Documentation numérique et réseaux documentaires

DOI : 10.35562/arabesques.938

p. 4-5

Plan

Texte

L’arrivée, puis l’essor massif de la documentation numérique, n’aura pas été sans effet sur la reconfiguration des réseaux documentaires. D’hier à aujourd’hui…

La documentation dans l’enseignement supérieur et la recherche en France est marquée traditionnellement par une forte dispersion. Les causes en sont des cloisonnements entre secteurs : dans l’enseignement supérieur, entre universités et grandes écoles ; au sein même des universités, entre la bibliothèque universitaire (BU) et les autres bibliothèques et centres documentaires (d’institut, de département, de laboratoire…) ; entre universités et organismes de recherche. Cette dispersion institutionnelle clive les publics étudiants et impacte des profils d’étude et de carrière, tandis que d’autres publics de chercheurs négocient leurs parcours entre institutions avec une dextérité plus ou moins grande.

De l’informatisation au numérique

Dans les années 1980, l’informatisation croissante de la documentation reproduisait ces clivages. La seule initiative transversale était alors le Catalogue collectif national des publications en série. Plusieurs réseaux de catalogage se sont créés au lieu du « Pancatalogue » souhaité par la Direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique (DBMIST)1 : trois au sein des BU (Sibil, BN-Opale, OCLC‑AUROC, sans compter les bibliothèques « hors réseau »), tandis que des bibliothèques de recherche en sciences humaines créaient le Catalogue collectif des ouvrages (CCO). Deux réseaux de prêt entre bibliothèques se développaient : Peb, devenu SuPeb, et l’Inist. De même, un réseau disciplinaire était en construction, les Cadist, à côté d’autres réseaux de la recherche (réseaux thématiques en sciences humaines, réseau national des bibliothèques de mathématiques).

Ce paysage s’est profondément modifié à la fin des années 1990. Les BU ont constitué un seul réseau national avec le Sudoc, déployé à marche forcée entre 2000 et 2002. Le réseau Abes a ensuite intégré de grands établissements, les écoles françaises à l’étranger, les IUFM (aujourd’hui Espé), de grandes écoles ou des réseaux d’écoles, ainsi que des organismes de recherche (Inist, Inria) et quelques musées. L’Association des utilisateurs du réseau de l’Abes (Aura), créée en 2001, a suivi la même évolution avant de fusionner en 2012 avec l’ADBU, qui se dotait d’une commission Signalement et système d’information.

La documentation numérique a apporté un bouleversement plus profond, car elle a marqué, simultanément, un changement à la fois dans les méthodes de travail des bibliothécaires et documentalistes (ou gestionnaires de l’information), mais aussi, plus fondamentalement, dans les pratiques des usagers et, en conséquence, sur les relations entre ces gestionnaires et les usagers.

La mutualisation de la documentation numérique

Dès le début, à la fois parce que les éditeurs voulaient organiser un nouveau marché et parce que les bibliothécaires avaient avantage à se regrouper plutôt qu’à négocier seuls, la nécessité de coopérer s’est imposée. La documentation en ligne dans notre secteur a touché en premier lieu les revues, dans un couplage entre l’imprimé et l’électronique qui a maintenu au début les clivages entre universités et organismes de recherche. Des clivages toutefois brouillés en raison des abonnements des unités mixtes de recherche, émargeant à la fois sur des budgets d’universités et d’organismes. Mais, au sein de l’université, il a fallu considérer les abonnements aux périodiques de façon globale, les coûts et les droits variant en fonction du portefeuille d’abonnement de l’établissement. De même, au sein des organismes de recherche, la coordination entre les services IST à l’échelon central et les laboratoires ou les départements thématiques devenait une nécessité.

Le consortium Couperin, créé en 1999 par quatre universités, a rapidement réuni presque toutes les universités, puis nombre de grandes écoles, et a permis de franchir une étape supplémentaire en élargissant le périmètre hors ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) à des établissements ou réseaux des ministères en charge de l’agriculture, de l’économie, de la défense, etc. Un groupement d’intérêt public universités organismes de recherche avait été envisagé en 2004, mais avait échoué sur des questions de gouvernance. Certains organismes de recherche ont adhéré à Couperin, tandis que le CNRS et l’Inserm, sans adhérer à l’époque, participaient dès 2005 aux plus importants groupements d’achats, portés par l’Abes. Dès 2007, des contacts étaient pris avec la Bibliothèque nationale de France (BNF) en vue d’une coopération dans les négociations. Ce long travail en commun est venu à bout de nombre d’incompréhensions et a conduit Couperin à s’élargir dans un nouveau cadre de gouvernance sanctionné par l’adoption, en avril 2013, de nouveaux statuts permettant d’accueillir le CNRS, l’Inserm et la BNF. L’élargissement de Couperin a été rendu possible grâce à l’action de l’État en faveur de la structuration de l’information scientifique et technique au plan national, d’abord avec un comité de pilotage Conférence des présidents d’université (CPU)- Conférence des grandes écoles (CGE)-organismes de recherche, puis par la mise en place d’une très grande infrastructure de recherche, la Bibliothèque scientifique numérique (BSN), et, enfin, par le programme Istex dans le cadre des Investissements d’avenir.

Dresser une cartographie des réseaux documentaires faciliterait le repérage de leurs champs de compétences et de leurs interfaces

Dresser une cartographie des réseaux documentaires faciliterait le repérage de leurs champs de compétences et de leurs interfaces

Stheaker/Pixabay (Public Domain CC0)

Des dispositifs et programmes structurants

Le dispositif de coordination des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’est la BSN a favorisé l’avancement d’une réflexion partagée et les progrès d’une culture commune à travers la mise en place de huit, puis neuf groupes de travail sur tous les aspects de la documentation numérique, de la production à la diffusion et à la conservation, et l’adoption d’une feuille de route 2012‑2015 dans le cadre de la Stratégie nationale de recherche et d’innovation, portée par le MESR. La confiance entre partenaires s’est renforcée et la représentation des universités dans les groupes de travail s’est récemment améliorée. BSN n’est pas simplement une coordination entre professionnels de l’IST et bibliothécaires, mais aussi avec les chercheurs. Elle a notamment contribué à faire aboutir le dossier des licences nationales, à définir la position française sur les archives ouvertes, à améliorer la gouvernance de Hal et de Persée, qui sont maintenant des unités mixtes de service. Une autre infrastructure de recherche, dédiée aux collections matérielles, Collex, devrait être constituée dans le même esprit, en s’appuyant notamment sur les Cadist, mais aussi sur les fonds scientifiques uniques des organismes de recherche. BSN associe par ailleurs le ministère de la Culture et la BNF dans plusieurs de ses groupes, les deux ministères se coordonnant plus largement dans le cadre de la commission Bibliothèques numériques.

Parallèlement, les professionnels de l’IST des organismes de recherche ont renforcé leurs relations de travail et leur association Eprist, d’abord informelle, s’est structurée. Le dialogue entre associations professionnelles en est facilité, au premier plan avec l’ADBU, dont les nouveaux statuts fixent notamment pour objet « d’offrir un espace de dialogue, de mutualisation, de veille et d’échange sur les bonnes pratiques, les évolutions et l’organisation nationale et internationale de l’information scientifique et technique ».

Le projet Istex dans ses deux volets (l’acquisition et la mise à disposition de toute la communauté universitaire et de recherche de ressources électroniques en licence nationale ; la mise en place d’une plateforme d’accès à ces ressources permettant une recherche intelligente et la fouille de textes) est hautement symbolique des relations nouvelles entre les acteurs. Ce projet, financé à hauteur de 60 M€ sur trois ans dans le cadre des initiatives d’excellence, a fait l’objet d’une convention entre le Commissariat général à l’investissement (CGI), le MESR et le CNRS, qui en est le porteur institutionnel. Istex est piloté par un comité exécutif composé de l’Abes, de Couperin, de l’université de Lorraine, agissant pour le compte de la CPU, et de l’Inist‑CNRS, qui œuvrent ensemble dans un partage des rôles clair.

Ces différents dispositifs favorisent l’interconnexion des réseaux et des projets structurants communs sans prétendre unifier l’ensemble des initiatives autour d’un centre ou exclure d’autres projets dans le champ de chaque acteur. Ainsi, dans l’esprit de BSN, le CNRS vient de publier son propre schéma d’orientation stratégique de l’IST. Une cartographie de ces réseaux, de leurs champs de compétences et de leurs interfaces, des nœuds structurants, éclairerait le paysage pour les profanes et contribuerait à tracer des perspectives pour Horizon 2020.

Notes

1 Créée en 1982, la DBMIST était alors la direction ministérielle en charge notamment des BU. Elle a été supprimée en 1989, la tutelle des BU étant ensuite assurée de 1989 à 2006 par la Sous-direction des bibliothèques. Retour au texte

Illustrations

  • Dresser une cartographie des réseaux documentaires faciliterait le repérage de leurs champs de compétences et de leurs interfaces

    Dresser une cartographie des réseaux documentaires faciliterait le repérage de leurs champs de compétences et de leurs interfaces

    Stheaker/Pixabay (Public Domain CC0)

Citer cet article

Référence papier

Pierre Carbone, « Documentation numérique et réseaux documentaires », Arabesques, 74 | 2014, 4-5.

Référence électronique

Pierre Carbone, « Documentation numérique et réseaux documentaires », Arabesques [En ligne], 74 | 2014, mis en ligne le 20 août 2019, consulté le 05 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=938

Auteur

Pierre Carbone

Inspecteur général des bibliothèques

pierre.carbone@education.gouv.fr

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