Nous avons demandé à 3 experts, issus de sphères professionnelles différentes, de nous expliquer pourquoi ils se sont investis dans la normalisation, quel a été le processus pour devenir et se sentir légitime en tant qu’expert, ce que cette activité représente pour eux dans leur travail et quel bénéfice personnel ou professionnel ils en retirent.
Crédit photo Adobe Stock - Chatchanan, généré à l’aide de l’IA.
Dominique Naud, cheffe du Bureau de l’expertise numérique et de la conservation durable, Service interministériel des Archives de France
Mon chemin professionnel a commencé à s’ancrer plus directement aux normes, connues jusque-là en tant qu’utilisatrice, en intégrant il y a huit ans le Service interministériel des Archives de France au sein d’un bureau dénommé alors Bureau de l’archivage numérique, des normes et des référentiels qui concentre tout le suivi normatif du secteur archives.
Le spectre balayé par le bureau est large, cela va en effet de la conservation-restauration suivie de longue date par l’experte dédiée jusqu’à l’archivage numérique et l’information documentation en passant par la description et les prestations d’archivage externalisé, sujets suivis par trois experts dont je fais partie. Des enjeux réglementaires et en particulier des mesures de simplification de la procédure d’agrément pour la conservation d’archives publiques courantes et intermédiaires adossées à des certifications ont renforcé la nécessité de s’assurer que celles-ci correspondaient à des normes solides où des garanties suffisantes pour la conservation des archives publiques étaient exigées.
À l’occasion de départs successifs d’experts, la prise en main de ces activités s’est effectuée de façon très immersive par la participation aux différentes commissions après avoir eu la chance de bénéficier d’un passage de témoin par la collègue investie dans ces instances qui s’est attachée à réaliser par exemple un mémo et apporter les éléments de contexte. Toutefois, c’est le temps et les très nombreuses réunions qui ont apporté progressivement la sensation d’être à ma place. Il est à noter que le processus concerne le sentiment de légitimité ressenti dans un premier temps au niveau national puis celui au niveau international ou européen car il convient dans un premier temps d’être bien familiarisé avec le fonctionnement national avant d’aborder l’articulation de ce fonctionnement avec celui des autres pays, d’autant que les réunions internationales se déroulent exclusivement en anglais.
Nourredine Lamriri, directeur de l’offre logicielle chez Everteam
Depuis vingt ans, j'ai coutume de « consommer » des normes. Bien qu'assez difficiles d'accès au début, j'en apprécie aujourd’hui la lecture. Pourquoi ? D’une part, de même que le tuteur d'une plante, elles m'ont permis de pousser droit et, d'autre part, les normes me rassurent dans ma pratique professionnelle, celle-ci étant issues du travail rigoureux de mes pairs au service du bien commun. Mon entrée dans le monde de la normalisation s'est faite de manière inattendue en 2014, suite à l’une de mes conférences. Un membre de la CN46 à l'AFNOR qui y participait est venu à ma rencontre pour me proposer de les rejoindre, proposition que j'ai acceptée. Malgré la bienveillance des membres, les premières réunions à la CN46 n'ont pas été simples, et j'avoue avoir été décontenancé par la complexité des échanges et par un processus normatif très codifié.
Pour devenir légitime dans ce contexte, il fut nécessaire de s'investir en étant actif, voire proactif. Ce fut un effort considérable qui mit à l'épreuve mon désir de m'impliquer dans la normalisation. Sans cet investissement personnel, j'aurais sans doute petit à petit disparu pour ne devenir qu'un cadre noir, caméra et micro coupés, connecté aux réunions de normalisation sans y être présent… Ainsi, j'ai décidé de m'investir dès mes débuts à l'AFNOR, puis davantage en devenant, en 2017, coordinateur ISO d'un groupe de travail. Ce passage à l'ISO fut un véritable défi, mais je crois que, pour prendre du plaisir dans la normalisation, il est nécessaire de s'y investir, même si cela pose la question délicate du temps et des moyens pour exercer cette fonction, avec, pour ma part, de nombreuses heures prises sur mon temps personnel. Cependant, cet investissement ne fut pas vain, bien au contraire.
À titre personnel, j’apprécie le soutien apporté par les membres et j'éprouve une grande fierté lorsqu'un texte normatif sur lequel j'ai travaillé est publié, particulièrement en tant que coordinateur ISO. À titre professionnel, mes activités à l'ISO m'ont apporté des opportunités diverses, essentiellement dans l'enseignement.
Nelly Sciardis, directrice des Bibliothèques universitaires de l’Université Polytechnique Hauts-de-France
J’ai intégré la CN 46-8 de l’AFNOR en 2022, en tant que « membre de droit », lors de mon premier mandat de responsable de la commission Pilotage Evaluation de l’ADBU.
Le rôle « d’expert » semblait tout d’abord intimidant. Comment répondre aux exigences requises ? Comment jouer un rôle de conseil et promouvoir sa position au niveau national et international à partir de sa seule expérience ? Les premières réunions ont dissipé ces inquiétudes. Elles supposaient avant tout des échanges avec d’autres professionnels pour mettre en regard les différentes pratiques, émettre des recommandations, normaliser ce qui peut l’être. De nombreuses problématiques convergeaient avec celles abordées dans la commission de l’ADBU, en particulier dans le domaine des indicateurs, de l’évaluation et de la démarche qualité. L’ESGBU et L’étude sur les indicateurs de performance dans les bibliothèques universitaires européennesa reposent par exemple sur les normes ISO 2789 et 11 620 mises à jour au sein de la CN 46-8.
La CN 46-8 apporte une richesse de points de vue grâce à la diversité des membres qui la composent. Les représentants des différents ministères côtoient des professionnels de terrain, travaillant en bibliothèques, archives et musées. Des travaux complémentaires se sont ainsi développés entre les deux commissions. La mesure de la fréquentation en bibliothèques a notamment fait l’objet en 2023 et 2024 de deux journées d’études « miroir », la premièreb se concentrant sur des exemples de données induites recueillies au sein de la lecture publique, la secondec présentant une approche centrée sur les données sollicitées ou observées en BU.
L’un des autres intérêts est de pouvoir participer aux groupes de travail internationaux pour la mise à jour des normes, telles que la norme ISO 11 620 en 2022. Il permet de mieux appréhender le quotidien de bibliothèques entre tradition et innovation, dans des contextes parfois très éloignés de la situation européenne ou anglo-saxonne. Ainsi, un âne a encore toute sa place ( !) dans la mise à jour en 2022 de la norme ISO 2789 parmi les dispositifs de bibliobus existantsd, tandis que de nouvelles notions y apparaissent, telles que les « usagers indirects »e, pour mieux intégrer la dimension d’impact.
Participer à la CN 46-8 est donc un exercice stimulant et indispensable pour décentrer son regard et développer une approche réflexive. N’hésitez pas à rejoindre une équipe motivée !
a. Consulter : https://adbu.fr/actualites/troisieme-edition-de-letude-sur-les-indicateurs-des-bibliotheques-universitaires-europeennes
b. Consulter : https://pro.bpi.fr/mesurer-frequentation-bibliotheque-outils-retours-dexperience
c. Consulter : https://adbu.fr/actualites/retour-sur-la-journee-detude-du-28-mars-mesurer-la-frequentation-en-bibliotheques-episode-2-aller-au-dela-de-compter-connaitre-les-usagers
d. Article 3.1.8
e. Article 3.2.22