L’accueil et la formation des publics handicapés en bibliothèque

DOI : 10.35562/arabesques.776

p. 22-23

Plan

Texte

S’adapter aux besoins des différents publics que l’on accueille dans les bibliothèques, territoriales ou universitaires, est au cœur des pratiques des agents de ces établissements. Dans le cas des publics en situation de handicap, l’adaptation de la réponse aux besoins documentaires et aux besoins de compensation du handicap doivent se conjuguer.

Même si l’accueil des personnes handicapées est traditionnellement inscrit dans les missions des bibliothèques, plusieurs évolutions législatives les obligent aujourd’hui à développer leurs services en direction de ces publics. En premier lieu, la loi n° 2005‑102 du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances marque un changement de paradigme important : ce n’est plus à la personne handicapée de s’adapter à son environnement mais bien à la société de mettre tout en œuvre pour répondre à ses besoins. Il ne s’agit plus d’intégrer mais bien d’inclure en prenant en compte les différences des publics.

Par ailleurs, l’exception au droit d’auteur en faveur du handicap de la loi DADVSI1 qui s’étend aujourd’hui aux publics « dys » (souffrant de dysfonctionnements neuropsychologiques)2 interpelle également les bibliothécaires. En effet, le développement de l’offre numérique réservée aux personnes handicapées qui en découle rend l’enjeu de la formation des publics crucial. Les bibliothèques ont là un rôle de médiation et de veille technologique important à jouer dans la découverte et l’utilisation des ressources. Enfin, la loi relative à l’enseignement et la recherche du 22 juillet 2013, a renforcé la prise en compte du handicap en instaurant l’adoption d’un schéma directeur pluriannuel en matière de politique du handicap au sein des universités.

Pour bien accueillir et former : bien connaître son public

En France, 12 millions de personnes, avec des parcours de vie multiples, seraient concernées par le handicap puisqu’il survient le plus souvent en cours de vie. Tout un chacun peut être touché et une personne en situation de handicap ne se réduit ni à sa déficience, ni aux incapacités engendrées.

En 2014‑2015, les établissements d’enseignement supérieur accueillaient plus de 18 000 étudiants en situation de handicap, dont 12 000 bénéficiaient d’une mesure d’accompagnement. Le site Handi-U3 a proposé, jusqu’en 2013, des données statistiques détaillées sur les étudiants en situation de handicap qui montrent la grande diversité des déficiences et des accompagnements à mettre en œuvre.

Il faut souligner que la connaissance des publics et de leurs besoins se construit grâce à une approche territoriale et des collaborations avec les services dédiés, structures d’accueil et associations présentes localement ou au niveau national. Cette dimension est essentielle pour construire une offre de services accessible à tous et connue de tous. En bibliothèque universitaire, afin d’améliorer sa connaissance des publics, il est nécessaire de créer des liens avec les Services d’accueil des étudiants handicapés, généralisés par la loi de 2005, et qui ont pour mission de mettre en œuvre les aménagements techniques et humains nécessaires à la poursuite des études et au passage des examens. La connaissance des publics doit se conjuguer à une connaissance des différents handicaps pour permettre d’élaborer des propositions qui améliorent l’accessibilité aux locaux, aux équipements, aux savoirs, aux supports d’information et aux services sur place ou en ligne.

Un projet d’accueil pour tous

Une fois les publics identifiés, l’accueil des personnes handicapées doit être pensé dans un projet plus global d’accueil pour tous. L’accessibilité doit être réfléchie pour tous les usagers (et non pour un public spécifique) et pour tous les services : le bâtiment, les collections, l’action culturelle, le site web… C’est le principe d’accessibilité universelle inscrit dans la loi de 2005. Il s’agit de privilégier un confort d’usage et d’adapter les services et les collections aux besoins des usagers afin de favoriser l’autonomie de tous les publics.

Dans le domaine du cadre bâti, il s’agit avant tout de respecter les obligations légales qui imposent aux bibliothèques, en tant qu’établissements recevant du public, d’être accessibles à tous, même si le dispositif des Ad’ap4 a un peu retardé l’échéance. Afin de garantir aux personnes handicapées l’accès à l’information, au livre et à la culture de façon générale, il est par ailleurs important de développer des collections adaptées pour ces publics (DVD en audio-description, documents en langue des signes, en format Daisy – pour les publics empêchés de lire – , livres tactiles…), d’améliorer l’accessibilité documentaire (portail spécifique, signalétique) et de favoriser l’accès aux bibliothèques numériques dédiées (Bibliothèque numérique francophone accessible, Eole5).

Cela nécessite également d’adapter sa programmation culturelle et sa communication. Il s’agit par exemple de penser l’accessibilité des expositions en amont, d’imaginer un parcours adapté, de décliner différents modes de visites (audio-décrites, interprétées en langue des signes française – LSF), différents modes d’accès (audio, tactile, visuel...) de façon à permettre à une grande diversité de publics de s’approprier ces contenus. Il est important de communiquer dans des formats accessibles (programmes en gros caractères, vidéos en LSF, etc.), de signaler les manifestations accessibles par les pictogrammes appropriés et d’adapter les supports de communication aux publics visés (exemple du blog des pôles sourds de la Ville de Paris6).

La qualité de l’accueil des personnes handicapées en bibliothèques repose enfin sur une mobilisation de l’ensemble du personnel. La mise en place de référents « accessibilité » au sein des équipes comme cela a été fait à la BU de Clermont-Ferrand ou à la bibliothèque de Toulouse est une façon d’impliquer chacun dans son service sur ces questions. Cela permet d’améliorer l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de handicap au quotidien et de mutualiser des outils et des pratiques. Enfin, l’intégration dans les équipes de bibliothécaires en situation de handicap recrutés pour leurs compétences peut être un levier. Plusieurs bibliothèques (Médiathèque Duras à Paris, Toulouse...) ont recruté un bibliothécaire déficient visuel chargé de la formation du public et de la veille technologique. Leur expertise, reconnue par tous, a ainsi renvoyé une autre image du handicap aux équipes. L’expérience des pôles sourds de la Ville de Paris montre aussi que le bibliothécaire sourd dans ce projet a un rôle essentiel. « Il est reconnu par la communauté sourde et c’est un médiateur indispensable pour convaincre les sourds d’oser entrer à la bibliothèque ».7

La formation est clairement intégrée aujourd’hui dans les missions des bibliothèques et le numérique a amplifié les besoins de formation, pour les usagers comme pour les personnels.

Certaines bibliothèques territoriales sont très en pointe sur la formation des publics en situation de handicap et ont développé de véritables savoir-faire, en particulier lorsqu’elles ont intégré dans leurs équipes des personnels en situation de handicap. Dans les formations dispensées par les bibliothèques universitaires, la prise en compte des étudiants en situation de handicap doit être améliorée. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette insuffisance : la nature même des formations à la recherche documentaire qui sont ponctuelles et ne permettent pas une connaissance approfondie des publics, les problèmes d’accès aux ressources utilisées lors des formations pour ces publics (portail documentaire, catalogues, bases de données), le manque d’information des bibliothécaires-formateurs sur les besoins de compensation des étudiants en situation de handicap.

Page d’accueil du blog des pôles sourds de la Ville de Paris [https://bibliopi.wordpress.com/]

Page d’accueil du blog des pôles sourds de la Ville de Paris [https://bibliopi.wordpress.com/]

Conclusion

L’accueil et la formation des personnes handicapées en bibliothèques doivent être pensés de manière systémique. Il s’agit de s’inscrire dans un processus long qui vise à proposer des solutions, en prenant pour acquis, dans l’esprit de la loi de 2005, que les facteurs environnementaux jouent un rôle central lorsqu’une personne en situation de handicap est limitée dans ses activités.

En 2015, répondre aux demandes ponctuelles n’est plus suffisant. Les bibliothèques doivent développer une politique de services inclusive claire, en intégrant systématiquement les questions d’accessibilité dans les actions menées. Ce travail de longue haleine ne peut s’inscrire dans la durée que si les personnels sont formés.

C’est ainsi que nous pourrons faire nôtre le slogan imaginé par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour sa campagne de communication interne sur le handicap « Parlons handicap, pensons solutions ».

1 http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000266350&dateTexte=&categorieLien=id

2 La récente loi Liberté de la création (septembre 2015) élargit les bénéficiaires et assouplit le fonctionnement de l’exception au droit d’auteur.

3 https://www.sup.adc.education.fr/handiu_stat/

4 Les Ad’AP sont les “Agendas d’Accessibilité Programmée”. Il s’agit d’un dispositif qui constitue une phase déclarative, chiffrée et programmée, des

5 http://eole.avh.asso.fr/

6 https://bibliopi.wordpress.com/

7 AL Gautier, « L’inclusion des publics sourds : l’expérience de la Bibliothèque Chaptal » in Bibliothèque(s), n° 80, octobre 2015, p. 44.

Notes

1 http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000266350&dateTexte=&categorieLien=id

2 La récente loi Liberté de la création (septembre 2015) élargit les bénéficiaires et assouplit le fonctionnement de l’exception au droit d’auteur.

3 https://www.sup.adc.education.fr/handiu_stat/

4 Les Ad’AP sont les “Agendas d’Accessibilité Programmée”. Il s’agit d’un dispositif qui constitue une phase déclarative, chiffrée et programmée, des travaux à réaliser pour mettre en conformité l’établissement.

5 http://eole.avh.asso.fr/

6 https://bibliopi.wordpress.com/

7 AL Gautier, « L’inclusion des publics sourds : l’expérience de la Bibliothèque Chaptal » in Bibliothèque(s), n° 80, octobre 2015, p. 44.

Illustrations

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Citer cet article

Référence papier

Françoise Fontaine-Martinelli et Marie-Noëlle Andissac, « L’accueil et la formation des publics handicapés en bibliothèque », Arabesques, 81 | 2016, 22-23.

Référence électronique

Françoise Fontaine-Martinelli et Marie-Noëlle Andissac, « L’accueil et la formation des publics handicapés en bibliothèque », Arabesques [En ligne], 81 | 2016, mis en ligne le 31 juillet 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=776

Auteurs

Françoise Fontaine-Martinelli

Conservateur responsable des bibliothèques de santé et d’odontologie de Clermont-Ferrand

Francoise.fontaine_martinelli@clermont-universite.fr

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Marie-Noëlle Andissac

Conservateur responsable de la politique d’accessibilité et des bibliothèques du Territoire Ouest du réseau de lecture publique

Marie-Noelle.ANDISSAC@mairie-toulouse.fr

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Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0