Organisation et enjeux de la normalisation en information et documentation en France : entre défis institutionnels et modèles économiques

DOI : 10.35562/arabesques.4364

p. 16-17

Plan

Texte

Entre mutations numériques, coordination d’acteurs et modèles économiques, le CN46 éclaire les enjeux de la normalisation en Information et documentation en France.

Ce que dit le décret 2009-697 du 16 juin 2009

Le processus de normalisation en France repose sur un cadre législatif défini par le décret 2009-697 du 16 juin 2009, révisé le 14 novembre 2021, qui définit les missions et l'organisation de la normalisation, défini comme un domaine d’intérêt général. Ce décret stipule que la normalisation est confiée à une association de droit français, l'AFNOR (Association française de normalisation), une entité à but non lucratif régie par la loi 1901 (article 2).

L'AFNOR a pour mission principale de coordonner l’élaboration des normes nationales et de participer activement à l’élaboration des normes européennes et internationales. Elle s'engage pour cela à définir des normes qui répondent aux besoins spécifiques de chaque secteur, tout en restant en conformité avec la législation d’une part, et les normes supranationales définies au niveau européen et international d’autre part. Dans cette mission d'intérêt général, l’AFNOR assure aussi une représentation de la France au sein d’organisations non gouvernementales de normalisation telles que l'Organisation internationale de normalisation (ISO) (article 5).

L’AFNOR a par ailleurs développé une activité commerciale via sa filiale AFNOR développements. Cette entité génère des revenus qui sont séparés comptablement des missions d’intérêt général (article 9). Le financement des missions d’intérêt général repose principalement sur trois sources : une subvention de fonctionnement de l'État, la commercialisation des normes, et les cotisations des membres de l’AFNOR. En effet, pour contribuer activement à l’élaboration des normes, les entreprises et les institutions doivent s'assurer que leur structure de rattachement a bien versé une cotisation à l’AFNOR. Cependant, des exonérations existent pour certains acteurs tels que les PME et les établissements publics d'enseignement, afin de favoriser leur présence dans le processus normatif (article 14).

Par ailleurs, le décret de 2009 sur la normalisation institue un délégué interministériel aux normes, rattaché à la Direction générale des entreprises (DGE), au sein du ministère de l’Industrie, dont le rôle est de coordonner un réseau de délégués ministériels aux normes, mais aussi de définir et de mettre en œuvre la politique nationale en matière de normes (article 3 et 4).

Enfin, les normes, à l'exception de celles spécifiées par arrêtés ministériels, demeurent en règle générale d'application volontaire (article 17) et relèvent de la propriété intellectuelle des organismes qui les élaborent.

Le constat actuel : entre défis institutionnels et modèle économique

L’une des premières difficultés en matière de normalisation en information et documentation réside en l’absence de délégués aux normes au sein des deux ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur et de la recherche : cette lacune complexifie l’émergence d’une stratégie ministérielle aux normes et favorise une silotisation des enjeux normatifs par domaine d’activité au sein de chaque ministère, alors que les normes ont précisément pour vocation de structurer et de favoriser l’émergence de pratiques communes. Cela fragilise également notre position tout à la fois dans les structures internationales miroir comme au sein de l’AFNOR, le délégué interministériel aux normes ne pouvant s’appuyer que sur un réseau incomplet et ne disposant pas des éléments stratégiques qui auraient eu vocation à lui être apportés par les délégués ministériels. C’est cependant une problématique dont les deux ministères sont conscients.

Deuxième constat, le modèle économique de la normalisation, tel qu’il existe aujourd’hui, ne facilite pas une participation large et ouverte des structures publiques - et privées - dans le processus. Être partie prenante de l’activité de normalisation implique le plus souvent, au-delà de la subvention ministérielle, les cotisations des membres, le temps de travail consacré à cette activité et les frais de mission pour participer aux réunions à l’échelon nationale, voire internationale, frais auxquels s’ajoutent l’abonnement à la plate-forme COBAZ de l’AFNOR, même négocié via Couperin. La situation est d’autant plus complexe dans un contexte de restriction budgétaire, où les universités, désormais autonomes, et collectivités territoriales disposent de ressources limitées. Dans ce cadre, il semble peu réaliste d’imaginer une implication soutenue des structures publiques de notre domaine. Certains pays font le choix d’avoir une agence, avec des experts à plein temps dont c’est l’activité principale : c’est le cas aux États-Unis comme en Allemagne. Cette solution permet d’assurer une représentation efficace au sein des discussions, mais avec l’inconvénient de collègues qui s’éloignent du terrain. Au-delà de la reconnaissance du rôle de l’expertise en normalisation, et des moyens nécessaires à cette activité, il serait souhaitable que, à côté des experts dont l’activité s’inscrit dans la durée, le modèle de fonctionnement de l’AFNOR permette d’associer ponctuellement des collègues spécialistes d’un aspect normatif au moment de la révision de la norme. Arrivent prochainement la révision des normes relatives au PEB et à Z39-50 : des compétences dans ce domaine, de la part de collègues ne souhaitant pas ou ne pouvant pas, de par leur cadre de travail, faire partie intégrante d’une commission, n’en seraient pas moins précieuses !

Enfin, s’il est difficile de revenir sur le modèle payant des normes, des solutions alternatives pourraient être explorées pour faciliter leur diffusion et favoriser leur appropriation. L’une d’entre elles, quand il ne s’agit pas de normes ISO, serait de publier ces normes sous la forme de recommandations, comme cela a été le cas pour le format de description des thèses TEF (thèses électroniques françaises) ou de codes comme RDA-Fr. L’exemple des normes de pilotage (voir l’encart ci-dessous) illustre l’importance de journées d’études ou de webinaires, mais aussi de supports de transfert de la norme, à la fois relais et produit d’appel vers la norme commercialisée. Les SMART standards constituent une piste intéressante1. Et rêvons un peu à nous inspirer de la science ouverte en mettant sous Hal les versions de travail avant leur validation définitive …

En conclusion, le processus de normalisation en France reste essentiel pour structurer les pratiques et garantir une cohérence dans les standards, tant au niveau national qu'international. Cependant, les défis institutionnels et le modèle économique actuel nécessitent une vraie réflexion stratégique pour garantir une participation plus large et une diffusion plus équitable des normes, en cohérence avec les enjeux actuels de nos métiers.

Les normes de pilotage d’activité - Focus sur la coopération entre l’ADBU et l’AFNOR

La commission de l’AFNOR 46-8 Qualité, statistiques et évaluation des résultats, sous la houlette d’abord de Gaëlle Denni (UGAP) et désormais de Cécile Touitou (Sciences Po Paris), illustre parfaitement comment un groupe d’experts, s’inscrivant dans les stratégies ministérielles et relayé par une communauté professionnelle active, participe d’un meilleur usage des normes. 

La commission 46-8 rassemble tout à la fois des collègues issus de la lecture publique, des bibliothèques universitaires et de la BNF, auxquels s’ajoutent es qualités le collègue en charge de l’observatoire de la lecture publique, au sein du Service du Livre et de la lecture, et, bientôt, celle en charge du pilotage de l’ESGBUa au Département Diffusion des connaissances et de la documentation. Elle accueille également ès fonctions la responsable de la commission Pilotage et indicateurs de l’ADBUb, au sein de laquelle siège, en miroir, la responsable de la CN 46-8, ce qui permet d’assurer une cohérence – et une économie – d’actions entre les deux commissions. 

Les deux structures ont évidemment leur programme de travail propre, lié à leurs missions respectives : la commission Pilotage et évaluation de l’ADBU vient par exemple de mettre à jour son étude sur les indicateurs européens des bibliothèques universitaires. La CN 46-8 a, quant à elle, publié en juin 2024 la traduction de la norme 2789 sur les Statistiques internationales de bibliothèques et entame celle de la norme 11620 sur les Indicateurs de performance en bibliothèques

Mais, comme un récent webinairec vient de le présenter, certains dossiers sont menés en commun, à commencer par la mise à jour du référentiel de démarche qualité usagers Qualibib. Les deux commissions contribuent également conjointement à une meilleure visibilité des normes liées au pilotage, ce qui s’est concrétisé par deux journées d’études sur la mesure de fréquentation en bibliothèques, en octobre 2023 et en mars 2024, produites avec le soutien des ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur et de la recherche. À défaut de pouvoir rendre les normes de leur périmètre gratuitement accessibles, la CN 46-8 et la commission Pilotage et évaluation de l’ADBU produisent enfin des documents de vulgarisation autour des normes, désormais accessibles librement sur un espace mis à disposition par l’AFNORd, et qui comporte déjà une infographie sur la mesure de l’impact en bibliothèque et un livre blanc sur les principes de comptage de la fréquentation en bibliothèques. Devrait s’y ajouter prochainement une nouvelle version de Qualibib dont la révision est en cours de finalisation. Venez les découvrir ! 

a. https://esgbu.esr.gouv.fr
b. https://adbu.fr/commissions-thematiques/pilotage-et-evaluation
c. https://youtu.be/Y-uANIhy5cs?si=WUlCnOxf9nRZ9F18
d. https://documentation.afnor.cloud-ed.fr/s/FpEAKgQzobbX5oZ?dir=undefined&openfile=25907187

Notes

1 Voir l’article d’Etienne Cailleau : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4360 Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Frédérique Joannic-Seta, « Organisation et enjeux de la normalisation en information et documentation en France : entre défis institutionnels et modèles économiques », Arabesques, 117 | 2025, 16-17.

Référence électronique

Frédérique Joannic-Seta, « Organisation et enjeux de la normalisation en information et documentation en France : entre défis institutionnels et modèles économiques », Arabesques [En ligne], 117 | 2025, mis en ligne le 27 mai 2025, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4364

Auteur

Frédérique Joannic-Seta

Directrice du SCD de l’université Rennes 2

Présidente de la Commission de normalisation Information et documentation, AFNOR

frederique.joannic-seta@univ-rennes2.fr

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