« Les évolutions des SCD doivent accompagner celles des universités »

Entretien avec Valérie Wadlow et Michel Verhaegen

DOI : 10.35562/arabesques.4308

p. 20-21

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Mots-clés

interview

Texte

Valérie Wadlow directrice générale des services de l’université de Picardie Jules Verne, et Michel Verhaegen DRH.

 

 

Crédit illustrations Wellcome collection

Pour commencer, quelles places occupent pour vous les BU et ses agents dans les universités ?

Valérie Wadlow : Les BU ont toujours occupé une fonction centrale, pour la formation et la recherche. C’est encore plus vrai depuis la fin du fléchage des crédits (NB : LRU 2007) qui a constitué une étape d’intégration supplémentaire, amenant le directeur du SCD à s’impliquer dans la vie et le fonctionnement de l’établissement. Cette réalité se traduit dans l’extension du champ d’action des BU, comme l’appui à la recherche et l’amélioration de la vie étudiante, et dans les organigrammes avec un rattachement hiérarchique très proche de la direction générale. Ce rattachement est logique : les BU sont, par nature, des directions transversales. Elles ne peuvent pas être rattachées ailleurs.

Michel Verhaegen : Néanmoins, de prime abord, cette insertion est peu évidente. Les bibliothèques sont vues comme une sorte « d’État dans l’État ». Le fait que les BU occupent deux segments spécifiques, la fourniture de documents et la satisfaction des besoins des usagers, fabrique peu de porosité professionnelle. Les autres services de l’université sont en effet globalement éloignés de ces activités. Les bibliothèques véhiculent ainsi l’image d’un environnement singulier, un peu désuet et modérément attractif. Pourtant, on constate que c’est un univers moderne, évolutif, innovant, doté d’une culture de projet et de partage de responsabilité et d’une agilité managériale que l’on retrouve dans très peu d’autres services de l’université.

VW : Je suis toujours étonnée, en tant que DGS, de cette méconnaissance des compétences des bibliothécaires. Je pense qu’elle a plusieurs causes. D’abord, l’intégration complète des SCD au fonctionnement de l’université est relativement récente à l’échelle administrative. Et il reste, à cet égard, la perception d’un fonctionnement où les BU constituent un monde à part. Et c’est vrai en partie. Le fait d’être complètement à destination des publics fait que la réalité de service est assez différente – exception faite des scolarités qui côtoient elles aussi très largement les étudiants – des autres structures de l’administration universitaire. Le contact permanent avec les étudiants oblige les bibliothécaires à une adaptation permanente, ce qui est très singulier et que l’on a du mal à comprendre de l’extérieur. Ainsi, la « pression » du service public n’est pas forcément saisie par les services centraux. La communication qui est faite par les SCD sur leur activité, et en particulier la fréquentation, aide justement, je trouve, les autres services à comprendre cette réalité et ses spécificités.

MV : Je suis d’accord, les bibliothécaires occupent une place singulière dans l’organisation universitaire, à commencer par les dispositifs liés à la gestion de leur carrière ou encore les règles spécifiques de mobilité. Cela participe à l’impression d’étanchéité entre deux mondes où d’un côté figurent les bibliothécaires, perçus comme des « prêteurs de livres », des sortes de libraires non propriétaires et de l’autre, les IATSS qui peinent à comprendre ce que les BU font réellement et se demandent pourquoi elles comptent un nombre aussi important d’agents. Or, on voit bien aujourd’hui la part prise par les BU dans l’amélioration du bien-être étudiant, qui est aussi importante que la qualité du service public et la fourniture de la documentation. Ces nouvelles activités brouillent encore un peu plus l’image traditionnelle des bibliothécaires. Un DRH saisit, bien sûr, que le métier est de plus en plus tourné vers la médiation du livre et de la connaissance, mais ce n’est pas toujours le cas en interne. En particulier parce que la connaissance de la bibliothèque par les autres personnels de l’université, enseignants-chercheurs mis à part et encore que, est très faible.

VW : je nuancerai pour les enseignants-chercheurs. En généralisant grossièrement, les enseignants-chercheurs fréquentent moins les BU aujourd’hui que par le passé. Mais ils ont grandement conscience du service rendu par les personnels. Les services d’appui à la recherche ont ainsi eu un rôle considérable dans l’identification des savoir-faire de la BU par les chercheurs.

À la lumière de ce dernier exemple, quel regard portez-vous sur la profession ?

MV : Je le disais à l’instant, il y a un vrai décalage entre la perception des métiers exercés dans les bibliothèques et leur réalité. Un DRH est clairement conscient que les métiers des bibliothèques exigent une expertise et une technicité très forte, qui sont difficilement occupables par d’autres corps. Cela est entretenu par un « système d’exclusive » qui voit les bibliothécaires formés initialement dans des écoles à part et dans des organismes professionnels propres tout au long de leur carrière. Ce système concourt à donner l’image d’une profession où règne un certain entre-soi, cultivé plus ou moins volontairement.

VW : C’est en effet le cliché que l’on colle aux bibliothécaires. Il est vrai que, parfois, le côté « corps d’élite », pour les conservateurs surtout – et je pense à ce qui se joue en termes d’assimilation à la haute fonction publique et de débouchés indiciaires – peut irriter les directions générales. Mais les pratiques de travail entre les directeurs de SCD et les DGS contribuent grandement à dépoussiérer cette image. De sorte que, aujourd’hui, ce qui me semble caractériser la profession est sa force d’innovation. On le voit sur des domaines comme le benchmarking, où les bibliothécaires ont un savoir-faire qui précède souvent celui des autres services. Je pense ici à leur capacité à travailler en réseau. Une des raisons de cette grande ouverture professionnelle est peut-être à chercher dans la charge de gestion des bibliothèques qui est un peu moindre que celle des autres services centraux.

MV : J’ajouterai que le niveau de qualification des agents qui travaillent en bibliothèques explique également cette culture professionnelle spécifique et l’intérêt pour les questions techniques, à propos de ce qui se joue autour du numérique et pour le management. Cela affleure sur les postes de magasiniers où il n’est pas rare de trouver des titulaires de master parmi les candidats mais aussi parmi les recrutés. Ce qui n’est pas sans poser de questions, d’ailleurs, en termes d’agilité managériale. Il me semble que cette problématique sur les statuts et les fonctions va devenir centrale, peut-être même avant que l’État n’entreprenne l’uniformisation des filières et des catégories hiérarchiques. L’autre grande question me semble être les conséquences du numérique et de l’intelligence artificielle sur l’essence même des métiers des bibliothèques et de la documentation. L’IA et le numérique percutent en effet de plein fouet les professions intellectuelles. Que va-t-il rester aux bibliothécaires et que vont-ils devoir développer ? Il y a des pans complets de l’activité comme le traitement des collections ou les acquisitions de livres qui vont probablement être très profondément modifiés. Ces interrogations ramènent à la capacité des bibliothécaires à se projeter, à l’agilité managériale des cadres et à leur capacité à maintenir la motivation des équipes.

VW : C’est l’enjeu majeur, en effet. Dans un contexte national peu favorable, les corps d’encadrement des bibliothèques ont cette faculté à créer, au sein de leurs équipes, des « bulles de satisfaction », qui sont une sorte de point d’équilibre entre les envies d’évolution professionnelle en interne, les besoins du service et la progression des carrières pas connues pour leur rapidité. En ce sens, les corps des bibliothèques sont plus fermés que les autres filières de l’enseignement supérieur. La facilité à changer pour un autre service est moins évidente, ce qui peut parfois donner aux bibliothécaires l’impression d’évoluer dans une « prison dorée ». Cette situation ne les met pas pour autant à l’écart de l’évolution des universités. Ils en sont même des acteurs clés pour toutes les raisons précédemment évoquées par Michel et moi. Certes, une direction générale des services ou une présidence ne voit l’activité des bibliothécaires que de manière discontinue à l’occasion, par exemple, de la publication d’un classement ou d’une évaluation Hcéres, d’une remontée de la part des associations étudiantes. Mais c’est aussi vrai pour les autres services centraux. Et c’est peut-être cela d’ailleurs l’évolution récente la plus tangible des bibliothèques et de ses agents, celle d’être un service support tout aussi connu et important que les autres structures de l’université.

Interview réalisé par Benjamin Gilles, Pilote de la commission ADBU – métiers et compétences et référent du dossier d’Arabesques

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Valérie Wadlow et Michel Verhaegen, « « Les évolutions des SCD doivent accompagner celles des universités » », Arabesques, 116 | 2025, 20-21.

Référence électronique

Valérie Wadlow et Michel Verhaegen, « « Les évolutions des SCD doivent accompagner celles des universités » », Arabesques [En ligne], 116 | 2025, mis en ligne le 21 janvier 2025, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4308

Auteurs

Valérie Wadlow

Directrice générale des services de l’université de Picardie Jules Verne

valerie.wadlow@u-picardie.fr

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Michel Verhaegen

Directeur des Ressources Humaines de l'université de Picardie Jules Verne

michel.verhaegen@u-picardie.fr

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