La synesthésie : une révolution neurologique et culturelle

  • Synesthesia: A Neurological and Cultural Revolution

DOI : 10.35562/iris.1568

p. 63-83

Résumés

À partir des années 1980 eut lieu une véritable révolution dans la connaissance du phénomène neurologique de la synesthésie, qui s’est accompagnée d’une révolution culturelle avec l’apparition de témoignages personnels de synesthètes. Cette représentation littéraire et plastique des perceptions synesthésiques fait partie du mouvement contemporain de représentations autobiographiques de différentes conditions neurologiques. Carol Steen, Patricia Lynne Duffy et Marcia Smilack sont des acteurs pionniers de la représentation des perceptions synesthésiques.

From the 1980s, a revolution took place in the knowledge of the neurological phenomenon of synesthesia, which has been accompanied by a cultural revolution with the emergence of personal accounts of synesthetes. Autobiographical representationliterary or plasticof synesthetic perceptions belongs to the contemporary movement of autobiographical representations of various neurological conditions. Carol Steen, Patricia Lynne Duffy and Marcia Smilack are pioneers involved in representation of synesthetic perceptions.

Plan

Texte

Figure 1. – Carol Steen, ZigZag, 1996, huile sur papier, 30,48 x 25,40 cm.

Figure 1. – Carol Steen, ZigZag, 1996, huile sur papier, 30,48 x 25,40 cm.

When I was first trying to understand how to use my synesthetic visions in my work I explored ways of working with the lines I saw, the moving color fields, and, in this case, a zigzag that was so prominent in one particular photism. The trigger for this painting came from a very intense acupuncture session one day1.

La confirmation de la synesthésie comme phénomène neurologique

La synesthésie et son neuropsychological turn

À partir des années 1980, les études réalisées par Simon Baron-Cohen et John E. Harrison en Grande-Bretagne, Lawrence E. Marks et Richard Cytowic aux États-Unis ont transformé la conception de la synesthésie, définitivement reconnue comme un phénomène neurologique étudié de manière scientifique. L’âge de la « Synesthesia Renaissance », grâce à son « neuropsychological turn » commençait : « Within the last few years synesthesia has enjoyed something of a renaissance, with researchers from various disciplines within cognitive neuroscience contributing both new data and theory. » (Baron-Cohen & Harrison, 1997, p. 4) Le phénomène consiste en une association involontaire entre divers modes de perception : la stimulation d’un sens active un autre sens, sans que celui-ci ait été stimulé par ailleurs. Cette association intermodale est dite bimodale quand elle a lieu entre deux modalités sensorielles, ce qui est le cas le plus courant, elle est dite multimodale quand elle met en jeu au moins trois modalités sensorielles. Elle est généralement unidirectionnelle, une perception stimule un autre mode mais cela n’est pas réversible, elle est dite bidirectionnelle dans les rares cas de réversibilité. Certaines associations sont plus courantes, notamment entre le son et la vue, d’autres plus rares avec le goût ou l’odorat. Un mode de perception peut être activé également à partir non pas d’une première perception, mais de « systèmes culturels de catégorisation » : nombres, noms, jours de la semaine, mois, etc. Le synesthète Prix Nobel de physique, Richard Feynman, écrivait ainsi :

When I see equations, I see the letters in colors—I don’t know why. As I’m talking, I see vague pictures of Bessel functions from Jahnke and Emde’s book, with light-tan j’s, slightly violet-bluish n’s, and dark brown x’s flying around. And I wonder what the hell it must look like to the students. (Feynman, 1988, p. 59)

Cette association intermodale involontaire est discrète, mémorisable, émotionnelle et noétique. Les perceptions synesthésiques sont durables et « génériques », c’est-à-dire non élaborées : elles ne produisent jamais d’images ni de scènes complexes mais, au contraire, des points, des tâches, des lignes, des spirales et des formes en grillage, des textures lisses ou rugueuses, des goûts agréables ou désagréables, tels que salés, sucrés ou métalliques. Cytowic souligne :

Synesthetic percepts never go beyond this elementary, unembroidered level. If they did, they would no longer be synesthesia but rather well-formed hallucinations or figurative mental images of the kind we all have daydreaming. (Cytowic, 1993, p. 77)

Dans un second temps, l’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) par Cytowic, Paulesu, Aleman, Ramachandran et Hubbard a permis une connaissance approfondie des processus cérébraux à l’œuvre dans la synesthésie, et fournit une explication du phénomène par la théorie dite de « l’activation croisée » (Hubbard & Ramachandran, 2005 ; Ramachandran & Hubbard, 2001a et 2001b). Il reste à en comprendre les causes, l’expérience ayant montré la transmission génétique de cette « erreur de câblage » et une prédominance féminine chez les synesthètes. La thèse actuellement dominante est celle présentée en 1988 par Charles et Daphne Maurer : l’être humain naîtrait synesthète. Le nourrisson serait synesthète pour des raisons de survie — reconnaître la mère par tous les moyens — et pour des raisons biologiques — les connexions neuronales ne seraient pas encore fermement établies. La prédisposition génétique interviendrait alors pour ne pas élaguer tous les câblages synesthésiques existant chez chacun des nourrissons.

Ce tournant neurologique constitue en fait une redécouverte car les études scientifiques sur la synesthésie avaient commencé à la fin du xixe siècle, marquées par des publications concomitantes — l’article de Francis Galton en 1880, les travaux des médecins suisses Eugen Bleuler et Karl Lehmann en 1881 —, avant de sombrer dans une quasi-indifférence à partir des années 1930, jusqu’au revival des années 1980, un siècle après une première apparition dans l’histoire des sciences. Selon Baron-Cohen et Harrison comme pour Cytowix, ce désintérêt fut causé par la domination du paradigme behavioriste considérant la synesthésie comme trop subjective. En effet, jusqu’à l’utilisation de l’imagerie cérébrale, l’étude de la synesthésie dépendait des récits des patients, source sujette à caution. En France, où le courant symboliste avait mis en avant la métaphore synesthésique, les travaux concernèrent l’un des types de synesthésie, l’audition dite colorée avec L’audition colorée de Ferdinand Suárez de Mendoza en 1890, et Des phénomènes de synopsie (audition colorée) du médecin Theodore Flournoy en 1893.

Dans la période de reflux, furent néanmoins publiés des témoignages importants, le livre de mémoire de Vladimir Nabokov, Speak, Memory, en 1947 — le second chapitre contient ce qu’il appelle sa confession de synesthète —, les Entretiens avec Olivier Messiaen de Claude Samuel en 1967, et le livre influent du psycholoque russe Alexandre Luria, Une Prodigieuse mémoire, étude psycho-biographique, publié en 1968, sur le cas suivi pendant des décennies du journaliste Solomon Veniaminovich Shereshevsky, mnémoniste mais aussi synesthète (Lambert, 2009).

Les quatre grands types de synesthésie : synesthésie et pseudo-synesthésie

Il n’existe pas de signes extérieurs de synesthésie, laquelle n’est pas considérée non plus comme une maladie neurologique. Dans son Blue Cats and Chartreuse Kittens, How synesthetes color their worlds, Patricia Lynne Duffy (2002) reprend la liste des différentes catégories de synesthésie avancées par Baron-Cohen et Harrison : la première est la synesthésie comme phénomène naturel (developmental synesthesia) ; la deuxième est une synesthésie accidentelle (acquired synesthesia), qui est provoquée par un dysfonctionnement neurologique ou physique, par exemple les séquelles de la méningite ; la troisième concerne la synesthésie temporaire induite par les drogues, le haschich et le LSD particulièrement.

Enfin la quatrième catégorie concerne la synesthésie métaphorique, ou pseudo-synesthésie, qui désigne ses manifestations culturelles et littéraires, les métaphores synesthésiques et les tropes dans le langage, toutes les contructions artistiques qui emploient le mot « synesthésie » pour décrire des associations multisensorielles, ce qui fut l’une des caractéristiques du romantisme allemand et du symbolisme français. Cette préoccupation de distinguer synesthésie et pseudo-synesthésie n’est pas caractéristique de la nouvelle période scientifique. Dès la première époque, faire la différence entre audition colorée et système synesthésique élaboré par les artistes s’était imposé aux scientifiques. Jean Clavière, en 1898, diagnostiquait sans ménagement :

Ce qui a fait à l’audition colorée une si mauvaise réputation, c’est que ses manifestations ont été posées comme principes fondamentaux de la régénération de l’art par des littérateurs, des poètes, des artistes suffisamment connus sous les noms de décadents, de symbolistes, d’évoluto-instrumentistes, etc., et que l’on a qualifiés soit des dévoyés de l’art et des névrosés, soit tout simplement des fumistes2. (Clavière, 1898, p. 164)

L’ambiguïté pseudo-synesthésique sur des expériences synesthésiques

La littérature européenne du xixe siècle fut le domaine par excellence de la pseudo-synesthésie3. Le romantisme allemand4, puis — entre autres — le romantisme et le symbolisme français, ont produit des œuvres qui développaient des images intersensorielles et des métaphores synesthésiques, voire des systèmes de pensée fondés sur ces associations.

En France, la littérature pseudo-synesthésique se développe aussi en relation avec l’expérimentation de substances psychoactives qui peuvent induire une synesthésie temporaire et bien réelle. En 1843, Théophile Gautier présentait les sensations éprouvées à la suite d’une absorption de haschich :

Mon ouïe s’était prodigieusement développée ; j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craquement de fauteuil, un mot prononcé tout bas, vibraient et retentissaient en moi comme des roulements de tonnerre5. (Milner, 2000, p. 72)

Moreau de Tours, dans son Du hachisch et de l’aliénation mentale en 1845, avait souligné l’excès lyrique du témoignage de Gautier et, dans son étude de 1868 sur Baudelaire, Gautier avouait avoir effectué une réélaboration littéraire de ses expériences d’états modifiés de conscience : « J’y ai mêlé mes propres hallucinations. » (Milner, 2000, p. 75) Max Milner commente : « La manière dont Gautier décrit ses hallucinations […] est le premier exemple, en France, de l’exploitation systématique d’une prise de drogue pour en tirer des effets littéraires. » (Milner, 2000, p. 72) Le récit de l’expérimentation de la drogue constitue dès l’origine un genre littéraire, où les effets synesthésiques de par leur valeur poétique sont réinscrits dans l’imaginaire et les thèmes personnels de l’auteur. Chez Baudelaire, la description des effets de la drogue oscille entre un commentaire dominant de minimisation, de mise à distance et des envolées lyriques où paradoxalement la véritable expérience de la synesthésie — celle de catégorie III, induite par la drogue — est réduite à une hyperesthésie décrite comme une intensification des analogies hoffmanniennes.

Les sons se revêtent de couleurs, et les couleurs contiennent une musique. Cela, dira-t-on, n’a rien que de fort naturel, et tout cerveau poétique, dans son état sain et normal, conçoit facilement ces analogies. Mais j’ai déjà averti le lecteur qu’il n’y avait rien de positivement surnaturel dans l’ivresse du haschich ; seulement, ces analogies revêtent alors une vivacité inaccoutumée ; elles pénètrent, elles envahissent, elles accablent l’esprit de leur caractère despotique. Les notes musicales deviennent des nombres […]. (Baudelaire, 1975, p. 419)

L’une des conséquences de la nouvelle science synesthésique est la relecture de certains cas supposés de synesthésie chez des écrivains et des artistes, peintres ou musiciens. Il s’agit d’un domaine en grande partie spéculatif et ouvert. Ainsi Cretien Van Campen (2008) et Patricia Lynne Duffy (2013) considèrent à la lecture des Paradis artificiels que Baudelaire aurait bien expérimenté la synesthésie induite par le haschich, à l’opposé de l’interprétation de Milner (2000).

La relecture contemporaine par des synesthètes de l’histoire culturelle de la synesthésie a tendance à annexer des artistes qui semblent relever de la pseudo-synesthésie, en déduisant de leur intérêt pour les systèmes synesthésiques une projection de leur secrète condition. Des musiciens hantés par le lien entre musique et couleurs ont parfois ainsi été considérés comme des synesthètes véritables : Scriabine, Rimski-Korsakov, Chiurlionis. Toutefois, Van Campen (1999), étudiant l’expérimentation artistique sur la synesthésie à la fin du xixe et début du xxe, ne fait aucune référence à une possible synesthésie réelle chez ces artistes. Il est clair pour lui qu’il s’agit d’expérimentations comme celles faites au sein du Blaue Reiter, et non pas de transposition de cas personnels. Deux auteurs russes, Bulat Galeyev et Irina Vanechkina (2001), déconstruisent la croyance dans une synesthésie réelle chez Scriabine et ajoutent que ni Rimski-Korsakov, ni Chiurlionis, ni par ailleurs Kandinsky, auteur d’un système personnel complexe de correspondances entre les couleurs et les timbres d’instruments, n’étaient des synesthètes au sens clinique du terme6.

La révolution culturelle de la synesthésie neurologique

La révolution culturelle de la condition synesthétique

La révolution neuroscientifique de la synesthésie s’est accompagnée d’une révolution culturelle. Le livre du neurologue Richard Cytowic, The Man Who Tasted Shapes, en 1993, contribua de manière essentielle à faire connaître les nouvelles découvertes à un large public ; il eut un effet sur les synesthètes eux-mêmes. Beaucoup d’entre eux ignoraient jusqu’au nom donné à leur cas, et la lecture du livre ou des articles qui en parlaient fut souvent vécue comme une révélation. Cette révolution culturelle de la synesthésie dans la première décennie du siècle se caractérise par un changement d’attitudes des synesthètes envers leur condition qui restait la plupart du temps un secret intime ou de famille, par une révolution de la parole : les synesthètes ont commencé à témoigner, à se rencontrer. Un activisme culturel s’est développé avec la création d’associations, de congrès — comme en Espagne, le Congreso Internacional de Sinestesia, Ciencia y Arte —, d’expositions, blogs et chats sur le net.

Ces témoignages multiples sur la condition synesthésique par ceux qui la vivent, et ce pour la première fois dans l’histoire humaine, entrent dans un cadre plus vaste lié aux conséquences culturelles et psychologiques des progrès des neurosciences, celui de la représentation autobiographique de troubles neurologiques dans la création littéraire et plastique. Ce phénomène a pris le nom de vision de l’intérieur, « from within », comme le signale le titre de certains livres, celui notamment de Jill Bolte Taylor (2008), My stroke of Insight: A Brain Scientitst’s Personal Journey, ou celui de Klaus Podoll et Derek Robinson (2009), Migraine Art: The Migraine Experience from Within. Des artistes ayant un trouble neurologique, de la migraine à aura, en passant par l’épilepsie, l’autisme, jusqu’aux maladies dégénératives comme l’Alzheimer et certains types de démence ont témoigné de leur situation et ont présenté des œuvres liées à leur pathologie, certains collaborant avec des scientifiques7. Le mouvement commence avec la représentation artistique de masse de la migraine à aura — le migraine art en Grande-Bretagne —, à l’occasion de la First Migraine Art Competition à Londres en 1980, pour aboutir en 1991 à l’exposition The Migraine Art à l’Exploratorium de San Francisco. En 1992, une plasticienne épileptique, Jennifer Hall, organise à Boston une exposition historique, From the Storm, montrant des œuvres de plasticiens épileptiques qui essaient de représenter leur condition de l’intérieur, de rendre compte de manière visuelle, plastique, de la crise8. En 2001, la peintre américaine Carol Steen écrivait dans la revue Leonardo un article qui allait faire date, « Visions Shared: A Firsthand Look into Synesthesia and Art », à la fois récit autobiographique détaillé sur sa synesthésie et analyse du rapport entre ses œuvres picturales et sa condition. Et en 2002, Patricia Lynne Duffy, une synesthète professeur d’anglais à l’ONU à New York, publiait Blue Cats and Chartreuse Kittens, How Synesthetes Color Their Worlds, qui incluait récit autobiographique et considérations sur l’état de la science et de l’art sur la synesthésie. Les deux femmes créèrent The American Synesthesia Association dès 1995, qui organise chaque année un important colloque sur le thème. En 2008 eut lieu la première exposition consacrée à l’art de la synesthésie, Synesthesia: Art and the Mind, et durant cette décennie la synesthésie devint un thème de la neurolittérature. Daniel Tammett, autiste de type Asperger, également synesthète et mnémoniste, a écrit un livre autobiographique en 2006, où pour la première fois l’autisme était décrit de l’intérieur. Le titre Born on a Blue Day fait référence à l’un des types de synesthésie vécu par l’auteur, l’association entre couleurs et jours de la semaine.

En moins de quinze ans, la synesthésie est passée du secret de famille et de laboratoire, du climat de suspicion des scientifiques, à l’explosion d’une expression libre et revendiquée sur l’internet, et devenait parallèlement un thème de fiction littéraire avec des auteurs eux-mêmes rarement synesthètes.

Figure 2. – Carol Steen, Clouds Rise Up, 2004-2005, huile sur masonite recouverte de toile, 62,5 x 51 cm.

Figure 2. – Carol Steen, Clouds Rise Up, 2004-2005, huile sur masonite recouverte de toile, 62,5 x 51 cm.

I made this painting last winter after I heard a musician play an untitled piece on his Shakuhachi flute. Unlike the fast-tempo songs I usually work to because I like to watch the colours change quickly, the song he played had a very slow tempo. I call this Clouds Rise Up because this is exactly what I saw as I listened to him play his flute. Each note he played had two sounds and two colours: red and orange, which is why the two colours you see move together as one shape on the slightly metallic green surface9.

Particularités de l’autobiographie de synesthètes

Dans leurs récits autobiographiques, Duffy et Steen ont défini les séquences typiques et obligées qui interviennent dans la vie d’un synesthète ; en retour, leurs narrations vont servir de modèle pour la neurolittérature consacrée à la synesthésie. La reconnaissance de sa propre différence constitue le premier stade obligé, mais aussi l’épisode central de tout récit autobiographique de synesthète. En même temps que l’enfant ou l’adolescent découvre sa singularité, il ou elle réalise que les autres voient le monde de manière autre. La surprise s’accompagne d’une prise de conscience parfois traumatisante. Richard Cytowic et David Eagleman écrivent : « As children, synesthetes are surprised to discover that others are not like them. Often ridiculed and disbelieved, they keep their atypical perceptions private. » (2009, p. 232) Steen rappelle ainsi :

I was walking home from school with a classmate, and I said to her, “The letter A is the prettiest pink!” But she told me, “You’re weird.” And I thought, “Well, I won’t tell you what B looks like.” It silenced me10.

La synesthésie, qui ne constitue pas un handicap neurologique ou cognitif, a été vécue comme une souffrance psychologique dans une société qui ne croyait pas à la réalité du phénomène. Le secret est l’un des thèmes essentiels du récit synesthésique. Patricia Lynne Duffy écrit sur Carol Steen : « Although she is committed to expressing them now, Carol spent most of her life keeping silent about her synesthetic perceptions, as many synesthetes do. » (Duffy, 2002, p. 55) La découverte qu’un autre membre de la famille partage la même condition et le même secret est un autre moment de l’initiation synesthésique, le phénomène étant lié à une proche hérédité. Steen raconte comment elle s’est aperçue que son père partageait la même condition, comment cette complicité resta tacite entre les deux et secrète par rapport aux autres membres de la famille11. Le deuxième chapitre de Speak, Memory de Nabokov, en 1947, est consacré à une description de sa synesthésie :

I present a fine case of colored hearing. Perhaps “hearing” is not quite accurate, since the color sensation seems to be produced by the very act of my orality forming a given letter while I imagine its outline. […] The confessions of a synesthete must sound pretentious to those who are protected from such leakings and drafts by more solid walls than mine are. (Nabokov, 1989, p. 35)

Cette confession, pour reprendre l’expression de l’auteur, contient la description d’une synesthésie classique, celle des lettres colorées. Une lettre peut provoquer une association de couleur, qui en plus varie suivant les alphabets des langues qu’il maîtrise couramment, anglais, français, russe. Le récit autobiographique de Nabokov présente une singularité. Deux des plus importants épisodes de tout récit de synesthète sont ici vécus en même temps : le jour où dans sa septième année il découvre sa différence, il découvre par la même occasion que sa mère est également synesthète, et même de plus grande amplitude car elle possédait aussi l’audition colorée — « optically affected by musical notes » (Nabokov, 1989, p. 37).

Autre moment crucial dans les textes autobiographiques, celui où le synesthète apprend la réalité de son cas, apprend à nommer le phénomène, ce qui est vécu comme un énorme soulagement. Pour Duffy comme pour Steen, cette information fut le résultat du hasard. L’auteur de Blue Cats nomme ce moment « a personal epiphany » (Duffy, 2002, p. 33). Elle était dans le salon d’attente de son dentiste et prit sur la table un numéro de Psychology Today, qui avait en couverture : « Can You Hear and Taste in Color Synesthesia? » L’article était écrit par Lawrence Marks, auteur de The Unity of the Senses: Interrelations among the Modalities (1978). Steen a relaté les circonstances d’un semblable moment aux conséquences essentielles, en écoutant par hasard un programme radio en 1993, dans lequel le neurologue Cytowic parlait de la synesthésie. C’est une révélation qui bouleverse le cours de son existence. « This was the first time in my life that I had really learned anything about synesthesia. » (Steen, 2001, p. 207) Autre épisode propre à la vie du synesthète, celui de la relation avec d’autres synesthètes et la découverte étonnante que leurs associations diffèrent entre eux. Comparer ses associations et son type de synesthésie constitue un thème essentiel de discussion entre synesthètes, ce que Lynne Duffy résume ainsi : « Yes I see what you see even if you see it in the wrong colour. » (Duffy, 2002, p. 51)

La photographe Marcia Smilack se livre à des considérations autobiographiques dans lesquelles se retrouvent les mêmes séquences que chez Duffy ou Steen, à la différence que cette fois, c’est… Steen qui va tenir ce rôle de révélation que Cytowic avait joué pour la peintre new-yorkaise. Smilack rappelle que la découverte de sa différence synesthésique est liée à l’installation de son piano, à l’âge de six ans : la première note qu’elle joua était verte !

Impulsively, I reached out and touched a random white note when to my utter astonishment; an image appeared outside my face, a few inches above my eyes that arrived so quickly it startled me into a state of wonder. What I saw was green but not just any green. It was the green of shimmering light within the loose confines of a rectangle that had diffuse edges. And while the vision vanished almost as quickly as it arrived, I never forgot it. […] Even so, a few years ago—almost half a century after this experience of seeing my first “green note”—I took a reflection image that captured what Nature could not do alone. When I looked at the image later, I recognized the shimmering green from that first experience and thus named the image “Green Note” (see image). (Smilack, 2012)

Figure 3. – Marcia Smilack, Green Note, 2007.

Figure 3. – Marcia Smilack, Green Note, 2007.

Elle en garda le secret car, dit-elle, le phénomène du déclenchement de couleurs par un son n’était jamais parvenu à sa pleine conscience. Et c’est même seulement à l’âge adulte qu’elle se rendit compte que le déclenchement d’une perception colorée à la suite d’un son fonctionnait aussi dans l’autre sens, cas rare d’une synesthésie réversible : « I was twenty-five years old before I heard that word or understood that everyone does not perceive the world as I do: I hear with my eyes and see with my ear. » (Smilack, 2009) Lorsqu’à la même période, par hasard, une étudiante en psychologie lui dit qu’elle a peut-être une synesthésie, son intérêt sera encore de courte durée. Elle en cherche la signification dans un dictionnaire médical. Mais ce mot qu’elle n’avait jamais entendu se trouve entre seizure (crise épileptique) et… syphilis, et sa curiosité s’éteint dans une sorte de déni. C’est seulement en 1999 qu’elle prend pleinement conscience de son cas, et grâce justement à Carol Steen :

Then in 1999, I picked up a New York Times and read an interview with Carol Steen, a synesthete and artist in New York City. She put into words what I had known but had never said to anyone, not even to myself. The article included her e-mail address. I sent a message with the header: “I hear with my eyes.” She answered right away. “Welcome to the club, you’re in great company.”12 (Smilack, 2009)

La Renaissance synesthésique et la fiction littéraire

La synesthésie est devenue un thème de littérature contemporaine13, dans le sillage du neuronovel, roman neurologique ou neuroroman (voir Lambert, 2012 et 2009). Une trentaine de romans de langue anglaise depuis le début du siècle mettent en scène des personnages synesthètes. Aucun des auteurs n’est synesthète, à part Jane Yardley, qui traite le sujet dans son premier livre en 2003, Painting Ruby Tuesday. La plupart des romans à thème et personnages synesthésiques utilise la trame du genre policier, fantastique ou d’aventure. Dans The Fallen de T. Jefferson Parker (2007), le personnage principal est un détective synesthète. A Mango-Shaped Space de Wendy Mass (2003) est au contraire un récit de fiction entièrement consacré au phénomène de la synesthésie, se fondant sur les études scientifiques et reprenant les différentes étapes décrites dans les récits autobiographiques de synesthètes. Le récit commence au moment où le personnage, une petite fille de huit ans, est forcée de constater sa différence. Convoquée au tableau, elle utilise naturellement pour elle des craies de couleur qui correspondent aux associations qu’elle a toujours fait entre nombre et couleur. « I stood with my arms at my sides, sleeves hanging halfway to my knees. Was I the only one who lived in a world full of color? » (Mass, 2003, p. 3) Ridiculisée devant sa classe, elle est obligée de dénier la raison de son comportement et finit par choisir de mentir en faisant croire qu’effectivement elle n’avait fait que s’amuser. L’ère du grand secret commence.

Even at eight years old, I was smart enough to realize that something was very wrong and that until I figured out what it was, I’d better not get myself in deeper trouble. […] I learned to guard my secret well. (Mass, 2003, p. 4)

Dans sa recherche d’informations sur l’internet, la jeune protagoniste synesthète découvre le site de Carole Steen : « I read an article about a woman who says she goes to an acupuncture clinic because when the needles go in, amazing colors and shapes appear in front of her face. » (Mass, 2003, p. 98)

Duffy a proposé une typologie de la fiction synesthésique, aux frontières diffuses, fondée sur l’image du personnage synesthète : la représentation de la synesthésie dans les romans contemporains oscillerait entre pathologie, idéal de complétude et simple anomalie intégrée au monde actuel. Ainsi Monique Truong, dans Bitter in the Mouth (2010), imagine une rare synesthésie associant le son des mots avec une sensation gustative, « word-tastes », chez une jeune Vietnamienne adoptée par de riches Américains. L’anomalie vient de fait ici symboliser tous les problèmes d’adaptation culturelle dans un récit qui se termine, souligne Duffy, avec la tragédie du 11 Septembre.

When my teacher asked, “Linda, where did the English first settle in North Carolina?” The question would come to me as, “Lindamint, where did the Englishmaraschinocherry first Pepto Bismol settle in North Carolinacannedpeas?” (Truong, 2010, p. 21)

Peter Brook avait mis en scène des personnages synesthètes avec L’Homme qui en 1993, à partir du livre d’Oliver Sacks, L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, et avec Je suis un phénomène en 1998, à partir d’Une prodigieuse mémoire d’Alexander Luria. Dans son œuvre créée en 2014, The Valley of Astonishment, il continue sa présentation de conditions neurologiques en consacrant la majeure partie de sa pièce à la synesthésie, l’un des personnages étant conçu sur le modèle de Carol Steen.

La représentation visuelle du phénomène synesthésique

La représentation plastique du phénomène synesthésique

En 2001, dans la revue Leonardo, Steen, soulignant l’aspect thérapeutique pour elle de cette confession et consciente de son aspect pionnier14, décrivait son cas, celui d’une plasticienne synesthète :

I have been an artist since the late 1960s. For many years I did not disclose or recognize much about the source of the subject matter of my paintings and sculpture. When I was younger I had reservations about letting other people know about my synesthesia because I had no information about it. I did not discover the word until I was in my thirties and knew of no scientific studies that could provide reassurance. In writing this paper now, I seek personal liberation. I no longer wish to conceal my abilities, my areas of experience, my vocabulary of colors and shapes and what I have observed to be their triggers. Even though a tremendous amount of scientific knowledge remains to be obtained, I hope what I share here will be of use to those synesthetes who have remained silent, unaware that others share their perceptions; to those who studying synesthesia as a perceptual phenomenon; and to those who wish to begin a serious study of the commonalities in synesthetically created artworks. (Steen, 2001, p. 203)

Sa libération par la révélation de sa condition, à la suite de l’écoute par hasard de Cytowic en 1993, transforme son œuvre en lui conférant une direction nouvelle : créer une représentation visuelle et plastique de ses perceptions synesthésiques. L’artiste est amenée à s’interroger sur l’utilisation inconsciente de la synesthésie dans ses œuvres antérieures car, à sa grande surprise, elle s’aperçut qu’elle avait toujours utilisé les formes géométriques basiques produites par le cerveau synesthète, que le psychologue Heinrich Klüver avait catégorisées sous le nom de form constants à la fin des années 1920. Elle prend conscience de son rapport ambigu à un phénomène qui la dépassait, qu’elle ne pouvait nommer, qu’elle utilisait ou évitait dans l’acte de peindre sans en avoir une claire conscience.

If I could compare what I see synesthetically with things everyone can see in nature my visions would look somewhat like the Aurora Borealis, like the colorized photographs sent from the Hubble telescope, like combinations of fireworks, or like solar flares. (Steen, 2012)

Les aurores boréales, les feux d’artifice, les éruptions solaires sont les images de la nature les plus proches des photismes qu’elle perçoit, commente Steen qui recommande la vidéo « Viva la vida » du groupe Coldplay, réalisée par Mark Romanek, pour sa production d’images proches de ses perceptions synesthésiques. C’est en 1996 qu’elle inaugure la seconde période de son œuvre, en peignant pour la première fois une toile dont le sujet est la représentation d’une vision synesthésique. L’œuvre qui s’appelle Vision représente les photismes que Steen a perçus pendant un traitement d’acupuncture.

Figure 4. – Carol Steen, Vision, 1996, huile sur papier, 39 x 31 cm.

Figure 4. – Carol Steen, Vision, 1996, huile sur papier, 39 x 31 cm.

The first painting in which I consciously recorded a photism that I saw during an acupuncture session, called Vision was created in 1996. I was lying flat on my back and stuck full of needles. My eyes were shut and I watched intently, as I always do, hoping to see something magical, which does not always occur. Some visions are just not interesting or beautiful. Lying there, I watched the black background become pierced by a bright red color that began to form in the middle of the rich velvet blackness. The red began as a small dot of color and grew quite large rather quickly, chasing much of the blackness away. I saw green shapes appear in the midst of the red color and move around the red and black fields. This was the first vision that I painted exactly as I saw it. (Steen, 2001, p. 205)

Parmi les capacités synesthésiques multiples de Steen qu’elle continue toujours d’explorer, l’association son-couleur est dominante, mais elle perçoit aussi des associations toucher-couleur en particulier dans l’acupuncture, mais c’est en fait tous ses sens qui peuvent à un moment ou un autre, même dans un mal de dents, provoquer une association intermodale avec la vision.

Représenter une vision synesthésique consiste pour l’artiste plasticienne à peindre des photismes, or ces photismes ne sont pas statiques mais doublement mouvants : ils se déplacent et se métamorphosent selon divers tempi, souvent en un tempo comparable aux seize images par seconde du cinéma muet, et quant à leur brillance elle pose un défi à l’utilisation des pigments. Comment représenter dans le cadre de la peinture une vision qui varie entre quelques secondes et dix minutes, en constant mouvement et transformation ? Le moyen de la peinture ne saurait rendre complètement la vision, reconnaît Steen, pour qui la technologie digitale permettrait de mieux imiter l’intensité des couleurs et de restituer le mouvement des images qui défilent à des vitesses variées. « One fact must be made clear from the start is that synesthetes do not necessary slavishly copy what they see any more than traditional landscape artists paint every leaf and blade of grass or grain of sand. » (Steen & Berman, 2013, p. 673) Dans le catalogue de l’exposition de 2008, au McMaster Museum of Art, intitulée Synesthesia: Art and the Mind, première exposition consacrée à des peintres synesthètes, elle analyse dans un chapitre intitulé justement « How I work with synesthesia, Problems, solutions and broken rules15 » (Berman & Steen, 2008, p. 22) les problèmes techniques posés par le genre pictural pour une représentation qui viserait à l’authenticité, et décrit les solutions qu’elle apporte.

Dans les visions synesthétiques, écrit-elle, il existe des moments où le passage d’une forme colorée à la suivante ne se fait pas harmonieusement, où il existe une suspension d’images, ce qu’elle appelle des « visual holes », trous dans la vision qui font partie intégrante de la vision synesthétique, et ne pas les représenter s’opposerait par trop à l’authenticité du rendu de la vision intérieure. Steen a choisi de rendre ces trous visuels par des surfaces non colorées sur la toile qui laissent apparaître la surface noire du support, puisqu’au préalable le peintre l’a enduit d’un médium de cette couleur. L’apparence d’inachèvement ainsi conféré à la toile n’est pas une référence à une tradition esthétique — modernité ou japonité —, mais la conséquence d’un choix alliant désir d’authenticité et technique picturale.

Pour représenter une vision dont les formes et l’intensité des couleurs a varié dans la durée, des choix doivent être faits qu’elle explique en fonction du critère d’efficacité. Le peintre choisit de représenter une synthèse d’une longue vision de couleurs aux formes mouvantes et privilégie les parties jugées les plus intéressantes. Représenter impose de réduire : « I need to pare down. » (Berman & Steen, 2008, p. 23) Une seule peinture ne peut inclure tout le vécu visuel, expérience contraignante vécue aussi selon elle par d’autres synesthètes. Le désir de fidélité dans la représentation mimétique est doublement impossible en raison des limites du genre pictural, raisons techniques, et des limites des possibilités de perception et de mémoire, raisons cognitives. La solution à ces difficultés réside avant tout dans des choix esthétiques. Le critère essentiel d’élection d’un tableau à partir d’une vision synesthétique est d’abord l’accord avec ses goûts en matière de couleurs. La vision est sélectionnée comme objet de peinture si elle correspond à des critères esthétiques idiosyncrasiques de l’auteur et si, d’autre part, sa représentation est matériellement possible. Steen déclare ainsi éviter certaines combinaisons de couleur comme l’orange et le vert pour des raisons qui peuvent se fonder sur des facteurs personnels et traditionnels d’esthétique, et non pas sur un lien avec des sensations désagréables.

Le processus de l’inspiration est lui aussi particulier dans la mesure où le peintre choisit de mettre en action un processus en sachant que ce qui apparaît ne peut être ni inventé, ni contrôlé. Steen a besoin pour peindre de travailler à partir d’une musique qui va produire des photismes qui seront peints immédiatement. Elle donne une narration enjouée des manœuvres du peintre synesthète qui — c’était au temps où les enregistrements étaient sur cassette — devait courir constamment du magnétophone à la toile, car il faut écouter sans arrêt le même air et peindre sur le champ ce que l’on voit. En effet, la mémoire d’une vision est faible, écrit-elle, en une belle formule synesthésique : « The memory of what I’ve heard is never as bright as what I see from the actual sound. » (Berman & Steen, 2008, p. 22) Ce qui impose de peindre d’autant plus vite que même dans un relatif ralenti, les photismes se métamorphosent et l’acte concret de peindre n’obéit pas au même tempo. Aujourd’hui, l’ordinateur permet de passer en boucle l’air qui produit la vision à représenter, ce qui diminue les anciennes contraintes. Cette nécessaire rapidité dans l’acte de peindre imposée par la cadence des images, Steen la repère dans l’œuvre d’autres peintres synesthètes.

La peintre qui a expérimenté les effets synesthésiques produits par différents types de musique préfère les sons forts, sans préférence d’enregistrement live ou en studio. Elle observe que les sons produits par un synthétiseur déclenchent chez elle des couleurs plus claires, plus facilement perçues que celle déclenchées par un instrument individuel comme le piano ou le violon. Les goûts du peintre sont éclectiques : musique de Santana pour Runs Off in Front, Gold, en 2003, musique de shakuhachi pour Clouds Rise Up, en 2004, chanson Show me de Megastore pour Red Commas on Blue, en 2004.

La photographe synesthète Marcia Smilack a précisément décrit les circonstances de son travail. Elle prend une photographie quand résonne en elle un son musical déclenché par la perception visuelle de reflets sur l’eau. En autodidacte, elle est devenue photographe en raison d’un processus dont elle ignorait le nom et l’existence : elle a longtemps utilisé ses capacités synesthésiques sans savoir qu’elle était synesthète.

I taught myself photography by relying on my synesthetic responses to what I see. I knew nothing about photography at the time; I had no training in either photography or visual art, but I was living on the water in a small fishing village and had noticed that when I looked at reflections on water, I heard sound, the reverse of my original “green note” on the piano. Relying entirely on intuition, I decided to trust what I “hear” in my mind’s eye as reliable signals that pointed out my decisive moments. I began to photograph reflections exclusively and soon after, named myself a Reflectionist. I named the images I create in this way “paintings by camera” because the process always felt more like painting than photography, largely because of my collaboration with Nature. I photograph subjects that are never hidden but often unseen. (Smilack, 2012)

Figure 5. – Marcia Smilack, Homage to Monet, 1997.

Figure 5. – Marcia Smilack, Homage to Monet, 1997.

Another good example of how color and shape elicit sound for me is the photograph named Homage to Monet (see image) which I took when I heard a chord of color. Incidentally, a “chord of color” is not a metaphor for me but quite literally what I saw when I heard the sound by looking at the image on the water. I also heard a crescendo created by the shape of the white arc that goes across the image and I clicked the shutter when I felt the crescendo rise and peak inside of me. The sound of the musical chord is produced by the arrangement of the colors themselves. By the way, I was not thinking of Monet or his famous footbridge painting when I took this image, but afterwards, so many people said that my image reminded them of that famous painting that I felt obliged to name the image after him16. (Smilack, 2012)

Les formes constantes dans les effets visuels des synesthètes et dans leurs créations

Cytowix le souligne, ce que voient les synesthètes n’est pas une image élaborée mais tout au contraire des formes et des couleurs non élaborées : des tâches, des lignes, des spirales, des formes en treillis. Dans L’homme qui goûtait les formes, Cytowic (1993) rappelait la valeur des travaux de Klüver (1897-1979), un psychologue allemand de Chicago, naturalisé américain, spécialiste — entre autres études — des effets de la mescaline. Le résultat de ces expériences fut en 1926 l’idée que le cerveau produisait quatre sortes de formes géométriques, répertoriées par le psychologue et nommées depuis les « form constants » de Klüver : les tunnels, les spirales, les grilles — qui incluent aussi les nids d’abeille, les damiers et les triangles —, les toiles d’araignée. Ces formes constantes sont repérables non seulement dans les hallucinations naturelles ou induites, mais dans les perceptions des synesthètes, dans les migraines ophtalmiques, dans l’hypnagogie, l’épilepsie, les expériences de mort imminente. En 2009, Jean Petitot, dans Neurogéométrie de la Vision, à la suite des travaux de Jack Cowan, Bard Ermentrout et Paul Bressloff, élaborait une transcription mathématique des effets visuels catégorisés par Klüver.

Les constantes de Klüver ont fasciné Steen qui reconnaît en elles un lexique des formes qu’elle perçoit. Le catalogue de l’exposition Synesthesia: Art and the Mind rend un hommage au psychologue germano-américain. Steen constate chez les synesthètes et les peintres synesthètes la vision et la représentation de ces mêmes formes communes, petites figures circulaires, larges figures irradiantes, figures parallèles, treillis, duplications bilatérales, rotations, lignes ondulées, tâches amorphes, lignes brisées. Greta Berman repère dans les décors de David Hockney, pour la Flûte enchantée en 1977 et L’Enfant et les Sortilèges en 1980, un déploiement de ces mêmes formes constantes. En 2012, Steen a travaillé avec le vidéaste Chad Sikora pour rendre par l’image numérique le mouvement et la brillance de ses perceptions. Le projet s’est finalement attaché à mettre en animation les formes constantes dans les perceptions du peintre, avec trois vidéos d’une trentaine de secondes : Close to Purple Comma, Red-Orange Concentrics, Falling Emerald Greens.

À côté de l’existence des formes constantes de Klüver, il existe pour Steen et Berman d’autres caractéristiques communes chez les artistes synesthètes, thème de leur recherche exposé dans « Synaesthesia and the Artistic Process » du Oxford Handbook of Synaesthesia (2013). La première serait liée à la contrainte mnémique qui obligerait à un travail rapide d’inscription sur le canevas. Parmi les autres liens possibles, une autre contrainte serait de représenter les « visual holes » : la représentation de ce moment paradoxal dans la perception synesthétique serait retrouvée aussi bien chez Marcia Smilack, Joan Mitchell avec Wind que dans le Wonderland d’August Strindberg.

Les extraordinaires progrès scientifiques dans la connaissance du phénomène synesthésique ont conduit à une véritable révolution dans le domaine culturel, littéraire et artistique. Sa propagation a aujourd’hui dépassé les limites initiales de la culture occidentale pour questionner les autres cultures, notamment celles à langage non alphabétiques, chinoises et japonaises (Wan-Yu Hung, 2013), et celles sans écriture (voir notamment Classen, 1990 ; Howes, 2011).

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Notes

1 Commentaires personnels de C. Steen à l’auteur de l’article en 2013. Nous remercions C. Steen pour l’autorisation de publier trois reproductions photographiques prises par elle-même des œuvres Zigzag, Clouds Rise Up et Vision. Retour au texte

2 Le premier test scientifique pour détecter la synesthésie a été créé en 1987 par S. Baron-Cohen : le TOG, Test of Genuinenes for Colored-Word Synesthesia ; il a été suivi par d’autres. Retour au texte

3 Dans la culture française, deux autres textes sont devenus des références internationales de la pseudo-synesthésie, le poème de Rimbaud « Voyelles » de 1871, et À rebours de Huysmans de 1884 avec le célèbre orgue à bouche. Retour au texte

4 L’inspiration pseudo-synesthésique a été étudiée par P. Wanner-Meyer, dans Quintett der Sinne. Synästhesie in der Lyrik des 19. Jahrhunderts, 1998, à la suite de L. Schrader, Sinne und Sinnesverknüpfungen. Studien und Materialien zur Vorgeschichte der Synästhesie und zur Bewertung der Sinne in der italienischen, spanischen und französischen Literatur, 1969. Retour au texte

5 T. Gautier, La Presse, le 10 juillet 1843, cité par M. Milner, dans L’imaginaire des drogues : de Thomas de Quincey à Henri Michaux, 2000. Retour au texte

6 De leur côté, G. Berman et C. Steen (2008) considèrent Kandinsky et Strindberg comme d’authentiques synesthètes. En revanche, quand l’artiste est vivant, le diagnostic de synesthésie est possible, ce qu’a fait R. Cytowic (1989) pour D. Hockney. O. Sacks (2008) a consacré un chapitre de son Musicophilia aux musiciens synesthètes contemporains. Retour au texte

7 Voir H.-P. Lambert, « Hypermnésie, neurologie et littérature », 2009. L’épilepsie a une longue histoire de représentation autobiographique résumée dans R. F. Clifford (2004). Retour au texte

8 Voir From the Storm, <http://www.dowhile.org/physical/overview/presentations/asci/storm.html>. Retour au texte

9 Cette citation de C. Steen est une des réponses aux questions de la journaliste australienne F. McDonald dans l’article « Synesthesia: Bringing Out the Contours », 2006. Retour au texte

10 <www.abc.net.au/rn/talks/8.30/helthrpt/hstories/hr080796.htm, 8/07/1996>. Retour au texte

11 Ibid. C’est seulement après que C. Steen est devenue un acteur reconnu de la synesthésie, que son père a commencé à lui parler de son propre cas. Retour au texte

12 Ces deux citations proviennent du site de M. Smilack : <www.marciasmilack.com/> (2009). Retour au texte

13 Pour une liste et une étude des livres concernés, voir H.-P. Lambert, « La synesthésie : Vues de l’intérieur », 2011, disponible sur <www.epistemocritique.org/spip.php?article210>. Retour au texte

14 Comme elle l’indique dans les années 1920, le psychologue allemand G. Anschütz avait déjà travaillé avec des peintres synesthètes, M. Gehlsen et H. Hein, mais leurs expériences restèrent confinées au monde des laboratoires. Retour au texte

15 Les artistes exposés étaient D. Hockney, J. Mitchell, M. Smilack, C. Steen et C. Burchfield. Retour au texte

16 Nous remercions M. Smilack pour l’autorisation de publier ses deux œuvres photographiques. Retour au texte

Illustrations

  • Figure 1. – Carol Steen, ZigZag, 1996, huile sur papier, 30,48 x 25,40 cm.

    Figure 1. – Carol Steen, ZigZag, 1996, huile sur papier, 30,48 x 25,40 cm.

    When I was first trying to understand how to use my synesthetic visions in my work I explored ways of working with the lines I saw, the moving color fields, and, in this case, a zigzag that was so prominent in one particular photism. The trigger for this painting came from a very intense acupuncture session one day1.

  • Figure 2. – Carol Steen, Clouds Rise Up, 2004-2005, huile sur masonite recouverte de toile, 62,5 x 51 cm.

    Figure 2. – Carol Steen, Clouds Rise Up, 2004-2005, huile sur masonite recouverte de toile, 62,5 x 51 cm.

    I made this painting last winter after I heard a musician play an untitled piece on his Shakuhachi flute. Unlike the fast-tempo songs I usually work to because I like to watch the colours change quickly, the song he played had a very slow tempo. I call this Clouds Rise Up because this is exactly what I saw as I listened to him play his flute. Each note he played had two sounds and two colours: red and orange, which is why the two colours you see move together as one shape on the slightly metallic green surface9.

  • Figure 3. – Marcia Smilack, Green Note, 2007.

    Figure 3. – Marcia Smilack, Green Note, 2007.

  • Figure 4. – Carol Steen, Vision, 1996, huile sur papier, 39 x 31 cm.

    Figure 4. – Carol Steen, Vision, 1996, huile sur papier, 39 x 31 cm.

    The first painting in which I consciously recorded a photism that I saw during an acupuncture session, called Vision was created in 1996. I was lying flat on my back and stuck full of needles. My eyes were shut and I watched intently, as I always do, hoping to see something magical, which does not always occur. Some visions are just not interesting or beautiful. Lying there, I watched the black background become pierced by a bright red color that began to form in the middle of the rich velvet blackness. The red began as a small dot of color and grew quite large rather quickly, chasing much of the blackness away. I saw green shapes appear in the midst of the red color and move around the red and black fields. This was the first vision that I painted exactly as I saw it. (Steen, 2001, p. 205)

  • Figure 5. – Marcia Smilack, Homage to Monet, 1997.

    Figure 5. – Marcia Smilack, Homage to Monet, 1997.

    Another good example of how color and shape elicit sound for me is the photograph named Homage to Monet (see image) which I took when I heard a chord of color. Incidentally, a “chord of color” is not a metaphor for me but quite literally what I saw when I heard the sound by looking at the image on the water. I also heard a crescendo created by the shape of the white arc that goes across the image and I clicked the shutter when I felt the crescendo rise and peak inside of me. The sound of the musical chord is produced by the arrangement of the colors themselves. By the way, I was not thinking of Monet or his famous footbridge painting when I took this image, but afterwards, so many people said that my image reminded them of that famous painting that I felt obliged to name the image after him16. (Smilack, 2012)

Citer cet article

Référence papier

Hervé-Pierre Lambert, « La synesthésie : une révolution neurologique et culturelle », IRIS, 36 | 2015, 63-83.

Référence électronique

Hervé-Pierre Lambert, « La synesthésie : une révolution neurologique et culturelle », IRIS [En ligne], 36 | 2015, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1568

Auteur

Hervé-Pierre Lambert

Centre de recherches en littérature et poétique comparées, Université Paris Ouest Nanterre La Défense

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