Archives ouvertes et droit d’auteur

DOI : 10.35562/arabesques.812

p. 21-23

Plan

Texte

Quelle est la place du droit d’auteur lorsque l’open access se réalise via les archives ouvertes ? Carine Bernault, professeur de droit privé à l’université de Nantes, envisage ici la question de l’accès aux œuvres scientifiques, puis celle de l’ « utilisation » des œuvres ainsi rendues accessibles, dissociant de la sorte les deux « pieds » sur lesquels repose l’open access1.

Le droit d’auteur est incontournable lorsque l’on évoque l’open access. Les travaux scientifiques présentés sous forme d’articles ou d’ouvrages sont généralement des œuvres originales et les chercheurs sont donc des auteurs, titulaires de droits sur leurs créations. Dès lors, l’exploitation de ces publications suppose l’accord de ces auteurs. Avant le développement de l’open access, cet accord était traditionnellement formalisé par un contrat d’édition confiant au seul éditeur le rôle de publier l’œuvre et de la diffuser aux lecteurs. Avec l’open access, ces pratiques évoluent, l’éditeur peut lui-même communiquer l’œuvre de manière « ouverte » ou bien permettre le dépôt du texte dans une archive. Le droit d’auteur est également incontournable lorsque l’on aborde l’autre « volet » de l’open access : l’utilisation de l’œuvre rendue accessible. L’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert2 proclame en effet que l’« accès libre » à la littérature scientifique implique certes « sa mise à disposition gratuite sur l’Internet public », mais aussi la possibilité pour le lecteur d’exploiter l’œuvre « sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet ». Il est ajouté plus loin que « la seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine, devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités ».

Accès aux œuvres scientifiques et droit d’auteur

Le droit d’auteur peut à la fois constituer un obstacle au libre accès et devenir un outil pour en favoriser le développement. Si l’on souhaite donner tout son sens à l’open access, il faut diffuser en accès ouvert les travaux actuels, futurs mais aussi passés. Or pour ces derniers, l’obstacle au libre accès viendra généralement des contrats conclus par les auteurs avec les éditeurs. Très souvent, ces contrats accordent à l’éditeur une exclusivité d’exploitation de l’œuvre, et cela sur support « papier » comme pour une exploitation en ligne, pour le monde entier et pour toute la durée des droits. Le chercheur est alors privé de la possibilité d’exploiter lui-même sa création sauf à négocier avec l’éditeur un avenant au contrat, ce qui n’est sans doute pas impossible mais pour le moins laborieux. Ici, le droit d’auteur peut donc être un obstacle au libre accès et tout dépendra du rapport de force entre l’auteur et son éditeur.

Cette question du rapport de force est également importante lorsque l’on aborde le cas de la diffusion des œuvres actuellement publiées. L’auteur peut alors faire le choix du libre accès en décidant de publier son article dans une revue qui autorisera en parallèle le dépôt dans une archive ouverte, parfois après une période dite d’embargo assurant à l’éditeur une exclusivité de quelques mois. Tout dépend donc de la volonté du chercheur et de sa capacité à trouver un éditeur « conciliant ».

Mais l’étude des différentes situations rencontrées dans plusieurs pays montre que si l’open access dépend de la seule volonté des chercheurs, son développement risque d’être freiné. Un chercheur isolé face à un éditeur puissant et prestigieux peut hésiter à défendre sa volonté de favoriser le libre accès. Face à un contrat type adressé par une maison d’édition, il est parfois bien difficile pour le non-juriste de savoir comment négocier et quoi négocier. Certes, des clauses types sont parfois proposées afin que les auteurs puissent les soumettre directement à leurs éditeurs : on peut citer, par exemple, les actions de Sparc (Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition)3. Mais il reste ensuite toujours à négocier avec l’éditeur.

D’autres voies ont donc été explorées pour assurer l’essor de l’open access. Il peut ainsi constituer une condition du financement de la recherche. Par exemple, aux États-Unis, la section 527 du Consolidated Appropriations Act de 2014 prévoit que toute agence fédérale soumise à cette loi et qui investit plus de 100 millions de dollars dans la recherche doit s’assurer que les travaux ainsi financés sont librement accessibles en ligne au plus tard 12 mois après la date « officielle » de publication4. D’autres législateurs ont adopté une approche différente et ainsi en Allemagne, depuis le 1er janvier 2014, l’auteur dispose d’un « droit d’exploitation secondaire ». Il peut « rendre publiquement accessible [sa] contribution dans la version acceptée du manuscrit, après un délai de 12 mois suivant sa première publication, toute fin commerciale étant exclue ». Ce dispositif s’applique lorsque cette contribution scientifique est « née d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des ressources publiques et publiée dans une collection périodique paraissant au moins deux fois par an »5. Ici, le droit d’auteur est donc bien un « outil » au service de l’open access.

Creative Commons guidant les contributeurs, d’après La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.

Creative Commons guidant les contributeurs, d’après La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.

Ju gatsu mikka / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

« Utilisation » des œuvres scientifiques et droit d’auteur

L’open access, implique, on vient de le voir, que les travaux scientifiques soient accessibles gratuitement en ligne, sans restriction. Mais il ne s’arrête pas là. Si l’on reprend le texte de l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert, il s’agit aussi de permettre « à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet ».

Dans cette logique, open access signifie « libre » accès, mais aussi « libre » utilisation. Or, juridiquement, l’un ne va pas nécessairement avec l’autre. Un article déposé dans une archive ouverte est accessible gratuitement. En revanche, s’il n’est accompagné d’aucune licence, il ne sera pas librement exploitable. Seules les exceptions au droit d’auteur déterminées par la loi applicable permettront de se livrer à certaines exploitations. Par exemple, au regard du droit français, il sera possible de faire une copie de l’œuvre pour un usage privé, de brefs passages du texte pourront être cités à des fins « critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information »6 et des extraits pourront également être utilisés pour l’enseignement ou la recherche7. Mais, au-delà, toute exploitation sera en principe subordonnée à l’accord exprès de l’auteur. Il faut bien mesurer les limites qu’impose une telle situation. Par exemple, on discute beaucoup, en ce moment, de l’intérêt du text mining ou du data mining pour la recherche scientifique. Il s’agit ainsi d’« explorer de manière automatique une masse de données pour en extraire un savoir ou une connaissance, pour identifier un lien entre plusieurs informations jusqu’alors considérées comme indépendantes »8. Or, une telle pratique suppose d’extraire, copier, exploiter les données fouillées et cela implique d’obtenir le consentement du titulaire des droits sur l’œuvre fouillée. À défaut d’exception au droit d’auteur permettant de tels actes, la solution la plus simple pour autoriser de telles recherches consiste alors à associer à l’œuvre diffusée en libre accès une licence autorisant ces exploitations.

Au-delà même du data ou text mining, pour rendre les œuvres en libre accès librement utilisables, il faut donc les accompagner de licences déterminant les usages autorisés. Les licences les plus connues sont sans doute les Creative Commons qui offrent plusieurs options différentes allant de la seule exigence de la mention du nom de l’auteur en cas d’exploitation de l’œuvre à l’interdiction des modifications ou des exploitations commerciales. Il appartient ainsi à chaque chercheur qui dépose son œuvre dans une archive de l’associer, ou non, à une licence qui déterminera les actes d’exploitation autorisés. Là encore, si l’objectif de l’open access est de permettre à la fois l’accès et la réutilisation des travaux scientifiques, on peut se demander quels moyens mettre en œuvre pour l’atteindre. L’examen des œuvres disponibles dans diverses archives ouvertes montre que les pratiques sont très hétérogènes et que toutes les œuvres en libre accès ne sont pas librement exploitables, loin de là.

Se pose alors la question du rôle des archives ouvertes. Elles peuvent tout d’abord, et c’est sans doute le minimum, informer les chercheurs qui déposent leurs travaux de l’intérêt des licences telles que les Creative Commons. Elles peuvent même les inciter à utiliser une telle licence. Mais une archive peut aussi adopter sa propre licence qui sera alors appliquée à toutes les œuvres qui y sont déposées. Ainsi, l’archive de l’université Harvard, appelée Dash9, prévoit que les internautes peuvent utiliser, reproduire, distribuer, les articles pour mener une étude personnelle, enseigner (ce qui inclut la possibilité de distribuer des copies de l’œuvre aux étudiants), pour mener des recherches (ce qui inclut notamment le text et data mining). Ces actes sont autorisés à condition notamment que l’internaute ne se livre à aucune exploitation commerciale de l’article et que le nom de l’auteur soit toujours associé à son œuvre10.

Conclusion

On constate une évolution du sens donné à l’« open access », dans la pratique tout au moins. Dans l’Initiative de Budapest, il est question de permettre la « disposition gratuite sur l’Internet public » des travaux scientifiques mais aussi leur utilisation. Ces objectifs concernent toute la « littérature (scientifique) des revues à comité de lecture ». Or, il faut constater que de nombreuses œuvres disponibles dans les archives ouvertes ne sont pas exploitables au-delà des seules exceptions au droit d’auteur prévues par les lois applicables. L’accès ouvert se réduit alors à un accès gratuit. On peut penser que ce « quasi » open access constitue déjà un progrès. On peut aussi regretter ce qui peut apparaître comme un compromis. Mais peut-être est-ce le prix à payer pour faire « bouger les lignes » en attendant de voir s’imposer à l’échelle planétaire l’open access tel que conçu dans la déclaration de Budapest11 ?

À noter

La Direction de l’information scientifique et technique du CNRS vient de publier en avril dernier une étude consacrée à L’édition de sciences à l’heure numérique : dynamiques en cours (2015).

Après un panorama complet du marché de l’édition scientifique, l’étude se penche sur les évolutions majeures de ce marché, les nouveaux axes de stratégie des grands éditeurs privés (gold open access, plateformes de services). La dernière partie pointe le rôle des politiques publiques pour assurer l’équilibre nécessaire entre grands éditeurs scientifiques et écosystème de la recherche.

Quelques chiffres extraits de l’étude
Le marché mondial de l’édition scientifique de recherche est estimé à 12,8milliards d’euros. Les services numériques représentent en moyenne 60 % des chiffres d’affaires (75 % pour les grands éditeurs). Le marché est dominé par 12 grands éditeurs dont les quatre premiers publient 50,1 %des revues à facteur d’impact et affichent un nombre moyen de 1500 revues à leur catalogues, alors que seuls 2 %des éditeurs publient 100 titres ou plus. Les éditeurs ont entrepris une conversion généralisée de leur modèle éditorial en gold open access : la création de nouvelles revues en open access représente désormais près de 80 % des nouveaux titres lancés sur le marché. L’investissement par les grands éditeurs du champ du gold open access est indissociable de leur volonté d’être à terme des sociétés de service, monétisant les usages de leurs plateformes en ligne.

Pour en savoir plus

L’intégralité de l’étude est consultable en ligne sur : www.cnrs.fr/dist/z-outils/documents/Distinfo2/DISTetude2%20(2).pdf

Image

1 Cet article constitue la version abrégée d’un texte intitulé « Le rôle du droit d’auteur dans le développement de l’open access via les archives

2 www.budapestopenaccessinitiative.org/translations/french-translation

3 www.sparc.arl.org/resources/authors/addendum-2007

4 Public Law 113-76, Division H section 527, www.gpo.gov/fdsys/pkg/PLAW-113publ76/pdf/PLAW-113publ76.pdf

5 Loi du 1er oct. 2013 relative à l’utilisation des œuvres orphelines et épuisées et à une autre modification de la loi sur le droit d’auteur

6 Art. L. 122-5, 3°, a) du code de la propriété intellectuelle.

7 Art. L. 122-5, 3°, e) du code de la propriété intellectuelle.

8 Carine Bernault, Jean-Pierre Clavier, Dictionnaire de droit de la propriété intellectuelle, Ellipses, 2e éd., 2015.

9 https://osc.hul.harvard.edu/dash/

10 Voir l’ensemble des conditions au point 3 des « Terms of Use for Dash Repository » : https://osc.hul.harvard.edu/dash/termsofuse.

11 Voir en ce sens : Dix ans après l’Initiative de Budapest : ce sera le libre accès par défaut, § 2.1 : « Hiérarchiser les priorités et mettre en

Notes

1 Cet article constitue la version abrégée d’un texte intitulé « Le rôle du droit d’auteur dans le développement de l’open access via les archives ouvertes », rédigé pour le colloque international : « Libre accès et recherche scientifique : vers de nouvelles valeurs », nov. 2014, Tunis et disponible dans Hal SHS (nº 01120188).

2 www.budapestopenaccessinitiative.org/translations/french-translation

3 www.sparc.arl.org/resources/authors/addendum-2007

4 Public Law 113-76, Division H section 527, www.gpo.gov/fdsys/pkg/PLAW-113publ76/pdf/PLAW-113publ76.pdf

5 Loi du 1er oct. 2013 relative à l’utilisation des œuvres orphelines et épuisées et à une autre modification de la loi sur le droit d’auteur, Bundesgesetzblatt, nº 59, 8 octobre 2013, p. 3728. Traduction proposée par H. Gruttemeier, « Point sur le libre accès en Allemagne », http://openaccess.inist.fr/?Point-sur-le-Libre-Acces-en

6 Art. L. 122-5, 3°, a) du code de la propriété intellectuelle.

7 Art. L. 122-5, 3°, e) du code de la propriété intellectuelle.

8 Carine Bernault, Jean-Pierre Clavier, Dictionnaire de droit de la propriété intellectuelle, Ellipses, 2e éd., 2015.

9 https://osc.hul.harvard.edu/dash/

10 Voir l’ensemble des conditions au point 3 des « Terms of Use for Dash Repository » : https://osc.hul.harvard.edu/dash/termsofuse.

11 Voir en ce sens : Dix ans après l’Initiative de Budapest : ce sera le libre accès par défaut, § 2.1 : « Hiérarchiser les priorités et mettre en place des stratégies implique de reconnaître que l’accès “gratis” est supérieur à l’accès payant, l’accès “gratis” sous licence libre étant lui-même supérieur au seul accès “gratis”, et, enfin, l’accès sous licence libre de type CC-BY ou équivalente est préférable à un accès sous une licence libre qui serait plus restrictive. Il faut mettre en œuvre ce que l’on peut quand on peut. Nous ne devrions pas retarder la mise en œuvre du libre accès “gratis” au prétexte de viser l’accès sous licence libre, mais nous ne devrions pas nous limiter non plus au libre accès “gratis” si nous pouvons obtenir des licences libres », www.budapestopenaccessinitiative.org/boai-10-translations/french

Illustrations

Creative Commons guidant les contributeurs, d’après La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.

Creative Commons guidant les contributeurs, d’après La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.

Ju gatsu mikka / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Citer cet article

Référence papier

Carine Bernault, « Archives ouvertes et droit d’auteur », Arabesques, 79 | 2015, 21-23.

Référence électronique

Carine Bernault, « Archives ouvertes et droit d’auteur », Arabesques [En ligne], 79 | 2015, mis en ligne le 08 janvier 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=812

Auteur

Carine Bernault

Professeur à l’université de Nantes Directrice de l’Institut de recherche en droit privé

carine.bernault@univ-nantes.fr

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