Les services spécialisés d’information en Allemagne : premier bilan d’une profonde réforme

DOI : 10.35562/arabesques.585

p. 4-5

Plan

Notes de l’auteur

L’auteur remercie Catherine Désos-Warnier, chargée de mission GIS CollEx-Persée à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, pour sa lecture intensive du texte, ses commentaires et corrections linguistiques.

Texte

Depuis 60 ans, la Deutsche Forschungsgemeinschaft accompagne les évolutions des bibliothèques allemandes.

Pendant presque 60 ans, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG1) a coordonné et financé un réseau dédié aux Collections Spécialisées (SSG2) porté par un certain nombre de bibliothèques allemandes réparties sur l’ensemble du territoire. L’objectif de ce réseau était de garantir que les chercheurs accèdent a minima à un exemplaire de chaque publication scientifique étrangère.

La transformation numérique dans le domaine de la communication et de l’information scientifique imposait de faire évoluer ce dispositif, encore largement basé sur la documentation imprimée. De plus, une évaluation approfondie a démontré que ces collections n’étaient pas aussi réputées et utilisées par les chercheurs qu’espéré. Une réforme, dont les prémices datent de 2010-2012, a abouti à un nouveau concept : les Services d’Information Spécialisés (FID3). 2016 marque la fin des SSG au profit de ce nouveau maillage.

Ruptures et changements

L’ancien programme impliquait que toute bibliothèque SSG acquière la documentation spécialisée dans sa discipline, la signale et la rende accessible par le prêt entre bibliothèques ou autres services de fourniture. La DFG finançait 75 % de l’achat des ressources parues à l’étranger, les bibliothèques SSG ayant à charge d’acquérir les 25 % restant ainsi que les publications nationales du domaine sur leur propre budget.

Le nouveau programme FID a conduit la DFG à modifier profondément les modalités de subventionnement de ces bibliothèques de recherche. L’objectif d’exhaustivité de ces collections spécialisées a été abandonné au profit de la mise en œuvre de projets de services, ciblés en fonction des besoins spécifiques aux diverses communautés scientifiques et identifiés en concertation avec elles.

En effet, les FID entretiennent un dialogue continu avec la communauté des chercheurs et ne développent que des services d’information correspondant à leur besoin. L’acquisition d’ouvrages spécialisés n’est plus une obligation, mais une des réponses possibles aux recommandations des enseignants chercheurs. Si un FID procure des services à haute valeur ajoutée qui nécessitent un personnel supplémentaire, par exemple pour développer une base de données bibliographique ou une plateforme technique, une aide financière pour des ressources humaines peut être obtenue. Ce dialogue continu entre bibliothèques et chercheurs passe par une instance de type conseil consultatif. Il s’agit même d’un prérequis obligatoire pour l’obtention d’un financement de la part de la DFG.

Dans ce nouveau programme, l’accent est mis sur les ressources numériques (bases de données ou bouquets de revues). Pour aider les bibliothèques à concevoir de nouveaux modèles de licence, une agence – composée de trois bibliothèques compétentes en ce domaine et financée actuellement par la DFG – négocie avec les éditeurs pour le compte des FID.

Ce nouveau dispositif représente une véritable rupture par rapport au système précédent. Quelques bibliothèques SSG ont décidé de ne pas répondre à l’appel à projets ; certaines ont échoué, parfois du fait que leur communauté de chercheurs ne voyait pas la nécessité de ce changement ; d’autres ont regroupé leurs collections au sein d’un FID commun. Ainsi, de 69 SSG en 2012, on est passé à 37 FID en 2018.

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Bibliothèque universitaire de Tübingen

L’évaluation : objectifs, procédés, résultats

Comparé au dispositif SSG assuré par un financement institutionnel, pérenne et continu de la part de la DFG, le nouveau programme a introduit une démarche en mode projets : lancement d’appels à projets, présentation des candidatures devant un comité de sélection, période de financement de 3 ans, la reconduction étant possible en suivant la même procédure. Depuis 2016, plusieurs dizaines de millions d’euros ont été consacrés au développement de ces services.

Dès le début, les bibliothèques se sont montrées réticentes sur cet aspect de la réforme, soulignant que les FID doivent être conçus comme une infrastructure durable de soutien à la recherche et ne peuvent relever de la logique de projets à durée restreinte. Pour analyser les effets de la transformation ainsi que la nécessité éventuelle d’un financement d’une durée plus étendue, la DFG a initié, dès 2016, l’évaluation du nouveau programme, ce qui a fait l’objet d’un rapport.

Celui-ci fait la distinction entre l’objectif global et stratégique du programme FID (création de systèmes d’information performants) et les objectifs plus opérationnels : un dialogue continu avec la communauté des chercheurs pour orienter les services selon leurs besoins ; la création d’une plus-value par rapport aux services de base offerts par chaque bibliothèque pour sa clientèle locale ; la conception et le maintien d’un système d’information et de documentation innovant. Cette évaluation comportait des sondages à la fois quantitatifs et qualitatifs.

Huit FID ont été sélectionnés pour des études de cas détaillées et le prestataire chargé de la réalisation du rapport a mené des entretiens avec chacun des directeurs et leurs équipes. Un panel représentatif de chercheurs au sein des disciplines concernées, utilisateurs ou non des FID respectifs, a été interrogé. Enfin, pour une meilleure compréhension du rôle des FID dans le système global de l’information et de la documentation de l’enseignement supérieur allemand, un workshop à destination des bibliothèques non FID a été organisé.

Résultats et recommandations

Malgré la période très courte de fonctionnement des FID – la plupart d’entre eux ayant été créés seulement en 2015 –, la DFG a dressé un bilan en grande partie positif de la transformation. Ainsi, les FID offrent des services multiples allant bien au-delà des collections spécialisées. Certains FID ont créé des bases de données et des plateformes aptes à servir de modèle dans le domaine de la documentation et de l’information scientifique.

En conformité avec les objectifs du programme, la mise en place d’infrastructures techniques et l’acquisition de ressources ou de licences d’utilisation constituent les dépenses les plus importantes.

Il n’est cependant pas toujours facile pour les bibliothèques FID de distinguer clairement les besoins « classiques » d’actions et de services plus spécialisés, au cœur des actions du programme. D’autant qu’au sein même d’une communauté de chercheurs d’une discipline donnée, les besoins sont souvent hétérogènes.

Le dialogue avec les chercheurs de la discipline – l’un des objectifs essentiels de la transformation – est considéré par tous les acteurs comme une réforme très positive comparée aux anciens SSG. Dans la majorité des FID, des conseils consultatifs ont été établis, ce qui renforce les échanges entre chercheurs et professionnels des bibliothèques. Par ailleurs, les plateformes de recherche et d’information réalisées par quasiment tous les FID constituent les services les mieux connus et les plus utilisés.

En ce qui concerne l’augmentation de l’offre électronique par des « licences FID », les attentes ambitieuses de la DFG et des utilisateurs n’ont pas encore pu être satisfaites, ce qui est dû en grande partie aux négociations difficiles et souvent lentes avec les éditeurs ou bien aux prix excessifs demandés. Sans l’appui de l’agence dédiée, le nombre de licences conclues serait probablement encore moindre.

Pourtant, un nombre croissant de FID commence à avoir un rôle de coordonnateur pour l’information et la documentation dans leurs disciplines au niveau national, tant en raison d’efforts constants pour entamer des coopérations nouvelles ou élargir leur offre (contenu scientifique, bases de données, instruments de référence) que par des échanges renforcés et une répartition du travail explicite avec les bibliothèques non-FID.

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Une transformation réussie

Le rapport4 conclut à une transformation réussie, quand bien même tous les objectifs de la réforme ne sont pas encore réalisés, en particulier les nouveaux services proposés, pas encore assez connus des publics cibles. Les statistiques d’usage des FID devraient en outre être normalisées et contextualisées pour mieux estimer l’appropriation des services par la communauté scientifique concernée.

Une grande partie des FID se caractérise par le voisinage de services exigeant un effort continu (acquisitions, création de bases de données ou de bibliographies spécialisées) et d’autres services, limités dans le temps, comme par exemple l’indexation rétrospective de fonds documentaire. L’agence recommande de rendre plus transparente cette différence et de développer des stratégies pour un financement longue durée des services de base, tandis que les mesures complémentaires pourraient fonctionner comme des projets à durée restreinte.

L’évaluation ayant été réalisée peu après la transformation des SSG en FID, il est encore difficile d’avoir un avis définitif sur les effets de la réforme. Les échanges autour du rapport et des recommandations formulées sont toujours en cours au sein de la DFG et de la communauté des bibliothèques. Pourtant, un consensus se dessine sur le fait que les FID disposent du potentiel suffisant pour devenir une infrastructure d’information effective et incontournable de la recherche, à condition que des stratégies de financement à long terme soient trouvées, notamment en ce qui concerne les services de base.

1 La Deutsche Forschungsgemeinschaft est la fondation allemande la plus importante pour le financement de la recherche sur projets en sciences et

2 SSG : Sondersammelgebiete.

3 FID : Fachinformationsdienste.

4  Dfg.de/foerderung/programme/infrastruktur/lis/lis_foerderangebote/fachinfodienste_wissenschaft/fid/index.html

Notes

1 La Deutsche Forschungsgemeinschaft est la fondation allemande la plus importante pour le financement de la recherche sur projets en sciences et sciences humaines.

2 SSG : Sondersammelgebiete.

3 FID : Fachinformationsdienste.

4  Dfg.de/foerderung/programme/infrastruktur/lis/lis_foerderangebote/fachinfodienste_wissenschaft/fid/index.html

Illustrations

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Bibliothèque universitaire de Tübingen

Citer cet article

Référence papier

Marianne Dörr, « Les services spécialisés d’information en Allemagne : premier bilan d’une profonde réforme », Arabesques, 94 | 2019, 4-5.

Référence électronique

Marianne Dörr, « Les services spécialisés d’information en Allemagne : premier bilan d’une profonde réforme », Arabesques [En ligne], 94 | 2019, mis en ligne le 15 novembre 2019, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=585

Auteur

Marianne Dörr

Directrice de la BU de Tübingen

marianne.doerr@uni-tuebingen.de

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0