Lorsque le robot se plante…

DOI : 10.35562/arabesques.833

p. 17

Plan

Texte

« Nos machines, au souffle de feu, aux membres d’acier, infatigables, à la fécondité merveilleuse, inépuisable, accomplissent docilement d’elles-mêmes leur travail sacré »
(Paul Lafargue, Le droit à la paresse, 1880).

Infatigables assurément, infaillibles sans doute moins : la preuve par l’exemple

Un robot nommé Attributor

Depuis 2005, des groupes d’édition font appel à un « drone juridique » – pour reprendre l’expression utilisée par Lionel Maurel alias Calimaq – dénommé Attributor et lancé par une société californienne spécialisée dans la traque de contenus copiés. Il s’agit d’un système d’identification automatisé qui analyse les contenus proposés sur les grandes plateformes de téléchargement.

Hachette Livre fut le premier groupe d’édition français à l’expérimenter à partir de juin 2011, suivi par Editis. Il faut rappeler que le téléchargement de livres n’est pas pour l’instant sous le contrôle de l’Hadopi.

Un typographe passionné

À l’autre bout de la chaîne, Alain Hurtig, typographe et maquettiste, exploite certaines œuvres du domaine public pour effectuer un travail remarquable de création graphique mis en ligne, sous licence Creative Commons, sur son site « L’outil typographique »1. Il a, entre autres, utilisé un texte de Paul Lafargue (1842-1911), Le droit à la paresse, pour une de ses mises en forme typographiques. Ce texte, incontestablement dans le domaine public compte tenu de la date de décès de l’auteur, a été téléchargé sur le site de l’Association des bibliophiles universels. En avril 2013, Alain Hurtig reçoit un premier mail d’Attributor, agissant pour le compte d’Editis et l’enjoignant de retirer ce texte de son site. Malgré ses protestations restées sans réponse, il reçoit un second mail début 2014. Il se trouve que les éditions La Découverte, membres d’Editis, ont réédité en 2010 une version du Droit à la paresse, publiée en 1969 par Maspero et enrichie à l’époque par une présentation de Maurice Dommanget, complétée lors de la réédition par une préface de Gilles Candar et quelques annexes. Bien évidemment, dans ce cas, seul l’appareil critique est sous droits, mais aucunement le texte de Lafargue.

Épilogue

Il s’agit là d’une erreur manifeste liée à une mauvaise interprétation du robot qui n’a pas pu (su) analyser précisément les métadonnées de l’édition augmentée. À la suite du billet publié par Calimaq sur S.I.Lex et de la mobilisation de quelques professionnels, les éditions La Découverte ont finalement reconnu l’erreur et Attributor a officiellement retiré sa demande le 6 février 2014. Il semblerait toutefois que cette erreur ne soit pas un cas isolé : en février 2013, une vague de demandes de retrait avait frappé le site Feedbooks qui comporte une section de livres numériques gratuits du domaine public ; en juin dernier, nouvelle demande de retrait émanant de Digimarc2 pour le compte d’Editis de toute une série d’ePub du domaine public comme, par exemple, Le Comte de Monte-Cristo ou Les voyages de Gulliver. Et pourtant, Matt Robinson, un des responsables d’Attributor cité par Fabien Soyez sur Owni, affirmait : « notre système est complètement automatisé, l’information que nous trouvons grâce à notre algorithme est quasiment correcte à chaque fois. Nous croisons ce balayage automatisé avec des vérifications humaines, pour être sûrs qu’il s’agit bien d’une copie illégale d’eBook, et non d’une simple citation ou d’un pastiche. Nous ne risquons pas de faire de fausses identifications de piratage, ou pratiquement ». Ou pratiquement… voilà où se cache toute la nuance.

Image

Simon Pow / Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Bibliographie

Billet de Calimaq sur S.I.Lex « Message à Editis : laissez Le droit à la paresse dans le domaine public ! », 5 février 2014 :
https://scinfolex.com/2014/02/05/message-a-editis-laissez-le-le-droit-a-la-paresse-dans-le-domaine-public/

Billet de Fabien Soyez sur Owni « Lamilice privée d’Hachette Livre », 5 janvier 2012 :
http://owni.fr/2012/01/05/milice-privee-hachette-livre-telechargement

Notes

1 http://www.alain.les-hurtig.org Retour au texte

2 Digimarc, société qui fournit les solutions de tatouage numérique des fichiers permettant le contrôle sur Internet, a racheté Attributor en 2012. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

B. P., « Lorsque le robot se plante… », Arabesques, 77 | 2015, 17.

Référence électronique

B. P., « Lorsque le robot se plante… », Arabesques [En ligne], 77 | 2015, mis en ligne le 07 janvier 2020, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=833

Auteur

B. P.

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