en matière de services à la recherche : connaissance fine de l’environnement de la recherche et des réalités du terrain, bon outillage méthodologique, capacité à dialoguer avec les communautés de recherche. 

Dans cet accompagnement des équipes, les organismes de formation sont des partenaires indispensables. Enssib, Urfist et CRFCB ont bien pris en compte ces évolutions dans leurs programmes. Les webinaires et les journées d’étude sont aussi des moyens efficaces pour actualiser ses compétences sur des sujets évolutifs. Ils facilitent le développement d’une culture professionnelle commune et confortent le sentiment de légitimité à intervenir auprès du monde de la recherche.

Cette légitimité passe aussi par l’acquisition d’une culture scientifique et d’une compréhension de la recherche d’aujourd’hui. À Toulouse, le SCD organise régulièrement des visites de laboratoires pour ses équipes. Les rendez-vous et ateliers sont le plus souvent possibles assurés par un binôme, ce qui permet aux collègues moins expérimentés d’être impliqués et de prendre confiance dans leur capacité à dialoguer avec les chercheurs. À Lille, l’approche en binôme se conjugue avec l’utilisation d’une plateforme d’échanges asynchrone, où les collègues partagent leurs expériences et leurs questionnements et qui permet aussi de se soutenir sur des expériences plus difficiles : laboratoires moins coopératifs, questions complexes sans solutions simples… Ainsi la légitimité auprès des chercheurs n’est plus seulement une question individuelle, mais un enjeu partagé au sein de l’équipe. 

Dans un monde de la recherche en constante évolution, le cœur de métier des bibliothèques reste indispensable pour desservir nos publics mais il doit se combiner avec des compétences transversales, relationnelles et de communication. Qu’on se le dise : les bibliothécaires ont des compétences rares à mettre au service de la recherche !

Notes

1 https://adbu.fr/referentiels/dictionnaire-competences-bibliotheques-esr

Illustrations

  • Tisseuse et tisseur de soie, gouache attribuée à un artiste de Tanjore (Thanjavur) - Inde, ca. 1840

    Tisseuse et tisseur de soie, gouache attribuée à un artiste de Tanjore (Thanjavur) - Inde, ca. 1840

    Crédit illustrations Wellcome collection

References

Bibliographical reference

Marie-Madeleine Géroudet and Jean-Marie Barbiche, « Faire, être, apprendre : quelles compétences au service de la recherche ? », Arabesques, 116 | 2025, 16-17.

Electronic reference

Marie-Madeleine Géroudet and Jean-Marie Barbiche, « Faire, être, apprendre : quelles compétences au service de la recherche ? », Arabesques [Online], 116 | 2025, Online since 21 janvier 2025, connection on 02 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4306

Authors

Marie-Madeleine Géroudet

Responsable du Département Services à la recherche et aux chercheurs, SCD de l’Université de Lille. Coordinatrice de la Commission recherche et documentation de l’ADBU (2019 - 2024)

marie-madeleine.geroudet@univ-lille.fr

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By this author

Jean-Marie Barbiche

Responsable du Département Appui à la recherche et science ouverte, SCD de l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier. Coordinateur de la Commission recherche et documentation de l’ADBU (2025 - 2027)

jean-marie.barbiche@univ-tlse3.fr

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