Outline

Text

L’année de création de l’Abes aura été une année marquante pour le réseau des bibliothèques françaises. Daniel Renoult, témoin de premier rang à travers les fonctions qu’il a exercées à cette période, revient ici sur quelques faits majeurs.

L’histoire des bibliothèques connaît peu de ruptures mais de lentes évolutions. Sa chronologie s’inscrit plutôt dans la longue durée et s’articule sur les grandes dates de l’histoire générale. Cependant, certaines dates plus spécifiques marquent des étapes de ces évolutions. Il en est ainsi de l’année 1994 qui a vu se concrétiser plusieurs réformes ou projets qui ont modifié durablement le paysage documentaire français. Ainsi, le 1er janvier, le personnel d’État des bibliothèques départementales de prêt (BDP), placées en 1986 sous l’autorité des conseils généraux, a été appelé à exercer un droit d’option entre le statut d’État et le statut territorial. Cette date marque ainsi l’aboutissement d’un long processus de décentralisation des BDP engagé depuis 1986 qui clôt une période d’environ 50 ans où l’État avait pris l’initiative et la responsabilité de développer des services de lecture publique pour les communes rurales.

1994 est aussi l’année de création de trois nouveaux établissements publics qui structurent aujourd’hui le réseau des bibliothèques et qui ont durablement amélioré sa cohérence.

La Bibliothèque nationale de France, une étape décisive

C’est en effet en janvier 1994 que paraît au Journal officiel1 le décret portant création de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et formalisant une des transformations les plus considérables que la Bibliothèque nationale ait connue. Ce décret traduit à la fois l’aboutissement d’un processus et le début d’une nouvelle ère pour l’établissement. Les orientations du gouvernement avaient en effet été rendues publiques en juillet 1993 : poursuite de la construction du bâtiment de Tolbiac, maintien sur le site de la rue de Richelieu des collections spécialisées, création d’un nouvel établissement public regroupant la Bibliothèque nationale et l’Établissement public de la Bibliothèque de France, révision du projet informatique et constitution d’un réseau de bibliothèques reliées à la BNF. Certes, le décret n’est qu’un cadre juridique et la fusion reste un objectif à atteindre pour Jean Favier, président de la BNF, Philippe Bélaval, directeur général, et la nouvelle équipe de directeurs nommée le 23 janvier 1994, mais une étape décisive vient d’être franchie. Un changement d’échelle est confirmé. Un élargissement des publics, du rayonnement national et international, de la BNF est lancé. Dès mai 1994, les huit premières conventions de pôles associés étaient signées.

Le CTLES, un enjeu pour la coopération

Du côté des bibliothèques universitaires (BU) des réformes importantes sont également en cours. Après avoir été présenté au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) le 15 février 1993, le décret de création du Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLES) paraît en octobre 19942. Là encore, il s’agit d’une évolution marquante pour la coopération entre bibliothèques. L’idée d’une bibliothèque régionale de dépôt accueillant des fonds anciens peu consultés avait certes été évoquée dans des articles ou des rapports officiels, par exemple par Maurice Caillet en 1981, mais elle semblait encore une utopie3.

Pourtant, le concept s’impose notamment à l’étranger si bien que la Direction des Bibliothèques, des Musées et de l’Information scientifique et technique lance, en 1983, une enquête pour évaluer les besoins de stockage des bibliothèques universitaires de la région Île-de-France4, puis commande une étude de faisabilité sur la création d’un centre de dépôt. Il faudra encore quelques années pour qu’adviennent les circonstances favorables à sa réalisation.

Le projet est repris et recommandé par le rapport Miquel en 19895. C’est le schéma Université 2000, initié par Claude Allègre et Lionel Jospin sous le gouvernement Rocard en 1991, puis la reprise des constructions pour l’enseignement supérieur avec le concours des collectivités territoriales qui vont le rendre possible. Autre circonstance favorable, le projet d’un Centre technique dédié à conservation pour la BNF va faciliter l’obtention commune d’un terrain sur l’emprise de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée (77). En s’inspirant d’expériences étrangères, Harvard (USA) et Kupio (Finlande), il sera enfin possible de lancer dans le cadre du XIe Plan (1994-1998) un programme de construction et préparer le décret définissant les missions de ce centre de conservation partagée qui a aujourd’hui tellement fait ses preuves qu’une extension s’est révélée nécessaire et devrait être livrée en 2015.

Les gigantesques magasins du CTLES, créé lui aussi en 1994

Les gigantesques magasins du CTLES, créé lui aussi en 1994

© Laurent Hédoin (CTLES)

Et, bien sûr, l’Abes…

C’est au cours de la même séance du CNESR, qu’est examiné le projet de décret créant l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes). La création de ce nouvel établissement public répond à une exigence de réorganisation fonctionnelle et administrative envisagée depuis plusieurs années. C’est une réforme profonde qui concerne, comme le souligne la partie syndicale6, l’ensemble des activités réseaux des bibliothèques universitaires. Il faut rappeler dans quelle situation, sinon de confusion du moins de grande complexité, se trouvent les réseaux bibliographiques informatisés et leur administration. D’un côté, les périodiques sont traités dans le Catalogue collectif national (CCN), de l’autre, les thèses dans la base Téléthèses. Quant aux catalogues d’ouvrages, trois réseaux informatisés (SIBIL, OCLC et BN Opale) se partagent – pour ne pas dire se disputent – les BU.

Chacun de ses réseaux a ses partisans, ses places fortes, ses formats7, ses associations d’utilisateurs : Sainte-Geneviève pour BN Opale, la BIU de Montpellier pour Sibil et le réseau Rébus, Cujas pour l’OCLC et le réseau Auroc8. La tentative d’imposer aux BU un format unique ayant échoué9, la nouvelle stratégie du ministère chargé de l’enseignement supérieur est alors de fédérer l’ensemble des ressources bibliographiques et d’assurer leur interopérabilité au sein du Pancatalogue afin de créer un point d’entrée unique pour l’ensemble des étudiants et chercheurs. La création de l’Abes a pour objectif d’assurer l’ensemble des activités réseaux des bibliothèques dans le cadre d’un schéma directeur informatique national, initié en avril 1992, et qui vise à coordonner le traitement documentaire et à terme à en assurer l’intégration. Dans ce but, on regroupe à Montpellier, au sein d’un établissement public, la gestion de l’ensemble des services et applications : le CCN et Téléthèses, antérieurement services de l’École nationale supérieure des bibliothèques (ENSB) mais installés à Paris, le Pancatalogue jusqu’alors, comme le Prêt entre bibliothèques, géré directement par le ministère, et les serveurs du Sunist (jusqu’alors rattaché à l’ENSB !) regroupés avec ceux du CNUSC. Démarrant avec une vingtaine de personnes, l’Abes réussira le pari de la continuité des applications, puis de leur refondation, jusqu’à aboutir dans les années 2000 au Sudoc et à occuper la place que l’on sait dans le réseau des BU aujourd’hui.

1994, ce fut aussi l’année de la disparition prématurée de Jean Gattégno. Cet homme remarquable a tant marqué la politique du livre et des bibliothèques comme directeur du Livre et de la Lecture, comme délégué scientifique de la Bibliothèque de France – et tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui – que je ne voudrais pas évoquer cette année-là sans lui rendre à nouveau hommage. Sans lui, en effet, les bibliothèques ne seraient pas tout à fait devenues ce qu’elles sont aujourd’hui.

Notes

1 Décret 94-3 du 3 janvier 1994, Journal officiel de la République française, n° 0002 du 4 janvier 1994, p. 149.

2 Décret 94-922 du 24 octobre 1994, Journal officiel de la République française, n° 249 du 26 octobre 1994, p. 15222.

3 Maurice Caillet, « État du Patrimoine des bibliothèques françaises », Bulletin des bibliothèques de France, 1981, n° 2. « Pour les ouvrages dont la conservation est souhaitable, mais qui, par suite de l’encombrement, ou pour toute autre raison, ne pourraient plus être gardés par un établissement, le transfert dans une bibliothèque régionale ayant vocation à emmagasiner des volumes déposés aussi bien par des bibliothèques municipales, que par des bibliothèques universitaires et des bibliothèques centrales de prêt serait une solution séduisante, assez utopique, reconnaissons-le, à notre époque où les structures administratives sont lourdes, les crédits rares, et où le manque de place se fait sentir presque partout […] ».

4 Hubert Dupuy, « Un outil de conservation partagée : le Centre technique du livre », Bulletin des Bibliothèques de France, n° 3, 1992.

5 André Miquel, Les Bibliothèques universitaires…, La Documentation française, 1989, p. 59.

6 Cf. les remarques d’André Nivet, lettre du 25 février 1993 publiée dans le Bulletin du Syndicat national des bibliothèques, n° 135, avril-mai 1993.

7 Outre diverses formes d’Intermarc, le LC Marc, tandis que certaines bibliothèques utilisent alors la base Electre en Unimarc.

8 Voir le panorama proposé par le Bulletin de l’Association des bibliothécaires français, n° 163, 1994.

9 En 1987, la DBMIST, après une convention passée avec le réseau OCLC avait proposé sans succès à l’ensemble des BU d’adhérer à ce réseau.

Illustrations

References

Bibliographical reference

Daniel Renoult, « 1994, année dynamique », Arabesques, 75 | 2014, 4-5.

Electronic reference

Daniel Renoult, « 1994, année dynamique », Arabesques [Online], 75 | 2014, Online since 07 janvier 2020, connection on 15 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=868

Author

Daniel Renoult

Daniel Renoult a été sous-directeur des bibliothèques (sous-direction rattachée à la Direction du Développement et de la Programmation universitaire, DPDU) de 1989 à début 1994. À ce titre, il a engagé le schéma directeur informatique national, la réforme de l’ENSB devenue Enssib, le transfert du Sunist à Montpellier et préparé la création du CTLES et de l’Abes. Il a été nommé dans l’équipe de direction de la BNF en janvier 1994 où il a exercé jusqu’en 2001.Nommé à l’Inspection générale des bibliothèques (IGB), il a plus particulièrement suivi le projet U3M pour l’Île-de-France de 2001 à 2005. De 2006 à 2010, il a exercé les fonctions de doyen de l’IGB.

daniel.renoult@orange.fr

Author resources in other databases

  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

By this author

Copyright

CC BY-ND 2.0