On ne peut plus ignorer maintenant en France la méthode de l’observation des bébés selon E. Bick après ce colloque européen1 qui attira plus de 700 participants. Pourtant cette méthode est encore peu connue et souvent mal comprise dans notre pays.
Conçue par Esther Bick autour de 1948, cette méthode se développa dans le creuset kleinien de la psychanalyse à la Tavistock Clinic à Londres pour la formation des psychothérapeutes d’enfants. Martha Harris poursuivit cet enseignement en direction des diverses professions médico-sociales et éducatives. Actuellement cet héritage revêt différentes formes dont certaines ont été rassemblées par ce colloque qui fait suite à celui de Bruxelles en 19912.
L’esprit de la maison mère pouvait se retrouver dans le souci pédagogique des organisateurs d’ouvrir de nombreux ateliers où des observations pouvaient être lues et discutées. Il pouvait se matérialiser par le patronage de Donald Meltzer qui souligna au-delà des similitudes frappantes entre les travaux de Wilfried Bion et ceux d’Esther Bick leurs différences.
Surtout cet état d’esprit était là par la présence de quelques membres de la Tavistock Clinic.
La transmission d’un enseignement ne va pas sans le risque de le dénaturer. Une tendance à l’hagiographie envers « Miss Bick » était ainsi perceptible au début du colloque avec par exemple les propos de Michel Haag3. Mais le souci méthodologique de Didier Houzel permit de réfléchir sur la méthode : « le mariage de raison nécessaire entre psychanalyse et observation » se traduit par différents paradoxes qui ne peuvent être levés sans une approche épistémologique ; il a proposé une théorie du cadre qui reste à poursuivre4.
L’observation du nourrisson ne se réduit pas à adopter certaines idées d’Esther Bick, mais bien à suivre une méthode particulière. Romana Negri, professeur à Milan, fit les frais de cette prise de conscience du public. Ses études font l’hypothèse d’une relation entre le développement intra et extra-utérin, elle montra des enregistrements d’échographies de fœtus et des images vidéo des mêmes enfants jumeaux lors des trois premières années. Ses conclusions choquèrent, ses observations ne semblent avoir aucun rôle « contenant » pour le bébé et son entourage. En fait sa méthodologie expérimentale permet certes d’approcher des ressemblances comportementales mais ne permet pas de déduire un fonctionnement psychique élaboré tel que la sociabilité. Malgré le soutien de D. Meltzer pour cette « conjoncture imaginative » (n’était-ce pas aussi un souhait de W. R. Bion ?) on doit rappeler que la valeur de cette méthode d’observation prend sa source dans le travail psychique que doit réaliser l’observateur en relation avec les personnes auxquelles il prête son attention.
Les applications de cette méthode prennent tout leur sens si elle permet aux soignants un travail sur eux-mêmes dans leurs relations avec « leurs clients ». Catherine Druon, psychanalyste à Paris, sut transmettre à la salle le combat d’une équipe de néonatologie pour accorder, régulièrement et indépendamment des soins techniques, une attention individuelle à des prématurés, entre la vie et la mort. Oh surprise ! le taux d’oxygénation varie lors de ce contact privilégié. Pourquoi ce travail est-il réalisé « en plus » par les infirmières et puéricultrices ?
De multiples pistes existent pour faire fonctionner un cadre de travail suffisamment contenant basé sur le travail de l’observation, je citerai seulement ici les expériences de D. Houzel, qui est Médecin Chef au CHU de Caen, pour la prise en charge thérapeutique de jeunes enfants, notamment avec des troubles autistiques ou psychotiques, l’expérience de l’équipe de Pierre Laforgue à Bordeaux en PMI, celle de l’unité de soin de Françoise Jardin dans les crèches à Paris, de Jacqueline Tricaud et Anik Maufras de Chatellier pour des groupes de parents, etc. Dans chaque cas le projet est exigeant, on ne s’improvise pas observateur, il convient de le rappeler si l’on ne veut pas voir fleurir une multitude « d’applications », l’existence d’un tel colloque entretenant cette tendance.
L’intervention remarquée de Geneviève Appel, présidente de l’association Pickler Loczy France, montre également qu’il y a des convergences avec d’autres approches qui ont fait leurs preuves dans la prise en charge des jeunes enfants en collectivité.
La pratique de l’approche psychanalytique de l’observation du nourrisson permet de relancer des interrogations théoriques. Signalons la contribution de Gianna Williams qui développa de manière tout à fait intéressante une différence à effectuer entre les enfants qui ont la chance d’être le « contenant » des projections maternelles et ceux qui ne peuvent qu’être un « réceptacle » de ces projections qui débordent leurs propres capacités à penser, les propos de l’espagnol Emmanuel Perez-Sanchez qui s’interroge à partir de « l’unité originaire père-mère-bébé » sur les différences entre les fonctions (et les états) maternelles et paternelles, ceux de Joan Symington d’Australie sur l’adhésivité et de Geneviève Haag de Paris sur l’image du corps.
La méthode de l’observation du nourrisson selon E. Bick est une formidable source de connaissance et on a souvent senti dans ce colloque un désir de percer les mystères de l’univers infini des premiers liens. Mais pour que cette méthode permette toujours « d’apprendre par l’expérience » selon les termes de W. R. Bion il faudrait plus parler de son objectif primordial, un processus de formation analytique.
Rendez-vous au prochain colloque en souhaitant qu’il donne plus de place à la méthodologie et à la théorie des applications, outils indispensables pour le soin et la prévention des petits… et des moins petits.